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Chapitre 6 Face aux résistances : perceptions, explications et réactions

6.1 Perception des résistances

6.1.2 Jugement sur les résistances

Comme on vient de le constater, en donnant des exemples de résistance, les répondants laissent entrevoir une vision négative de ces comportements. Effectivement, en continuant la conversation sur les résistances, elles apparaissent aux yeux des répondants comme des comportements perturbateurs, désagréables et peu souhaitables, mais, chez certains répondants, cela peut être justifiable en regard du contexte.

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Chez une bénévole, les résistances sont appréhendées comme ceci : « Comme tout le monde, les résidents ont leurs petits caprices, ils veulent ça tout de suite » (Françoise). En utilisant l’expression « comme tout le monde », la bénévole laisse entendre que les résistances des résidents s’apparentent à ce que la plupart des individus expérimentent dans leur vie. En ce sens, cette bénévole ne considère pas que les résistances des résidents sont spécifiques à leur milieu de vie, mais seraient une manifestation universelle lorsque l’on veut obtenir quelque chose et que l’on doit attendre. Elle qualifie également ces comportements de « caprices », comme s’il s’agissait de demandes irréfléchies ou extravagantes. Cela dénote une vision assez négative des résistances. Par ailleurs, elle souligne que ce type de comportements est plus fréquent chez certains résidents : « c’est souvent les mêmes personnes! [rires] Non, je ne l’ai pas observé souvent, mais ça arrive. Il y a deux ou trois personnes qui, facilement, se rebutent, critiquent, mais je pense que c’est dans leur caractère ». Encore là, on voit que les résistances ne sont pas vues comme légitimes, étant davantage perçues comme des réactions injustifiées et témoignant d’un caractère moins agréable.

Dans cet ordre d’idées, lorsque j’ai questionné cette bénévole sur les potentielles résistances de son oncle qui était hébergé à Sainte-Marie, elle a indiqué que ce dernier ne résistait pas vraiment. Elle a néanmoins souligné que vers la fin de la vie de son oncle, celui-ci ne supportait plus de se faire raser à cause de la douleur que cela lui procurait. À la suite de cela, la bénévole a tenu à préciser que son oncle n’en était pas pour autant un résident difficile : « mais il n’a jamais été… Tout ce qu’on dit [à son étage], t’sais, “Il est tellement fin! Il est tellement gentil. Il est tellement toujours de bonne humeur”. Donc, il n’appelait pas non plus à un comportement un peu plus sévère de la part du personnel ». En ce sens, Françoise justifie le comportement de son oncle, qu’elle n’identifie pas vraiment comme une résistance, en mentionnant la raison spécifique et acceptable pour laquelle il résistait – la douleur – et elle précise que son oncle était tout de même un bon résident selon le personnel de son étage. De cette répondante, l’on retient donc que les résistances des résidents, de façon générale, sont assimilables à des comportements observables chez la plupart des individus, mais qu’elles demeurent néanmoins critiquables, car perçues comme des caprices, et que ceux qui les perpètrent sont vus comme ayant mauvais caractère. L’on note toutefois que quand la personne qui résiste est un proche, il est plus facile d’expliquer et de légitimer la résistance.

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Un peu comme Françoise avec son oncle, Paul, lorsque questionné sur les résistances, s’empresse de dire que sa femme n’a pas ce type de comportement, mais qu’il en observe néanmoins chez les autres résidents : « il y en a deux, trois qui sont entre guillemets “détestables”. Des fois, tu vas les faire asseoir, tu vas leur dire qu’on va marcher, ils réagissent là » (Paul). Encore une fois, l’on parle des résistances en termes de comportements inadéquats, et l’on juge négativement les résidents qui les manifestent, notamment en en parlant comme des individus « détestables ».

Une employée, à l’instar de Françoise la bénévole, considère que les résistances observées chez les résidents le sont aussi chez la majorité des individus : « C’est des choses qui arrivent. L’humain va toujours essayer de trouver des solutions, des fois, ce n’est pas les bonnes » (Matilde). Cette citation laisse croire que les résistances des résidents feraient partie d’une stratégie générale chez l’être humain pour s’adapter à une situation qui n’est pas optimale, mais que cette stratégie n’en serait pas pour autant légitime, et qu’il faut y réagir : « Mais t’sais, il y a des choses qu’on doit mettre des limites des fois ». Ainsi, bien que les résistances puissent être justifiables, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de comportements à contrôler, puisqu’ils déstabilisent l’ordre établi.

À l’opposé, Jocelyne, une employée, tente de comprendre les comportements résistants des résidents en se mettant à leur place. Ainsi, elle identifie des pistes d’explication qui pourraient avoir du sens, notamment le sentiment de se faire agresser parce que l’on est confus. Les résistances pourraient alors être excusables étant donné l’état dans lequel les résidents se trouvent. Une bénévole semble aussi comprendre les résidents lorsqu’ils résistent à leurs conditions de vie en se plaignant :

C’est normal qu’à l’occasion ils se plaignent un petit peu. C’est normal. Ils ne sont pas méchants parce qu’ils chialent. Écoute, ils ont juste ça à faire attendre, t’sais. Ce n’est pas facile. Je viens ici une journée puis j’arrive à la maison « Ouf ». T’sais, je relaxe après ça. Ici, ils sont toujours dans le milieu, dans le même milieu. Même dans leurs chambres, avec les portes ouvertes, ils peuvent savoir ce qui se passe ailleurs. Il faut essayer de les comprendre (Gisèle).

Ainsi, en tentant de se mettre à la place des résidents, la bénévole souligne les désagréments vécus par les résidents, et qui pourraient justifier leurs plaintes. D’ailleurs, elle mentionne qu’elle-même aurait de la difficulté à ne pas pouvoir quitter ce milieu et à toujours être en présence de nombreuses personnes.

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Finalement, les résidents peuvent eux-mêmes percevoir les résistances comme des actes plus ou moins justifiables et potentiellement conflictuels. Mme Casavant mentionne sa réaction face à une employée qui s’adressait à elle sèchement : « Mais j’ai été effrontée. J’ai dit “Vous ne pourriez pas me parler plus tranquillement un peu?” ». On voit alors que pour la résidente, son comportement pour amener l’employée à la traiter plus gentiment n’était pas nécessairement adapté à la situation, car elle se juge effrontée d’avoir tenu de tels propos. Dans la même veine, il peut être difficile pour les résidents de résister. Ils peuvent avoir peur des représailles, d’être vus comme difficiles ou simplement être trop gênés pour s’exprimer. Mme Saint-Maurice mentionne parfois être en désaccord avec le déroulement des choses, mais qu’elle ne parle pas parce qu’elle est gênée, et qu’elle préfère respecter les règles. En référence à un événement précis, elle confie : « J’aimais mieux ne pas parler. Mais je n’étais pas d’accord, mais je n’ai pas parlé. J’aimais mieux ne pas dire mon opinion ». Cette vision est partagée par Mme Laframboise qui est réticente à exprimer officiellement son désaccord par une plainte formelle : « faut-tu passer par des plaintes pour être capable d’avoir du service? Moi, je ne suis pas de même. J’aime mieux faire mes affaires toute seule… T’sais, commencer à porter des plaintes pour ci, pis ça. Non ». Pour cette résidente, porter plainte n’apparait pas comme une avenue souhaitable. Sans qu’elle en précise les raisons, l’on peut supposer qu’elle ne veut pas être étiquetée comme une résidente difficile, et que revendiquer clairement ce qu’elle veut ne fait pas partie des comportements qu’elle adopte.

Cette section sur les perceptions des résistances montre que les répondants sont en mesure d’identifier certaines résistances des résidents, mais qu’elles sont abordées uniquement dans leur aspect perturbateur. Les résistances sont vues comme des comportements peu souhaitables, étant apparentées à des caprices ou à ce que des personnes « difficiles » ou « détestables » peuvent faire. Cela transgresse les normes informelles, comme la politesse ou la reconnaissance du travail d’autrui, ainsi que les normes formelles comme les règles que l’on retrouve en centre d’hébergement. Des répondantes nuancent le tableau en indiquant pouvoir comprendre ces comportements résistants, voire pouvoir les justifier en regard du contexte, mais aucune des personnes rencontrées n’appréhende les résistances comme un moyen légitime, dans le contexte rigide des centres d’hébergement, de modifier une situation jugée inacceptable par les résidents. Cette absence de point de vue positif sur les résistances mérite d’être mise en exergue étant donné que cela éclaire les attentes que l’on a envers les

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résidents, soit qu’ils se conforment aux règles et au fonctionnement du centre d’hébergement, même si ces façons de faire ne concordent pas toujours avec leur bien-être ou ce qu’ils souhaitent.