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Concevoir et mettre en œuvre des scénarios d’aides à la problématisation

CHAPITRE IV – Problématisation et didactique(s)

3. L’accès des élèves à des savoirs problématisés

3.1. Problématisation, argumentation et débats en classe

3.2.3. Concevoir et mettre en œuvre des scénarios d’aides à la problématisation

Même si l’enseignant·e prépare en amont le débat à l’aide d’un travail individuel, puis d’un travail en groupe restreint permettant aux élèves de commencer à s’approprier la question posée à partir des conceptions qu’ils partagent, le débat collectif qui s’ensuit, précise C. Orange (2012, p. 91), n’est pas fait pour que la classe se mette à tout prix d’accord sur un seul modèle explicatif mais pour discuter des raisons qui sous-tendent chacun des modèles élaborés précédemment en petit groupe. L’enseignant n’a pas à rechercher un tel accord ; au contraire, il ne doit pas intervenir, même indirectement, pour donner son avis sur les thèses échangées. Son rôle consiste en réalité à endosser la fonction du tiers que nous avons déjà abordée précédemment ; il s’agit en effet pour lui de favoriser l’apparition et l’échange des argumentations de telle sorte que toutes les idées et les critiques relatives aux modèles proposés et au problème travaillé puissent s’échanger sans que personne ne se sente agressé, et que chaque élève s’engage pleinement dans le jeu du savoir visé.

La réticence didactique dont doit faire preuve l’enseignant·e dans sa conduite du débat n’est donc pas des plus confortables, précisent J. Douaire et C. Hubert (2004, p. 315) : il lui faut accepter de se taire et prendre le risque de faire confiance aux élèves, tout en mettant en œuvre un « étayage sophistiqué » (D. Orange Ravachol, 2018, p. 59) dont M. Fabre et C. Orange (1997, p. 48) distinguent trois fonctions. Tout d’abord, une fonction d’explicitation : l’enseignant·e aide les élèves à préciser la formulation de leurs réponses et à questionner celles des autres en ne perdant pas de vue l’unité de la problématique mise au travail ; ensuite une fonction de prise de conscience : il s’agit de faire repérer aux élèves les grandes phases de la discussion, à identifier les principaux nœuds du débat en cours, l’évolution de ce dernier ainsi que son piétinement éventuel ; enfin, une fonction de guidage : l’enseignant·e opère alors comme un « directeur de recherche » (Ibid.) qui signale les pistes intéressantes et déplace au

187 besoin l’enjeu de la discussion en l’orientant sur des nécessités que les élèves n’avaient pas encore entrevues.

S. Doussot (2017a, p. 27-28) analyse ainsi comment l’étayage de l’enseignant·e s’avère à la fois ténu et décisif pour aider les élèves à mettre en discussion leurs modèles explicatifs. Dans un débat organisé en classe de cours moyen pour savoir pourquoi les paysans décident de ne se révolter qu’en 1789 alors que leurs conditions de vie semblent identiques à celles de 1788, les élèves piétinent dans un premier temps dans leurs propositions d’explication, malgré les questions de l’enseignante : selon eux, le changement entre ces deux dates peut s’analyser suivant le modèle de la « goutte d’eau » ; les paysans se révoltent parce qu’ils sont encore plus malheureux qu’avant. Les élèves ne sortent donc pas de la doxa suivant laquelle la misère additionnée à l’injustice conduit nécessairement à la révolte. Dans une seconde partie du débat, l’enseignante parvient néanmoins à rendre saillante une donnée qui va conduire les élèves à proposer d’autres nécessités. En réponse à un élève signalant que les paysans se révoltent peut-être en 1789 parce qu’ils sont plus nombreux qu’en 1788, l’enseignante réagit à ce propos en le qualifiant d’« intéressant », permettant ainsi selon S. Doussot (Ibid.) à cet énoncé de passer du statut de réponse à celui de donnée pertinente dans le problème que l’enseignante tente de faire construire depuis le début de la séance. La mise en exergue de la formulation « ils sont plus nombreux » restreint en effet l’attention des élèves à une échelle plus locale pour penser l’évènement : non plus sur l’étendue de la révolte mais sur un moment précis où les villageois se rassemblent enfin, rendant possible la mise à sac du château du noble dont ils dépendent. À ce niveau d’échelle, le modèle explicatif dominant adopté jusqu’alors n’est plus pertinent pour interpréter cette donnée intéressante ; les élèves vont donc devoir en proposer de nouveaux pour pouvoir interpréter des comportements qu’ils n’avaient pas jusque-là sélectionnés comme dignes d’intérêt.

Nous le voyons, la conduite d’un débat nécessite par conséquent une réelle expertise de l’enseignant·e pour aider les élèves à construire le problème et les savoirs visés : une expertise qui se définit à la fois en amont du débat pour repérer ce qui pourra aider les élèves et une expertise in situ pour réagir de manière adéquate à leurs propositions et propos. M. Fabre et A. Musquer (2009a et 2009b) ont proposé de répertorier ces aides, qu’ils nomment des inducteurs, en cinq catégories, selon qu’elles permettent aux élèves de focaliser leur attention sur la question posée, les données, les conditions, leur mise en tension ou la solution. B. Lebouvier, F. Ouitre et P. Briaud (2016), de leur côté, ont repris cette notion d’inducteur pour penser l’étayage possible des stagiaires dans le cadre de la formation professionnelle et ont commencé à identifier des configurations d’aides productrices. Néanmoins, comme le signale M. Fabre dans son entretien avec S. Charbonnier (2017, p. 115), cette notion d’inducteur et d’aide à la problématisation mérite encore d’être explorée plus avant au sein des travaux du CREN qui s’intéressent à l’apprentissage par problématisation. Nous y reviendrons dans la quatrième partie de notre thèse quand nous évoquerons les inducteurs que nous avons prévus dans notre séquence didactique pour aider les élèves à problématiser le texte littéraire qui leur est proposé.

188 3.3. Problématisation, argumentation et mise en texte de savoirs raisonnés

Dans la mesure où le paradigme de la problématisation lie fortement la construction des savoirs scientifiques à l’adoption de postures critiques et au développement d’argumentations, l’investigation et la confrontation par les élèves de leurs idées explicatives au cours de débats savamment régulés par l’enseignant·e sont fondamentales comme nous venons de le montrer. Néanmoins, met en garde D. Orange Ravachol (2018, p. 51), ces débats exposent la classe à une ouverture au terme de laquelle les élèves comme l’enseignant·e peuvent ne pas s’y retrouver. Le risque est grand alors à l’issue de ces débats de revenir à des propositions assertoriques en mettant aux oubliettes un certain nombre d’argumentations ayant participé à l’élaboration des raisons, d’autant plus que tout ce qui s’est dit n’a pas forcément été pris en note ; les enseignant·e·s expérimenté·e·s favorisent toujours en effet la dynamique du débat par rapport à une possible prise en note au tableau de telle ou telle argumentation (Orange, 2012, p. 100).

Ainsi, S. Doussot (2017a, p. 30) exprime ses doutes quant à l’accès des élèves à des savoirs historiques véritablement problématisés lors du débat en classe de cours moyen sur les raisons pour lesquelles les paysans ne se révoltent qu’en 1789 : même si les élèves envisagent de nouveaux modèles explicatifs (un accord explicite des paysans, une circulation de l’information en provenance de Paris, un sentiment de légitimité…) attestant de leur prise en compte de temporalités multiples dans la vie des acteurs, S. Doussot pense néanmoins que ceux-ci n’ont pas remis en cause leur registre explicatif chrono-causal habituel. En effet, selon le didacticien, les multiples explications causales qui ont été proposées n’ont pas fait l’objet d’un travail explicite ; il est donc probable qu’aux yeux des élèves, l’explication trouvée se substitue simplement à l’autre conformément au cours ordinaire de la classe d’histoire.

C’est pourquoi l’équipe du CREN qui s’intéresse à l’apprentissage par problématisation, précise D. Orange Ravachol (Ibid.), n’étudie plus seulement à l’heure actuelle l’évolution des représentations des élèves au cours des débats explicatifs, mais prend également pour objet d’étude les conditions d’accès des élèves à la mise en texte de savoirs raisonnés sur l’ensemble d’une séquence didactique. Si les argumentations produites dans les débats s’inscrivent certes dans un premier processus de secondarisation, elles ne font qu’entamer la construction des nécessités sur les modèles : la problématisation et la construction des savoirs restent encore à poursuivre tout au long de la séquence (Orange, 2012, p. 93) comme nous allons le montrer désormais. Nos références seront issues essentiellement de la didactique des sciences de la nature car c’est elle qui, pour le moment, a mené le plus de recherches sur les différentes étapes de la mise en texte de savoirs problématisés.

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