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Résistances aux règles de l’établissement

Chapitre 5 Portrait des résistances

5.1 Formes de résistances

5.1.1 Résistances aux règles de l’établissement

Cette catégorie de résistance semble être la plus évidente, puisqu’il s’agit de résidents qui s’opposent aux règlements de l’établissement. Comme il en a été question dans la présentation de Sainte-Marie, les résidents sont confrontés à une série de mesures pour s’assurer du bon fonctionnement du centre d’hébergement et de la sécurité de tous. Or, il arrive que ces résidents tentent de contourner les règles ou s’y opposent franchement. Le non-respect des règles peut concerner l’infraction de règles énoncées, ou bien toucher à des situations où les résidents protestent contre des règles jugées injustes.

Une première série d’exemples implique des résidents qui se voient imposer une règle, mais qui tentent de la contourner. Mme Sévigny est en fauteuil roulant, mais elle est capable de se déplacer seule. Elle me racontait, avant un spectacle, être allée voir son ancien « chum » dans l’unité prothétique, mais qu’elle « s’était fait sortir » parce qu’elle n’a pas le droit d’y aller 11 Les noms utilisés sont tous fictifs. Néanmoins, puisque Sainte-Marie héberge un grand nombre de résidents,

il est possible qu’un pseudonyme employé corresponde au nom d’un vrai résident. Il s’agirait d’un simple hasard et en aucun cas du vrai nom du résident.

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(la responsable des loisirs me racontera que le résident qu’elle visite est confus, et que la famille n’appréciait pas voir la résidente embrasser leur père). Au fait de l’interdiction, Mme Sévigny a donc décidé de ne pas s’y plier pour continuer à aller visiter une personne qui lui est chère. Plusieurs mois plus tard, j’ai observé une autre situation concernant Mme Sévigny qui tente de contourner les règles mises en place. À ce moment, elle était privée d’activités de loisirs pour avoir eu des comportements jugés inacceptables selon son plan d’intervention (je n’ai pas su précisément ce qu’elle avait fait, mais il est possible que ce soit lié à des avances faites à des employés). Or, tandis que je m’occupais des déplacements pour les activités, elle m’a demandé si elle pouvait venir à l’activité. Puisque cette résidente est en mesure de comprendre les punitions qui lui sont imposées, en s’adressant à moi (qui n’était pas au courant de la mesure disciplinaire), elle tentait consciemment de contourner sa punition. Dès lors, Mme Sévigny ne devait pas voir sa punition comme justifiée, d’où sa résistance pour venir à l’activité. Il est à noter que même si ce comportement peut avoir l’air d’une forme ténue de résistance, la résidente ne pouvait pas tenter plus explicitement d’enfreindre la règle sans courir le risque que la punition soit aggravée, ou bien qu’on lui bloque physiquement l’entrée.

M. Aubry est un autre résident qui a résisté à une règle. Ce résident est classé comme ne pouvant pas manger d’aliments trop durs. Lors d’une sortie à la cabane à sucre, des crudités étaient disposées sur la table autour de laquelle les résidents étaient assis. Alors que nous assistions les résidents dans leur repas, M. Aubry s’est emparé d’un morceau de carotte pour le mettre rapidement dans sa bouche. La bénévole qui était près de lui et moi lui avons indiqué qu’il n’était pas censé manger de crudités. Le résident a alors tenté de se justifier en disant qu’il avait passé des tests, et qu’il pouvait manger tous les types d’aliments (ce qui contredit ce qui est inscrit dans son dossier). Face à la rapidité avec laquelle le résident a pris le morceau de crudité, il est plutôt clair que le résident était bien au courant de ses interdictions, mais qu’il se jugeait tout de même apte à manger ce qu’il voulait.

Le dernier cas concerne Mme Joly et M. Noël, deux résidents qui ont des restrictions liquidiennes, c’est-à-dire à qui l’on ne peut donner qu’une certaine quantité de liquide par jour. Malgré leur interdiction, à plusieurs occasions, j’ai pu les observer en train de demander des verres d’eau à des bénévoles ou à d’autres personnes qui ne connaissent pas leur condition. Bien au courant de la quantité limitée de liquides qu’ils peuvent boire, ils

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n’hésitaient pas à saisir ces occasions d’augmenter cette quantité de liquide, dérogeant en toute connaissance de cause aux limites qui leur sont imposées. Dans les quatre exemples qui viennent d’être décrits, il apparait clair que les résidents choisissent délibérément de contrevenir aux règles que le personnel leur impose.

Une autre forme de non-respect des règles concerne des résidents qui protestent contre l’existence de règles. Sans chercher à contourner les règles, les résidents manifestent de la colère à devoir se plier à des règles vues comme impertinentes. Ce type de résistance a été observé une première fois lors de l’Halloween, alors que les responsables des loisirs faisaient une tournée sur les étages avec des déguisements pour prendre en photo les résidents. Chaque résident avait alors l’opportunité, pendant le temps d’une photo, d’être déguisé avec les items apportés par les responsables des loisirs. Mme Joly, dont il vient d’être question, avait choisi pour la photo de porter un chapeau. Or, la photo prise, une des responsables des loisirs lui a demandé de redonner le chapeau. La résidente a indiqué vouloir le garder, mais c’était impossible (les déguisements étaient réutilisés d’un étage à l’autre). Devant ce refus, Mme Joly a lancé le chapeau sur la table devant elle, visiblement irritée, protestant par le fait même contre cette manière de faire. Un autre exemple concerne Mme Ignace, une résidente parmi les plus autonomes de Sainte-Marie. Cette résidente, malgré son entrée en centre d’hébergement, continue à faire son lavage elle-même. Auparavant, la salle de lavage était accessible à tous et à tout moment. Des changements sont néanmoins survenus, de sorte qu’il faut maintenant un code pour y entrer, et que les résidentes qui souhaitent continuer à faire leur lavage ont une plage horaire bien définie dans la semaine pour y aller. Alors que je dinais dans la salle des loisirs, je vois Mme Ignace entrer et dire qu’elle a besoin que quelqu’un lui ouvre la porte, que c’est l’heure où elle est autorisée à laver ses vêtements. Cependant, aucun membre du personnel n’était présent. La résidente, visiblement irritée de devoir attendre, se met à dire « ils nous prennent pour des fous, on n’est pas tous des sans-génies, il y en a qui ont encore leur idée. Moi j’en encore mon idée! ». Puis, elle dit qu’il va falloir trouver une autre façon de s’organiser, et qu’elle va en parler avec le chef d’unité à son retour de vacances. Dans ces deux situations, Mme Joly et Mme Ignace ont vigoureusement protesté face à des règles jugées injustifiées, sans pour autant les enfreindre.

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