• Aucun résultat trouvé

Les savoirs scientifiques : des savoirs problématisés qui ne réduisent pas à la solution des problèmes auxquels ils sont liés

CHAPITRE IV – Problématisation et didactique(s)

2. Caractéristiques épistémologiques des savoirs véritablement scientifiques

2.4. Les savoirs scientifiques : des savoirs problématisés qui ne réduisent pas à la solution des problèmes auxquels ils sont liés

Pour C. Orange (2006b, p. 77 ; 2012, p. 44), les savoirs scientifiques ne peuvent se réduire à la solution de problèmes explicatifs. Autrement dit, ces problèmes ne sont pas seulement des moyens pour produire des savoirs, ils font partie intégrante de ces savoirs scientifiques. Oublier cette autre caractéristique essentielle reviendrait à faire des savoirs de simples propositions déconnectées de leurs conditions de production.

2.4.1. Une construction des problèmes plus essentielle que leur résolution

Une telle conception des savoirs n’est pas sans rappeler celle de Deleuze et de Meyer, deux philosophes du problème dont nous avons étudié les propositions dans notre chapitre précédent, notamment au prisme de la lecture qu’en a proposée M. Fabre. D’ailleurs, C. Orange et al. (1999, p. 108) n’hésitent pas à revendiquer cette filiation explicite lorsqu’ils affirment que, selon eux, « l'entrée dans les savoirs scientifiques a plus à voir avec la construction des problèmes qu'avec leur résolution, qui n'est qu'un épisode terminal et, d'une certaine façon, accessoire ». C’est pourquoi si, dans la vie courante, les problèmes sont perçus négativement la plupart du temps et donc subis d’une certaine manière, explique C. Orange (2005b, p. 75), dans le travail scientifique au contraire, ils sont vus comme des défis intellectuels, bien qu’ils puissent parfois mettre à rude épreuve les nerfs des chercheurs.

Aussi non seulement la communauté scientifique ne fuit-elle pas les problèmes mais, bien plus, elle provoque leur apparition, tant la science, avant d’être une activité de résolution, est résolument une activité de production de problèmes. D’ailleurs, comme le souligne C.

163 Orange (Ibid., p. 73), ce n’est pas nécessairement celui qui a trouvé une solution qui a appris le plus. Par exemple, dans les séquences didactiques consacrées à la question de la nutrition ou à celle de l’articulation du coude, les élèves aboutissent à la construction de savoirs communs, c’est-à-dire à l’identification de nécessités, alors que les solutions initiales apportées par chacun d’eux étaient différentes et non conformes aux savoirs scientifiques actuels. Tout cela plaide donc pour C. Orange (Ibid.) en faveur d’une primauté à accorder, notamment dans une perspective didactique, à ce qui se passe entre problème perçu et proposition d’une solution, pour ne pas le réduire à une simple mention du problème, comme c’est souvent le cas en classe de sciences, sans que les élèves ne se l’approprient. Au contraire, apprendre à problématiser consiste avant tout à apprendre à construire des problèmes, comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises en évoquant les assises philosophiques de la problématisation mises en exergue par M. Fabre.

2.4.2. Des solutions remises constamment sur le métier de la critique

Pour C. Orange (Ibid, p. 76), la relation dynamique entre savoirs et construction de problèmes n’est certainement pas l’apanage des sciences de la nature. Elle est valable pour tout projet de construction de savoirs théoriques. Mais elle n’existerait pas, selon lui, pour les connaissances communes ni, le plus souvent, pour les savoirs pratiques. Reprenant les travaux de Malglaive ou d’Astolfi122, C. Orange en effet (Ibid.) explique que les savoirs pratiques relèvent d’une logique de la réussite tandis que les savoirs théoriques, eux, présupposent une logique du cheveu coupé en quatre, caractéristique essentielle de l’activité scientifique. Ainsi, cette dernière se distingue avant tout par sa tradition critique, dont le moteur réside dans la recherche permanente d’explications autres et leur mise en discussion.

C’est pourquoi la dynamique critique de la science (Ibid., p. 80) pousse au bout la verbalisation et l’argumentation, seules voies possibles pour rendre la problématisation explicite et les savoirs apodictiques. Comme le souligne C. Orange lui-même en faisant à nouveau référence à Bachelard (Ibid.), une pensée réellement scientifique est donc une pensée réflexive qui se dédouble : la production d’un problème scientifique n’est pas tant dans le texte de sa solution que dans l’explicitation de sa problématisation. Les propos de C. Orange rejoignent une nouvelle fois ceux de M. Fabre pour qui, comme nous l’avons mentionné, la dimension réflexive est une condition essentielle d’une problématisation véritable.

Bien que présentant une dimension pratique et technique certaine, les éducations physiques et sportives peuvent être elles aussi pensées en termes d’examen et d’explicitation critiques, propose B. Lebouvier (2015, p. 32) dans la lignée des travaux en sciences. Les didacticien·ne·s de l’EPS qui s’intéressent aux apprentissages par problématisation font ainsi de la recherche d’un progrès pour une prestation ou une performance à réaliser une enquête qui

122 Malglaive, G. et Weber, A. (1982). Théorie et pratique, approche critique de l’alternance en pédagogie. Revue française de pédagogie, 61, 17-27. Astolfi, J.-P. (1992). L’école pour apprendre. France : ESF.

164 suppose la construction d’un espace réflexif pour éviter de se précipiter immédiatement sur la solution. S. Prevel (2018, p. 106) montre de son côté qu’il est possible à de très jeunes élèves scolarisés en école maternelle de moduler leur expérience première des sports collectifs pour réfléchir collectivement à l’aide d’une maquette au rôle d’attaquant et d’explorer les conditions des solutions possibles pour toucher une cible avec la balle.

2.4.3. La problématisation : un processus bidimensionnel

La problématisation ne peut pas être considérée explique C. Orange (2005b, p. 81) comme une activité intermédiaire qui trouverait chronologiquement sa place entre la perception du problème et sa solution. En effet, puisque la problématisation est un processus inextricablement lié à la verbalisation et à l’argumentation (qu’il s’agisse d’une mise en texte verbale ou écrite) en raison de sa dimension critique et réflexive, toute tentative d’explicitation, qu’elle soit l’œuvre du scientifique ou des élèves, se construit la plupart du temps après coup, à partir de solutions déjà proposées par la communauté scientifique ou la classe. Aussi n’est-il pas possible de ne penser le travail des problèmes explicatifs que d’une manière linéaire qui verrait se succéder problème perçu, puis problématisation, et enfin solution. C’est pourquoi, propose C. Orange (Ibid.), il faut voir dans la problématisation scientifique une seconde dimension par rapport à celle du couple problème-solution, ce qu’il schématise de la manière suivante :

Figure 3 - La problématisation : un processus bidimensionnel (C. Orange, 2005b, p. 81)

Cette schématisation proposée par C. Orange fait écho, comme nous pouvons le constater, au losange de problématisation formalisé par M. Fabre pour mettre en évidence lui aussi la double dimension de la construction du problème. Affirmer une telle bi-dimensionnalité conduit alors, selon C. Orange (Ibid, p. 87), à renverser la relation traditionnelle entre construction du problème et solution. En effet, la dimension fondamentalement argumentative et critique de l’activité scientifique fait que ce n’est plus la problématisation qui est au service

165 de la résolution du problème, mais que ce sont les solutions possibles et leur examen qui servent la problématisation.

2.5. Les savoirs scientifiques : des savoirs fondés sur des pratiques langagières spécifiques à

Outline

Documents relatifs