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La tradition descriptive des tableaux géographiques s’est notamment poursuivie sous la forme d’analyses fines du paysage rural, ses dynamiques, ses échelles. Dans ce cadre, la grille de lecture agricole a été privilégiée pour rendre compte de la formation du paysage et de son fonctionnement (Dion, 1934 ; Deffontaines, 1973). Derrière les formes d’occupation du sol se distinguent des modes d’appropriation, alors principalement liées aux systèmes agraires (Lebeau, 1969) et l’analyse hérite du le temps long, (Bloch, 1949 ; Braudel, 1949). Malgré une diversification de leurs travaux après les années 1960, les ruralistes ont continué à traiter l’utilisation agricole du sol (Marie et al, 2014). Avec le développement des préoccupations environnementales, les travaux concernant l’occupation du sol ont fait l’objet d’approches plus générales, plus interdisciplinaires et intégrant davantage de considérations (facteurs écologiques, spatiaux, humains) (Burel et Baudry, 1999), en particulier à travers la géographie rurale (Bonnamour, 1973).

L’écologie du paysage

D’après Bertrand (1997), l’écologie scientifique se développe d’abord aux Etats-Unis autour de 1950, et ne se développe en France que dans les sciences naturelles avec la diffusion des travaux d’Odum & Odum (1971), mais sans être mobilisé par les géographes. L’écologie du paysage est un mouvement disciplinaire qui remonte aux années 1940 (Troll, 1939) et qui recouvre plusieurs approches particulières, plus ou moins structurales ou dynamiques, plus ou moins liée à la planification et à l’aménagement, à petite ou grande échelle (Burel & Baudry 1999). Elle repose sur des grands principes : le paysage, fruit de processus biophysiques et anthropiques, constitue un espace hétérogène dont il s’agit d’analyser la morphologie spatio-temporelle via des concepts et des outils spécifiques. Il se fonde en particulier sur la théorie hiérarchique selon laquelle il existe une corrélation entre échelle spatiale et temporelle, et que ce sont les vitesses de fonctionnement des phénomènes qui définissent les niveaux : « le paysage est un niveau d’organisation des systèmes écologiques » (Burel & Baudry 1999, p.41). Selon cette théorie, une dépendance d’échelle s’exprime entre résolutions diverses, notion cruciale pour rendre compte d’effets complexes et pourtant parfois ignorés dans les données de changement d’occupation du sol (voir section 3.3). L’écologie du paysage a développé une conceptualisation de l’espace pour qualifier et quantifier sa structure, sa morphologie, sa composition, sa configuration et ses dynamiques : mosaïque, tâches, lisières, patron paysager (pattern), fragmentation, connexion, métriques paysagères, etc. (Baudry, 1985 ; Forman et Godron, 1986 ; Burel et Baudry, 1999 ; Ledu-Blayo, 1995).

L’analyse systémique du paysage dans son ensemble

Aux analyses de l’espace rural qui s’inscrivaient d’abord dans une description des paysages agraires ont succédé des travaux, en particulier de la géographie ruraliste, qui ont renouvelé ces approches, en lien avec un renouvellement des techniques et des préoccupations, en particulier environnementales (Burel et Baudry, 1999). La publication en 1975 de « Réflexions sur l’espace rural français : approches, définitions, aménagement » (Bontron, et al. 1975) enclenche un renouvellement des approches et des techniques : mobilisation de sources statistiques plus fines, prise en compte de la multifonctionnalité des espaces ruraux et notamment des fonctions non-agricoles, et étude du paysage non seulement comme produit des activités agricoles mais comme patrimoine (Luginbühl, 1989 ; Juin- Rialland, 2009). La géographie rurale quantitative et théorique en France se limitait à un ensemble relativement peu nombreux d’auteurs dans les années 1970, mais leurs efforts de conceptualisation associés à la volonté d’expliciter, de mesurer et de vérifier leurs hypothèses ont permis d’ouvrir la voie à des travaux quantitatifs plus nombreux et qui ont profité d’avancées théoriques importantes (Rey et Robic, 1983). Les cartes donnent à voir, au delà des systèmes agricoles, un paysage, intégrant de nombreuses autres dimensions (Dubreuil, 1992). Ces dimensions sont liées aux nouvelles préoccupations liées à la perception des milieux, à l’émergence de l’idée de dégradation du paysage, qui sont liées aux évolutions qu’a connu le paysage après 1945 : urbanisation, spécialisation, homogénéisation des espaces agricoles, fragmentation des espaces naturels et forestiers (Burel et Baudry, 1999). Ainsi l’étude du paysage ne peut plus ignorer la dimension sociétale et le lien entre paysage, environnement et développement durable est prégnant (Cohen, 2010), de même que la prise en compte du rôle désormais majeur de la ville et de l’urbanisation (et non plus principalement de l’agriculture et des dynamiques biogéographiques) dans le façonnement des paysages (Berger, et al 1980 ; Groupe Dupont, 1981). Ce renouvellement épistémologique a entrainé une mise à jour des concepts traditionnellement appliqués à l’espace dit ‘rural’, de campagne à paysage, de nature à environnement (Mathieu et Jollivet, 1989). Les travaux de l’école de Besançon contribuent à cette analyse systémique en proposant d’examiner le paysage sous l’angle du « système producteur » (naturel et anthropique) et du « système utilisateur », (usages, gestion, perception) (Brossard et Wieber, 1984). L’analyse systémique du paysage a aussi été marquée par l’apport conceptuel de Bertrand (1995) avec le triptyque Géosystème- Territoire – Paysage pour traiter cette multidimensionnalité et complexité d’échelles spatio-temporelles de fonctionnement, de gestion et d’observation. En biogéographie en particulier, délaissant des objets d’études traditionnels comme la forêt, les recherches ont investi les marges de ces espaces (interfaces, écotones, lisières forestières, limites, discontinuités) en s’appuyant sur une analyse spatio-temporelle fondée sur la compréhension de l’articulation des échelles et la multiplicité des acteurs et facteurs de l’évolution des paysages (Cohen, 2010). Ainsi, cette évolution générale a permis une approche des territoires par la modélisation des processus à l’interface entre systèmes socio-économiques et écologiques, y compris la dimension symbolique et culturelle.

Le recul critique sur l’usage des données

La multiplication des sources d’informations quantitatives sur le territoire, le traitement de ces informations sous forme de données, par traitement informatisé s’est accompagné d’un mouvement de prudence et de regard critique sur leur pertinence, leur signification et leurs éventuels biais (Bontron, et al. 1975 ; Desrosières, 1992 ; 1993 ; Laurent, et al. 1993 ; Baudry, et al., 2003, chap. 4; Rémy, 2011). En particulier, concernant l’occupation et l’utilisation des sols, plusieurs critiques sur les données ont été émises, qu’il s’agisse de leur format même (Rey, 1981), de leur utilisation sans prudence ou parfois abusive (Cinotti, 1996 ; Derioz 1991 ; Slak, 1998 ; Laurent, 1992). Plus récemment, en plus de l’usage de certaines données (par exemple Kim et al 2015), c’est l’usage parfois non pertinent de certains outils de l’analyse quantitative de l’occupation du sol qui a pu être critiqué, comme les métriques paysagères (Li et Wu, 2004) ou les valeurs de précision des cartes (Pontius et Millones, 2011).

Ainsi, la science de l’occupation du sol a évolué d’une science, d’origine naturaliste, à une science pluridisciplinaire davantage centrée sur les relations entre l’homme et l’environnement, les interfaces spatiales (marges) et temporelles (héritages et prospective) (Galochet 2003). L’écologie du paysage réintroduit la société au cœur de l’analyse de l’espace, créant un pont entre la géographie descriptive traditionnelle et l’écologie scientifique (Chouquer, 2003). L’intégration de disciplines des sciences humaines a permis d’affiner certains aspects de l’analyse des dynamiques des territoires, comme avec la géo-histoire (Chouquer et Watteaux, 2013) ou l’approche économétrique (Chakir, 2007).

L’évolution récente des sciences de l’occupation du sol

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