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Les résistances chez Goffman et de Certeau

Chapitre 2 Résistances : définition et manière de les appréhender

2.1 Les résistances : pistes de définition

2.1.1 Les résistances chez Goffman et de Certeau

Lorsque l’on effectue une recherche sur la résistance en sociologie, deux auteurs reviennent fréquemment : Michel de Certeau et Erving Goffman. Leurs travaux ont notamment porté sur l’étude des comportements de résistance, et il apparait pertinent de se pencher un peu plus sur ces écrits.

Dans son ouvrage théorique L’invention du quotidien, Michel de Certeau consacre quelques pages à la question des résistances, même s’il n’utilise pas explicitement ce terme. De Certeau parle plutôt en termes de tactiques, qu’il oppose aux stratégies. Les tactiques sont les armes des faibles, puisque ceux-ci n’ont pas le choix de lutter sur le terrain des puissants. Il leur faut ainsi saisir les occasions qui se présentent à eux, sans qu’ils n’aient la chance de stocker leurs gains pour les prochains affrontements. De Certeau précise à propos de la tactique : « Il lui faut utiliser, vigilante, les failles que les conjonctures particulières ouvrent dans la surveillance du pouvoir propriétaire. Elle y braconne. Elle y crée des surprises. Il lui est possible d’être là où on ne l’attend pas. Elle est ruse. En somme, c’est un art du faible » (1990 : 60). Un des apports de cet auteur dans la conceptualisation de la résistance est donc

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de montrer que malgré la domination subie et leur absence de « propre »4 pour mener des combats pour le pouvoir, les individus ont tout de même la possibilité de lutter lorsque des failles ou des ouvertures se créent sur le terrain des dominants.

Erving Goffman a consacré une portion plus importante de ses travaux à la question des résistances, même si lui non plus n’utilise pas explicitement ce vocable. C’est dans son ouvrage Asiles, dont il a déjà été question, qu’il développe le concept d’adaptation secondaire. Pour lui, le système d’adaptation secondaire « consiste en pratiques qui, sans provoquer directement le personnel, permettent au reclus d’obtenir des satisfactions interdites ou bien des satisfactions autorisées par des moyens défendus » (1968 : 98- 99). Goffman ajoute que « le reclus y voit la preuve importante qu’il est encore son propre maitre et qu’il dispose d’un certain pouvoir sur son milieu; il arrive qu’une adaptation secondaire devienne comme un refuge pour la personnalité » (1968 : 99). Il précise plus loin que les adaptations secondaires permettent « de tourner ainsi les prétentions de l’organisation relatives à ce que [l’individu] devrait faire ou recevoir, et partant à ce qu’il devrait être. Les adaptations secondaires représentent pour l’individu le moyen de s’écarter du rôle et du personnage que l’institution lui assigne tout naturellement » (1968 : 245). Pour illustrer ce type d’adaptation, Goffman identifie cinq tactiques : 1) le repli sur soi qui consiste à refuser de participer ou de s’intéresser à ce qui se passe en dehors de soi et qui ne concerne pas le reclus lui-même; 2) l’intransigeance, c’est-à-dire refuser « ouvertement de collaborer avec le personnel » (1968 : 106); 3) l’installation, où le reclus tente de se construire un monde normal en utilisant les satisfactions qu’il peut trouver dans l’institution; 4) la conversion, quand l’individu s’efforce de « jouer le rôle du parfait reclus » (1968 : 108) et 5) le mélange des styles. Face aux adaptations secondaires, Goffman indique que les organisations peuvent rendre la discipline plus stricte, ou bien les légitimer « partiellement avec l’espoir de regagner ainsi de l’autorité et du pouvoir » (1968 : 252).

Goffman distingue également les adaptations secondaires désintégrantes, soit celles qui visent à changer l’organisation en modifiant sa bonne marche et ses structures (mutineries, infiltrations, …), des adaptations secondaires intégrées qui ne cherchent pas un changement radical. Les exemples qu’il donnera au fil de son ouvrage porteront davantage sur les

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adaptations secondaires intégrées, délaissant grandement l’autre catégorie. Asiles présente ainsi les nombreuses adaptations secondaires que les reclus mettent en œuvre pour obtenir un quotidien plus agréable en contournant les règles de l’organisation. Parmi celles-ci, l’on retrouve laver soi-même ses vêtements et les faire sécher sur les radiateurs, trainer ses condiments, redemander une assiette et fouiller les déchets pour trouver des choses utilisables. De cette étude des adaptations secondaires, Goffman conclut que « tout établissement social développe une conception officielle de ce que lui doivent ses membres », mais qu’il « existe des parades à ces exigences : nous voyons les membres refuser le schéma officiel de ce qu’ils doivent apporter à l’institution et de ce qu’ils peuvent en attendre et, plus profondément, refuser la conception du monde et d’eux-mêmes à laquelle ils sont censés devoir s’identifier » (1968 : 357).

De ces brefs résumés des contributions de Goffman et de Certeau sur les adaptations secondaires et sur les tactiques, l’on retient que les individus qui se retrouvent dans un contexte très rigide où leurs comportements sont fréquemment contrôlés et surveillés réussissent tout de même à trouver des failles et à les exploiter pour reprendre un peu de pouvoir sur leur vie. Également, des individus dominés (de Certeau dans L’invention du

quotidien) ou réputés ayant des maladies mentales (Goffman dans Asiles) sont à même de

faire preuve d’agentivité, de sorte qu’ils peuvent obtenir un peu de pouvoir ou tenter de conserver leur identité et l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.