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Les résistances des résidents en centre d'hébergement et de soins de longue durée

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Academic year: 2021

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© Nancy Jeannotte, 2020

Les résistances des résidents en centre d'hébergement

et de soins de longue durée

Mémoire

Nancy Jeannotte

Maîtrise en sociologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Les résistances des résidents en centre d'hébergement et de

soins de longue durée

Mémoire

Nancy Jeannotte

Sous la direction de :

Charles Fleury, directeur de recherche

Éric Gagnon, codirecteur de recherche

(3)

II

Résumé

Les établissements prenant en charge les ainés et les personnes dépendantes existent sur le territoire québécois depuis des centaines d’années, bien qu’ils aient continuellement évolué. Alors que l’on accorde une importance prépondérante à l’autonomie dans les différentes sphères de la vie, on constate que la perte d’autonomie constitue le premier critère pour être hébergé dans ce type d’établissement. Dès lors, les résidents en centre d’hébergement connaissent une prise en charge globale de leur vie, voyant par le fait même leur capacité de décision diminuer grandement. Malgré leurs limitations, les résidents sont encore capables de rendre compte de leur mécontentement et de leur opposition par rapport à la façon dont leur vie est organisée. L’on assiste alors à la manifestation de résistances de la part des résidents.

En menant une étude alliant observation participante et quinze entrevues avec des résidents, des employées, des membres de famille et des bénévoles au sein d’un centre d’hébergement de la ville de Québec, j’ai exploré les conditions dans lesquelles ces résistances prennent place, de même que la façon dont elles sont perçues et traitées par les intervenants.

Les résultats de cette recherche montrent que les résistances qui surviennent en centres d’hébergement sont nombreuses et touchent généralement l’organisation rigide de ces derniers ainsi que la difficile adaptation des résidents à leur perte d’autonomie. Les personnes interrogées perçoivent négativement les résistances et les résidents qui les performent. Les répondants ont soulevé plusieurs raisons pour expliquer les résistances, mais ces raisons s’avèrent limitées, surtout lorsqu’il est question du contexte de vie des résidents. À l’aide de l’approche des parcours de vie, quatre pistes d’explication ont été présentées pour rendre compte des résistances : l’organisation des centres d’hébergement, les relations sociales qui y prennent place, la vie antérieure des résidents et la multidimensionnalité de leur identité.

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III

Table des matières

Résumé ... II Table des matières ... III Remerciements ... VIII

Introduction ... 1

Chapitre 1 Les CHSLD : histoire, fonctionnement et enjeux ... 4

1.1 Origines des CHSLD ... 4

1.2 Portrait des CHSLD ... 7

1.2.1 Statistiques sur les CHSLD ... 8

1.2.2 Critères pour être hébergés en CHSLD ... 8

1.2.3 Fonctionnement des CHSLD ... 9

1.3 Enjeux des centres d’hébergement... 10

1.3.1 L’arrivée en centre d’hébergement ... 10

1.3.2 Organisation des centres d’hébergement ... 14

1.3.3 Les relations au sein des centres d’hébergement ... 21

1.3.4 Les centres d’hébergement à la frontière de plusieurs univers ... 27

1.3.5 Et les résidents? ... 28

Chapitre 2 Résistances : définition et manière de les appréhender ... 30

2.1 Les résistances : pistes de définition ... 30

2.1.1 Les résistances chez Goffman et de Certeau ... 30

2.1.2 Les caractéristiques de la résistance ... 32

2.2 Les résistances des résidents en centre d’hébergement ... 37

2.2.1 Appréhender les résistances : point de départ et significations ... 37

2.2.2 Objets et stratégies de résistances ... 38

2.2.3 Perceptions des résistances et réactions... 44

2.2.4 Définition de la résistance ... 46

2.3 L’approche des parcours de vie ... 49

2.3.1 Caractéristiques de l’approche... 49

2.3.2 Utilité de l’approche pour saisir les résistances ... 50

2.4 Questions de recherche et objectifs... 52

Chapitre 3 Méthodologie ... 53

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IV

3.1.1 Observation participante ... 53

3.1.2 Entrevues ... 56

3.2 Utilisation des données pour la recherche sur les résistances ... 60

3.3 Analyse ... 62

3.4 Limites de la recherche ... 62

Chapitre 4 Le centre d’hébergement Sainte-Marie... 65

4.1 Description sommaire et emplacement géographique ... 65

4.2 Description des lieux ... 66

4.2.1 Étages ... 66

4.2.2 Chambres des résidents ... 67

4.2.3 Ascenseurs ... 69

4.2.4 Espaces communs ... 69

4.2.5 Unité prothétique ... 71

4.3 Personnel de l’établissement ... 72

4.4 Description de l’horaire quotidien ... 73

4.4.1 Repas ... 74

4.4.2 Activités de loisirs ... 74

4.4.3 Vie d’un résident ... 75

4.5 Les contraintes de la vie à Sainte-Marie ... 76

4.5.1 Dispositifs de sécurité ... 76

4.5.2 Autres types de contrôle ... 78

Chapitre 5 Portrait des résistances ... 81

5.1 Formes de résistances ... 81

5.1.1 Résistances aux règles de l’établissement ... 81

5.1.2 Résistance à habiter en institution ... 84

5.1.3 Résistance au contrôle de ses déplacements ... 84

5.1.4 Résistance face aux soins ... 85

5.1.5 Résistance à l’attente ... 86

5.1.6 Résistance face au comportement des employés ... 87

5.1.7 Résistance au partage d’information sur soi ... 88

5.1.8 Résistance dans les relations avec les autres résidents ... 88

5.1.9 Résistance face à de l’aide ... 89

5.1.10 Résistance à ses handicaps et à sa vulnérabilité ... 89

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V

5.2.1 Se plaindre verbalement ... 91

5.2.2 Réagir physiquement ... 94

5.2.3 Refuser ... 95

Chapitre 6 Face aux résistances : perceptions, explications et réactions... 98

6.1 Perception des résistances ... 98

6.1.1 Expérience des résistances... 99

6.1.2 Jugement sur les résistances ... 100

6.2 Explication des résistances par les intervenants ... 104

6.2.1 La maladie ... 104

6.2.2 Les préférences et le caractère des résidents ... 105

6.2.3 Les conditions de vie ... 107

6.2.4 Fierté et orgueil ... 107

6.3 Réaction face aux résistances ... 109

6.3.1 S’adapter aux résidents ... 109

6.3.2 Persuader ... 111

6.3.3 Montrer son mécontentement et sanctionner ... 114

6.3.4 Tolérer ... 116

Chapitre 7 Comprendre les résistances en CHSLD : entre contexte et identité ... 119

7.1 Retour sur les principes de l’approche des parcours de vie ... 119

7.1.1 L’organisation des CHSLD ... 119

7.1.2 Les relations sociales ... 121

7.1.3 La vie antérieure des résidents... 122

7.1.4 Présence d’identités multiples ... 123

7.2 Appréhender les résistances... 124

7.2.1 Résistances aux règles de l’établissement ... 124

7.2.2 Résistance à habiter en institution ... 125

7.2.3 Résistance au contrôle de ses déplacements ... 126

7.2.4 Résistance face aux soins ... 126

7.2.5 Résistance à l’attente ... 127

7.2.6 Résistance aux comportements des employés ... 128

7.2.7 Résistance au partage d’information sur soi ... 129

7.2.8 Résistance dans les relations avec les autres résidents ... 129

7.2.9 Résistance face à de l’aide ... 130

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VI

7.3 Les résistances : bien comprises des intervenants? ... 132

7.3.1 Maladie ... 132

7.3.2 Préférences et caractère des résidents ... 133

7.3.3 Conditions de vie ... 134

7.3.4 Fierté et orgueil ... 135

7.3.5 Zones de lumière et zones d’ombre ... 136

Conclusion ... 139

Références ... 142

Annexe 1 : Schéma d’entrevue employés... 145

Annexe 2 : Schéma d’entrevue membre de famille ... 148

Annexe 3 : Schéma d’entrevue bénévoles ... 151

Annexe 4 : Schéma d’entrevue résidents ... 154

Annexe 5 : Document de sollicitation des bénévoles ... 156

Annexe 6 Document de sollicitation des membres de famille ... 157

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VIII

Remerciements

Mes premiers remerciements sont destinés à l’équipe des loisirs du centre d’hébergement Sainte-Marie. Sans la précieuse collaboration des responsables des loisirs et des bénévoles, je n’aurais pu entrer autant en profondeur dans l’univers des centres d’hébergement. Je tiens à remercier tous les résidents et résidentes que j’ai pu côtoyer et qui ont partagé leur expérience avec moi. Je remercie chaleureusement les quinze répondants qui ont accepté de répondre à mes questions de façon plus formelle lors d’entrevues. Si je n’avais pu compter sur la participation de toutes ces personnes, ce mémoire n’aurait pas été possible.

Je remercie mes deux directeurs, Charles Fleury et Éric Gagnon, pour le temps et l’énergie consacrés à commenter ce mémoire dans l’optique qu’il soit le meilleur possible. Je vous remercie pour votre support et votre implication tout au long du processus, et de m’avoir accompagnée par vos encouragements.

Je tiens à offrir des remerciements particulièrement chaleureux à mes proches qui m’ont soutenue pendant cette aventure. Merci à Camille et Judith pour leur participation à la relecture de certaines parties.

Finalement, je tiens à souligner l’immense support de mon conjoint, Jovan, sans qui je n’aurais jamais réussi à terminer ma maitrise. Merci pour les encouragements, les prix pour me motiver, et pour tout simplement avoir cru que j’étais capable de terminer un tel projet! Ta présence a été décisive pour la réussite de ce mémoire.

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1

Introduction

Les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) n’ont de cesse dans les derniers mois, voire depuis quelques années, de faire l’objet d’une attention médiatique soutenue. Qu’il soit question de la pénurie de main-d’œuvre, des soins d’hygiène qui peinent à être donnés, de la maltraitance dont les résidents seraient victimes ou bien de la vétusté des établissements, il n’est pas rare de consulter un journal ou un bulletin de nouvelles et d’entendre parler de ces lieux qui accueillent les personnes en perte d’autonomie vivant au Québec. Le monde politique n’est pas en reste, puisque les politiciens multiplient les annonces pour tenter d’améliorer ces lieux où peu d’individus rêvent de finir leurs jours. De cette façon de parler des centres d’hébergement, l’on retient qu’il s’agit d’un lieu impersonnel et insatisfaisant pour ceux qui y demeurent. L’on constate toutefois qu’avec cet accent mis sur les problèmes structurels, l’expérience de vivre en établissement est à peine discutée, voire ignorée. Pourtant, à la base de l’existence des CHSLD, il y a le fait d’accueillir des personnes qui ont besoin d’aide dans leur quotidien. Ces résidents doivent faire face chaque jour aux défis qui sont discutés par les médias ou les politiciens. Comment arrivent-ils à faire face au manque de personnel, à leurs besoins non répondus, à la proximité avec d’autres individus malades? Ces questions sur ce que vivent les résidents sont laissées en suspens. Dans l’optique d’éclairer cette expérience de la vie en centre d’hébergement, et de reconnaitre aux individus qui y demeurent une réflexivité et une capacité d’agir face à la rigidité de ce milieu, je porterai attention à la façon dont les résidents réagissent à ces multiples contraintes. Plus précisément, j’étudierai les résistances des résidents qui prennent place en centre d’hébergement. Ainsi, je tenterai de répondre aux questions suivantes : Comment les résistances des résidents en CHSLD s’expriment-elles et de quelle manière sont-elles perçues?Qu’est-ce que l’approche des parcours de vie permet d’éclairer en ce qui a trait à ces résistances?

Pour répondre à ces questions, ce mémoire commencera, dans le premier chapitre, par présenter comment les CHSLD ont fait leur apparition dans le domaine de la santé au Québec, à quoi ils ressemblent actuellement et quels sont les enjeux auxquels ils doivent faire face. Puis, il sera question des écrits sur les centres d’hébergement et des principaux angles d’étude

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qui ont été abordés, comme l’entrée en centre d’hébergement, l’organisation de ces établissements et les relations qui s’y déroulent.

Le second chapitre portera sur les résistances et les écrits sociologiques sur le sujet. À partir des travaux plus classiques de Goffman et de Certeau, des travaux plus récents d’autres auteurs abordant les résistances, et d’une présentation des études s’étant penchées sur les comportements résistants en centre d’hébergement, une définition des résistances dans ces établissements sera proposée. Le chapitre se conclura avec une vue d’ensemble de l’approche des parcours de vie, approche qui sera utilisée pour saisir les résistances.

Le troisième chapitre fera état de la collecte de données et des méthodes utilisées. En m’inscrivant dans une recherche plus vaste, j’ai mené mon étude en mariant de l’observation participante pendant un an avec quinze entrevues semi-dirigées auprès d’employées, de bénévoles, de membres de famille et de résidents du CHSLD où j’ai mené ma collecte de données. Ce chapitre sera aussi l’occasion de présenter les répondants et les limites de l’étude.

Le quatrième chapitre est consacré à la présentation du CHSLD où j’ai mené ma collecte de données. À travers une description des lieux et de l’horaire quotidien, de la présentation des employés qui y travaillent et des contraintes que l’on y retrouve, j’étudierai la façon dont la vie s’organise en son sein.

Dans le cinquième chapitre, il sera question des données qui ont été récoltées. Je présenterai les dix formes de résistance que j’ai pu observer ainsi que les moyens qui sont utilisés par les résidents pour résister.

Le chapitre six sera consacré aux résistances des résidents du point de vue des employés, bénévoles et membres de famille. Il sera question de leur perception des résistances, des explications qu’ils avancent pour en rendre compte et de leurs réactions face à ces résistances. Le septième chapitre fera un retour sur l’analyse des résistances en proposant des pistes d’explication pour saisir ces résistances. Grâce à l’approche des parcours de vie, les résistances seront appréhendées comme des réactions face à l’organisation des CHSLD et la présence d’autres individus, ainsi que comme une façon de protéger et de maintenir l’identité développée au cours de la vie.

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3

En conclusion, je reviendrai sur l’ensemble des éléments présentés au fil de ce mémoire, formulerai une réponse synthétique aux questions de recherche et identifierai des pistes d’études ultérieures qu’il serait intéressant de mener.

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Chapitre 1 Les CHSLD : histoire, fonctionnement et enjeux

Le chapitre qui commence précisera l’univers des CHSLD. L’on débutera par l’histoire des premières institutions ayant pris en charge les personnes âgées et dépendantes jusqu’aux établissements que l’on connait actuellement. Les principales caractéristiques des CHSLD seront également présentées, notamment avec le portrait des résidents qui y sont accueillis, les critères d’admission et leur fonctionnement général. Puis, un tour des écrits scientifiques sur les centres d’hébergement permettra de mettre en lumière les enjeux les plus fréquemment étudiés concernant ces institutions. À la fin de ce chapitre, l’on aura une meilleure compréhension de ces lieux d’hébergement.

1.1 Origines des CHSLD

Bien que les CHSLD soient une institution récente, il est possible de remonter bien avant leur création pour voir les premières initiatives de prise en charge de personnes âgées par d’autres institutions que la famille. En effet, dès la Nouvelle-France, les hôpitaux généraux accueillent les vieillards. Aux 17e et 18e siècles, il n’y avait que deux hôpitaux généraux sur le territoire : un à Québec et un à Montréal. Ces établissements, ayant pour première fonction l’enfermement et la mise au travail, étaient tenus par des communautés religieuses, et les soins médicaux étaient dispensés par des médecins ou des chirurgiens. Outre les vieillards, diverses autres personnes se trouvaient dans les hôpitaux généraux, dont les orphelins, les prostituées, les mendiants, les invalides et les aliénés. Au 19e siècle, de nouveaux établissements de santé voient le jour à un rythme plus soutenu. La Conquête britannique mène également à ce que ces établissements de santé changent de vocation, dont les hôpitaux généraux qui se centrent davantage sur les services aux malades. Ils perdent ainsi leur rôle d’enfermement et de mise au travail des plus démunis. Dans la deuxième moitié du 19e siècle,

des « hospices » prennent en charge les personnes sans ressource, dont les vieillards. Les objectifs de ces établissements s’éloignent eux aussi des anciens hôpitaux généraux, puisque l’on vise l’hébergement et les soins sur une base caritative plutôt que l’enfermement (Guérard, 1996).

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Cette façon de faire pose cependant certains problèmes, dont ceux liés au financement. Les hôpitaux et les institutions d’hébergement charitables n’arrivent pas à remplir leur rôle avec les sommes dont ils disposent, notamment parce que seul le tiers des bénéficiaires est solvable. Ces établissements accumulent ainsi des déficits importants (Gaumer, 2008). En 1921-1922, la Loi sur l’Assistance publique est adoptée. Cette loi encadre l’aide, notamment financière, offerte par l’État aux établissements de santé et d’hébergement. Une taxe s’appliquant aux spectacles et amusements est ainsi destinée à financer les services de santé aux démunis, et à développer les infrastructures. Même si la majorité des sommes allouées serviront aux hôpitaux, le tiers des coûts de séjour en institution sera pris en charge par le gouvernement à la suite de cette loi (Guérard, 1996; Gaumer, 2008). Il est à noter qu’il s’agit de la première intervention étatique dans ce domaine, mais que cela ne met pas fin pour autant à la gestion de ces institutions par les communautés religieuses. En ce qui concerne les conditions d’hébergement, celles-ci ne sont pas optimales : « les établissements de l’époque demeurent des milieux dont les caractéristiques physiques, l’environnement disciplinaire, les soins et les traitements dispensés reflètent le peu de considération pour ces résidents “pauvres et indignes”, rejetés par la société » (Charpentier, 2002 :13).

Après la Seconde Guerre mondiale, le Québec subit de nombreuses mutations teintées par la période de prospérité des Trente Glorieuses. L’État providence émerge, ce qui se fait particulièrement sentir dans le domaine de la santé. Ainsi, de nombreux changements s’opèrent, dont une étatisation des services de santé offerts à la population dans les années 1960. La vieillesse, qui était alors fortement prise en charge par les familles, et dans une moindre mesure par les hospices, devient principalement une responsabilité étatique. Les hospices tenus par les communautés religieuses sont rachetés par l’État, et de nouveaux établissements sont construits dans les années 1970 et 1980, pour totaliser 60 000 lits. Deux catégories d’établissements sont créées : les centres hospitaliers de soins prolongés, où l’on retrouve les personnes âgées fragilisées, et les centres d’accueil et d’hébergement pour les personnes âgées plus autonomes. Il en résulte une forte institutionnalisation des ainés, qui sont, à la fin des années 1970, 8 % à vivre en institution. Même si la moitié de ceux-ci n’ont pas besoin d’habiter dans ce type d’hébergement ou ne sont pas démunis, l’idée d’y demeurer s’est installée dans les mentalités, et le quart des ainés souhaitent aller vivre dans ces établissements (Clément et Lavoie, 2005; Charpentier, 2002).

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À partir du milieu des années 1970, la stratégie d’institutionnalisation de la vieillesse n’apparait plus comme la meilleure des politiques. L’on se rend compte qu’avec une diminution de la fécondité, la population connaitra un vieillissement. Cette prise de conscience survient également alors que l’État québécois connait ses premières difficultés financières. De plus, puisque les établissements sont autonomes dans leurs critères d’admission, il arrive que les ainés les plus lourdement dépendants soient refusés au profit de personnes âgées plus autonomes. Finalement, l’entrée en institution mène à un plus fort déclin de l’autonomie des personnes, qui deviennent plus rapidement dépendantes, et à une dépersonnalisation, puisque la singularité des résidents n’est pas prise en compte. Des changements surviennent alors. Les critères d’admission sont resserrés pour que ne soient maintenant admises que les clientèles les plus lourdes. Parallèlement, les services à domicile sont positionnés comme prioritaires. Ceux-ci voient leur financement augmenter, même si ce n’est pas suffisant pour offrir tous les services nécessaires (Clément et Lavoie, 2005; Guénard, 1996; Charpentier, 2002).

Les années 1980 sont marquées par une crise de l’État providence, une volonté de limiter les dépenses sociales et une montée du néolibéralisme. L’on remet en question l’intervention de l’État et l’universalité des programmes sociaux. Le vieillissement de la population laisse présager de lourds coûts, si bien que l’on met l’accent sur les solidarités familiales et communautaires ainsi que sur la responsabilité individuelle. Les critères d’admission en institution sont par ailleurs resserrés (Clément et Lavoie, 2005; Lemieux, 2003; Charpentier, 2002).

La vieillesse, qui est perçue de plus en plus comme un problème étant donné les coûts qui y sont liés, est au centre de multiples débats. Les Québécois âgés sont accusés d’entrainer de trop nombreuses dépenses, notamment à cause du haut taux d’institutionnalisation. Au cours des années 1990, une autre réforme des services de santé et des services sociaux prend place afin de diminuer le nombre de personnes âgées vivant en institution. Les critères d’admission sont encore une fois revus pour être plus sévères, et l’on mise davantage sur le maintien à domicile. Il en résulte un alourdissement des soins à prodiguer aux personnes âgées institutionnalisées. Ainsi, de 1985 à 1997, le nombre d’heures de soins à effectuer quotidiennement pour chaque résident passe de 1,7 heure à 3,5 heures. Des réaménagements sont nécessaires dans les installations afin d’être en mesure d’accueillir ce nouveau type de

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clientèle. Par ailleurs, en resserrant les critères dans les centres d’accueil et d’hébergement, ceux-ci reçoivent une clientèle qui ressemble de plus en plus à celle des centres hospitaliers de soins prolongés. Ces deux types d’établissements finissent par fusionner pour former les CHSLD actuels. Ces changements sont aussi accompagnés d’une réduction constante du nombre de places, menant à ce qu’entre 1988 et 2002, ce nombre passe de 60 000 à 49 500 places (Clément et Lavoie, 2005; Lemieux, 2003; Charpentier, 2002). Parallèlement à cela, la population âgée augmente. À titre indicatif, en 1986, les personnes âgées de 65 ans et plus représentaient 9,8 % de la population, alors qu’en 2001, elles constituaient 13 % de la population. En chiffre, cette tranche de la population passe d’environ 657 400 personnes à 961 500 personnes entre 1986 et 2001 (Institut de la statistique du Québec, 2018).

Cette brève histoire permet de tracer le développement des institutions destinées aux personnes âgées dépendantes. Tandis qu’entre le 17e et le début du 20e siècle, les personnes

âgées sans famille et dépendantes étaient prises en charge par les paroisses et les communautés religieuses, un tournant est pris en faveur de l’État, surtout après les années 1960. Sans que le critère de pauvreté soit indispensable comme c’était auparavant le cas, les ainés en viennent à habiter dans une proportion plus importante des établissements faisant partie du système de santé. Or, le vieillissement de la population et les difficultés dans les finances publiques mènent à ce que l’accent soit mis sur le maintien à domicile, de sorte que seules les clientèles présentant les cas les plus lourds soient admises en institution. Dès lors, ce resserrement des critères d’admission fait en sorte que les résidents en CHSLD sont de plus en plus dépendants (Aubry et Couturier, 2014).

1.2 Portrait des CHSLD

La section précédente a permis de voir les développements historiques et sociaux qui ont mené aux CHSLD actuels. Il est maintenant utile de décrire un peu plus en profondeur le fonctionnement de ceux-ci et de brosser un portrait de la situation présente. Une attention particulière sera portée aux statistiques portant sur les CHSLD, aux critères pour être hébergé dans ces institutions et au fonctionnement de ceux-ci.

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1.2.1 Statistiques sur les CHSLD

En 2015, l’on compte 447 CHSLD au Québec, dont 402 publics ou privés conventionnés, et 45 privés non conventionnés1. La plupart des résidents sont des personnes âgées, avec 44,5 %

de résidents ayant 85 ans et plus, 32,2 % ayant entre 75 et 84 ans et 13,6 % ayant entre 65 et 74 ans. Seuls 9,6 % des résidents ont moins de 65 ans. En 2016-2017, 4,4 % des Québécois âgés de 75 ans et plus habitaient en CHSLD public. Pour l’ensemble des CHSLD, l’on comptait 37 468 lits, dont 17 % se trouvaient en CHSLD privés conventionnés. En moyenne, l’attente pour une place en CHSLD est de 10 mois (Commission à la santé et au bien-être, 2017). La durée moyenne d’un séjour est de 27,9 mois (Commission de la santé et des services sociaux, 2016). En 2020, le coût maximum d’une chambre en CHSLD est de 1 946,70 $ par mois2.

1.2.2 Critères pour être hébergés en CHSLD

Comme il en a été question, les CHSLD ont resserré leurs critères d’admission à de multiples reprises au fil des ans. Ainsi, les CHSLD sont placés à la fin d’un continuum de soins et sont considérés comme la dernière étape pour les ainés les plus vulnérables ayant de graves atteintes. Actuellement, pour être admis dans ces établissements, une suite de démarches doit être faite. Cela débute par une évaluation globale de la personne, entre autres réalisée par l’outil d’évaluation multiclientèle. Avec ces évaluations, l’on peut déterminer le profil ISO-SMAF (Système de mesure de l’autonomie fonctionnelle) de la personne, et donc le niveau de service nécessaire. Le ministère de la Santé et des Services sociaux, depuis 2002, considère que les personnes admises en CHSLD devraient avoir un profil ISO-SMAF entre 10 et 14. Cela signifie qu’elles doivent présenter une perte d’autonomie importante les empêchant de demeurer à domicile. Dans les difficultés que ces personnes rencontrent, on retrouve devoir recevoir de l’aide pour manger, se laver, aller aux toilettes et se déplacer. La

1 Les CHSLD publics sont une propriété de l’État québécois tandis que les CHSLD privés conventionnés sont

dirigés par des particuliers qui possèdent leur établissement. Les deux types de CHSLD sont néanmoins régis par les mêmes règlements et leur financement provient du Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Les CHSLD privés non conventionnés sont quant à eux indépendants et autonomes. Ils doivent détenir un permis du MSSS et respecter les normes en vigueur.

2 Le coût de la chambre dépend des avoirs des résidents, ainsi que du partage ou non de celle-ci. Le montant

de 1 946,70 $ représente ce qu’une personne vivant seule dans sa chambre paiera si elle n’est pas admissible à une réduction du montant de sa contribution.

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9

communication verbale peut être ardue, ou même ne plus être possible, et des troubles cognitifs peuvent être présents (Commission à la santé et au bien-être, 2017).

1.2.3 Fonctionnement des CHSLD

Selon la Loi sur les services de santé et les services sociaux, la mission des CHSLD est

d’offrir de façon temporaire ou permanente un milieu de vie substitut, des services d’hébergement, d’assistance, de soutien et de surveillance ainsi que des services de réadaptation, psychosociaux, infirmiers, pharmaceutiques et médicaux aux adultes qui, en raison de leur perte d’autonomie fonctionnelle ou psychosociale, ne peuvent plus demeurer dans leur milieu de vie naturel, malgré le support de leur entourage (Gouvernement du Québec, 2019, article 83).

En ce sens, il s’agit d’un milieu où le résident est pris en charge globalement par le personnel. Les préposés aux bénéficiaires constituent la catégorie d’employés qui entre le plus en relation avec les résidents. Dans les CHSLD, 80 à 90 % des actes de soins réalisés envers les résidents le sont par les préposés aux bénéficiaires. Ils font des soins d’hygiène, de l’aide à l’alimentation et de l’assistance à la mobilité, en plus de fournir divers autres types d’aide, comme l’habillement. En ce qui concerne les infirmières auxiliaires, elles ont comme tâches d’évaluer l’état de santé des résidents et de prodiguer des soins courants. Finalement, les infirmières coordonnent l’ensemble des activités de soins et donnent les traitements aux résidents (Aubry et Couturier, 2014). Le personnel est majoritairement féminin, tout comme les résidents (Charpentier, 2007).

Au cours des années, des problèmes de pénurie et de rétention de personnel ont fait surface. Pour François Aubry (2012), qui étudie les centres d’hébergement français et québécois, la multiplication et la complexification des tâches qu’amènent notamment les initiatives pour rendre les CHSLD plus adaptés aux besoins des résidents (comme l’approche milieux de vie) sont à pointer du doigt pour expliquer les démissions et l’absentéisme que l’on retrouve dans ces environnements de travail, puisque ce travail supplémentaire n’est pas compensé par une augmentation des effectifs. En effet, sans avoir davantage de temps pour offrir des soins de qualité aux résidents, les employés de soins doivent porter attention aux habitudes de vie des résidents, et ce, dans un contexte de compressions budgétaires successives (Anchisi et Gagnon, 2017).

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Finalement, au fil des années et avec les nombreux cas de maltraitance et de négligence qui ont été médiatisés, la confiance de la population envers les CHSLD s’est détériorée (Aubry et Couturier, 2014).

1.3 Enjeux des centres d’hébergement

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Les écrits portant sur les CHSLD, les nursing homes, les long-term care facilities ou les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) s’avèrent très vastes. De nombreuses ethnographies ont été menées dans ces milieux au cours des dernières décennies, fournissant une richesse de données et d’analyses. Malgré cette grande diversité, certains éléments concernant les établissements pour ainés reviennent de façon récurrente. C’est donc sur ces éléments que l’on mettra l’accent afin de mieux comprendre ce qui caractérise ce milieu institutionnel. Il est à noter que l’attention sera portée sur les études s’intéressant à la vie des résidents en centre d’hébergement, et que les études européennes, canadiennes et américaines seront présentées simultanément étant donné la similitude de leurs résultats. Aussi, l’attention sera davantage portée sur les enjeux de ces institutions, c’est-à-dire les éléments qui peuvent poser problème, puisqu’ils ont davantage été discutés dans la littérature que les aspects positifs. Ainsi, cette section s’attardera à l’arrivée des résidents, à l’organisation des centres d’hébergement et aux conséquences que cela engendre sur le quotidien des résidents et aux relations qui prennent place en centre d’hébergement. 1.3.1 L’arrivée en centre d’hébergement

Comme cela a été mentionné, les centres d’hébergement se situent généralement à la fin d’un continuum de services offerts aux personnes en perte d’autonomie, quand celles-ci ne sont plus en mesure de demeurer à leur domicile. En ce sens, l’entrée en institution ne se déroule jamais lorsque l’ainé est dans une situation stable. Michèle Charpentier, auteure québécoise, identifie deux trajectoires d’entrée en hébergement : « D’une part, il y a les placements qui font suite à une longue maladie, celle des résidents ou de leur conjoint, et ceux qui sont immédiatement nécessaires en raison d’un accident vasculaire cérébral, d’une dépression,

3 Dans cette section, le terme centre d’hébergement sera privilégié puisqu’il ne sera pas uniquement

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etc. » (2006 : 76). L’on note donc que les placements ne s’effectuent que lorsque les problèmes de santé deviennent trop présents. Souvent, il s’agit d’un moment de crise, où les futurs résidents ne sont que rarement consultés. Ceux-ci doivent s’en remettre au jugement des autres, soit à leur famille ou à un professionnel de la santé. Charpentier parle alors d’une dissolution du pouvoir des ainés qui mènerait à un sentiment de perte de contrôle et d’exclusion de la société.

Ainsi, le déménagement en centre d’hébergement constitue la plupart du temps une rupture marquée dans la vie d’un individu (Lagacé et coll., 2011; Cottet et Marion, 2011). Dans l’ouvrage de Rosalie Kane et Arthur Caplan (1990) portant sur les nursing homes américains, l’on note que le sentiment d’être une personne complète et unique vient de la possibilité de faire des choix individuels, et que la continuité avec le passé permet de se sentir complet. Les individus construiraient leur vie en lien avec leurs rôles sociaux et leurs routines personnelles. Or, l’entrée en centre d’hébergement, qui s’effectue souvent dans la vieillesse où la continuité est cruciale, brouille cela, puisque la personne passe d’un domicile où elle contrôlait plusieurs éléments à un milieu très réglementé. La terminologie entourant cette entrée en institution serait d’ailleurs identifiée comme mettant à risque la dignité des futurs résidents, puisque l’on parle souvent de « placement ». Or, ce terme renvoie à ce que l’on fait à un objet, à un être inanimé. L’arrivée en centre d’hébergement constituerait en ce sens un moment de grande fragilité pour les résidents.

Dans cette lignée, Elaine Wiersma (2010), qui travaille sur les long-term care facilities ontariens, identifie trois pertes importantes qui sont vécues par les résidents lors de leur admission : la perte de leur identité, de leurs possessions et de leurs relations. La perte d’identité se vit parce que les membres du personnel ne connaissent pas les résidents, et qu’ils ne cherchent pas nécessairement à les connaitre au-delà de ce qui est nécessaire pour leur travail. Dès leur arrivée, les résidents seraient d’ailleurs étiquetés selon les informations disponibles dans leur dossier sans égard à l’identité qu’ils pouvaient avoir. De plus, l’arrivée d’un nouveau résident serait perçue comme une tâche supplémentaire, et cette impression resterait avec le temps, de sorte qu’on ne verrait pas le résident comme une personne, mais comme du travail. La perte de possessions, seconde perte importante des résidents, se vit d’abord par rapport à la perte du domicile, mais également par rapport à la perte des objets qui s’y trouvent. En effet, l’entrée en centre d’hébergement rend difficile la conservation de

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nombreux biens, car les nouveaux résidents ne disposent que d’une chambre pour entreposer leurs objets personnels. Ces pertes matérielles contribueraient également à une perte d’identité puisque les objets détenus par un individu en disent beaucoup sur lui, sur son histoire. La dernière perte centrale identifiée par Wiersma concerne la perte de relations. Cette perte peut se vivre par le fait que le déménagement met de la distance entre les proches et le nouveau résident, mais cela renvoie également aux situations où des conjoints sont séparés de chambre alors que pendant la majeure partie de leur vie ils ont dormi ensemble. L’auteure ajoute qu’en plus de perdre des relations, le fait d’être entouré d’étrangers peut accentuer le sentiment de solitude. Les observations canadiennes de Wiersma rejoignent celles présentes dans l’ouvrage américain de Kane et Caplan (1990), qui indiquent qu’avec tous ces éléments, il n’est pas surprenant de constater qu’une personne n’entre pas de gaité de cœur en institution. Il est d’ailleurs question, dans l’ouvrage américain de Philip B. Stafford (2003), que cette entrée en centre d’hébergement est une mort sociale où les résidents sont coupés du monde extérieur.

L’arrivée en centre d’hébergement ne réfère pas seulement à des pertes, mais aussi à un processus d’adaptation à l’institution. En ce sens, pour Elaine Wiersma et Sherry Dupuis (2010), l’arrivée en centre d’hébergement entraine un processus de socialisation des résidents. Ce processus comprend cinq aspects : placer le corps, définir le corps, mettre l’accent sur le corps, gérer le corps et les relations par rapport au corps. Le premier aspect renvoie à l’idée selon laquelle en arrivant en centre d’hébergement, les résidents doivent apprendre à vivre dans des lieux étrangers, à placer leur corps. Les résidents peuvent par conséquent être nerveux dans leurs premiers jours en hébergement, puisqu’ils ne savent pas comment agir dans ce nouvel espace, et ils doivent apprendre à s’y déplacer. Le second aspect, définir le corps, correspond aux tests qui sont effectués pour identifier les soins dont les résidents ont besoin et leurs limitations. Or, ce processus d’évaluation et de documentation du corps met l’accent sur les pertes des résidents, et le corps devient central au détriment de la personne comme entité complète. Le troisième aspect réfère au fait que les soins sont dirigés sur le corps pour le maintenir. Les discussions tournent également autour de ce corps, encore une fois en laissant de côté la personne et les autres dimensions de sa vie. Le quatrième aspect, gérer le corps, comprend plusieurs techniques pour faire savoir aux résidents la place de leur corps, comme l’usage de routines, de l’attente et de la

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gestion de risques. Les résidents apprennent ainsi les attentes envers leur corps et la façon d’agir avec celui-ci. Finalement, le dernier aspect qui est lié aux relations au corps renvoie à l’idée que le personnel est responsable de mettre les limites dans les relations qu’entretiennent les résidents, tant par rapport aux relations personnel/résidents que les relations entre résidents. Ces cinq aspects de la socialisation des résidents qui en font des corps institutionnalisés mettent donc en lumière les adaptations nécessaires aux résidents pour qu’ils agissent en concordance avec l’organisation que l’on trouve en centre d’hébergement.

D’autres aspects de l’adaptation des résidents doivent être soulignés. Comme l’indique la chercheuse québécoise Martine Lagacé et ses collaborateurs : « la vie en institution où des soins de longue durée sont prodigués sous-tend qu’un aîné perd, dans une certaine mesure, le contrôle de son environnement: il est contraint à des horaires établis, ses choix de vie au quotidien sont limités et son intimité, restreinte » (2011 : 186). Les habitudes qu’un individu pouvait avoir développées au cours de sa vie sont en conséquence perturbées, tout comme les rôles qu’il avait l’habitude de jouer. Les résidents peuvent ainsi percevoir ces changements comme une perte de contrôle sur de nombreux aspects de leur vie où ils n’ont plus l’autonomie et la liberté dont ils jouissaient auparavant (Kane et Caplan, 1990). La dignité des résidents serait alors mise en péril, et les résidents pourraient expérimenter une perte de soi et de leur personnalité, surtout que leur identité ne tiendrait qu’à leurs souvenirs et aux visites plus ou moins fréquentes de leurs proches. Ce phénomène serait accentué chez les individus présentant des troubles cognitifs, car ne plus être dans un milieu familier les affecterait davantage (Henderson et Vesperi, 1995).

Cette section portant sur l’arrivée en centre d’hébergement permet de mettre de l’avant la vulnérabilité dans laquelle les résidents se trouvent au moment de l’emménagement, mais elle montre également les conséquences de cette arrivée pour les résidents. L’on note les pertes qui sont vécues par les résidents, la socialisation qu’ils vivent et l’adaptation à un nouvel environnement qui est nécessaire. Par conséquent, il s’agit d’une rupture marquée dans la vie des individus qui provoque de nombreux changements.

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1.3.2 Organisation des centres d’hébergement

Comme la section qui se termine vient de le mettre en exergue, la vie en centre d’hébergement peut être fortement teintée par l’organisation qui y a cours, au détriment des préférences des résidents. Alors que ces individus constatent que leur corps les abandonne et qu’ils deviennent vulnérables (Salles et Couturier, 2014), ils « se voient imposer des routines ou des soins et des services qui ne leur plaisent pas toujours » (Aubry et Couturier, 2014 : 19). Ainsi, l’organisation des centres d’hébergement doit être étudiée pour voir comment cela affecte la vie des résidents. Les aspects temporel et spatial, le contrôle imposé aux résidents et l’aspect totalitaire des centres d’hébergement seront discutés.

Aspect temporel

Dans son ouvrage, Charpentier parle du sous-financement des CHSLD, « qui ne permet de répondre qu’à 70 % des besoins d’aide et d’assistance des personnes hébergées » (2007 : 24-25). Un des enjeux entourant le temps concerne alors le manque de ressources humaines pour prendre en charge adéquatement les besoins des résidents dépendants. Comme il en a été question, les critères pour être admis en centre d’hébergement ont été resserrés, de sorte que les résidents qui s’y trouvent hébergés demandent davantage de soins, alors que les ratios résidents/soignants, déjà élevés, sont fréquemment augmentés par l’absence d’employés de soins (Aubry et Couturier, 2014). Il en résulte un manque récurrent de personnel et des horaires surchargés. Charpentier (2007) ajoute que les politiques organisationnelles et les pratiques de gestion de ces établissements mettent l’accent sur la perspective biomédicale où la rapidité et la productivité sont valorisées au détriment des relations avec les résidents. L’aspect humain serait ainsi moins pris en compte que les aspects économique et administratif.

Le personnel, par les conditions dans lesquelles il œuvre, doit effectuer une multitude de tâches lorsqu’il travaille. Le rythme d’exécution de tâches du personnel de soins « doit être soutenu tout au long de la journée de travail, afin de respecter la charge de travail prescrite sans perdre de temps durant les différentes phases de travail (réveil, toilettes, repas, etc.) » (Aubry, 2012 : 6). Cette norme de rapidité vient entre autres du collectif de travail, c’est-à-dire des équipes d’employés de soins, puisque sans cette pression à la rapidité, c’est l’ensemble du collectif qui échouerait à effectuer les soins prioritaires. Pour faire face au

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manque de temps chronique dont dispose le personnel, une des stratégies consiste à établir une routine rigide où les soignants ne peuvent pas permettre de flexibilité aux résidents (Charpentier, 2007). Par exemple, les résidents peuvent être réveillés selon un horaire précis, sans que cela leur convienne (Diamond, 1986), ne pouvoir aller aux toilettes qu’un nombre de fois limité, et au moment où cela est planifié (Aubry, 2012) et recevoir les soins seulement lorsque le personnel est en mesure de les donner (Wiersma, 2010). De la même façon, si au cours de la journée les résidents font des demandes aux employés qui ne cadrent pas avec les routines, les employés peuvent refuser, car ils doivent exécuter d’autres tâches (Aubry et Coututier, 2014; Lidz et coll., 1992). Si un résident interpelle un employé pour de l’aide, on peut lui répondre qu’on n’a pas le temps, que ce n’est pas l’heure ou qu’il n’est pas seul (Loffeier, 2015). L’on note par conséquent une hiérarchisation des soins, où ce qui touche aux soins de l’ordre du « bed-and-body » (Gubrium, 1975) est mis de l’avant, et où l’on délaisse les soins psychosociaux (Henderson et Vesperi, 1995). Les journées des résidents deviennent alors centrées sur celles du personnel (McColgan, 2005) et l’attente constitue une composante centrale dans la vie des résidents (Gubrium, 1975). L’autonomie des résidents et leur capacité à décider pour eux-mêmes sont ainsi entravées (Lidz et coll., 1992) et ils peuvent se sentir frustrés que leurs demandes soient aussi souvent ignorées (McLean, 2007). Le personnel apparait alors comme faisant régulièrement face à des dilemmes concernant l’efficacité en opposition avec l’humanité des soins. Les employés de soins doivent quotidiennement choisir entre effectuer rapidement les tâches qui leur sont assignées et leur désir de prendre leur temps pour donner des soins individualisés et personnalisés (Kane et Caplan, 1990). Puisque « la rationalisation du temps n’autorise que marginalement les soignants à perfectionner leur action auprès des résidents » (Loffeier, 2015 : 52), cette situation rend difficile la création de liens significatifs entre le personnel et les résidents (Wiersma, 2010). Cela est d’autant plus critique pour les résidents qui ont du mal à s’exprimer et qui ne bénéficient pas de beaucoup de temps avec le personnel pour se faire comprendre, menant à ce que ce qu’ils demandent ne soit pas compris par le personnel (Aubry et Couturier, 2014). De plus, cette cadence rapide et répétitive imposée aux employés peut mener à de la lassitude, lassitude qui serait en cause pour expliquer le manque de patience, l’impolitesse ou l’indifférence face au bien-être des résidents (Loffeier, 2015). Dans cette lignée, on peut percevoir une certaine maltraitance en centre d’hébergement. Comme

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l’écrit la chercheuse française Isabelle Mallon, « le manque chronique de personnel conduit en effet à perpétuer les traitements collectivistes, voire déshumanisants, des anciens hospices, alignant les maisons pauvrement dotées en personnel sur des fonctionnements de type bureaucratique, proches de l’institution totale » (2004 : 260). En ce sens, en priorisant la charge de travail au détriment des individus, les résidents ne sont plus vus comme des sujets ayant des besoins, mais comme des objets sur lesquels on performe des tâches (Aubry, 2012). L’homogénéisation des soins empêche également les résidents de recevoir des soins personnalisés de la part du personnel, même si celui-ci apprend à les connaitre au fil du temps et qu’il aurait les connaissances nécessaires pour adapter les soins des résidents à leurs préférences (DeForge et coll., 2010). Le personnel devient par conséquent réfractaire à adapter les soins, puisqu’il est débordé (McLean, 2007; Naess et coll., 2016). Face à cette culture institutionnelle entourant les routines (Harnett, 2010), les résidents doivent s’adapter : « It became evident through some of the residents' comments that adherence to the routine was very important for staff, even more important than residents' wishes or requests. Gradually the residents learned to “fit” into the routines and what was expected of them » (Wiersma et Dupuis, 2010 : 284).

Ainsi, comme le formule Athena McLean, auteure américaine, les établissements d’hébergement reflètent la société dans laquelle ils prennent place : « it is thus a product of the social, political, and economic system » (2007 : 61). Le manque de temps doit être compris par rapport aux ressources qui sont allouées aux établissements par les gouvernements et qui s’avèrent insuffisantes pour offrir un milieu de vie agréable aux résidents. Il en résulte que l’on cherche à maximiser la prestation de soins, au détriment des résidents et de ce qu’ils souhaitent (Aubry et Couturier, 2014).

Aspect spatial

Le second aspect concernant l’organisation des centres d’hébergement est l’aspect spatial. Comme cela a été discuté précédemment, l’arrivée en centre d’hébergement nécessite pour les résidents de laisser derrière eux leur chez-soi, l’intimité qu’ils pouvaient avoir dans ces lieux et le contrôle de leurs déplacements. La vie en centre d’hébergement s’avère très différente de ce qu’ils ont pu connaitre. Charpentier mentionne qu’: « il apparait évident que les personnes âgées qui vivent en milieu d’hébergement se sentent, à des degrés divers,

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dépossédées de leur intimité, de leur autonomie et du contrôle de leur quotidien. Certaines disent même avoir le sentiment de vivre dans un hôpital ou dans une prison » (2007 : 90). En centre d’hébergement, il est difficile pour les résidents de contrôler leur espace personnel étant donné que la plupart des lieux où se déroulent les activités sont communs. Les chambres des résidents deviennent très importantes, puisqu’elles sont « the last frontier of privacy » (Kane et Caplan, 1990 : 93). C’est à cet endroit que les résidents peuvent garder leurs effets personnels et les objets significatifs qu’ils possèdent, ainsi qu’établir un espace personnel. D’ailleurs, avec le monde des résidents qui rétrécit, les chambres en viennent à signifier beaucoup (Kane et Caplan, 1990). Les chambres deviennent également l’endroit où les résidents peuvent se retrancher des autres résidents (Lidz et coll., 1992) et où ils peuvent se construire un monde, déployer leur identité et protéger leur intimité (Mallon, 2004).

Dans son étude écossaise, Gillian McColgan (2005) note que les déplacements des résidents sont limités. D’une part, puisque certains résidents sont jugés trop confus ou à risque de fugue, ils sont souvent restreints à leur unité. D’autre part, les résidents ont fréquemment des limitations physiques qui les rendent dépendants du personnel pour se déplacer. Or, si un employé refuse de les aider, notamment à cause de son manque de temps, les résidents ne peuvent se rendre où ils le souhaitent, étant confinés là où ils se trouvent (Aubry et Couturier, 2014).

Ainsi, cette difficulté à décider de son espace et de ses déplacements limite le sentiment de bien-être des résidents et leur autonomie (Henderson et Vesperi, 1995).

Contrôle de l’institution

Selon le sociologue norvégien Anders Naess et ses collaborateurs (2016), prendre soin d’une personne âgée, c’est respecter son autonomie tout en s’assurant de son bien-être. Deux dangers guettent alors le soignant. D’une part, il peut trop miser sur l’autonomie et la responsabilité de l’individu, de sorte que les soins fournis peinent à répondre aux besoins de celui-ci. D’autre part, prendre en charge de façon trop complète les individus mène à du paternalisme. Le personnel des centres d’hébergement doit trouver le juste milieu entre ces deux extrêmes. Or, comme il en a été question dans les sections sur le temps et l’espace, le contrôle de l’institution semble être un trait prépondérant dans la vie des résidents, ce qui

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empêcherait ces derniers de prendre en charge leur existence (Lidz et coll., 1992). Ce contrôle s’observe plus particulièrement en ce qui a trait à la sécurité des résidents et à leur intimité. Le contrôle des résidents touche d’abord à l’aspect sécuritaire. Pour McLean, « Bio-power has targeted institutions as much as it has the persons within them. Nursing homes, for example, are subject to legal regulations demanding that they protect their residents. Such laws encourage institutional personnel to adopt paternalizing practices that impose protection at the cost of freedom » (2007 : 111). Afin de s’assurer que les résidents soient en sécurité, de nombreuses mesures sont mises en place, mais qui ont comme conséquence une diminution de la liberté des résidents (Lidz et coll., 1992) et des pratiques paternalistes (Kane et Caplan, 1990). Dans ces limitations, l’on peut noter l’interdiction d’ouvrir les fenêtres pour éviter que des insectes entrent dans l’édifice (DeForge, 2010) ou interdire à un résident de marcher pour éviter qu’il ne tombe (Wiersma, 2010). Or, ces quelques exemples montrent l’absence de contrôle sur leur vie qui caractérise fréquemment les résidents en centre d’hébergement. En misant sur ce que les résidents ne sont pas en mesure de faire, comme en leur interdisant de marcher, on en vient à oublier que les résidents sont des sujets et à ne les traiter que comme des objets. Il devient alors difficile pour eux de maintenir leur identité (Charpentier, 2007). De plus, cette gestion du risque laisse croire aux résidents que leur corps est fragile et vieux, et qu’il doit être protégé à tout prix, au risque de ne pas maintenir leur indépendance et la possibilité de fixer eux-mêmes leurs limites (Wiersma et Dupuis, 2010). Ce sont donc les normes de sécurité du personnel qui prévalent sur celles des résidents, menant à ce qu’ils se sentent trop protégés et surveillés comme des enfants (Graneheim et Jansson, 2006).

Le contrôle des résidents concerne également l’intimité des résidents et l’accès au corps. Wiersma note : « Any privacy or reservations that residents had about their bodies was compromised. Staff had to touch residents in the most intimate places during care, and residents had to adjust to their bodies becoming, in effect, public property » (2010 : 430). Les résidents peuvent ainsi se faire toucher sans précaution et se faire rudoyer un peu lors de ces contacts. Selon Mallon (2004), par la surveillance de la santé et le respect des règles d’hygiène, on pénètre dans la vie personnelle des résidents et l’on peut ainsi déroger au respect de leur intimité et de leur personnalité. Pour l’Américain Charles Lidz et ses collaborateurs (1992), trois facteurs contribuent au fait que l’on ne prend pas en compte le

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désir d’intimité des résidents. Dans un premier temps, le modèle médical, dont s’inspirent les centres d’hébergement, teinte les routines que l’on y retrouve. Dans un second temps, le personnel juge acceptable la perte de vie privée des résidents lorsque des raisons sanitaires sont en jeu ou lorsque cela permet d’avoir de bonnes relations avec les proches du résident. Dans un dernier temps, puisque de nombreux résidents n’ont plus toutes leurs capacités cognitives, le personnel se sent confortable de ne pas prendre en compte l’intimité de ceux-ci. En d’autres mots, contrairement aux autres individus dans une société, les résidents ont sensiblement moins l’occasion de voir leur intimité et leur vie privée respectées.

Il semble alors que la jonction entre une culture de surveillance et une absence de prise en compte de l’intimité des résidents vise à ce que les résidents deviennent des corps dociles et se fondent dans les structures de l’institution. Le contrôle des mouvements, des activités et la surveillance constitueraient des techniques pour créer ces corps dociles et qu’ils deviennent une propriété des centres d’hébergement (Wiersma et Dupuis, 2010). On attend des résidents qu’ils « homogenize their individual traits and eccentricities to a remarkable extent in order to fit into a bureaucratically defined behavioral norm » (Kane et Caplan, 1990 : 23). Or, les résidents qui ne semblent pas se conformer aux comportements attendus peuvent en subir les conséquences. Wiersma (2010) indique ainsi que les résidents peuvent se faire étiqueter comme difficiles ou agressifs, et se faire prescrire une médication qui les rendrait plus faciles à gérer. La force peut aussi être utilisée comme solution lorsqu’un résident ne se conforme pas (Lidz et coll., 1992).

En conclusion, il appert que les centres d’hébergement, par les diverses contraintes qui mènent leur personnel à agir de la sorte, imposent un contrôle omniprésent aux résidents. La tradition asilaire et hospitalière reste ainsi très présente dans ces milieux (Aubry et Couturier, 2014), ce qui est intéressant d’étudier un peu plus en détail sous l’angle des institutions totales.

Les centres d’hébergement comme institutions totales

Le concept d’institution totale a été développé par Erving Goffman à la suite d’une série d’observations dans un hôpital psychiatrique. Il définit l’institution totale comme « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans une même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie

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recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » (1968 : 41). Plusieurs caractéristiques des institutions totales sont énoncées, comme le fait d’appliquer un traitement collectif aux individus, que les rapports avec le monde extérieur sont limités et que les différentes sphères de la vie d’un individu sont toutes prises en charge au même endroit. Goffman identifie différents types d’institutions totales, dont « les organismes qui se proposent de prendre en charge les personnes jugées à la fois incapables de subvenir à leurs besoins et inoffensives : foyers pour aveugles, vieillards, orphelins et indigents » (1968 : 46). Les hospices pour ainés sont ainsi considérés par Goffman comme des institutions totales. Depuis la parution de l’ouvrage de Goffman, les chercheurs se penchant sur les centres d’hébergement ont souvent fait référence à son concept d’institution totale, pour d’un côté faire des rapprochements entre ce type d’institution et les centres d’hébergement modernes, ou bien pour nuancer cette propension à voir les établissements où l’on accueille les ainés comme des institutions totales. Pour les Canadiennes Wiersma et Dupuis (2010), les centres d’hébergement constituent un des exemples les plus frappants d’institutions totales à avoir été documenté de façon étendue. Dans cette lignée, Kane et Caplan (1990), aux États-Unis, considèrent que les centres d’hébergement font partie des institutions totales par le manque de frontières entre les différentes sphères de l’existence, puisque tous les aspects de la vie d’un individu en centre d’hébergement ont lieu au même endroit et sous la même autorité. Ils avancent aussi l’idée que les résidents reçoivent tous un traitement similaire et que les activités qui prennent place visent à répondre aux buts de l’institution. Iris Loffeier (2015), qui s’intéresse aux centres d’hébergement français, partage ce point de vue en soulignant elle aussi le traitement collectif qui est imposé aux résidents. Dans la même veine, l’Américaine Debora A. Paterniti (2003) note que les centres d’hébergement homogénéisent la vie des résidents sans égard à leur biographie, et où ils ne deviennent que des sujets unidimensionnels. L’identité des résidents se dissout alors dans une identité institutionnelle. Elle soulève également les lignes de démarcation qui se créent entre l’intérieur et l’extérieur, où la vie des résidents ne se déroule guère plus en dehors de l’institution. Mallon (2004), pour sa part, nuance en indiquant qu’avec le temps, les centres d’hébergement français sont devenus davantage des institutions d’accompagnement que des lieux de contrôle. Il y aurait dès lors moins de disciplines strictes, et davantage un cadre de vie. Malgré tout, elle reconnait que l’institution totale n’est pas totalement disparue, et ce, par le traitement bureaucratique

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des humains, par la communication des résidents qui est réduite et par l’emploi du temps des résidents qui leur est imposé.

Il appert donc que les centres d’hébergement ont fréquemment été perçus comme des institutions totales par le contrôle qui est exercé sur les résidents, permettant aux chercheurs qui y font référence de mettre à jour les structures qui favorisent ce contrôle. Une des manifestations de ce contrôle s’incarne d’ailleurs dans les relations entre le personnel et les résidents.

1.3.3 Les relations au sein des centres d’hébergement

Comme on vient de le voir, les règles organisationnelles entrent en contradiction avec l’univers connu et attendu des résidents, ce qui fait en sorte que les désirs des résidents sont peu pris en compte. Or, cette mise à l’écart des souhaits des résidents se déroule également dans les interactions qui prennent place en centre d’hébergement. Comme le soulignent Martine Lagacé et ses collaborateurs, un centre d’hébergement n’est pas qu’un endroit où l’on donne des soins, c’est aussi « un lieu de vie où s’organisent l’espace, les relations sociales et dans lequel se positionnent ceux et celles qui y résident comme ceux et celles qui prennent soin de ces derniers » (2011 : 193). Il faut alors porter attention aux croyances et aux comportements des employés et des autres résidents qui peuvent avoir de grandes répercutions sur la vie des résidents.

Les relations entre résidents et employés

Comme Charpentier (2007) le présente dans son ouvrage, pour les résidents, les relations avec le personnel sont très importantes. De ce fait, les résidents ayant toutes leurs facultés cognitives tentent d’avoir de bonnes relations avec le personnel en étant courtois et en ne faisant pas trop de demandes. Ils reconnaissent les difficultés d’occuper cet emploi et ils remercient les employés pour les soins qu’ils reçoivent, en souhaitant que ceux-ci soient faits dans le respect. De belles relations significatives peuvent ainsi prendre place entre le personnel et les résidents : « La plupart des personnes rencontrées disent maintenir de bons rapports avec le personnel, développant même parfois des liens privilégiés ou des amitiés. Le travail accompli par les préposés, particulièrement auprès des résidents qui présentent des pertes cognitives, suscite beaucoup d’admiration » (Charpentier, 2007 : 94).

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Or, ces relations interpersonnelles sont fortement influencées par les contraintes du milieu, comme le manque de personnel ou de temps. Même si les résidents souhaiteraient avoir davantage de rapports avec le personnel, ils comprennent souvent que cela n’est pas possible (Graneheim et Jansson, 2006). Les contraintes organisationnelles rendent également difficile l’établissement de relations satisfaisantes, et il arrive que les résidents soient traités de façon impersonnelle, qu’ils soient rudoyés ou infantilisés, ce qui les mène dans des situations de détresse psychologique (Kane et Caplan, 1990). Le personnel peut aussi en venir à percevoir les résidents souhaitant passer « trop » de temps avec les employés comme des personnes causant des problèmes en ralentissant l’exécution des tâches (Paterniti, 2003). En ce sens, le personnel apparait comme celui qui définit les relations qu’il entretient avec les résidents, et ce, dans une tension entre une attitude attentionnée et une attitude orientée vers le travail. Les relations sont aussi hiérarchiques puisque les résidents doivent se conformer à ce que le personnel leur dit. Les résidents sentent alors que le personnel n’est là que pour prendre soin de leur corps et non s’intéresser à leur adaptation. Il est également important de comprendre que les résidents sont perçus par leur rôle de patient, tout comme les employés ne sont pas vus par les résidents comme des individus, mais comme des membres du personnel. En ce sens, les interactions quotidiennes qui ont lieu consistent surtout en des demandes venant des résidents, et les réponses qui sont offertes par le personnel (Lidz et coll., 1992).

Dans les travaux de McLean (2007), l’on insiste sur le fait que la façon dont les soignants perçoivent ce qu’est une personne influence la manière dont ils agiront et réagiront aux comportements d’un individu. Si l’on considère que pour être une personne, l’on doit avoir toutes ses facultés cognitives, les résidents qui manifestent des atteintes cognitives seront vus comme des corps n’abritant plus de personnalité. On les percevra également comme incapables de porter des jugements, et leurs comportements ne seront vus que par le prisme de la maladie sans qu’ils portent un sens (Dupuis et coll., 2012). Les traits de caractère des résidents sont aussi souvent réduits à des comportements irrespectueux ou à leurs troubles cognitifs, ce qui limite le pouvoir que peuvent revendiquer les résidents (Gubrium, 1975; Kane et Caplan, 1990). Le personnel tente alors de trouver des stratégies pour rediriger ou distraire les résidents sans égard à ce que ces derniers pouvaient tenter de communiquer (Dupuis et coll., 2012). D’ailleurs, cette distinction entre résidents alertes et confus teinte les soins qui sont donnés. Si l’on compare les interactions entre le personnel et les résidents

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cognitivement intacts ou non, on se rend compte que le niveau de troubles cognitifs est un bon indicateur pour voir si l’on répondra ou non aux demandes des résidents, puisque les résidents confus voient leurs demandes moins souvent répondues, et lorsqu’elles le sont, il y a un délai plus long (Lidz et coll., 1992). De plus, il arrive que le personnel « viole les limites subjectivement fixées de l’intimité des personnes âgées » (Mallon, 2004 : 151), en pénétrant dans des domaines réservés et en outrepassant ses fonctions. Concrètement, cela peut s’observer lorsque le personnel entre en interaction avec un résident sans trouver judicieux de se présenter et d’indiquer ce qu’il fera, laissant croire qu’il ne voit pas le résident devant lui comme une personne entière (McColgan, 2005).

Comme le souligne Jeanie Schmit Kayser-Jones (1981), qui a travaillé sur les centres d’hébergement américains et écossais, l’infantilisation, la dépersonnalisation et la déshumanisation constituent des problèmes importants dans les centres d’hébergement. Ces éléments ont été mentionnés à quelques reprises, mais il est important de s’y attarder plus en profondeur. L’infantilisation prend place lorsque les résidents sont traités comme des enfants, notamment lorsqu’on les chicane ou qu’on leur parle de façon familière. Cela est nocif pour les résidents, puisque leur estime de soi et leur dignité sont touchées et que cela contribue à l’apparition de comportements régressifs et à une augmentation de la dépendance. Selon une étude menée par Lagacé et ses collaborateurs (2011), l’infantilisation se manifeste dans la communication quotidienne. Lorsqu’il est question de l’adaptation d’un résident à son nouveau milieu de vie, l’on considère que la communication avec les soignants est primordiale, puisqu’elle peut offrir un soutien social. Or, cette communication, pour favoriser le bien-être des résidents, doit être un échange symétrique et réciproque, et ne pas être basée sur des stéréotypes liés à l’âge. Lorsque les résidents étaient questionnés sur les communications quotidiennes qui prennent place entre eux et les soignants, ils manifestaient de la déception, voire une insatisfaction face à ces interactions. Un des aspects soulevés par les résidents concerne la présence d’une communication infantilisante, qu’ils jugent offensante étant donné les responsabilités qu’ils ont pu avoir au cours de leur vie. Le personnel, en utilisant ce type de vocabulaire, ne reconnait pas les rôles importants qu’une personne a eus, laissant penser qu’on ne voit qu’un patient et non un individu complet. Par ailleurs, il n’est pas rare que les résidents ayant des problèmes cognitifs soient carrément perçus par le personnel comme des enfants (Henry, 1963) et que le personnel tende à juger

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