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À l’issue du périple (modeste et partiel) que nous venons d’effectuer au sein de l’histoire de l’herméneutique, nous pouvons désormais proposer une version enrichie du tableau que nous avions élaboré supra afin de synthétiser et mettre en relation les différents traits notionnels retenus par le site du CNRTL pour définir la compréhension et l’interprétation. De ce tableau initial, nous avons conservé trois rubriques (Mode d’accès au sens/ Caractéristiques du sens agencé par l’activité/ Nature de l’activité) que nous avons choisi d’enrichir de deux autres catégories (Lieu d’origine du sens/ Liens de complémentarité). Nous avons également affiné nos premiers éléments de réflexion à l’aide de nouvelles sous-catégories afin de tenir compte des différents éléments apportés par notre revue des questionnements liés à la philosophie herméneutique et à son évolution.

Tableau 2 - Seconde tentative de mise en relation des notions de compréhension et d’interprétation

Comme le montre le contenu de cette seconde version synthétique des couples conceptuels servant à définir la compréhension et l’interprétation (couples présentés pour le moment sous forme de dichotomies), nous avons conservé la question du sens comme fil conducteur de notre réflexion sur ces notions, et ce, malgré la polysémie et l’hétérogénéité des catégories qui caractérisent le terme même de « sens ». En effet, en accord avec les premiers éléments de définition que nous avons déjà sollicités, et comme nous le ferons tout au long de notre thèse, nous considérons que la compréhension et l’interprétation – quels que soient leur

48 objet ou la manière de les conceptualiser en fonction de la discipline contributoire retenue – sont deux facultés qui concourent chacune à donner du sens à la réalité examinée. Nous aurons néanmoins à revenir sur l’opposition sens/signification dans la suite de notre recherche : si, jusqu’ici, nous avons la plupart du temps utilisé ces deux termes comme synonymes, nous verrons dans quelle mesure il est intéressant de différencier les deux termes pour approfondir les notions de compréhension et d’interprétation

Dans cette seconde version de notre tableau, nous avons également décidé de faire suivre les termes de compréhension et d’interprétation de points d’interrogation, ce que nous n’avions pas fait précédemment. Ce choix vient souligner le caractère heuristique, et ce faisant, provisoire de cette première entreprise de catégorisation des notions de compréhension et d’interprétation, puisque sa finalité sera, comme le montrera la suite de notre travail, de nous servir de point de repère dans l’avancée de notre réflexion. Nous n’aurons de cesse en effet d’interroger ces premières éléments définitoires pour les réorganiser, voire les modifier en profondeur, en les complétant à l’aide de nouvelles notions, sous une modalité beaucoup plus solidaire, au fur et à mesure de notre examen des modèles théoriques et didactiques issus de la psychologie cognitive, de la littérature ou encore de la problématisation.

À l’issue de notre chapitre I

Les éléments proposés par le site du CNRTL, les questionnements principaux que nous avons retenus de notre lecture de l’histoire de l’herméneutique (grâce aux travaux de Gadamer, Jauss, Grondin et Vultur) ainsi que les précisions apportées par A. Rey et al. relativement au terme même de « sens » nous ont permis de mettre en avant la difficulté à circonscrire les notions de compréhension et d’interprétation en raison de la diversité des concepts mobilisés pour leur définition. Nous retenons les éléments suivants que nous interrogerons dans la suite de notre réflexion :

a) La compréhension et l’interprétation sont deux facultés, deux activités que tout individu met constamment en œuvre dans sa vie de tous les jours relativement à un grand nombre d’objets pour leur donner sens.

b) La compréhension et l’interprétation, notamment quand ces deux activités concernent la

lecture, semblent se définir essentiellement à partir d’oppositions conceptuelles à différents niveaux : sens littéral/ sens figuré ; sens unifié et cohérent/ significations plurielles ; sens

partagé/ significations subjectives, personnelles, voire solipsistes ; activité ordinaire/ activité spécialisée ; activité cognitive/ activité éthique et esthétique ; activité de reconstruction/ activité de création, etc.

c) Les liens de complémentarité entre compréhension et interprétation ont été pensés de

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CHAPITRE II - L’enseignement de la lecture et de la littérature à l’École

Finalités de notre chapitre II

Même si la présence des textes littéraires est attestée à l’école primaire depuis la fin du XIXe, ces derniers ne deviennent l’objet d’une véritable didactique pour ce niveau scolaire qu’à partir de la fin du XXe ; la littérature fait alors son entrée dans les programmes comme un sous-domaine à part entière de la discipline « français ».

Nous allons parcourir dans notre chapitre II l’histoire de l’enseignement de la lecture de ces textes dits « littéraires » de la fin du XIXe. jusqu’à aujourd’hui, ce qui nous conduira à mettre en évidence : - dans la partie 1, combien il est difficile pour la didactique du français de définir la « Littérature »

à l’aide de critères objectifs et définitifs, tant une telle entreprise théorique est au demeurant

impossible. En raison du caractère inévitablement provisoire et précaire des critères retenus, l’enseignement relatif à la lecture des textes littéraires a connu des justifications diversifiées et hétérogènes au cours du temps, notamment en termes de catégorisation de ses objets (« savoirs » versus « pratiques » ou « contenus » ; « didactique du français » versus « didactique de la littérature »).

- dans la partie 2, comment la lecture des textes littéraires a connu, pour l’école primaire, des

modèles différents oscillant entre savoir-lire, savoir-comprendre et savoir-interpréter tout au long

du XXe.

- dans la partie 3, combien les programmes scolaires relatifs à l’école primaire s’étendant de 2002

à 2018 restent marqués par ces mêmes oscillations entre lire, comprendre et

savoir-interpréter.

Notre « voyage » au cœur de l’histoire de l’enseignement de la lecture des textes littéraires à l’école primaire et de sa déclinaison dans les programmes scolaires nous invitera à conclure que :

1. Les notions de « compréhension », d’« interprétation » et de « lecture littéraire » demeurent particulièrement imprécises dans les programmes scolaires relatifs à l’école primaire, y compris les plus récents, en raison de leurs emprunts à des sources scientifiques hétérogènes (théories psycho-cognitives versus théories littéraires de la lecture)

2. Un projet de stabilisation épistémologique de ces notions ainsi que des contenus d’apprentissage les concernant, tel celui que nous entreprenons, reste par conséquent

d’actualité, vingt ans après l’apparition de la littérature comme sous-discipline à part entière

du français l’école primaire.

Dès notre introduction générale, nous avions associé les termes de « compréhension » et d’« interprétation » à ceux de « lecture » et de « littérature » comme si cette mise en relation allait de soi, ce qui n’est pourtant pas le cas. Notre chapitre précédent nous a permis de mettre en évidence que la compréhension et l’interprétation sont deux activités auxquelles tout individu a constamment recours dans sa vie quotidienne pour donner sens au monde qui l’entoure. Ces dernières ne constituent donc pas l’apanage de la lecture, qui plus est, de la lecture de textes littéraires. Ce premier élément nous semble d’importance dans la mesure où il

50 a été pris diversement en compte par les théories issues de la psychologie cognitive et celles issues des études littéraires. En effet, si la psychologie cognitive envisage davantage la compréhension comme une « méta » compétence de la vie ordinaire, qui concerne aussi bien le langage oral que le langage écrit, les études dans le champ de la littérature, quant à elles, ont pendant longtemps considéré l’interprétation comme une activité dévolue à la lecture des textes littéraires.

Soulignons d’emblée un second élément suite à nos propos précédents : alors que, jusqu’ici, nous nous sommes attachée à ne pas traiter séparément la question de la compréhension de celle de l’interprétation, force est de constater que les modèles théoriques que nous venons d’évoquer paraissent au contraire s’être spécialisés en fonction de chacune de ces activités, spécialisation qui s’est ensuite étendue à leur versant didactique. Ainsi, en France du moins, l’enseignement de la compréhension semble suivre les recommandations émises par la psychologie cognitive tandis que l’enseignement de l’interprétation s’avère le champ privilégié de la didactique de la littérature. Nous avions déjà évoqué dans notre introduction générale combien la didactique du français est tiraillée entre les différents sous-domaines qui la composent. Ce « tiraillement » apparait d’autant plus nettement quand il est justement question de compréhension et d’interprétation. Qu’il s’agisse des recherches ou des programmes à destination de l’école primaire, la compréhension semble en effet une affaire de « lecture », quelle que soit la « nature » du texte envisagé, tandis que l’interprétation serait une notion réservée au domaine de la « littérature ». Que faut-il dire d’ailleurs entendre par « littérature » ? S’agit-il d’un domaine occupé exclusivement de « lecture de textes littéraires » ou ce dernier concerne-t-il également d’autres types d’œuvres, de compétences et de pratiques ? Et que faut-il entendre sous le syntagme de « lecture littéraire » que nous avons également utilisé dans notre introduction générale ? Une modalité de lecture spécifique aux textes dits littéraires ou une modalité de lecture susceptible de concerner tout type de texte, modalité par conséquent plus en phase avec une lecture « ordinaire » ? Les questions que nous venons de recenser vont constituer la matrice de notre chapitre II.

Alors que la présence des textes littéraires à l’école élémentaire est attestée depuis la fin du XIXe siècle (cf. Bishop, 2016, 2017, 2019), la littérature ne devient réellement un sous-domaine disciplinaire pour ce niveau scolaire qu’à la toute fin du XXe, domaine dont les contours ne semblent pas encore réellement stabilisés encore aujourd’hui, comme nous allons en effet le mettre en évidence, en particulier quand il s’agit de formaliser des « savoirs » relatifs aux notions de compréhension et d’interprétation. Pour ce faire, nous montrerons dans un premier temps comment la didactique du français s’interroge depuis ses origines, quel que soit le niveau scolaire envisagé, sur une définition possible de la littérature et de son enseignement qui échapperait à toute naturalisation, ce que la notion de « savoirs » ne permettrait justement pas de faire quand il est question de ce domaine. Puis, nous parcourrons, à l’aide des travaux de M.-F. Bishop, l’évolution particulière de l’enseignement de la littérature à l’école primaire en soulignant combien celui-ci a oscillé et oscille encore entre le savoir lire, le savoir comprendre et le savoir interpréter. Enfin, nous proposerons une analyse personnelle de

51 l’évolution des programmes pour ce niveau scolaire depuis les textes de 2002 jusqu’à ceux de 2018 : nous verrons combien ceux-ci ne facilitent pas pour les enseignant·e·s l’identification d’un corps homogène de contenus d’enseignement en matière de compréhension et d’interprétation des textes littéraires.

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