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Les contraintes de la vie à Sainte-Marie

Chapitre 4 Le centre d’hébergement Sainte-Marie

4.5 Les contraintes de la vie à Sainte-Marie

La description de l’organisation temporelle et spatiale à Sainte-Marie a permis de mettre en lumière un certain nombre de contraintes auxquelles font face les résidents, comme la rigidité des routines de soins et la difficulté à personnaliser un lieu très homogène. Les contraintes ne se limitent cependant pas à ces deux aspects de la vie en CHSLD, ce qui est abordé plus en détail dans cette section.

4.5.1 Dispositifs de sécurité

Puisque la sécurité des résidents constitue une des priorités dans les CHSLD, de nombreux dispositifs et règles sont mis en place afin que les résidents ne courent aucun danger. Or, ces initiatives riment fréquemment avec davantage de contraintes pour les résidents.

Chaque année, principalement en hiver, de nombreux résidents attrapent des maladies infectieuses comme la grippe ou la gastro. Lorsqu’un étage regroupe plusieurs cas, la décision est prise de fermer cet étage. Cela signifie que les résidents qui demeurent à ces étages ne peuvent plus aller manger à la salle à manger du rez-de-chaussée, qu’ils ne peuvent plus participer aux activités de loisirs, et que l’on déconseille aux visiteurs d’aller sur ces étages. Ces mesures visent à ce que la maladie ne se répande pas dans tout l’établissement. Un étage peut ainsi rester fermé pendant un mois, le temps que le nombre de résidents malades

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diminue. Lors du temps des fêtes de 2017-2018, près de la moitié des étages a été fermé en même temps, limitant considérablement les célébrations qui étaient prévues par le service des loisirs.

Le personnel peut aussi encourager les résidents à adopter ou éviter certains comportements qui pourraient les rendre malades. Par exemple, une employée a tenté de décourager une résidente de sortir dehors sans véritable manteau alors qu’il faisait frais à l’extérieur. En ce qui concerne les blessures, certains résidents peuvent être installés dans un fauteuil roulant ayant un dispositif qui sonne lorsqu’ils tentent de se lever, permettant ainsi au personnel d’empêcher un résident à risque de chute de se lever. Le personnel encourage également fortement les résidents disposant d’une marchette à l’utiliser lors de leurs déplacements. Dans la même veine, le personnel peut juger que les résidents doivent être protégés d’eux- mêmes. L’aspect le plus visible de ce contrôle sécuritaire concerne les déplacements des résidents. En effet, Sainte-Marie dispose d’un éventail de mesures pour qu’un résident confus ne puisse pas quitter l’édifice. Les doubles portes à l’entrée de l’établissement qui nécessitent que l’une des portes se ferme avant que l’autre s’ouvre en font partie, de même que les codes nécessaires pour prendre l’ascenseur et les bracelets anti-fugue qui bloquent les ascenseurs et la porte d’entrée de Sainte-Marie. À ce sujet, les bracelets anti-figue peuvent être cachés dans des objets que les résidents trainent, comme leur fauteuil roulant ou un sac, de sorte qu’ils ne sont pas conscients de leur présence.

Un autre aspect de protection touche à l’alimentation. Les résidents sont soumis à des tests pour déterminer le type de texture qu’ils peuvent manger. Ainsi, certains résidents peuvent manger tous les types d’aliments, alors que d’autres sont en texture tendre, molle ou purée. Les employés doivent empêcher les résidents de manger des aliments qui leur sont interdits, même si les résidents souhaiteraient les consommer. Certains résidents ne peuvent également pas boire des liquides réguliers, devant consommer des liquides épaissis. Il est alors interdit de leur donner un breuvage qui ne serait pas préalablement épaissi. Le contrôle de l’alimentation vise finalement à ce que les résidents ne consomment pas trop de nourriture, particulièrement pour les résidents souffrant de diabète.

Ces deux aspects de contrôle sécuritaire (contre les maladies et les blessures et contre les résidents eux-mêmes) montrent de quelle façon des mesures qui partent d’une préoccupation

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légitime, soit la sécurité, peuvent mener à davantage de contraintes pour les résidents. L’on voit, en effet, qu’à de multiples reprises la volonté des résidents n’est pas prise en compte, puisque d’autres finalités sont visées. L’aspect collectif exacerbe aussi les contraintes, notamment lors des mises en quarantaine où un résident en pleine forme ne peut pas quitter son étage. Il est possible que de nombreux résidents n’aient aucune difficulté à suivre ces règles, mais il arrive aussi que des résidents ressentent de la frustration face à ces limitations dans leur capacité à choisir pour eux-mêmes.

4.5.2 Autres types de contrôle

Outre la sécurité, il arrive que pour des raisons de bon fonctionnement, les résidents doivent se plier à des règles. Il s’agit ainsi d’un autre niveau de contrôle qui s’ajoutent aux nombreux déjà présents.

Le premier cas touche les décisions qui sont prises sans que l’avis de tous les résidents soit respecté. Au cours de mon observation, j’ai observé une situation de ce type : la fermeture de la salle de lavage. Auparavant, les résidentes encore capables de laver leur linge pouvaient le faire dans une salle au premier étage. Or, une décision a été prise de fermer la salle de lavage à tous, si bien qu’il est maintenant nécessaire d’entrer un code pour y avoir accès. Seules trois résidentes ont conservé leur droit de continuer à laver leurs vêtements, et l’adaptation ne s’est pas faite sans heurts. Effectivement, au départ le code n’était pas donné aux résidentes, si bien qu’elles devaient demander à un employé d’ouvrir la porte pour elles, limitant considérablement leur autonomie dans la réalisation de cette tâche.

Un autre type de contrôle concerne la participation aux activités de loisirs. En effet, les responsables des loisirs jugent qui est en mesure de participer aux activités, et invitent ces résidents à y participer. Les raisons pour empêcher un résident de participer concernent souvent sa capacité à être assis en silence ou son degré de confusion à changer d’étage. Par exemple, les résidents de l’unité prothétique ne peuvent participer aux activités de loisirs collectives à moins d’être accompagnés par un employé ou un membre de famille. Ces décisions sont prises dans l’optique que les activités de loisirs soient agréables pour l’ensemble des résidents présents. Il arrive cependant que des résidents soient empêchés de participer à des activités de loisirs puisque l’on juge leur comportement lors de celles-ci inadéquat. Par exemple, une résidente qui ferait des avances à un employé pendant les

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activités de loisirs pourrait éventuellement ne plus y participer pendant une certaine période en guise de conséquence. Être privé d’activité devient alors une punition qui est imposée à ces résidents qui ne se plient pas aux normes de comportement attendu.

Dans la même veine que le contrôle de la participation aux activités, il y a le contrôle des déplacements. Bien que les limitations des déplacements aient été mentionnées concernant l’organisation de l’espace, d’autres aspects ne l’ont pas été. Par exemple, il arrive que des résidents ne se voient pas offerts de participer à des activités de loisirs puisque le personnel des étages est débordé et qu’il n’a pas le temps de les préparer et de les installer devant les ascenseurs. Ainsi, même si un résident souhaitait venir à une activité de loisirs, il peut en être privé pour des raisons d’ordre organisationnel. Également, lors des activités de loisirs, de nombreux résidents sont emmenés dans la salle des loisirs alors qu’ils ne sont pas en mesure de se déplacer par eux-mêmes. Or, il arrive fréquemment que des résidents désirent retourner à leur étage au cours de l’activité. Dès lors, ils sont complètement dépendants du bon vouloir et de la disponibilité des responsables des loisirs et des bénévoles. Ainsi, à quelques reprises, des résidents ont été incités à attendre la fin de l’activité pour quitter, malgré l’expression claire de leur désir de retourner sur leur étage. Ne pouvant quitter par eux-mêmes, ils n’avaient d’autres choix que de se plier aux volontés des responsables des loisirs.

Le dernier contrôle identifié concerne l’accessibilité des corps. Puisque Sainte-Marie constitue entre autres un milieu de soin, les employés doivent performer ce type d’actes à de multiples occasions. Pour faciliter leur travail, il est commode que le corps des résidents soit facilement accessible. Ainsi, à plusieurs reprises, j’ai observé des résidents à peine vêtus dans des lieux communs ou par la porte d’une chambre laissée ouverte. Ces résidents, qui n’ont pas l’occasion de se couvrir à cause de leurs limitations, doivent subir la présentation de leur intimité, et ce, à cause de décisions prises par d’autres personnes et de l’aménagement de l’espace. Bien que je n’aie pas récolté de témoignages de résidents dénonçant ces situations, il est raisonnable de considérer que les résidents dont le corps est ainsi exposé à des étrangers voient leur dignité altérée.

Cette description de Sainte-Marie et de son fonctionnement visait à présenter le cadre dans lequel les résidents évoluent et les contraintes que cela peut faire peser sur eux. En abordant l’organisation spatiale, l’organisation temporelle, le personnel et les contraintes de la vie à

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Sainte-Marie, il est plus facile de comprendre à quoi ressemble réellement un CHSLD québécois, et de remettre en contexte les résistances des résidents qui peuvent y prendre place.

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