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Chapitre 2 Résistances : définition et manière de les appréhender

2.2 Les résistances des résidents en centre d’hébergement

2.2.2 Objets et stratégies de résistances

Les auteurs s’étant penchés sur les résistances ont cherché à les regrouper sous différents objets ou différentes stratégies. Il est donc possible de présenter certaines catégories de résistance qui ont fait l’objet d’une attention particulière chez ces auteurs.

Résistance à sa présence en institution

La première grande catégorie réfère aux résistances concernant sa présence en centre d’hébergement, soit les tentatives de fuite et le refus de s’identifier comme en faisant partie.

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Pour McColgan, les stratégies de résistance les plus visibles sont celles où des actions physiques sont impliquées, dont les tentatives pour quitter l’édifice. L’auteure note que pour les résidents, quitter les lieux « appeared to signify liberation from everyday life as it had become with an ageing body, with dementia, and in a place devoid of choice and privacy » (2005 : 420). Les résidents peuvent essayer de se glisser par la porte ou questionner les visiteurs sur les moyens de sortir. Cottet et Marion (2011) soulignent également les efforts mis en œuvre par de nombreux résidents pour quitter leur centre d’hébergement. Elles prennent l’exemple d’un résident qui passe ses journées à planifier son départ, en appelant notamment un taxi et en tentant de convaincre ses filles qu’un retour au domicile est envisageable. Il faut néanmoins préciser que la volonté de fuite ne nécessite pas toujours de quitter physiquement les lieux. Pour Mallon (2004), cela peut se dérouler dans l’imaginaire des résidents, qui se réfugient dans leur tête en repensant à leur passé. Ainsi, ils oublient leur présent insatisfaisant en se référant à des périodes plus heureuses de leur vie.

Une autre forme de ce refus de l’institution consiste à résister à son appartenance à un centre d’hébergement. Les résidents peuvent faire des commentaires où il apparait clair qu’ils ne souhaitent pas habiter dans ces lieux et y être associés. Les résidents manifestent aussi leur opposition à habiter en centre d’hébergement en mentionnant que ceux-ci n’ont aucune histoire pour eux, notamment parce qu’ils n’y retrouvent pas les objets familiers qui peuplaient leur domicile (McColgan, 2004). Il est possible que ce refus prenne toute la place chez les résidents atteints de troubles cognitifs, qui nient totalement leur environnement en affirmant continuer à habiter leur ancienne maison (Cottet et Marion, 2011).

Une dernière forme de résistance à sa présence en institution concerne les relations qui sont entretenues avec les autres résidents. Puisque les résidents alertes cherchent à se distancier de ceux qui ne le sont pas, ils mettent en œuvre des efforts pour éviter d’être en contact avec les personnes désorientées, notamment en évitant les espaces collectifs et en restant dans leur chambre. Les résidents peuvent par exemple faire semblant d’être malades pour manger dans leur chambre et éviter les lieux communs (Mallon, 2004).

40 Maintenir son identité

Comme il en a été question, l’arrivée en centre d’hébergement et la vie en son sein mettent à rude épreuve le maintien de l’identité des résidents. Or, les résidents tentent de maintenir leur identité en résistant à son effacement, et ce, de diverses façons.

Sans utiliser le terme de résistance, Paterniti souligne les efforts faits par les résidents pour maintenir leur identité contre les efforts de l’institution pour les homogénéiser. Elle souligne : « Residents brought identity claims of their own to nursing home life. They weren’t simply mouthpieces for bed-and-body identities, as the concept of total institution might suggest. Instead, residents framed what they were on their own terms, different from accounts of their actions conveyed by the staff » (2003 : 67). Paterniti présente quelques cas de résidents qui mettent de l’avant leur identité. Dans un premier temps, on parle d’une résidente qui aime raconter des histoires. Or, si le personnel ne l’écoute pas et tente de la presser, notamment lors des repas, elle ne coopérera plus dans l’exécution du soin. Dans un second temps, il est question d’une résidente qui joue de la musique et qui en écoute. Puisqu’il s’agit d’éléments importants pour elle, elle refuse d’interrompre ces activités pour que des tâches institutionnelles aient lieu. Dans un troisième temps, on mentionne une résidente qui, pour attirer des employés dans sa chambre, renverse de l’eau sur son lit pour qu’ils viennent le changer. Par cela, elle tente d’avoir quelques minutes avec le personnel pour qu’ils regardent ensemble la télévision et qu’elle puisse mettre de l’avant sa culture télévisuelle. À travers ces exemples, Paterniti essaie de montrer que certains résidents « resisted the use of typical staff labels and conventions for defining residents » (2003 : 72), puisqu’ils n’acceptent pas que leur identité soit limitée à celle de patient. Que ce soit raconter des histoires, jouer de la musique ou partager sa culture télévisuelle, les résidents refusent que ces éléments phares de leur identité soient mis de côté dans leur vie quotidienne et dans leurs interactions avec le personnel. Ces résistances viennent d’ailleurs modifier les modèles d’interaction en faveur de rapports plus significatifs et respectueux de ce que veulent les résidents.

Mallon (2004) observe elle aussi cette propension chez les résidents à refuser l’identité de personne âgée ou dépendante que l’on tente de leur imposer. Elle présente quelques exemples de cette stratégie, comme les résidents qui tentent de montrer qu’ils font partie du présent en refusant la nostalgie du passé ou bien ceux qui cherchent à éviter la dépersonnalisation en

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prenant part aux conversations qui les excluent et les invisibilisent. Dans cette lignée, Cottet et Marion (2011) affirment que les résidents peuvent aussi manifester des comportements qui font valoir leur unicité et leurs intérêts. On mentionne le cas d’une résidente qui affiche des articles d’actualité sur sa porte de chambre et une autre résidente qui ne parle que dans sa langue maternelle afin de limiter l’intrusion du personnel dans sa vie et d’éviter les interactions trop génériques. Finalement, Salles et Couturier (2014) mettent en lumière les efforts des résidents pour maintenir leur identité en tentant de conserver auprès des autres l’image respectable qu’ils ont eue au cours de leur vie. Par exemple, il est question d’une résidente qui anime des activités de loisirs pour faire valoir ses compétences, d’une résidente qui continue à lire malgré des pertes de mémoire et d’un monsieur qui s’habille proprement pour se distinguer des autres et faire oublier son bracelet anti-fugue. Le refus de laisser leur maladie devenir leur identité est en ce sens très présent chez ces résidents.

Conserver ses habitudes

La vie en centre d’hébergement, comme cela a été montré, limite les résidents dans la conservation de leurs habitudes antérieures. Or, une façon de résister à ce contrôle institutionnel consiste à maintenir ses habitudes ou tenter de trouver de nouvelles façons de les vivre en les adaptant à la situation et à l’environnement actuels.

Pour Mallon (2004), le maintien d’habitudes concerne davantage trois types de situations. D’abord, il y a le désir de continuer à consommer de l’alcool. Cela est souvent l’apanage des marginaux qui peinent à s’adapter aux règles de l’institution et à la morale médicale. Il y a ensuite le désir de continuer à consommer des sucreries alors que l’on est diabétique. Les résidents dans cette situation peuvent quémander ou voler des aliments sucrés dans les cuisines. Cette attitude peut paraitre étrange, mais elle s’explique par « la persistance d’une morale médicale qui contraint les individus pour leur bien et les dépossède partiellement de la gestion de leur santé » (2004 : 149). Le troisième exemple concerne l’envie de conserver des pratiques ou normes d’hygiène développées au cours de sa vie, même si elles ne cadrent pas avec celles de l’établissement. Les résidents résistent alors en protestant contre la fréquence des bains et en tentant de ne pas se laisser mener à la salle de bain.

McColgan aborde quant à elle l’adaptation d’habitudes. Elle note que les centres d’hébergement permettent peu de vie privée et n’encouragent pas le fait de se sentir chez soi.

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Or, des résidents peuvent résister à cela en tentant de s’approprier l’espace. Ils peuvent donc s’asseoir toujours au même endroit, mettre de la distance entre eux et les autres en feignant de dormir et accorder une grande importance à leurs possessions et à leur espace personnel. McColgan précise : « Residents wanted to be at home, and much of their resistance in the Grange6 was concerned with reconstructing home as a safe and familiar place where they could exercise autonomy and choice » (2005 : 430). Un peu différemment de ce que soulevait McColgan, Cottet et Marion soulignent la volonté des résidents de maintenir ce qui compte pour eux en recréant des rituels significatifs. Les résidents peuvent s’accrocher aux types d’activités qu’ils menaient précédemment et les adapter, comme cette résidente le fait en tenant de petites fêtes alcoolisées dans sa chambre ou cette résidente qui, grâce à son fauteuil roulant électrique, peut se promener dans le quartier et aller chercher de la nourriture qu’elle apprécie. Dans ces deux cas, les résidentes résistent à ce que leur existence soit privée d’activités qu’elles appréciaient, en choisissant des moyens plus ou moins tolérés par les autorités des centres d’hébergement qui les jugent potentiellement dangereux.

Les résidents semblent alors résister dans leur quotidien en tentant de maintenir des habitudes ou en adaptant ces habitudes à leur nouvelle réalité. Dans les deux cas, ces comportements ne sont pas encouragés par le personnel, car cela peut déranger l’ordre fonctionnel ou la sécurité des résidents.

Résistance dans les soins

Les résidents nécessitent quotidiennement des soins qui leur sont donnés par le personnel. Or, il arrive que des résistances se manifestent dans ces soins, notamment par rapport à la manière dont le personnel se comporte. En effet, si le personnel n’adopte pas des rituels pour protéger l’intimité des résidents, « des résistances, voire des mouvements de révolte apparaissent » (Mallon, 2004 : 150). Il y a alors une volonté de la part des résidents de protéger les territoires du moi, et des comportements violents peuvent survenir si les résidents n’apprécient pas les contacts physiques qui ont lieu dans les soins. Pour Cottet et Marion (2011), les résistances dans les soins, notamment leur refus, peuvent être une façon pour les résidents d’indiquer qu’ils n’ont pas besoin d’aide et qu’ils sont en mesure de s’affirmer et

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de revendiquer leur existence. Mallon (2004) considère que la résistance dans les soins touche aussi les situations où les demandes d’aide ne sont pas exécutées. Il se peut donc que des résidents répondent abruptement aux employés qui leur demandent d’être plus autonomes dans leurs activités quotidiennes. Poussant cette idée encore plus loin, Enguerran et ses collaborateurs (2008) affirment que demander des soins constitue une résistance au pouvoir du personnel. Les résidents se retrouveraient en position de force, puisqu’ils seraient en mesure d’exiger que le personnel réponde à leurs demandes, sans quoi les employés pourraient être vus comme maltraitants. Finalement, les résidents peuvent utiliser leur maladie comme un moyen d’éviter des soins qu’ils n’apprécient pas. On donne l’exemple d’une résidente qui met de l’avant son furoncle comme excuse pour ne pas prendre de douche.

Comportements de résistances présents dans d’autres études

La section qui se termine a présenté une classification des objets de résistances découlant des travaux s’étant penchés sur l’agentivité et les résistances des résidents en centre d’hébergement. Or, de nombreuses autres recherches, dans la présentation de leurs résultats, ont fait mention de comportements s’apparentant à de la résistance. Ces comportements ne sont pas explicitement identifiés comme tels, mais ils constituent des réactions face aux contraintes de la vie en centre d’hébergement. Ils méritent en ce sens que l’on s’y arrête un peu plus longuement.

Tout comme il vient d’en être question, les résidents réagissent dans les soins et services qui leur sont donnés. Cela peut prendre place lors des repas, comme lorsqu’une résidente proteste quand on prend son cabaret alors qu’elle n’a mangé que la moitié de son repas (Lidz et coll., 1992), lorsque des résidents sont laissés trop longtemps à attendre et qu’ils décident de jeter la vaisselle et les cabarets sur le sol (Gubrium, 1975) ou lorsqu’une résidente refuse de respecter la routine du repas (Harnett, 2010). Cela peut aussi avoir lieu lors de la distribution des médicaments, où un résident recrache les cachets qu’on lui a insérés de force dans la bouche (Kayser-Jones, 1981) et où d’autres refusent catégoriquement de les prendre (Harnett, 2010). Cela peut aussi toucher la façon dont les soins sont donnés, où un résident frappe les employés lorsque ceux-ci le manipulent sans ménagement, lui causant de la douleur

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(Stafford, 2003). Finalement, l’horaire des soins peut être un catalyseur de résistances, comme lorsque les résidents se plaignent de devoir se lever trop tôt le matin (Diamond, 1986). Les résistances des résidents peuvent aussi concerner le contrôle qu’ils subissent et leurs tentatives pour s’y soustraire. On présente le cas d’une résidente qui fait des scènes devant l’administration pour avoir le contrôle du chèque de sécurité sociale qu’elle reçoit et qui sert à couvrir les frais de son hébergement (Diamond, 1986). La résistance au contrôle touche également les situations dans lesquelles des résidents ayant des problèmes cognitifs réagissent agressivement envers le personnel lorsque celui-ci utilise des contentions sur eux (Lidz et coll., 1992) et les résidents qui décident de couper leur bracelet d’identification qui leur appose un stigma (Gubrium, 1975). McLean (2007) mentionne quant à elle l’ultime résistance face au contrôle institutionnel. Elle remarque que des résidents, poussés dans leurs derniers retranchements, préfèrent ne plus se battre et se laissent aller vers la mort plutôt que de subir plus longuement leur perte de liberté.

Ainsi, bien que n’étant pas au centre de leur attention, les chercheurs s’intéressant aux centres d’hébergement sont en mesure de souligner des comportements résistants de résidents qui rejoignent ceux étudiés plus en profondeur par d’autres auteurs.