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Chapitre 2 Résistances : définition et manière de les appréhender

2.2 Les résistances des résidents en centre d’hébergement

2.2.4 Définition de la résistance

Cette courte recension des écrits éclaire plusieurs aspects de la résistance chez les résidents institutionnalisés. Avec Goffman et de Certeau, l’on a vu que les individus qui ne possèdent pas de pouvoir ou qui contrôlent peu de choses (dont le terrain) sont néanmoins en mesure de chercher à améliorer leur situation en ayant recours aux tactiques ou aux adaptations secondaires. Avec Hollander et Einwohner, l’accent a été mis sur le caractère interactionnel des résistances et les nombreuses déclinaisons que cela suppose. Armstrong et Murphy ont quant à elles insisté sur l’aspect contextuel des résistances et l’importance de s’attarder au sens que les acteurs peuvent donner à leur comportement. Puis, le recours aux auteurs s’étant penchés sur les résistances des résidents ou sur leur agentivité a mis en lumière que les résistances sont multiples et ont à la fois un caractère très personnel (le rapport à soi, à la vieillesse, à la liberté) et un aspect très interpersonnel avec les résistances aux soins et au contrôle qui s’observent davantage dans les relations avec le personnel. Ces travaux ont aussi montré que les résistances prennent plusieurs formes avec une intensité variable, de la simple protestation aux comportements éclatants comme jeter des objets ou faire une scène. Finalement, les recherches évoquées ont mis de l’avant que les résistances sont rarement vues comme ayant une signification ou pouvant traduire un inconfort de la part des résidents, puisque le personnel a tendance à ne pas chercher le sens derrière les actions des résidents.

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L’angle psychologique ou médical est souvent préféré, même si des auteurs ont nuancé le portrait en ajoutant que le contexte peut parfois être pris en compte.

Malgré tous ces aspects forts intéressants, les contributions des auteurs cités n’ont pas toujours été optimales pour saisir les résistances des résidents en centre d’hébergement. Tout d’abord, les types d’action et les acteurs impliqués qui sont décrits dans les contributions de Goffman et de Certeau divergent de ce qui peut se retrouver en CHSLD. En ce qui concerne de Certeau, son idée de tactique laisse voir des acteurs toujours aux aguets afin de profiter de toutes les failles dans l’exercice du pouvoir des dominants. Or, ce type d’acteurs représente difficilement les résidents en CHSLD, puisque ceux-ci ont de grandes limitations, tant sur le plan physique que cognitif. En ce qui concerne Goffman, sa conceptualisation des adaptations secondaires engendre des limites pour étudier les comportements résistants des résidents en centre d’hébergement. En effet, on a le choix entre les adaptations secondaires intégrées, qui ne visent pas à provoquer directement le personnel, et les adaptations secondaires désintégrantes, qui sont pratiquées par des acteurs ayant « la ferme intention d’abandonner l’organisation ou de modifier radicalement sa structure » (1968 : 255). Or, il est possible pour un résident en CHSLD de résister ouvertement au personnel (en criant ou en étant violent physiquement), sans qu’il vise pour autant la fin de l’institution. Ainsi, la définition d’adaptation secondaire de Goffman n’éclaire pas totalement le tableau des résistances possibles en centre d’hébergement.

Chez les auteurs s’étant penchés sur les résistances en centre d’hébergement, l’analyse a davantage cherché à rendre compte de ces comportements résistants, sans que les résistances soient le principal élément étudié ou qu’elles le soient de façon étendue. Par exemple, McColgan s’intéressait aux résistances par rapport à l’espace, Mallon par rapport à l’adaptation au centre d’hébergement, Paterniti par rapport à l’identité, etc. L’on voit donc que même si les résistances étaient abordées, et de façon fort intéressante, elles ne l’étaient pas dans toutes leurs manifestations possibles. Il en résulte que les pistes d’explication qui sont proposées pour appréhender les résistances sont segmentaires, puisque seules certaines formes étaient prises en compte dans chacune des études. Les études portant sur les résistances s’avèrent donc morcelées ou peu détaillées, aucune n’offrant une vision globale des résistances. De plus, le sujet a peu été étudié dans les CHSLD québécois.

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Malgré leurs insuffisances, ces travaux traitant de la résistance de façon générale ou spécifique apportent chacun un angle intéressant pour traiter des résistances en centre d’hébergement, et avec leur somme, il est possible de formuler une définition de la résistance. La résistance en CHSLD sera définie dans ce mémoire comme une action par laquelle les

résidents s’opposent à une situation jugée inacceptable. Cette définition conjugue alors

plusieurs des éléments qui ont été abordés par rapport aux résistances. Dans un premier temps, il est question d’une action, comme cela était abordé dans les travaux de Hollander et Einwohner qui suggéraient que les résistances ne sont pas passives. Cela met du même coup de l’avant l’agentivité que l’on peut observer chez les résidents et qui trouve écho aux « faibles » décrits par de Certeau ainsi qu’à leur capacité de réagir avec l’usage de tactiques. Dans un second temps, l’idée d’opposition est présente, comme cela a été abordé dans les travaux de Hollander et Einwohner. Dans un troisième temps, lorsqu’il est question d’une

situation jugée inacceptable, on porte attention à la vision des individus qui résistent. Cela

met également en relief l’aspect contextuel des résistances sur lequel insistaient Hollander et Einwohner avec leur typologie, mais qui était également présents dans l’article d’Armstrong et Murphy. La définition s’inspire en ce sens des contributions précédemment présentées, en retenant seulement les éléments pouvant s’appliquer au contexte institutionnel tout en tentant de ne pas être trop restrictive pour pouvoir saisir les oppositions subtiles des résidents. En ce qui concerne la reconnaissance de la résistance, elle est nécessaire pour que les comportements dérangeants qui s’apparentent à de la résistance soient perçus comme tels. Cette reconnaissance peut venir de la cible de la résistance – les intervenants, les proches – ou bien d’un observateur – le chercheur ou les intervenants non ciblés par la résistance. Si ni la cible de la résistance ni un observateur attentif ne reconnait les comportements comme des résistances, il ne sera pas possible d’identifier les actions comme résistantes, puisqu’il s’agirait d’une résistance tentée ou de l’absence de résistance (Hollander et Einwohner, 2004). Il est ainsi nécessaire de prendre en compte la vision des intervenants en centre d’hébergement lorsqu’il s’agit de reconnaitre ou non les résistances des résidents puisque ces acteurs jouent un rôle majeur dans la situation de résistance de par leur point de vue sur celle- ci et par leur réaction face à elle. Pour ce qui est de l’intention de la résistance, il apparait nécessaire qu’il y ait une certaine intentionnalité dans le comportement résistant, puisque l’on réagit à une situation jugée inacceptable. Il n’est cependant pas nécessaire que les

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résidents voient clairement leurs actions comme des résistances, seulement qu’ils aient le sentiment de s’opposer.

Face aux lacunes dans la littérature pour saisir les résistances des résidents en centre d’hébergement, et armée de cette définition des résistances, il est possible et nécessaire de développer de nouvelles connaissances sur le sujet, notamment le contexte dans lequel les résistances prennent place, mais aussi le sens qu’elles peuvent prendre. Le recours à un angle d’étude bien circonscrit pourrait être une avancée pertinente pour l’étude de ces résistances. C’est ce qui est proposé dans la section qui suit.