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La « séquence de végétation » et les premières analyses de dynamiques paysagères.

L’analyse des dynamiques de végétation et des changements d’occupation du sol a historiquement fait appel aux concepts de séquence de végétation et de matrices de succession. Le terme matrice a plusieurs sens en écologie, il ne désigne pas ici le « fond » paysager en dehors des trames linéaires ; mais plutôt un tableau à double entrée, au sens mathématique de probabilité. Les travaux de phyto-écologie et de phytogéographie relatifs à l’approche quantitative et systématique de l’analyse des séquences de végétation remontent aux années 1960-1970 (Poissonnet, 1968 ; Waggoner & Stephens, 1970 ; Godron et Poissonnet, 1972 ; Cartan, 1973 ; Godron et Lepart 1973 ; Godron, 1975). L’espace est alors étudié non pas en tant que mosaïque de catégories d’occupation simplifiées mais en fonction des strates de végétation. L’espace est classifié avec une « synthèse de trois

éléments : la structure de la végétation, les espèces dominantes, l’action de l’homme sur le milieu (artificialisation) » (Debussche et al. 1978). On cherche à voir l’évolution d’un paysage par le passage

d’un faciès de végétation à un autre, et plus généralement de modéliser les processus biophysiques (Phipps, 1968) La pertinence de l’application de modèles écologiques, comme les matrices de transition, aux questions plus générales d’aménagement du territoire a alors été démontrée par Godron (1973), Floret et Le Floc’h (1973), et Debussche et. al. (1977 ; 1978). Horn (1976) et Lepart & Godron (1977), ont exposé les limites de l’utilisation des matrices de transition dans la traduction des phénomènes biologiques.

Les matrices de transition markoviennes

L’application du principe mathématique des matrices de transition et des phénomènes markoviens à l’évolution de l’occupation du sol constitue une étape importante. Le concept de phénomène markovien repose sur l’idée que l’état d’un objet à un moment t dépend de ses états précédents (Usher, 1966). Les matrices de Markov (ou stochastiques), sont devenues un modèle classique d’étude de l’évolution de l’occupation et de l’utilisation du sol (Burnham, 1973 ; Bell, 1974 ; Van Hulst, 1979) et se fondent sur les probabilités de transition au cours du temps. La matrice est un élément par lequel on peut analyser un état à un temps t pour prévoir un temps t+n. Cela part du postulat que la succession (écologique) n’est pas un processus aléatoire (Usher, 1979) et qu’il est donc modélisable. Les théories de la succession ne doivent pas être simplifiées par l’approche des matrices de transition, mais au contraire questionner les théories initiales et mieux analyser les processus à l’œuvre (Bourne, 1976 ; Horn, 1976 ; Connell & Slatyer, 1977). Cette approche a d’abord concerné les

espaces forestiers (Stephens et Waggoner, 1970, Godron et Lepart, 1975, Enright et Ogdens, 1979), puis d’autres catégories comme les prairies (Austin, 1980) et plus récemment les rotations culturales (Lazrak, et al 2009 ; Mari, et al 2010).

L’étude des phénomènes spatio-temporels

En géographie, la prise en compte simultanée des dimensions spatiales et temporelles est une préoccupation fondamentale (Parkes & Thrift 1980). De nombreux travaux se sont appliqués à mieux prendre en compte le temps dans les données géographiques, ce qui permet ensuite d’affiner les analyses de l’évolution des paysages et de l’occupation du sol (Perret, et al. 2015). La plupart des sources de données géographiques ne permettent qu’une représentation discrète du temps, avec des états figés les uns à la suite des autres de la configuration spatiale. Ce modèle a été décrit en 1988 avec le terme « snapshot » (instantanés) (Armstrong, 1988), définissant le principe selon lequel un pixel est un point placé dans l’espace et le temps. Ce principe est aisément applicable aux données raster où le pixel est (en théorie du moins) un élément fixe, son emplacement constant permettant de suivre le même espace au cours du temps. C’est le même principe qui vaut pour l’analyse temporelle des données issues de points d’échantillonnage. Pour les données vectorielles, ce principe ne s’applique pas directement. En effet, les différents états d’un territoire, les différentes cartes, présentent des polygones différents. Il est nécessaire de transformer cet ensemble d’états distincts en une carte unique, permettant le suivi de chaque espace au cours du temps. Cette technique a été développée sous le terme de « space-time composites » (Langran & Chrisman 1988) puis de « partition maintenue constante » (Bordin, 2006) où la carte finale accumule l’ensemble des changements intervenus au cours du temps que les couches originelles ont permis de calculer, une fois intersectées. Ce mode de représentation unifié de bases de données géographiques permettant un suivi des dynamiques spatio- temporel constitue une base conceptuelle majeure qui a notamment été utilisée en modélisation spatio- temporelle (Peleki, et al 2005 ; Rathee et Yadav, 2013). Néanmoins, il ne permet qu’une approche simpliste de la temporalité.

La représentation de la temporalité et sa prise en compte dans la création d’information, dans l’analyse des dynamiques d’occupation du sol et dans leur modélisation soulève en effet le problème de la complexité en général, et de l’échelle en particulier. S’il est aisé de représenter deux états successifs d’un même objet, d’un même espace, il est plus difficile de réaliser l’interpolation temporelle permettant de savoir quel est l’évènement ou le processus à l’origine du changement, quand il est intervenu, ou bien de savoir si ce changement a été progressif ou brutal. Plusieurs travaux ont cherché à mieux prendre en compte cette complexité, comme par exemple les publications des chercheurs du GDR Cassini relatives à la représentation de l’espace et du temps dans les SIG (GdR Cassini, 1999). Une approche théorique a permis de fixer la triade ‘espace-sémantique-temps’ comme cadre conceptuel générique (Peuquet, 1994). Il s’agit de considérer tout phénomène spatio-temporel comme l’articulation d’une triple dimension : spatiale (où ?), temporelle (quand ?) et sémantique (quoi ?). Ces dimensions fondamentales seront réinvesties tout au long de cette thèse (voir en particulier section 3.3.1). Cette approche permet d’ancrer tout objet dans un niveau d’analyse précis, et l’ensemble des objets observés se situent ainsi les uns par rapport aux autres dans un système hiérarchique dépendant de leur échelle d’observation respective. En modélisation, les premières approches qui ont permis une première avancée vers la manipulation du temps dans les bases de données spatio-temporelles ont été résumées par Snodgrass (1992). Aujourd’hui, des modèles gérant le temps de façon complexe ont été développés (Rathee et Yadav 2013).

Pour aller au-delà des instantanés, une approche par type d’événement de changement a notamment été proposée par Renolen (2000) : les graphes historiques. D’une part, l’information sur le temps associé à un objet peut être un instant ou une période. D’autre part l’ensemble du phénomène observé (par exemple l’évolution de l’occupation du sol d’un territoire) est décrit par un graphe

acyclique composé des objets temporels liés entre eux par des évènements de transformation (création, altération, destruction, réincarnation, fusion, scission, réallocation). Il s’agit d’une approche directe qui s’oppose à l’approche traditionnelle qui déduit des états successifs les transformations ayant probablement eu lieu. En cela, cette approche permet une description bien plus riche et réaliste de l’évolution d’un paysage. Les travaux cherchant à décrire la « grammaire » des transformations paysagères dans une optique de modélisation complexe (Gaucherel, et al. 2010) ont poursuivi cette démarche en listant les multiples événements de changement pouvant avoir lieu (fusion/ division, érosion/dilatation, apparition/disparition, changement d’attribut) et en les traduisant en opérateurs mathématiques (Gaucherel, et al. 2012).

La compréhension des dynamiques d’occupation du sol

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