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Les accords internationaux relatifs au rôle de l’occupation du sol dans les flux de GES, issus de discussions diplomatiques et alimentés par la controverse scientifique, imposent aux pouvoirs publics nationaux de se positionner en mettant en œuvre ces décisions et ces grandes orientations. En France et en Europe, ce positionnement prend deux grandes formes. La première est la définition de grands objectifs de principe sur le rôle des sols et de la biomasse dans la politique climat, et donc en particulier le maintien et l’accroissement de leur rôle de puits de carbone. La seconde est l’appel à la communauté scientifique via le financement de programmes de recherches pilotés par de grands organismes (INRA, ANR, ADEME, etc.). Plusieurs directions sont assignées à ces recherches : lever les incertitudes pesant sur ces questions, démontrer la faisabilité des objectifs politiques, et assurer le suivi de la mise en place et de l’efficacité de ces décisions.

En réalité, au-delà de l’approche climat, les projets politiques et scientifiques mobilisant l’occupation du sol doivent s’inscrire dans l’ensemble des enjeux soulevés, à plusieurs échelles : services écosystémiques, biodiversité, climat, paysage et dimension culturelle, implications socio- économiques… En particulier, l’approche intégrée des politiques liées à l’occupation du sol, traitant des interactions entre climat et biodiversité, est encore peu investie : l’approche par les services écosystémiques permet par exemple de lier plus fortement ces deux aspects (De Noblet, 2014).

Réappropriation de l’enjeu « GES et occupation du sol » dans les politiques européennes

La politique climat européenne s’est mise en place avant la CCNUCC, dès les années 1980, avec plusieurs textes visant la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et ciblant la politique forestière comme un moyen important dans cette lutte. Ainsi, une résolution de 19861 « demande la

mise en œuvre (au niveau international) d'une politique de reboisement, la Communauté européenne devant montrer l'exemple en élaborant sa propre politique forestière »; une communication de 19882

appelle à « conserver les forêts (…) surveiller et restaurer les forêts en déclin (…) promouvoir le

reboisement (…) et les écosystèmes directement ou indirectement pertinents au regard du cycle du carbone » (§39 B.) ; et une résolution du 21 juin 19893 souhaite « intensifier dans la Communauté le

reboisement et les mesures visant à améliorer la couverture végétale ». Après la parution du premier

rapport du GIEC en 1990, la question du changement climatique a de nouveau été discutée au Conseil Européen afin de préparer les négociations au sein de la CCNUCC. L’Europe adopte en 19904 sa décision de ramener ses émissions de 2000 au niveau de celles de 1990 et de les stabiliser. L’adoption de la CCNUCC en 1992 a été l’occasion de réaffirmer cet objectif. La politique climat européenne consistera ensuite à continuer voire à renforcer l’ambition déployée au niveau international via la CCNUCC et surtout via le Protocole de Kyoto après 1997. Ainsi, il sera question de l’intégration de l’UTCATF dans les objectifs européens. En effet, jusqu’à ce jour, le secteur UTCATF n’est pas inclus dans les objectifs climat de l’UE (réduction de -20% pour 20205

), alors qu’il l’est dans le cadre du Protocole de Kyoto – que l’UE, en plus de ses Etats Membres, a ratifié. Le 22 janvier 2014, la Commission européenne a présenté le nouveau cadre politique climat/énergie de l'UE pour la période 2020-2030. L'élément clé de ce « Paquet climat énergie » est un objectif de réduction des émissions de GES de 40% d'ici 2030 (base 1990)6) avec la volonté d’inclure désormais l’UTCATF dans cet objectif. La Commission justifie cette démarche par le fait que "tous les secteurs doivent contribuer aux efforts

de réduction d'une manière efficace au regard des coûts", même si en réalité le recours au puits de

carbone soulève des enjeux stratégiques, notamment pour certains Etats Membres7 (Böttcher & Graichen 2015). La modalité de cette intégration est encore en discussion8. Il est aussi question des modes de comptabilisation et de déclaration harmonisé de ce secteur dans les inventaires des Etats Membres pour le Protocole de Kyoto. Il s’agit notamment de rendre obligatoire pour tous les Etats Membres la comptabilisation d’activités volontaires (au titre du paragraphe 3.4 du Protocole de Kyoto, voir 1.3) comme la gestion des prairies et des terres cultivées.

Dans la politique française

Les stratégies politiques françaises concernant les flux de GES liés à l’occupation du sol sont récentes, et émergent en parallèle du contexte international. Ces politiques ont pour but de diminuer les émissions liées aux changements d’occupation du sol mais surtout d’accroitre les absorptions en favorisant certaines conversions ainsi que le stockage de carbone dans les espaces existants. Il s’agit concrètement de politiques visant à lutter contre l’artificialisation, le retournement des prairies, de

1 OJ C 255/272 2 COM(88)656 3 Résolution du 21 juin 1989, OJ C183/4 4

Lors du conseil conjoint énergie environnement du 29 octobre 1990

5 409/2009/CE 6

COM(2014) 15/ règlement 529/2013

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Les pays où l’exploitation forestière est un enjeu économique de premier plan (Finlande, Suède) souhaitent des règles favorables à la prise en compte de la sylviculture ; alors que dans d’autres pays, l’accent est mis sur l’augmentation du stock de carbone par augmentation du taux couvert forestier (France).

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Programme de travail pour 2016 du 27 octobre 2015 ; communication COM(2016)110 du 2 mars 2016 et Proposition de règlement du 20 juillet 2016 COM(2016) 479 final.

préserver les espaces boisés et d’accroitre le taux de boisement. Or ces différents objectifs rejoignent des stratégies déjà existantes, pour d’autres enjeux (aménagement du territoire, développement rural, gestion des paysages, préservation de la biodiversité, etc.). La politique française relative aux flux de GES dus à l’occupation du sol consiste la plupart du temps à réinvestir ces stratégies préexistantes avec un nouvel enjeu : l’atténuation du changement climatique. Ce dernier fait rarement l’objet d’objectifs dédiés ou de nouvelles politiques spécifiquement mises en place dans cette optique.

Bien suivre les changements d’occupation des sols, notamment pour agir sur les flux de GES associés, correspond souvent à un volet particulier d’un projet politique plus général de développement durable, qui s’exprime à travers différents documents officiels. Il est difficile de dresser clairement l’architecture des objectifs liés à l’occupation du sol en France, car il s’agit d’une combinaison d’objectifs (contraignants ou non) européens et internationaux et de textes, issus de processus de délibérations, d’organes de conseil (CESE, CAS, CGEDD, CGAAER,…), de ministères, du parlement ou du sénat, etc. La politique française sur le sujet est exprimée dans différents documents, dont la portée varie : les Communications Nationales, dont la rédaction est obligatoire dans le cadre de la CCNUCC (1995, 1997, 2001, 2006, 2010, 2013) ; des plans volontaires nationaux, dont les intitulés varient (1995, 2000, 2004, 2006, 2011, 2015) et des plans stratégiques pluriannuels (2003-2008, 2010-2013, 2015-2020). La réalisation de l’inventaire est avant tout un exercice politique qui s’inscrit dans des documents où les considérations stratégiques et techniques sur la comptabilisation des flux de GES se mêlent.

De 1995 à 2002

En 1995, le « programme national de prévention du changement de climat » est le même document que la première Communication Nationale de la France. Il contient deux volets. Le premier est la continuation de la politique, ancienne, de reboisement (remontant à l’ordonnance de 1669 de Colbert, au programme de Restauration des terrains de montagne de 1860 et au Fonds Forestier National depuis 1946) réinvestie d’un nouvel objectif : le stockage du carbone. Un objectif d’accroitre les « boisements aidés » jusqu’à atteindre 30 000ha / an en 1998 est défini, associé à « l’amélioration qualitative des forêts existantes » et à la promotion du bois de construction. Le second volet est la politique agricole commune (PAC), censée par sa réforme de 1992 limiter les conversions de prairie et de forêts vers les terres agricoles. En 1997, la deuxième Communication nationale à la CCNUCC reprend ces deux mêmes volets. Il s’agit d’abord atteindre « un rythme de 10 000 à 12 000 ha / an de

boisements aidés sur la décennie 1990-2000» revoyant à la baisse l’objectif défini en 1995. Le second

volet constitue aussi une révision à la baisse, puisque l’effet de la réforme de la PAC sur la limitation des conversions de prairies et de forêts en cultures « n’a pas été observé jusqu’à ce jour et des travaux

de modélisation (…) concluent que l’avantage économique lié à l’intensification reste suffisamment fort pour que la conversion de prairies ou forêts en terres arables se poursuive jusqu’à l’horizon 2000. Il est donc hautement improbable que la réduction de carbone du sol, estimée à 2 MtC / an en 1995 qui devait en résulter, intervienne à l’horizon 2000 ». (Ministère de l’Environnement , 1997). Le

Programme national de lutte contre le changement climatique de 2000 reprend ces deux volets mais indique que la politique de boisement prévue n’a pas été réalisée faute de ressources budgétaires allouées et doit donc être relancée. Concernant le volet agricole, le besoin de renforcer les connaissances sur les flux de CO2 liés aux sols est souligné – cela finira en effet, en 2015, par devenir

un sujet de premier plan. En 2001, la troisième Communication Nationale remet à jour le volet sur les boisements aidés (suite aux tempêtes de 1999 et au plan national pour la forêt française visant à reconstituer 300 000 ha en dix ans) avec un objectif progressif : d’abord 10 000 ha / an, jusqu’à 20 000 ha / an en 2006 puis 30 000 ha / an.

2002 à 2015

En 2002, la France ratifie le Protocole de Kyoto et la comptabilisation des flux de GES liés à l’occupation des sols se formalise et devient une préoccupation politique plus importante. La France est soumise à l’objectif européen de réduire ses émissions de 40 % d’ici 2030 (par rapport à 1990), sans recours à l’UTCATF pour l’instant, mais s’est aussi fixée (depuis 2005) l’objectif de réduire ses émissions de 75 % ("facteur 4") d’ici 2050 (par rapport à 1990). La Stratégie Nationale de Développement Durable 2003-2008 est réalisée conformément à l’engagement pris à Rio en 1992 et conforté à Johannesburg en 2002, mais elle ne contient pas d’action sur le secteur UTCATF. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt reconnait d’intérêt général la fixation et le stockage de CO2 par les bois et forêts. En 2015, le CGAAER

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publie « Les contributions possibles de

l’agriculture et de la forêt à la lutte contre le changement climatique» synthèse à la fois politique et

technique, portée par un parti-pris d’optimisation du rôle des filières agricoles et forestières dans l’établissement des scénarios. Le projet de Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) de la France de 20152 implique la mise en place de politiques forestières, agricoles et d’aménagement pour atteindre les objectifs nationaux de réduction des émissions de GES : « la France est le premier pays forestier

européen du point de vue du potentiel de sa « pompe à carbone » (…) Les enjeux de long terme (…) : 1. la substitution (…) de produits bio-sourcés à des matériaux énergivores ; 2. la valorisation énergétique de produits bio-sourcés ou déchets issus de ces produits, (…) ; 3. le stockage de carbone dans les produits bois (…) ; 4. la séquestration de carbone dans l’écosystème forestier ; Aujourd’hui, l’ensemble de ces leviers permet de compenser de l'ordre de 15 à 20 % des émissions nationales. »

(projet de SNBC3, p.72). Il est ici clair que l’enjeu climat lié aux sols et à la biomasse ne se limite pas à l’occupation du sol. De même, il faut remettre en perspective la place de ces sujets dans les politiques climat. L’avis du Comité National pour la Transition Energétique sur le projet de SNBC (23 septembre 2015) a repris l’idée d’assurer la cohérence entre cette stratégie nationale bas carbone et la stratégie nationale pour la biodiversité : en effet, deux stratégies nationales différentes traitent de l’enjeu de l’évolution de l’occupation du sol. Le Programme National de la Forêt et du Bois 2016- 2026 liste parmi ses objectifs de « renforcer l’effet d’atténuation du changement climatique de la forêt

en dynamisant l’absorption et la séquestration du CO2 par les peuplements et les sols, par le choix

d’essence et de sylvicultures adaptées » (PNFB, 2016, p.13).

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