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Résistance aux comportements des employés

Chapitre 7 Comprendre les résistances en CHSLD : entre contexte et identité

7.2 Appréhender les résistances

7.2.6 Résistance aux comportements des employés

Cette catégorie de résistance apparait particulièrement liée au principe selon lequel les vies sont liées, puisque les résidents réagissent directement à la façon dont le personnel agit, mais d’autres pistes d’explication peuvent également être mobilisées. Un exemple de cette forme de résistance concerne une entrevue avec Mme Casavant. Cette résidente parle de ses interactions avec le personnel, et elle mentionne une occasion où une employée lui a parlé sèchement, menant à ce qu’elle réplique en demandant à l’employée de lui parler plus gentiment. La résidente offre une piste d’explication par rapport à sa résistance : « La politesse c’est pour tout le monde, autant pour les malades que pour les autres. Il y en a qui pensent que parce qu’on est malades, on est crack. Non. On n’est pas des cracks-pot parce qu’on a mal aux pieds, là ». Mme Casavant habite en centre d’hébergement parce qu’elle n’est plus capable de marcher, mais elle conserve ses capacités cognitives. Or, lorsqu’une employée s’adresse à elle sans ménagement, sans percevoir en elle une personne digne de reconnaissance, la résidente se trouve confrontée à une image d’elle-même qu’elle ne

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reconnait pas. En effet, elle se voit encore comme douée de capacités, comme cela a été le cas toute sa vie quand elle élevait ses enfants ou aidait son mari avec son commerce. Face à cette situation, la résidente ne reste pas muette. Elle revendique ne pas être « crack », elle affirme que son identité n’est pas liée à de possibles pertes cognitives. D’ailleurs, en demandant à l’employée de lui parler plus gentiment, elle cherche à faire respecter l’identité développée au cours de sa vie et qu’elle considère toujours avoir. La résidente résiste également à la conception de certains employés selon laquelle tous les résidents en centre d’hébergement auraient des problèmes cognitifs, et donc qu’il serait facultatif de leur parler poliment parce qu’ils ne seraient pas conscients de la manière dont on les traite.

En résumé, les résistances aux comportements des employés concernent le fait que les vies sont liées, puisque les gestes posés par le personnel dépendent de leurs croyances et manières de voir les résidents, et ces résistances touchent également l’identité des résidents qui se trouve mise à mal lorsque ces derniers ne sont pas traités avec respect par les employés.

7.2.7 Résistance au partage d’information sur soi

Comme il en a été question, le personnel s’échange fréquemment des informations sur les résidents afin de leur offrir les soins nécessaires, mais ce n’est pas tous les résidents qui sont en accord avec cette pratique. Étudions le cas de Mme Rigaud qui refuse que la zoothérapeute partage de l’information sur l’égratignure qu’un rat vient de lui faire. D’une part, la résidente résiste face aux façons de faire de l’établissement qui nécessite que chaque petit élément concernant sa santé soit partagé et discuté. D’autre part, elle résiste à l’idée qu’elle est une personne vulnérable qui a absolument besoin de la protection d’autrui puisqu’elle ne serait pas en mesure de prendre soin d’elle-même. En d’autres mots, en refusant que la zoothérapeute informe l’infirmière de la blessure qu’elle vient de subir, la résidente affirme ses capacités à gérer sa vie, tout en refusant le contrôle serré qu’on tente de lui imposer. Il est fort probable que les pistes d’explication soulevées dans cet exemple se retrouvent dans les autres situations de résistance au partage d’information.

7.2.8 Résistance dans les relations avec les autres résidents

Tout comme les résidents doivent fréquemment côtoyer des employés, les résidents sont appelés à partager les lieux avec d’autres résidents, ce qui ne leur convient pas toujours. L’exemple choisi pour ce type de résistance provient d’une entrevue avec M. Aubry. Ce

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résident décrit la relation qu’il entretient avec les autres résidents et qui le mène à résister à la présence de ceux-ci. Il explique : « C’est pour ça que je suis dans la chambre ici. J’ai décidé de manger ici, je fais tout ici », puis il ajoute « Je ne veux pas être ami avec des fous ». Pour saisir la résistance de ce résident, il faut d’abord y voir une résistance à l’organisation des centres d’hébergement où une clientèle ayant des problèmes cognitifs assez avancés côtoie des résidents lucides ou ayant de légères pertes cognitives. Cette cohabitation forcée constitue la première piste d’explication à cette résistance à la présence d’autres résidents. Ensuite, l’on constate que les comportements de ces résidents plus confus provoquent des réactions chez les autres résidents qui les mènent à agir d’une certaine façon. Dans ce cas-ci, pour pouvoir ne pas côtoyer les autres résidents, M. Aubry choisit de passer ses journées dans sa chambre, refusant les espaces communs et ce qu’ils impliquent de contacts désagréables. Cette résistance est donc à appréhender avec le principe selon lequel les vies sont liées. Les remarques du résident touchent aussi à la question de l’identité, puisqu’en exprimant l’envie de ne pas être en présence des autres résidents et en les dénigrant, il vise à se distinguer d’eux, à affirmer ne pas leur ressembler. En disant cela, le résident cherche à faire valoir son identité d’homme ayant ses capacités cognitives intactes et à ce qu’on le reconnaisse comme tel. Ainsi, les résistances dans les relations avec les autres résidents sont à comprendre en lien avec l’organisation des centres d’hébergement, les vies liées et la protection de son identité.

7.2.9 Résistance face à de l’aide

Pour Cottet et Marion (2011), résister à l’assistance des employés en la refusant est une façon pour les résidents de s’affirmer et de revendiquer leur existence. C’est à l’aune de cette réflexion que l’on peut saisir les résistances face à l’aide. Prenons comme exemple la réaction de Mme Triquet qui refuse que je l’aide à monter dans l’autobus, indiquant qu’elle est assez vieille pour se débrouiller. En affirmant cela, elle met l’accent sur les capacités qu’elle a su développer au cours de sa vie, sur une vision de personne capable de faire des choses par elle-même et non sur la possible dépendance qui la caractérise maintenant. Cette résidente résiste alors à ce qu’on la perçoive comme quelqu’un ayant toujours besoin d’aide, comme une personne vulnérable, et ce, en insistant sur le fait qu’elle est capable, qu’elle est en contrôle de l’aide qu’elle reçoit. Résumé succinctement, elle se fâche quand son identité de personne capable n’est pas reconnue par les personnes qui l’entourent. Il est donc important de comprendre que la volonté de préserver son identité peut motiver les résidents à résister,

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mais que cela reste toujours lié à la question du contexte, soit la façon dont les centres d’hébergement fonctionnent et la manière dont les autres individus (employés, bénévoles, résidents) agissent.