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Chapitre 6 Face aux résistances : perceptions, explications et réactions

6.3 Réaction face aux résistances

6.3.2 Persuader

La deuxième forme de réaction face aux résistances consiste à vouloir raisonner les résidents, en tentant de leur expliquer les règles ou les situations. Ce type de réaction a été noté à la fois dans le discours des répondants et dans les observations.

Lorsque des résistances aux soins prennent place, comme on vient de le voir, le personnel tente d’abord diverses stratégies pour que le résident accepte les soins, comme revenir plus tard ou proposer un autre employé. Or, après un certain temps, si le résident continue de

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résister aux soins, il faut tenter de convaincre ce dernier de se laisser faire : « Si on s’aperçoit que ça ne sent pas bon dans la chambre et que la personne ne sent pas bonne, ben là, à ce moment-là, il y a quelqu’un qui intervient avec l’infirmière au niveau des genres de psychologues ou ces choses-là » (Jocelyne). Une autre employée explique ce type de situation : « C’est sûr qu’après un certain temps, si on voit qu’il est souillé pis que ça fait 3 quarts de travail qu’il nous refuse… Il y a un moment où il faut qu’on change la personne, qu’on ne peut pas la laisser. On va s’arranger pour être plusieurs avec lui et lui expliquer. Les personnes, après un certain temps, quand on les écœure trop, elles vont finir par nous dire “Oui”. Il faut qu’ils comprennent que c’est pour leur bien » (Matilde). On tente alors, avec l’aide de membres du personnel plus spécialisés, d’intervenir pour raisonner le résident et lui expliquer la nécessité des soins dans l’optique qu’il consente à les recevoir.

Une employée mentionne quant à elle tenter de convaincre les résidents en leur expliquant ce qui va se passer et les raisons de le faire : « Je te dirais qu’on essaie de lui expliquer que c’est pour son bien. “Madame, votre culotte est sale, est souillée. Il faut vous changer. Vous allez voir, vous allez être belle après. Je vais vous mettre une belle petite robe pis tout ça”. T’sais, on essaie de jouer un peu avec ça » (Jocelyne). En insistant sur les aspects positifs des soins, les employés cherchent ainsi à obtenir la coopération des résidents.

Lorsque des résidents manifestent des comportements résistants à devoir attendre pour des soins, les employés essaient aussi de leur expliquer la situation. En se basant sur ses observations, Gisèle, une bénévole, indique à propos des employés : « Ah, ils trouvent des moyens. “Ah, ce ne sera pas long, là”, admettons qu’elle veut aller à la salle de bain, “Écoutez, il y a quelqu’un qui m’attend. Je vais le faire et ensuite ça va être vous. Oui, oui, ce ne sera pas long”. Ils vont essayer de les faire attendre du mieux qu’ils peuvent, puis avec le sourire, du mieux qu’ils peuvent ». La bénévole considère en ce sens que les employés ne se formalisent pas des plaintes des résidents, mais que poliment et avec gentillesse ils tentent de les faire patienter en leur expliquant la situation dans laquelle ils se trouvent. Une employée appuie d’ailleurs cette vision en présentant son comportement lorsque des résidents sont en colère de devoir attendre : « Je parle, j’explique. Même si je vois qu’ils sont fâchés, de la façon que je parle, ça les calme un petit peu. Même s’ils sont fâchés, ils respectent » (Adella). En d’autres mots, expliquer aux résidents les raisons de leur attente permet de

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calmer leur frustration et leurs manifestations de résistance. Il s’agit donc pour les employés d’une réaction jugée efficace pour faire face aux résistances de ce type.

Toujours par rapport aux résistances à l’attente, Gisèle, une bénévole, aborde la façon dont elle réagit à ce type de résistance en précisant que sa réaction consiste souvent à tenter d’expliquer aux résidents les contraintes organisationnelles qui rendent difficile la réponse à leurs demandes. Elle décrit comment cela se passe : « À l’occasion, par exemple, quand ils disent “Ah, j’ai attendu”. Je dis “Ben oui, écoute. Ce n’est pas facile attendre. Je n’aimerais pas ça attendre moi non plus, mais pense que vous n’êtes pas ou tu n’es pas la seule”. “Oui, mais…!”. “Oui, mais essaie de… Il y a peut-être une autre personne qui est pire que toi encore” ». La bénévole semble compatir un peu avec les résidents, en disant qu’elle-même n’aimerait pas vivre cette attente, mais du même souffle elle invite les résidents à être raisonnables et à se dire que leur situation pourrait être pire. La bénévole défend également le centre d’hébergement lorsqu’il est question des relations avec les préposés aux bénéficiaires :

Ce n’est pas facile, mais les personnes, les préposés ont juste deux mains. « Oui, mais elle, je ne l’aime pas. Elle me brusque ». « Ben oui, mais regarde, peut-être qu’elle te brusque parce qu’elle est plus straight ». Il y en a qui ne se chicanent pas pis « Hey, tu ne me feras pas ça de même toi! ». C’est de le dire… « Regarde, je préfère », au lieu de chialer après, « je préfère vu que t’es nouvelle ou nouveau, je préfère que tu fasses ça de même ». Il y en a qui sont ici ça fait quand même un bout de temps et il y a des préposés avec lesquels ils sont plus habitués que d’autres. C’est normal, t’sais, mais j’essaie de leur faire comprendre.

La bénévole invite les résidents à faire preuve de compréhension envers le personnel, mais également de formuler leur plainte de façon efficace. Dit autrement, elle ne leur suggère pas de ne pas résister, mais de le faire plus stratégiquement, de sorte que la situation s’améliore. Cette stratégie concerne également la nourriture :

Je vais essayer de… Comme la nourriture, quand ils disent « C’est ben trop sec et trop cuit », ben parles-en! Il faut en parler. Il faut le demander. Toutes les fois que j’ai demandé pour mon conjoint, je l’ai eu. Le soir même ou le lendemain, tout était correct, mais il faut le demander! Faque là, je disais « Regarde là, tu serais peut-être mieux de le demander. Demande-le pis tu verras après. Peut-être que ça va être meilleur après. Puis, dis tes choix. Fais ton menu, t’sais… ». C’est ce que je fais. J’essaie de leur faire comprendre du mieux que je peux.

Les employés de loisirs (une responsable des loisirs et un responsable des loisirs) ont aussi l’occasion de raisonner les résidents par rapport à leurs plaintes touchant leurs conditions de vie. Par exemple, si Mme Joly se fâche parce qu’on lui refuse un verre d’eau, la responsable

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des loisirs tente de lui faire comprendre qu’il s’agit de la règle et qu’il faut la respecter. Dans cette lignée, si Mme Cyr est fâchée d’avoir dû attendre pour se faire lever, le responsable des loisirs peut souligner le fait qu’il a dû manquer d’employés.

Dans un autre ordre d’idées, les employées ont souligné les conflits pouvant émerger entre les résidents et les résistances qui en découlent. Lorsque ces résistances prennent place, les employés peuvent réagir, notamment en tentant de raisonner les résidents plus autonomes. Une employée décrit sa réaction face à la résistance d’un résident à la présence de résidents moins autonomes dans la salle à manger: « Nous autres ce qu’on a fait, c’est que la personne qui est très autonome, on lui explique que ce n’est pas de sa faute, que la madame a un problème au niveau de la santé, ces choses-là. Il faut vivre avec et on essaie de respecter ça » (Jocelyne).

Finalement, il arrive que dans des situations diverses, les employés ou les bénévoles tentent d’amener les résidents à agir de façon plus « raisonnable ». Il suffit de penser au responsable des soins spirituels qui invite Mme Sévigny à respecter les règles énoncées par le personnel en n’allant pas voir son ancien amoureux; à l’infirmière qui indique à Mme Royer qu’il est important qu’elle prenne ses pilules après que celle-ci ait jeté ses médicaments parce qu’elle juge ne pas avoir été traitée poliment; au responsable des loisirs qui dit à Mme Ignace qui lui a demandé d’ouvrir la porte de la salle de lavage de le faire avec un sourire ou à la responsable des loisirs qui tente de convaincre une résidente de se plier aux règles qu’elle vient de refuser.