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Ce contexte est caractérisé par le statut des acteurs concernés : le terme générique d’institutionnels regroupe à la fois : des gouvernements, des équipes techniques rattachés aux ministères, aux Directions Générales de la Commission européennes, à la CCNUCC ; des organismes parapublics et publics (comme l’ADEME, Eurostat, le JRC), des organismes privés ayant mission publique (comme le CITEPA), des organismes institutionnels scientifiques (comme le GIEC)… En somme, ce premier contexte rassemble un ensemble disparate d’acteurs qui tous traitent directement de la question du suivi de l’occupation du sol aux fins de suivi des flux de GES ; soit en décidant la mise en œuvre de décisions politiques sur l’évolution de cette occupation du sol, soit via les projets de production de données, soit par la production de rapports, avis, études publiques ou confidentielles et autres documents officiels qui du point de vue scientifique sont secondaires (littérature dite « grise »), mais sont une information primaire pour ces acteurs eux-mêmes et qui servent directement à l’établissement d’indicateurs, d’estimations, dont font partie les inventaires. De plus, ces acteurs rassemblent aussi des membres de la recherche ou bien font appel à l’expertise académique : la frontière n’est pas toujours nette entre le contexte institutionnel et académique. C’est parce qu’il est primordial pour notre sujet et parce qu’il revêt des préoccupations propres que ce chapitre s’est attaché à développer d’abord le contexte institutionnel et sa littérature grise, qui revêt une place très importante pour notre sujet, avant, dans une seconde partie, de s’attacher au contexte académique par un état de l’art.

L’expérience de l’INRA est intéressante : confrontée à « une véritable explosion de la

demande d’expertise scientifique » elle a mis en place « une procédure institutionnelle d’expertise collective » (Arrouays et al. 2002) à l’instar d’autres organismes. Cette demande d’expertise s’inscrit

dans une technicité croissante des enjeux contemporains, en particulier pour les questions environnementales, et par l’importance de la science et des technologies dans les différents aspects de la vie politique. Il y a un besoin exprimé par les pouvoirs publics de rendre opérants les résultats de recherche, c’est-à-dire de rendre compatible la démarche scientifique et les objectifs politiques et stratégiques. L’expertise répond au besoin d’objectiver les débats avec des indicateurs, notamment spatialisés (Balestrat, 2011). Cela nécessite le partage d’un vocabulaire commun et l’accord sur les hypothèses de départ. Pour l’UTCATF, le vocabulaire (jargon issus des négociations internationales, des guides du GIEC) et les hypothèses (mode de comptabilisation des flux dans des matrices simplifiées, année de référence, temporalité…) sont encore peu partagés et l’espace commun science- politique à ce sujet n’est pas encore bien construit, particulièrement en France où le contexte UTCATF est peu investi par la recherche.

Une charte nationale de l’expertise scientifique et technique a été rédigée en 2010 suite aux recommandations du Comité opérationnel « Recherche » du Grenelle de l’environnement, afin d’harmoniser les pratiques des organismes de recherche publics, en particulier dans le domaine de l’environnement (Tufféry, 2010). Comme l’INRA, un ensemble d’organismes à la frontière entre science et politique (IRSTEA, ADEME, CEREMA, IGN, CITEPA, etc.) sont confrontés à une exigence d’expertise et à des commandes des pouvoirs publics de réaliser des exercices aux règles prédéfinies et s’inscrivant dans un contexte où l’environnement est catégorisé en différents enjeux. Pour le carbone, le présupposé est que les territoires ‘rendent un service’, ‘compensent des émissions’, ‘participent à l’atténuation’ et participent d’un système où les processus biophysiques et biogéochimiques sont simplifiés et analysés comme ‘co-bénéfices’. Cette dimension entre science et politique a suscité de nombreux travaux, en particulier sur le rôle de l’expertise scientifique à destination des politiques (Roqueplo, 1997 ; Granjou, 2003). Dès lors, notre travail constitue à la fois

un travail d’expertise en répondant à une demande inscrite dans un contexte dont il faut mobiliser les concepts et les présupposés, mais aussi un travail de recherche en apportant une démarche critique sur ces concepts et sur les méthodes employées, et en ouvrant le champ de l’analyse à des travaux académiques pertinents tout en outrepassant ce contexte initial.

1.6.2 De la question initiale à la problématique

Remise en contexte de la question initiale

Une commande

Cette thèse répond en premier lieu à une commande : passer d’une approche statistique (utilisation d’une base avec ses limites) à une approche modèle (utiliser plusieurs sources, des facteurs), dans un contexte d’amélioration méthodologique et d’ouverture de l’exercice de l’inventaire sur des outils et des concepts issus de la recherche. Répondre à la commande initiale consiste à :

- choisir la meilleure méthode disponible pour suivre les changements de la façon qui reflète le plus la réalité,

- expertiser la méthode actuelle de façon à savoir si les changements estimés actuellement dans l’inventaire (via TerUti) sont surestimés ou sous-estimés,

- proposer de suivre les changements de façon spatialisée, de façon à permettre des projections, via une compréhension des facteurs à l’origine des dynamiques de l’occupation du sol donc une approche par la modélisation permettant un suivi « plus juste » et « plus précis », Traduction de la commande en une question de recherche

Cette commande a ensuite été traduite en question précise dont on a explicité le contexte particulier et qui est formulée par des acteurs qui ont été définis dans ce chapitre. Cette question peut être résumée ainsi : comment améliorer la précision et le caractère prédictif de l’inventaire UTCATF

français en expertisant les sources de données, actuelles ou potentielles, permettant de suivre les changements d’occupation du sol à l’échelle de la France ? De manière plus simple, la question

initiale peut aussi se formuler ainsi : quelles sont les données sur les changements d’occupation du sol

les plus fiables ? Comment comprendre la réalité de ces changements pour les modéliser et proposer une donnée de référence à l’échelle nationale ?

Traduction de la question en problématique de recherche

Enfin, cette question a été remise en contexte afin de donner lieu à une problématique de recherche. Ce travail de problématisation a nécessité de remettre en perspective le présupposé selon lequel il existerait des données absolument meilleures les unes que les autres, proches de la « vérité », pour proposer plutôt d’utiliser les termes de qualité et de pertinence, avec des critères multiples d’évaluation. Cela a aussi nécessité de questionner le caractère absolu des valeurs de changements d’occupation du sol, en proposant plutôt une approche relative où la pertinence des estimations est jugée relativement à la comptabilisation des flux de carbone et de GES en général. Faut-il que l’inventaire utilise forcément des valeurs de changements cohérentes avec d’autres valeurs/ d’autres approches ? L’approche carbone justifie-t-elle d’avoir une approche particulière quant à la détection des changements ?

La recherche d’une ‘estimation la plus juste et la plus proche de la vérité’, doit laisser place à la recherche d’une estimation la plus pertinente au regard de la comptabilisation carbone. L’évaluation des données et des méthodes doit passer au crible de critères qui découlent de cet enjeu, de ces

spécifications techniques et des exigences institutionnelles. Ainsi, la problématique générale de recherche qui découle de cette reformulation est la suivante : « comment l’approche comptable des flux de carbone nous amène-t-elle à reconsidérer la mesure du territoire ? » reconsidérer la mesure du territoire signifie : évaluer la pertinence des dispositifs de ‘mise en donnée’ sur les changements d’occupation du sol et nécessite de savoir à quelle aune calibrer ce suivi.

Déclinaison de la problématique

Nous proposons ici de repartir d’un terme clé de cette problématique, « mesure », pour décliner les différentes dimensions et implications du sujet, à travers le tableau ci-dessous. Les différents aspects du problème de la mesure sont compris dans les différents sens de ce mot. La mesure est définie généralement par la « définition d’une grandeur » : c’est l’objectif principal de la thèse. Je propose de jouer sur la polysémie du mot « mesure » pour lister les différents enjeux soulevés par la problématique : la mesure comme projet politique ; comme acte d’observation ; comme unité de

référence ou étalon ; comme résultat, donnée ; comme modération, précaution ; et enfin comme rythme, cadence. Plusieurs questions particulières se posent selon que l’on considère les différents

aspects (les différents sens) du problème de la mesure (en ligne) et selon que l’on considère les différents angles d’analyse avec lesquels les traiter (en colonne).

Tableau 1.5. Ventilation des termes de la problématique : de multiples angles possibles

Ce tableau permet de présenter 30 sous-problématiques que pose le sujet de cette thèse. Ces questions ont en commun de poser, sous différents angles, le problème du lien entre le mode de généralisation (technique, mise en donnée, politique…) et la complexité des phénomènes réels et de leurs dimensions. Sens du mot mesure Problématique générale associée Dimension spatiale Dimension technique Dimension thématique Dimension temporelle

Projet politique Comment la dimension stratégique de l’UTCATF influence-t-elle la façon de considérer le suivi des terres ? Le paysage réel correspond-il à un découpage clair entre catégories bien déli- mitées ?

Les règles et principes de comptabilisation de l’UTCATF permettent- elles un suivi cohérent du territoire ?

L’attention politique portée sur la forêt et les puits en général entraîne- t-elle un biais dans le suivi des terres ?

Sur quel pas de temps se situe l’action politique en matière d’occupation du sol pour le climat ?

Acte d’observation Comment évaluer la pertinence des données à partir de l’analyse de leurs dispositifs d’ob- servation ?

Comment la résolution spatiale influence-t-elle le suivi de l’occupation du sol et des change- ments ? Comment la mise en donnée transforme le paysage en une mosaïque de surfaces ? En quoi la nomenclature influence-t-elle le suivi de l’occupation du sol et des changements ? Les différences de fréquence d’observation augmentent-elles les chances d’enregistrer des changements ? Unité de référence, norme, étalon

A quelle aune calibrer le suivi des chan- gements d’occupation du sol pour l’inventaire UTCATF ?

Quel est l’élément de base à suivre : les parcelles, les éléments paysagers, les stocks de carbone ?

Comment comparer des données sources ayant différentes unités de référence ?

Les grandes catégories du GIEC reflètent-elles la complexité de l’oc- cupation du sol ?

Le pas de temps annuel est-il le plus pertinent pour suivre des changements lents, sur plusieurs étapes ?

Résultat, donnée Comment évaluer des données hétérogènes et

a priori incomparables ?

Comment traduire en surfaces des données portant sur des objets ?

Comment évaluer la qualité et comparer des données construites dif- féremment ?

Comment utiliser des données pour suivre des flux de carbone alors qu’elles n’ont pas été construites pour cela ?

Comment s’assurer que l’on peut déduire des changements à partir d’états successifs ?

Modération, précaution

A quelle aune fonder une posture critique d’évaluation de la pertinence des données ?

Quel est le niveau d’incertitude sur la forme et l’emplacement des catégories ?

Les indicateurs classiques de la qualité des données sont-ils suffisants pour évaluer leur pertinence ?

Comment dépasser la simple traduction une-à- une des classes d’origine aux classes GIEC ?

Combien de temps faut-il avant de confirmer la pérennité un changement ?

Rythme, cadence Comment comprendre les dynamiques des changements en termes d’instabilité, de cyclicité, de cinétique ?

A partir de quel moment considérer la variation d’une forme comme un changement ?

Quel est la temporalité pertinente pour suivre les changements, bruts ou nets ?

Faut-il suivre les dynamiques internes aux grandes classes d’occupation ?

Comment évaluer la pertinence des change- ments estimés à partir de leurs caractéristiques temporelles ?

Cette ventilation des dimensions de la problématique et des approches pour y répondre permet d’illustrer la richesse et la complexité du sujet. Compte tenu de cette richesse, la thèse traitera la problématique sous plusieurs angles : exploration de pistes de compréhension des données et de leurs limites, via différents protocoles expérimentaux, exploration de l’historique des données, des connaissances éparses et exploration de l’implication des contextes techniques, politiques et stratégiques en termes de construction de données et de pertinence de l’information.

Il n’est pas possible de répondre, dans le cadre de cette thèse, à l’ensemble de ces problématiques. Ainsi, l’angle politique ne sera pas traité au-delà de ce qui en a été dit dans ce premier chapitre. L’acte d’observation et l’unité de référence seront les angles les plus traités en profondeur, en particulier dans les chapitres 3 à 6. La priorité sera portée sur l’analyse critique des référentiels techniques et méthodologiques utilisées dans les inventaires UTCATF pour suivre l’occupation du sol, mais les sous-problématiques présentées dans le tableau 1.5 sont toutes évoquées au cours de la thèse.

Objectifs

Lier deux contextes

L’objectif de la thèse : faire le lien entre les deux contextes (contexte institutionnel initial, type ingénieur et contexte scientifique plus large, type chercheur ; entre deux temporalités de recherches de solution aussi) ; pour trouver solution qui emprunte aux outils/concepts disponibles tout en étant dans résultats estimation « à tout prix ».

Cette prise de recul permet aussi de questionner les partis-pris initiaux. Il est nécessaire d’être très attentif lorsque l’on utilise des concepts utilisés tantôt dans le champ politique et tantôt dans le champ scientifique. Cela peut entraîner des surinterprétations et aboutir à des conclusions faussées, telle que l’idée d’une « compensation » directe des émissions anthropiques de GES par le secteur UTCATF, alors qu’il s’agit de flux bien distincts aux temporalités différentes (Mackey et al 2013).

Evaluer la pertinence des méthodes et des données

Au lieu de simplement évaluer la pertinence des données disponibles au regard de la méthode actuelle de l’inventaire UTCATF déployée par le CITEPA, nous replaçons cet exercice dans un contexte méthodologique plus large qui est celui du suivi du territoire, de la détection des changements et du suivi environnemental.

Proposer une nouvelle approche méthodologique

L’objectif est de réestimer les changements d’occupation des terres en mobilisant des outils issus du monde académique et en particulier de la géographie quantitative, afin de permettre aux inventaires de bénéficier d’une expertise sur les données sources et de pouvoir réduire les incertitudes. Cet objectif est avant tout méthodologique : il vise la déconstruction de la méthode actuelle et la reconstruction d’une méthode reproductible, compatible avec cadres très normés.

Plan de la thèse

Dans cette première partie nous avons développé les enjeux associés à la problématique, via une analyse du cadre institutionnel. En deuxième partie, nous proposons une remise en contexte scientifique plus large : il s’agit d’élargir le champ de réflexion de cette problématique afin de la reformuler avec un nouveau bagage conceptuel. Après cet état de l’Art, des hypothèses seront formulées, puis mèneront à des analyses (chap. 4, 5 et 6) et aux recommandations (chap. 7). L’ensemble de cette thèse peut aussi être lu comme la déclinaison des différentes étapes nécessaires l’évaluation de la pertinence des méthodes et des données d’occupation du sol au regard de l’inventaire UTCATF. En effet, cette évaluation :

- a pour critère les exigences de l’inventaire, exigences bien comprises et questionnées (chap.1 et 2) - a pour critère l’adéquation au suivi des flux de carbone et minimise les incertitudes associées au calcul des ces flux (chap. 2)

- fait appel à des outils, des savoir-faire et des concepts identifiés dans l’état de l’art (chap. 3) - s’appuie sur une analyse critique des conditions de construction des données (chap. 4)

- s’appuie sur l’adéquation entre les dynamiques estimées et les dynamiques générales du territoire et du paysages, telles qu’identifiées par ailleurs dans la littérature (chap. 5).

- fait appel à des analyses expérimentales nouvelles pour approfondir l’étude des faux positifs et des faux négatifs dans la détection des changements par différents types de données (chap. 6, 7)

Ainsi on cherche successivement quel est l’étalon pertinent pour évaluer la pertinence, quelle est la référence qui peut tenir lieu de « vérité » de substitution : le terrain, le qualitatif, les compartiments de carbone, des seuils quantitatifs spatiaux, des catégories thématiques, des seuils temporels ? Ainsi le plan cherche différentes façon de répondre à la problématique : à quelle aune calibrer le suivi ?

1.6.3 Démarche méthodologique retenue

Trame initiale

Pour répondre à la commande initiale, la démarche préalablement définie était constituée des étapes suivantes :

- compilation des données disponibles et pertinentes pour suivre les changements d’occupation du sol pour le secteur UTCATF

- comparaison des données sur les dynamiques

- compréhension des dynamiques réelles du territoire par l’analyse des facteurs d’évolution - évaluation des données au regard de leur capacité à suivre ces dynamiques réelles

- choisir la donnée la plus pertinente ou agréger des données ou modéliser les dynamiques

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