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Chapitre 2 Résistances : définition et manière de les appréhender

2.3 L’approche des parcours de vie

L’approche des parcours de vie constitue un angle intéressant pour appréhender les résistances en centre d’hébergement. Cette approche sera décrite dans un premier temps, puis dans un second temps il sera question de sa pertinence pour ma recherche.

2.3.1 Caractéristiques de l’approche

L’approche des parcours de vie vise à prendre en compte les différentes dimensions de la vie sociale et à « comprendre les liens entre les trajectoires sociales, le développement individuel et les contextes sociohistoriques » (Gherghel, 2013 : 7). L’unité de base est le temps. Puisque ce dernier est dynamique, « l’analyse porte nécessairement sur les transformations et le processus de continuité et de discontinuité qui caractérisent les vies » (Gaudet, 2013 : 16). Quatre principes peuvent être énoncés lorsqu’il est question de l’approche des parcours de vie : 1) la vie se déroule dans des milieux socialement construits; 2) la vie se déroule dans le temps; 3) les vies sont interreliées et 4) les vies sont faites de multiples aspects intégrés (Fleury, 2013).

Le premier principe de l’approche des parcours de vie concerne le fait que les vies se déroulent dans des milieux socialement construits. Cela signifie que le parcours d’un individu doit être compris selon son imbrication dans une époque, dans un milieu géographique et dans une société, puisque cela influence les décisions qui seront prises par l’individu (Gherghel, 2015). Le second principe énonce que les vies sont interreliées. Les individus se trouvent être intégrés dans des réseaux de relations, et ainsi « les actions d’une personne

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entrainent des conséquences pour les autres appartenant à son milieu » (Gherghel, 2015 : 46). Il faut alors porter attention à l’influence des vies des autres sur le parcours d’un individu en particulier. Le troisième principe réfère au fait que les vies se déroulent dans le temps. Cela renvoie à l’idée « qu’une période de la vie ne peut pas être comprise sans prendre en considération les expériences passées » (Gherghel, 2015 : 34), et que les actions que perpètrent les individus doivent être analysées selon les idées et croyances de leur vie passée (Fleury, 2013). Les expériences qui ont lieu au cours du parcours d’un individu auront alors un effet sur les transitions et les choix futurs (Silver, 2016). Le quatrième principe renvoie à l’idée que la vie est faite de multiples aspects intégrés. Selon ce principe, le parcours d’un individu est composé de plusieurs trajectoires (professionnelle, familiale, conjugale…) qui s’influencent les unes les autres. Les individus sont par ailleurs invités à occuper différents rôles et identités sociales au sein de ces sphères diverses, et c’est ce qui constitue leur parcours biographique (Hélardot, 2006).

Bien que l’agentivité ne constitue pas un principe distinct de l’approche des parcours de vie, elle traverse chacun des principes et une grande importance lui est accordée. Les auteurs qui s’y réfèrent considèrent que « les individus ont la capacité de construire leur parcours de vie par leurs choix et actions en fonction des opportunités offertes et des contraintes imposées par les circonstances historiques et sociales » (Gherghel, 2015 : 36). En ce sens, « les individus ne subissent pas de façon passive les influences sociales et les contraintes structurelles, mais ils ont la capacité de créer du sens et de donner de nouvelles significations aux normes et aux institutions sociales » (Gherghel, 2015 : 36). Dit autrement, les individus peuvent user de leur capacité d’agir pour faire des choix, comme s’adapter ou résister à un contexte (Silver, 2016).

2.3.2 Utilité de l’approche pour saisir les résistances

Plusieurs éléments concourent à ce que l’approche des parcours de vie apparaisse comme utile pour étudier les résistances. D’une part, l’agentivité y est centrale, ce qui fait écho à la définition de résistance qui mise sur la capacité d’agir face à des contextes insatisfaisants. D’autre part, chacun des principes de l’approche qui a été énoncé renvoie à des éléments préalablement abordés concernant les résistances. Un bref retour sur ceux-ci permettra de saisir la pertinence de cette approche pour l’étude des résistances.

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D’abord, il est intéressant de se rappeler que les résistances se développent dans des lieux spécifiques qui existent dans un contexte social précis, puisque les centres d’hébergement tels qu’ils apparaissent de nos jours ont été façonnés par des choix politiques et sociaux qui influencent la façon dont s’organisent la vie et les soins en leur sein. En effet, la vieillesse actuelle est davantage prise en charge par des institutions hors de la famille et qui sont étrangères à l’histoire des résidents. Par conséquent, certains résidents manifestent de la résistance à évoluer dans ces lieux socialement construits. C’est dans cette lignée que McColgan (2005) présentait les résistances face au fait d’habiter en centre d’hébergement, puisque cela ne constitue pas des lieux significatifs pour les résidents qui ne s’y identifient pas. Ensuite, les centres d’hébergement sont des endroits où de nombreux individus évoluent, pour y habiter ou y travailler. En conséquence, les résidents se retrouvent à prendre part à un réseau de relations qui peut influencer leur parcours en centre d’hébergement. Les résidents peuvent ainsi résister concernant les rapports entretenus avec les autres résidents (en s’isolant dans leur chambre pour éviter les contacts) ou par rapport aux relations avec le personnel et la manière de dispenser les soins (Mallon, 2004). Le parcours des résidents apparait également incontournable pour comprendre leur vie en centre d’hébergement et les actions qu’ils y posent en regard de leur identité. Comme Elder (1995) le souligne, pour comprendre les dernières années de vie d’une personne qui vieillit, il faut connaitre sa trajectoire de vie, et l’histoire des rôles tenus offre des pistes de compréhension pour les adaptations qui ont eu lieu subséquemment. Les résistances pour maintenir son identité ou ses habitudes doivent en ce sens être appréhendées en lien avec ce que la personne a été et souhaite toujours être, ce qui s’est développé au cours de la vie de l’individu. Finalement, l’idée selon laquelle le parcours des individus est composé de multiples trajectoires et sphères de vie met en lumière les résistances des résidents par rapport à la limitation de leur identité, puisqu’ils ne veulent pas seulement être vus comme des patients ou des individus dépendants (Mallon, 2004). Outre ces quatre principes, l’approche des parcours de vie apparait pertinente pour la présente recherche par son recours au concept des points tournants. Ceux-ci « représentent des événements, des transitions ou des contextes qui déclenchent un changement considéré comme substantiel dans le cheminement individuel » (Gherghel, 2015 : 20). Ainsi, le concept de point tournant permet de prendre en compte l’entrée en centre d’hébergement et les conséquences que cela engendre. De cette façon, il est possible d’étudier les liens entre

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l’adaptation qui suit le point tournant de l’arrivée en centre d’hébergement avec de potentielles manifestations de résistance chez les résidents.

Ainsi, le recours à l’approche des parcours de vie se révèle pertinent étant donné l’angle nouveau que cela permet de jeter sur l’enjeu des résistances, c’est-à-dire lier le parcours individuel des résidents et leur identité avec la façon dont ils agissent et réagissent en centre d’hébergement. Cela permet aussi de mettre en lumière la façon dont l’organisation des centres d’hébergement influence la vie que peuvent mener les résidents, puisque cette approche invite à prendre en compte le contexte (spatial, temporel, etc.). L’on se rend alors compte que les résistances sont à comprendre par rapport aux expériences vécues préalablement dans les parcours des résidents où ils étaient des individus reconnus autonomes, mais également au contexte dans lequel ils vivent dorénavant.