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Explication des résistances par les intervenants

Chapitre 6 Face aux résistances : perceptions, explications et réactions

6.2 Explication des résistances par les intervenants

L’on sait maintenant que les résistances sont appréhendées principalement comme des comportements inopportuns, et sont ainsi jugées négativement. Or, au-delà du simple jugement, les répondants ont avancé des pistes d’explication des résistances qui, bien qu’incluant la personnalité difficile des résidents ou leur potentielle maladie, s’avèrent multiples, et qui regroupent aussi les préférences des résidents, leurs conditions de vie et le rapport à leur image.

6.2.1 La maladie

Comme cela a préalablement été discuté, les écrits sur les résistances et les comportements dérangeants font état de la propension du personnel à expliquer ces comportements par la maladie. Il n’est alors pas surprenant que cela soit aussi présent à Sainte-Marie. Lorsque j’ai questionné les employées sur les causes possibles des résistances, elles ont été nombreuses à souligner la maladie. Isabel en est un bon exemple : « Je pense que des fois l’agressivité, la plupart du temps, c’est à cause de la maladie d’Alzheimer, des choses comme ça ». La mauvaise médicamentation peut aussi être mise en cause : « Le plus difficile c’est qu’il y a peut-être des gens qui sont mal médicamentés. Il y a des personnes qui peuvent être agressives. […] Il y en a qui refusent, qui lèvent les bras, qui peuvent te taper, te pincer, ils peuvent te mordre. Ça, c’est dur. Ça arrive » (Jocelyne, employée).

Néanmoins, certaines ont nuancé cette disposition à tout expliquer par la maladie. Une employée s’exprime sur la violence pendant les soins et les causes de ce comportement :

Sa maladie. Personnellement, il y a des personnes qu’à cause de leur maladie, elles sont comme ça. Mais il y a des patients que ce n’est pas leur maladie. C’est juste qu’ils sont agressifs et c’est tout. Ce n’est pas normal qu’un résident soit agressif avec les préposées, juste les femmes, pas les hommes. Ou pas avec sa famille. Si c’est la maladie, pourquoi juste avec les femmes? Si tu me dis non, c’est la maladie, la maladie… Personnellement, je sais que ce n’est pas la maladie (Adella).

Ainsi, la maladie est soulignée, mais devant la variation des comportements, Adella ne semble pas sûre que ce soit la seule explication. Lorsqu’elle est questionnée un peu plus sur

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ce que seraient les causes de cette violence, elle indique « N’aiment pas les femmes ou n’aiment pas les gars parce que ça arrive le contraire. C’est ça. Je ne sais pas. Je ne sais pas, mais il y a des résidents qui sont agressifs et ce n’est pas une maladie ». Selon elle, d’autres pistes d’explication devraient être trouvées avant de conclure qu’il ne s’agit que de la maladie, notamment les préférences envers les soignants.

6.2.2 Les préférences et le caractère des résidents

Comme il vient d’en être question, les soignants peuvent souligner la maladie comme cause de la résistance, mais cela apparait aussi comme une raison limitée par rapport à la complexité de ces comportements. Adella précise à propos des résistances aux soins de quelques résidents : « Ce n’est pas tout le temps… Ce n’est pas avec tout le monde. C’est quelques personnes qui sont comme ça. Parce que je peux aimer une personne et la personne ne peut pas m’aimer ». Puis, elle mentionne que lorsqu’il y a des affinités entre un résident et un membre du personnel, les soins peuvent se dérouler sans problème :

C’est comme tout le monde. Toi, moi, peut-être que je t’aime et que tu ne m’aimes même pas et ça c’est normal. Peut-être que c’est ça aussi. Il y a des chimies avec des résidents. Maintenant, on a une madame dans un étage. La madame est agressive. Elle crie, elle est difficile. […] La seule préposée qui peut la calmer et qui l’aime, c’était moi. Personne… Elle grafigne et tout. Mais elle me voit et elle est toute calmée. Elle m’embrasse. Tu vois… Elle m’aime, mais il y a des préposés qu’elle n’aime pas. On ne sait pas pourquoi, mais… C’est comme la chimie. Il y a de la chimie entre des personnes. Elle m’aime bien.

L’employée laisse alors croire que les relations qui se développent entre les résidents et les employés peuvent teinter le déroulement des soins, positivement ou négativement, et ainsi réduire ou amplifier les comportements résistants. Cette vision est partagée par une autre employée :

Des fois, il y a des résidents qui sont agressifs. On rentre dans sa chambre et il commence à crier, des choses comme ça. Je pense que si tu rentres tranquille, que tu commences à parler tranquillement, des fois, ça change. Des fois, c’est notre réaction aussi. Si la personne commence à rire, on commence à rire aussi. Pour moi, c’est avec les autres… Même s’il y a des résidents qui sont agressifs, non, je suis correcte. Je rentre dans sa chambre. Je fais tout tranquillement en faisant attention. C’est correct (Isabel).

Elle ajoute un peu plus tard :

Comme on travaille plus sur le même étage, on commence à s’habituer avec les résidents. Même si la personne ne parle pas, on sait… Avec des gestes, des signes, avec des choses comme ça, on commence à s’habituer. Si on travaille à chaque jour à un autre étage, c’est plus difficile. Si on travaille toujours à la même place, on est capable de

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comprendre plus. Les personnes âgées, elles ont toutes… Comme mon téléphone, je veux que mon téléphone soit comme ça. Des fois, les gens disent que telle personne avait l’air fâchée parce que tu changes le téléphone de place. Alors, si je connais la personne, je sais qu’elle veut le téléphone comme ça. Je vais mettre le téléphone comme ça. Si on commence à changer des choses comme ça dans sa chambre, ils vont commencer à être fâchés.

Par conséquent, connaitre un résident permet de prodiguer les soins comme il le souhaite et respecter ses préférences, de sorte que le résident ne soit pas en colère. Cet avis est partagé par Matilde, une autre employée, qui décrit : « T’sais, il y a des personnes qui ont déjà eu cette personne-là et qui sont exactement capables de te dire qu’est-ce qu’il faut faire et qu’est- ce qu’il ne faut pas faire. Des fois, juste de rentrer dans une chambre pis dire “Bonjour monsieur untel”… Là on l’a appelé monsieur et il veut qu’on le tutoie et qu’on ne le vouvoie pas, là on le perd. Il ne sera pas coopératif pis il ne nous aimera pas, là ». Dans cet extrait, on rencontre l’idée que les résidents peuvent résister parce que les employés ne les abordent pas de la bonne façon, et qu’il est important de bien connaitre la personne pour adapter l’interaction qui prendra place. Dès lors, les répondants reconnaissent que la façon dont les résidents agissent peut être liée aux types d’interaction qui prennent place entre eux et le personnel. Lorsque les employés connaissent les résidents, savent comment les aborder et leurs préférences, il est plus probable que la dispensation de soins soit facile. Au contraire, si les employés ne se comportent pas de la façon dont les résidents souhaitent et ne sont pas attentifs à ce que les résidents aiment ou n’aiment pas, il est plus probable que des résistances aient lieu.

Les préférences des résidents quant aux soins d’hygiène seraient aussi une piste pour expliquer les résistances. Le premier aspect concerne le rapport à l’hygiène, évoqué dans l’ouvrage de Mallon (2004). Une employée qui réfléchissait sur les causes de la résistance dans les soins énonce ceci : « Moi, je te dirais que… Surtout les bains, quand il faut qu’on les amène aux bains… C’est qu’eux autres à l’époque, ils ne prenaient pas des bains comme ça. Bien souvent, ils se lavaient à la débarbouillette, ces choses-là. Fait que ça, c’est leur mentalité aussi » (Jocelyne). En ce sens, puisque les résidents ne sont pas habitués à être lavés fréquemment, car ce n’est pas ce qu’ils ont connu au cours de leur vie, ils résistent lorsqu’on tente de leur donner un bain. Invitée à préciser sa pensée sur ce sujet, l’employée indique : « Moi, je pense que quand c’est un bain au lit, ils se sentent agressés. Je pense… Dans leur tête, j’essaie de me mettre à leur place. S’ils ne comprennent pas trop, t’sais, tu

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changes la culotte, c’est personnel, le bas, t’sais. D’après moi, ils se sentent agressés ». Ainsi, la vision qu’ont les résidents des soins d’hygiène, au mieux comme inutiles et au pire comme agressants, serait une cause possible des résistances qui ont lieu dans ce contexte. Il est à noter que seule cette employée a souligné cette possibilité.

Certains répondants ont évoqué l’idée selon laquelle la personnalité ou le caractère des résidents pourraient expliquer leurs réactions de résistance. Françoise, bénévole, considère que les comportements résistants des résidents seraient dus à leur condition, qu’elle associe à leur maladie ou à leur caractère. Dans la même veine, Edith, un membre de famille, s’exprime sur les résistances de sa sœur, et précise : « C’est sûr que quand elle était bien, c’était un genre contestataire, oui. On ne faisait pas ce qu’on veut avec ». L’on voit donc que les traits de personnalité d’une personne peuvent servir à justifier les agissements présents, dans ce cas-ci une propension antérieure à contester pourrait expliquer les gestes résistants.

6.2.3 Les conditions de vie

Quelques répondants ont directement mentionné le contexte de vie des résidents pour expliquer leurs résistances. Ainsi, une bénévole parle de toute l’attente que doivent endurer les résidents, et qui peut expliquer leurs résistances : « Quand ils vont demander de quoi, ils attendent encore. Quand… Ils attendent. Je me mets à leur place, je ne te dis pas que je chialerais là, mais ils attendent et ce n’est pas normal dans un sens » (Gisèle). Des employées mentionnent quant à elles la proximité des résidents qui sont tout le temps ensemble pour expliquer les résistances qui peuvent prendre place face à la présence d’autrui. En d’autres mots, puisque les résidents sont fréquemment en présence d’autres personnes, il est possible que des tensions émergent et mènent à des comportements résistants envers les autres résidents.

6.2.4 Fierté et orgueil

Lors de l’entrevue de Chloé, la responsable des loisirs, il a été question des résidents qui ne participent pas aux activités de loisirs et des raisons qui en découlent. Cette employée a alors proposé une explication à ces choix :

Il y a des résidents qui ne veulent pas sortir. Mettons, j’ai une dame au cinquième [étage], elle, mettons… Elle, elle a mal à une épaule fait qu’elle n’est pas capable de faire certaines choses. « Ben, je ne suis pas capable de le faire fait que je reste dans ma chambre ». « Mais vous pouvez venir, on va vous aider! ». « Ah, non, non, non! Je ne veux pas d’aide. Je ne veux pas. ». […] Il y a des résidents aussi qui ont participé à des

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activités pis qu’un moment donné la maladie progresse, ils ne veulent plus sortir de leur chambre. Ils ne le disent pas que c’est à cause de ça, qu’ils ont moins de capacités mettons, fait que là ils sortent plus de leur chambre. Comme la madame au troisième qui participait à Soyons alertes, qui a un avancement dans sa maladie, puis que là elle ne voulait plus sortir de la chambre parce qu’on pense que la maladie avait trop progressé pour elle. Elle avait un peu honte de ça […] Des fois ils ne veulent pas accepter l’aide, t’sais, ils sont fiers.

La responsable des loisirs associe ainsi la résistance face à son handicap et sa vulnérabilité et la résistance à recevoir de l’aide, les deux étant liées à une certaine fierté chez les résidents qui ne veulent pas être vus dans leur vulnérabilité. L’idée se retrouve également chez une employée de soin :

Je pense que des fois quand t’es en centre d’hébergement, des fois, ils pensent qu’ils ont perdu le pouvoir sur eux. Comme si, à cause que nous on s’occupe d’eux… Des fois, je rentre dans l’ascenseur pis il y a une madame, je lui demande « Sur quel étage voulez- vous que j’appuie? ». « Ah! Je suis capable d’appuyer moi-même! Je suis une grande personne! ». Je pense qu’ils recherchent ce côté-là, qu’ils sont capables de s’occuper d’eux-mêmes, parce que se faire placer, veux veux pas, ça leur donne un coup. Ça les fesse. Quand il y en a beaucoup qui sont quand même assez autonomes, ils veulent nous prouver qu’ils sont encore capables de décider pour eux (Matilde).

Par conséquent, pour montrer qu’ils sont encore capables de réaliser des choses et qu’ils disposent toujours de leur autonomie, les résidents peuvent refuser abruptement l’aide qui leur est offerte. Une certaine fierté ou un certain orgueil expliquerait ce type de résistance. En résumé, les réponses données lors des entrevues laissent croire que les individus évoluant dans l’univers de Sainte-Marie sont en mesure de percevoir les comportements résistants comme multiples, puisque de nombreuses raisons ont été évoquées. Un extrait de l’entrevue menée avec la responsable des loisirs réitère cette idée :

Il peut avoir plein de raisons. Ce qui se passe dans la tête du résident, tu ne le sais pas tout le temps, le pourquoi une personne agit de telle façon, qu’elle résiste. Elle t’aime full un jour pis le lendemain t’as l’air d’être la pire ennemie du monde. Des fois, ça peut être parce que t’as dit quelque chose, cette journée-là, elle ne l’a pas pris. Finalement, elle rumine pis tu ne le sais pas. Il peut avoir tellement plein de raisons. Ça peut être aussi parce que la personne a de la douleur cette journée-là, mettons. Tu ne le sais pas, mais elle n’est pas de bonne humeur puis c’est sur toi que ça tombe, qu’elle démène toute sa marde. Ça peut être relié médicalement, comme des médicaments qui ne sont plus bien ajustés qui font en sorte que la madame n’est plus dans son état ordinaire, t’sais. Il peut avoir mille et une raisons, je pense.

La complexité des résistances invite ainsi les intervenants à réfléchir aux causes de ces comportements et à ne pas se limiter à une seule piste d’explication. Les répondants, selon les circonstances, peuvent alors souligner l’aspect relationnel des résistances, la personnalité

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des résidents, les conditions de vie des résidents ou les préférences par rapport aux soins et à leur image. Il est tout de même important de souligner que peu de répondants mettent directement en cause l’organisation des centres d’hébergement pour expliquer les résistances, insistant davantage sur des facteurs intrinsèques aux individus (maladie, personnalité, préférences) et évitant de mettre en cause leur travail ou l’organisation dans laquelle ils évoluent.