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Chapitre 5 Portrait des résistances

5.2 Moyens utilisés pour résister

5.2.1 Se plaindre verbalement

Résister en exprimant verbalement son mécontentement constitue la stratégie la plus répandue chez les résidents. Puisque ce moyen s’avère très large, il n’est pas inutile d’étudier ces multiples manifestations séparément.

Se plaindre à un tiers

Lorsque les résidents sont mécontents, ils peuvent décider de protester contre leur situation auprès de leurs proches, de bénévoles, ou d’employés qui ne sont pas impliqués directement dans ce pour quoi ils se plaignent. Même si cette avenue implique une faible probabilité de voir la situation dénoncée s’améliorer, il s’agit néanmoins d’une manière pour les résidents d’indiquer qu’ils ne sont pas d’accord avec la façon dont ils sont traités et de chercher à ce qu’autrui reconnaisse la situation inacceptable qu’ils vivent.

Les résidents qui décident de se plaindre à un tiers peuvent le faire dans différentes circonstances. Il arrive que ce soit parce que les personnes concernées ne sont pas présentes et qu’un tiers apparait comme le seul interlocuteur disponible. C’est ce qui est arrivé dans la situation où Mme Ignace, voulant laver ses vêtements, n’avait pas accès à la salle de lavage. Puisque j’étais la seule personne présente, c’est vers moi qu’elle a commencé à déplorer vivement le fonctionnement et à se plaindre que les résidents ne sont pas davantage pris au sérieux. Il en a été de même lorsque M. Pomerleau, qui tentait de quitter la messe lorsque celle-ci était terminée, s’est vu retourner par une employée dans la chapelle puisqu’elle pensait que la messe était toujours en cours. Il n’y avait que moi pour l’entendre dire qu’il déteste se faire dire quoi faire. Il est à noter que dans ces circonstances, il n’est pas clair si les résidents s’adressent vraiment à un tiers, ou bien si c’est davantage pour eux-mêmes qu’ils s’expriment. Néanmoins, les résidents peuvent se plaindre à un tiers de façon plus volontaire, notamment lors d’une conversation. Puisque les proches ou les bénévoles discutent régulièrement avec les résidents, ces derniers peuvent profiter de ces moments pour se plaindre de leurs conditions de vie ou d’éléments qu’ils apprécient moins. En ce sens, il m’est

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arrivé, tout comme c’est le cas pour d’autres bénévoles, que des résidents me racontent des aspects qu’ils n’aiment pas de leur vie en centre d’hébergement, comme la brusquerie des employés, l’attente interminable ou les comportements intrusifs des autres résidents. Dès lors, les résidents cherchent à faire valoir la légitimité de leur plainte à un témoin et à faire reconnaitre l’inacceptable de la situation où ils jugent ne pas être traités décemment.

Se plaindre aux personnes concernées

Les résidents choisissent fréquemment de manifester leur mécontentement directement aux personnes concernées, laissant croire qu’ils n’ont pas trop de difficultés à verbaliser leur insatisfaction envers les personnes impliquées.

Les plaintes des résidents peuvent être dirigées vers les bénévoles, lorsque ceux-ci leur offrent de l’aide non sollicitée. Par exemple, alors que je proposais une assistance à Mme Triquet pour qu’elle monte dans l’autobus, elle m’a fait savoir que mon aide n’était pas la bienvenue de façon cavalière. Ce type de plaintes se retrouve aussi dans les relations avec les employés, comme cette résidente qui indique à une employée qu’elle est capable d’appuyer elle-même sur les boutons de l’ascenseur et qu’elle n’a pas besoin d’aide. Les résidents peuvent se plaindre de la présence de règles jugées injustes, comme le fait Mme Joly qui s’insurge contre les employés qui refusent de lui donner un verre d’eau alors qu’elle est limitée dans sa consommation de liquide ou bien Mme Triquet qui proteste aux employés lorsqu’on ne lui donne pas ses cigarettes. Les résidents peuvent aussi indiquer clairement aux employés qu’ils n’aiment pas leurs manières de faire. Dans son entrevue, Mme Casavant mentionne s’être adressée à une employée qui la rudoyait pour lui demander de lui parler plus tranquillement, tout comme des résidents manifestent leur mécontentement aux employés qui leur demandent d’attendre pour recevoir des soins ou de l’aide.

Se plaindre aux gestionnaires

Peu de cas ont été répertoriés de résidents qui décident de s’adresser aux gestionnaires par rapport à leurs problèmes, mais quelques résidents ont mentionné cette avenue. Un des exemples concerne M. Despots qui se dit insatisfait de façon générale de sa vie à Sainte- Marie et qui veut aller en parler au chef d’unité. Un autre exemple met en scène Mme Fadette qui, dans son entrevue, reproche deux choses précises au centre d’hébergement, soit la qualité médiocre de la nourriture et les comportements dérangeants et intrusifs d’un résident. Elle a

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dit avoir fait une plainte « au bureau ». Il ne semblait pas s’agir d’une plainte écrite officielle, mais de l’étape juste avant d’en formuler une. Ces cas s’avèrent néanmoins exceptionnels dans ce que j’ai observé, puisque peu de résidents semblent avoir voulu utiliser les canaux officiels pour protester contre leurs conditions de vie. Il faut aussi souligner que peu de résidents ont les capacités de formuler des plaintes aux gestionnaires, car ils doivent être en mesure de se rendre aux bureaux de ceux-ci et de pouvoir énoncer clairement leurs idées.

Tons et intention de la plainte

Outre l’individu vers qui est dirigée la plainte, il faut s’attarder à la manière dont les résidents formulent leur plainte. Les résidents peuvent se plaindre d’une situation en montrant leur exaspération, en manifestant de la colère ou en tentant de convaincre les individus concernés de modifier la situation.

Souvent, lorsque les résidents s’adressent à un tiers, leur plainte est davantage teintée par l’exaspération ou la colère. Le résident décharge alors ses émotions négatives en tentant de les faire reconnaitre comme légitimes. L’exemple de Mme Riopelle qui souhaite aller aux toilettes, mais qui ne peut demander de l’aide pendant le diner, est une bonne représentation de cette situation. En se plaignant à moi, la résidente insiste sur le fait qu’elle ne peut contrôler ce genre de choses, et que c’est injuste. Par ma présence et mon écoute, elle cherche à ce qu’une bénévole lui donne raison et compatisse avec elle. La situation est similaire lorsque des résidents se plaignent de la brusquerie des employés.

La situation s’avère différente lorsque les résidents s’adressent directement aux personnes concernées. Par leurs protestations verbales, les résidents peuvent tenter d’agir directement sur la situation, puisqu’il s’agit d’une façon claire et directe de communiquer ce qu’ils souhaitent ou ne souhaitent pas. Par exemple, en indiquant clairement qu’ils refusent quelque chose, les résidents peuvent s’attendre à ce que cela cesse, notamment lorsqu’on leur offre de l’aide dont ils ne veulent pas. Leurs protestations peuvent aussi servir à tenter de convaincre les individus de ne plus leur imposer des choses. Prenons l’exemple de Mme Joly qui est en restriction liquidienne. Cette résidente demande à boire de l’eau. Connaissant ses limitations, on lui refuse. La résidente met alors en branle diverses stratégies. La résidente peut dire au personnel que c’est son milieu de vie, et qu’en ce sens elle a droit à de l’eau. Elle peut aussi formuler sa plainte en indiquant qu’à son âge elle est en mesure de décider pour

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elle-même, et qu’elle est un être humain avec des droits. Elle peut aussi, face à un refus, mettre en cause l’attitude de la personne qui refuse, en lui disant « qu’elle la bave », ou encore demander à la personne si elle travaille pour la police, façon de lui faire comprendre que la surveillance et le contrôle dont elle est l’objet ne sont pas justifiés. Les résidents, en se plaignant avec colère, peuvent alors tenter de modifier les règles qui leur sont imposées, ou créer une réaction chez autrui. Il s’agit donc d’agir directement sur la source de leur inconfort. Ces éléments mettent fin à la section sur la résistance par la plainte verbale. L’on aura vu que les résidents peuvent se plaindre à un tiers, aux personnes concernées et aux gestionnaires. L’on a aussi vu diverses manières de faire valoir leur point lorsqu’ils se plaignent. Il appert que cette stratégie peut être utilisée pour résister à de nombreux éléments, puisqu’elle peut être choisie dans toutes les catégories de résistances mentionnées dans la section qui précède. Dans tous les cas, en choisissant de manifester verbalement leur désaccord avec ce qui leur est imposé, les résidents résistent à des situations qui ne leur conviennent pas.