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Avant d’aller plus loin, il faut garder à l’esprit que l’approche carbone n’est pas la seule approche possible quant à l’évaluation des enjeux environnementaux des changements d’occupation des sols. Notre sujet s’inscrit dans un enjeu bien précis, les émissions de GES, qui lui-même s’inscrit dans l’enjeu plus général, et plus incertain, des changements climatiques. Mais les changements d’occupation du sol ne sont pas seulement étudiés dans le cadre carbone – et ils sont d’ailleurs souvent étudiés pout eux-mêmes (voir chapitre 3). Les changements d’occupation du sol sont la forme la plus immédiatement visible des modifications anthropiques de la biosphère, la forme concrète la plus évidente de l’interface homme-milieu. Ils résument sous un même processus de nombreux flux de matière, d’énergie, d'espèces, de biomasse, mais les enjeux environnementaux et les impacts anthropiques ne se limitent évidemment pas à cela.

Des enjeux variables selon les époques

Les changements d’occupation des terres sont au cœur des questionnements environnementaux. Ces questionnements varient selon les époques, en fonction des enjeux identifiés par les milieux scientifiques et par la société dans son ensemble. Ainsi, les pluies acides et leurs conséquences sur les milieux forestiers étaient un enjeu important des années 1980. A la fin des années 1980, début des années 1990, l’urbanisation croissante et le déclin des activités traditionnelles du monde rural a entrainé une peur de l’enfrichement, signe d’une déprise rurale dangereuse et subie (Fottorino, 1989; Dérioz, 1999 ; Friedberg et Cohen, 2000 ; Cohen, 2003, voir chap. 5) ; dans les années 2000, la consommation d’espaces naturels et agricoles par l’artificialisation, et donc la perte de biodiversité mais aussi de surfaces productrices de biens alimentaires a été mise en avant, avec aussi une certaine crainte de l’homogénéisation des paysages marqués par l’étalement périurbain (voir chap.

5). Le carbone reste une priorité secondaire pour l’aménagement des territoires mais l’enjeu général de la préservation et augmentation des puits des terres a monté en puissance, surtout pour la forêt et l’agriculture, moins pour la question de l’artificialisation.

Un enjeu relatif

D’abord, l’enjeu de réduction des émissions, notamment liées aux énergies fossiles, dépasse l’enjeu des flux liés à l’occupation des sols et aux changements d’occupation des sols. Au niveau mondial, le rôle de l’occupation du sol et des changements d’occupation du sol dans la lutte contre les changements climatiques reste limité (Mackey et al. 2013). Le Giec (2014) a montré que même en prenant en compte le puits de carbone mondial des sols et de la biomasse, il fallait conserver environ 80% des réserves d’énergies fossiles aisément accessibles dans le sol pour pouvoir rester sous le seuil de 2°C de hausse moyenne de température (seuil au-delà duquel les perturbations aux écosystèmes sensibles devraient accroître rapidement (Giec, 1995), seuil qui est une traduction concrète de l’objectif ultime de la CCNUCC : « stabiliser les concentrations de GES dans l'atmosphère à un

niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » (CCNUCC,

1992, art. 2). Ainsi, l’importance stratégique des sols et de la biomasse ne doit pas faire oublier que « la cause première de la hausse de la concentration de CO2 est l’utilisation de combustibles fossiles ;

le changement d’affectation des terres y contribue aussi, mais dans une moindre mesure » (Giec,

2014, rapport de synthèse, par. 2.2). Pourtant, selon Pielke et al. (2002), les effets liés aux variations de l’albédo dues aux changements d’occupation du sol pourraient entraîner un forçage radiatif plus important que les effets liés à la perturbation du cycle du carbone. Ces auteurs soulignent cependant que les mesures (metrics) habituelles du pouvoir de réchauffement global ne sont pas pertinentes pour mesurer impacts climatiques des changements d’occupation du sol, et qu'il est difficile de connaître les contributions exactes des deux effets séparément. Néanmoins, d’après le Giec (2014), le forçage radiatif net lié à l’albédo1 (-0,2 W/m2) est estimé plus faible que l’effet de l’émission de GES, en particulier de CO2, (1.66 W/m2).

Des enjeux entremêlés

Le fonctionnement systémique du territoire fait que les différents enjeux sont liés entre eux. L’enjeu carbone englobe forcément d’autres enjeux. Le changement climatique influence les changements d'utilisation des terres à différentes échelles (Lambin al 2006 Ojima al 2005). La modification de l’occupation des terres a plusieurs impacts climatiques plus ou moins direct : la modification de l’albédo, des flux de carbone liés à la biomasse aérienne et enfin la perturbation pédologique et les flux liés aux GES présents dans les sols. A ces enjeux biogéophysiques s’ajoutent d’autres dimensions environnementales : biodiversité, érosion du sol, les enjeux socio-économiques (patrimoine paysager, enjeux fonciers, aménagement, etc.) qui sont considérés comme distincts dans la pratique des inventaires, mais qui sont traités ensemble dans les exercices plus approfondis d’évaluation environnementale et d’analyse des paysages (Bertrand et Betrand, 2002 ; Lüginbuhl et Terrasson, 2013). Enfin, la particularité de cet enjeu des flux de GES est d’être global, de ne prendre sens qu’une fois replacé dans le cadre du cycle mondial des GES, alors que d’autres enjeux liés aux changements d’occupation du sol n’ont de sens que localement : une approche multiscalaire est nécessaire pour suivre les changements paysagers (Cohen et al, 2011).

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2.1.2 Des nombreux travaux à l’échelle globale pour estimer et modéliser

les stocks et flux de GES liées aux changements d’occupation des sols

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