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Problématisation et lecture littéraire à l'école primaire.

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Academic year: 2021

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1 Que celui qui prétend déjà avoir les réponses sans s’être interrogé, sans les avoir interrogées, frémisse. Il est celui qui obéira le moment venu, quitte à signer son propre arrêt de mort. Il est l’homme de l’acceptation, de la hiérarchie, celui dont toute Autorité se régale. Voué à être manipulé, il est aussi celui qui, s’il le peut, fera du questionneur la proie de sa faiblesse devenue force.

Michel Meyer, De la problématologie (2008a, p. 306).

La pédagogie nait quand l’éducation fait problème, mais elle ne peut jamais proposer de solution définitive. Elle est vouée à la gestion des crises de l’éducation dans la carence du savoir et dans l’urgence de l’action.

Michel Fabre, « Existe-t-il des savoirs pédagogiques ? » (2000, p. 100).

Dans notre thèse, comme dans notre pratique professionnelle de formatrice d’enseignant·e·s, ou encore comme dans nos publications, nous appliquons les « Rectifications de l’orthographe » proposées en 1990 par le Conseil supérieur de la langue française, enregistrées et recommandées par l’Académie française dans sa dernière édition.

Dans le cadre de notre travail doctoral, nous avons également adopté l’écriture inclusive, et ce faisant, l’usage du point médian.

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Remerciements

La recherche que je présente ici est le fruit d’un périple au long cours : Michel Fabre et François Simon, directeur et co-directeur de cette thèse, savent bien tout ce qu’il faut entendre par « long » et par « périple ». Je les remercie chaleureusement de leur bienveillance, de leur patience, de leurs encouragements et de leurs conseils, sans lesquels ce travail n’aurait pu aboutir.

Je remercie sincèrement Marie-France Bishop, Jean-Louis Dufays et Yves Reuter d’avoir accepté, en ces temps compliqués, de faire partie de mon jury de soutenance. Qu’ils sachent combien leurs travaux de recherche m’ont été précieux pour étayer mon argumentation.

Je remercie du fond du cœur tou.te.s les collègues et ami·e·s qui m’ont soutenue, de près ou de loin, pendant toutes ces années : j’adresse une pensée toute particulière à mes collègues de français et à mes camarades de réflexion du séminaire « problématisation ».

Je remercie vivement Léa, Justine et leurs élèves : ils/elles se sont impliqué·e·s avec une bonne volonté sans pareil dans mon protocole de recherche. De manière plus générale, je salue tou·te·s les enseignant·e·s que j’ai rencontré·e·s en formation initiale et continue et qui ont accepté de partager avec moi leurs expériences et leurs questionnements quant à l’enseignement de la littérature à l’école primaire.

Je dédie ma recherche au trio chéri qui m’a accompagné chaque jour au cours de mon très long périple : Foize, Loukina et Macéo, cette thèse n’existerait pas sans vous. Voici, pour nous, le temps retrouvé de bien d’autres voyages.

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SOMMAIRE

Remerciements ... 2

SOMMAIRE ... 3

INTRODUCTION GÉNÉRALE ... 6

PREMIÈRE PARTIE : La question des savoirs : quand celle-ci continue à faire « problème » au sein des didactiques, des programmes et des classes… ... 31

Chapitre I – Une première tentative de définition des notions de « compréhension » et d’« interprétation » ... 32

1. À la recherche d’une définition impossible ?… ... 33

2. Compréhension au singulier versus interprétations au pluriel ... 35

3. Brève histoire de l’herméneutique ... 40

4. La compréhension et l’interprétation : une question de sens au pluriel ... 45

5. Éléments de synthèse ... 47

CHAPITRE II - L’enseignement de la lecture et de la littérature à l’École ... 49

1. Enseigner la littérature à l’École sans la naturaliser : un défi impossible ? ... 51

2. Savoir lire, savoir comprendre, savoir interpréter à l’école primaire ... 64

3. Quand les programmes ne savent pas à quel modèle didactique se vouer… ou quand ils se réclament de l’un au détriment de l’autre au fil de leur alternance ... 75

4. Éléments de synthèse ... 100

CHAPITRE III – Philosophies du problème et problématisation ... 109

1. Prolégomènes aux notions de problème et de problématisation ... 109

2. L’examen d’une question, une affaire de temps et de tempo ... 115

3. L’articulation des données et des conditions dans un cadre, une modélisation générique sous forme de losange ... 117

4. La problématisation, un processus réflexif qui exige une pensée qui veille et se surveille ... 122

5. La dimension heuristique de la problématisation ... 127

6. Éléments de synthèse ... 141

CHAPITRE IV – Problématisation et didactique(s) ... 147

1. Didactique des sciences et problématisation... 149

2. Caractéristiques épistémologiques des savoirs véritablement scientifiques ... 153

3. L’accès des élèves à des savoirs problématisés ... 170

4. Éléments de synthèse ... 194

5. Conclusion d’ensemble de la première grande partie... 198

DEUXIÈME PARTIE : La compréhension et son enseignement envisagés sous l’angle de la psychologie cognitive ... 213

CHAPITRE V - Les modèles théoriques de la compréhension ... 214

1. Les travaux de Kintsch ... 217

2. Le modèle constructionniste ... 249

3. Le modèle d’indexage d’évènements ... 270

4. Éléments de synthèse ... 289

CHAPITRE VI - Renouveler l’enseignement de la compréhension, une urgence didactique autant que sociale ... 300

1. Un enseignement de la compréhension à fonder nécessairement sur des assises théoriques, solides et reconnues ... 302

2. La compréhension : une activité cyclique qui fait appel à des processus de bas et de haut niveau, mobilisés conjointement ... 317

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4 3. Des différences développementales aux différences interindividuelles conditionnant la réussite de la

compréhension ... 340

4. Des principes didactiques et pédagogiques pour penser l’enseignement-apprentissage de la compréhension à l’école primaire ... 354

5. Éléments de synthèse ... 381

6. Conclusion d’ensemble de la deuxième grande partie ... 386

TROISIÈME PARTIE : La compréhension-interprétation et son enseignement envisagés sous l’angle des théories philosophiques et littéraires de la réception ... 392

Chapitre VII – La compréhension et l’interprétation selon les théories de la réception au XXe : une actualisation du sens, opérée par un lecteur « surveillé » par le texte ... 398

1. L’activité herméneutique : un dialogue qui permet d’actualiser le sens de l’œuvre tout en métamorphosant son lecteur ... 401

2. L’activité herméneutique : un dialogue avec l’œuvre entre projection et mise à distance de ses préjugés ... 413

3. L’activité herméneutique : un dialogue de nature interrogative entre texte et lecteur ... 419

4. L’activité herméneutique : une activité créatrice de sens, soumise à des normes « encyclopédiques » 423 5. L’activité herméneutique : une recherche de cohérence orchestrée par les droits du texte ... 426

6. Éléments de synthèse ... 440

Chapitre VIII – La compréhension et l’interprétation selon les théories de la réception au XXIe : une actualisation du sens, opérée par un lecteur « surveillé » par sa communauté interprétative ... 452

1. La question de la « réception » des œuvres : une interrogation toujours brulante pour les théories littéraires de la lecture au XXIe ... 454

2. L’application au XXIe : un geste herméneutique profondément renouvelé sous l’impulsion des travaux d’Yves Citton ... 461

3. Éléments de synthèse ... 495

Chapitre IX – La « lecture littéraire » : une notion qui ouvre un espace de solidarisation didactique possible des savoirs issus du champ de la psychologie cognitive et des savoirs issus des théories de la réception en matière de compréhension et d’interprétation ... 506

1. Le modèle de la lecture littéraire proposé par Catherine Tauveron ... 514

2. Le modèle de la lecture littéraire proposé par J.-L. Dufays ... 535

3. Éléments de synthèse ... 565

4. Conclusion d’ensemble de la troisième grande partie ... 570

QUATRIÈME PARTIE : La compréhension-interprétation et son enseignement envisagés sous l’angle de la problématologie et de la problématisation ... 574

Chapitre X – La lecture littéraire : une activité de problématisation ... 577

1. L’herméneutique problématologique de M. Meyer : la question du sens et le sens de la question .. 578

2. Des « secrets » du récit aux « secrets » de l’enquête interprétative : paradigme de la problématisation et activité herméneutique ... 591

3. Éléments de synthèse ... 603

Chapitre XI – La lecture littéraire problématisante à l’école : une exploration des possibles didactiques en classe de Cours Moyen 1ère année ... 609

1. Une lecture littéraire problématisante de la nouvelle « Joconde » : quand l’identification du rôle rhétorique des personnages peut donner du « fil à retordre » aux jeunes lecteurs ... 612

2. Une lecture littéraire problématisante de la nouvelle « Joconde » : une exploration des possibles didactiques en classe de Cours Moyen 1ère année à partir de la méthodologie des « situations forcées » . 622 3. Éléments de synthèse ... 637

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Bibliographie ... 651

Table des figures et des tableaux ... 673

Table des annexes ... 675

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Une recherche véritablement didactique exige de celui/celle qui la mène un « dédoublement de la même personne en acteur et en chercheur » (Fabre, 2002, p. 13). Si l’acteur essaie en effet de définir « avec prudence, la ligne d’action, la ligne juste, pour se sortir d’une situation problématique et opérer la transformation qu’il estime la meilleure dans le contexte », il appartient au chercheur de « dresser une ligne perpendiculaire à cette ligne d’action, une ligne de connaissance » (Ibid.). Ainsi, une réflexion didactique ne devient véritablement « recherche » au sens académique du terme que lorsqu’elle ne se laisse plus « entrainer dans la quête des solutions » mais explicite ses présupposés théoriques en « acceptant de les voir discuter, critiquer dans une logique autre que militante » (Ibid.).

C’est pourquoi dès notre introduction générale, nous allons esquisser les contours de cette ligne perpendiculaire que nous chercherons à tracer tout au long de notre thèse pour interroger ce qui se joue dans l’enseignement de la compréhension et de l’interprétation des textes littéraires à l’école primaire sous une perspective autre que celle que nous avons pu adopter quand nous étions enseignante de français et que celle que nous adoptons désormais comme formatrice d’enseignant·e·s du premier et du second degré.

Pour ce faire, nous allons tout d’abord expliciter en quoi la didactique du français et de la littérature demeure un champ traversé de tensions, notamment à l’école primaire ; nous montrerons dans quelle mesure notre métier de formatrice, de plain-pied avec ces tensions, nous a conduite peu à peu à en identifier certaines, en particulier grâce à notre engagement dans un premier travail de recherche à l’occasion d’un mémoire de recherche de master 2 réalisé en sciences de l’éducation. Puis, sur la base de l’analyse que nous proposerons de ce premier mémoire, nous présenterons la problématique et les hypothèses de recherche qui présideront à notre recherche doctorale ainsi que les grands moments qui structureront l’ensemble de notre travail.

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1. La didactique du français et de la littérature : un champ de tensions ?

Réalisant un « État des recherches en didactique de la littérature », bilan qui fera date dans l’histoire de la didactique du français et de la littérature, comme en attestent les nombreuses références qui y sont encore faites aujourd’hui (cf. les différentes bibliographies de l’ouvrage Approches didactiques de la littérature coordonné par N. Denizot, J.-L. Dufays et B. Louichon en 2019), B. Daunay constate que :

Depuis que la didactique du français s’est constituée comme champ de recherche, la question de l’enseignement de la littérature a toujours été centrale, même si l’approche didactique de la littérature apparait davantage comme un espace de questions que comme un lieu de construction d’une théorie cohérente de la littérature, de son enseignement et de son apprentissage (2007, p. 139).

Treize ans après ce constat, qu’en est-il de la didactique de la littérature1 ? Est-elle toujours traversée de tensions ou au contraire, est-elle parvenue enfin à unifier son champ théorique de réflexion, comme invitent à le penser les articles parus ces dernières années dont l’enjeu semble moins théorique (les notions de lecture littéraire et de sujet lecteur paraissant faire consensus) que pratique (les didacticien·ne·s s’intéressant désormais davantage, via des recherches descriptives, aux pratiques réelles d’enseignement et aux apprentissages effectifs des élèves), soulignent B. Louichon (2011, p. 207) ou encore S. Florey et N. Cordonier (2019, p. 26).

Les discours de crise concernant l’enseignement du français et de la littérature n’ont de cesse de faire régulièrement irruption dans le débat public comme savant, précise B. Daunay (Ibid.), notamment parce qu’il s’agit d’une discipline « singulièrement sensible » (Y. Reuter, 2014, p. 56). Cette dernière prenant sa source à la fois dans des référents théoriques multiples et des pratiques culturelles extrascolaires, les didacticien·ne·s comme les concepteurs des programmes scolaires peinent en effet à s’accorder sur les savoirs à enseigner et à rendre compte de la légitimité de leurs choix en la matière (S. Plane, 2018, p. 119-120). La diversité des finalités et des enjeux auxquels est associé en particulier l’enseignement de la littérature constitue même aux yeux de S. Plane une véritable « zone de fragilité », « l’exposant ainsi à des attaques inconsidérées, puisqu’il lui est impossible de satisfaire toutes les attentes contradictoires placées en lui » (Ibid.).

Certes, il ne faut pas voir dans cette situation conflictuelle dans laquelle se trouve l’enseignement de la littérature une négativité, mais bien plutôt « le signe de la vitalité d’un enseignement humaniste qui interroge sans cesse ses finalités, ses contenus, ses modalités » (S. Ahr, 2017, paragr. 7), les tensions parcourant telle ou telle configuration disciplinaire pouvant d’ailleurs être considérées avant tout comme structurantes et heuristiques (Reuter, 2010, p. 44).

1 Nous verrons dans la première grande partie de notre thèse que définir le champ d’une « didactique de la

littérature » ne va pas de soi quand il s’agit de considérer ses liens avec la didactique du français. Pour notre introduction, nous nous contenterons néanmoins d’utiliser les expressions de « didactique de la littérature » et de « didactique du français » sans les interroger.

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8 Il nous semble néanmoins, comme le soulignait B. Daunay déjà en 2007 (Ibid., p. 141), que la didactique du français, en particulier dans le domaine de la littérature, demeure aujourd’hui en 2020 « un champ de conflits théoriques » : ceux-ci portent à la fois sur le statut des objets enseignables, les conditions de leur enseignabilité et la sélection des références permettant l’approche de ces objets, notamment à l’école élémentaire française, même si les débats y sont un peu moins passionnés que dans le secondaire (S. Ahr, Ibid., paragr. 21). Ces tensions concernant les savoirs à enseigner à l’école primaire dans le domaine de la littérature vont constituer la thématique de notre travail de thèse, ce que nous allons désormais préciser en montrant comment cette thématique, prenant corps au fil de notre parcours professionnel d’enseignante et de formatrice en français, nous a conduite à réaliser une première recherche dans le cadre d’un master 2 recherche, réalisé en sciences de l’éducation, et dont notre recherche doctorale est le prolongement.

2. De la prise de conscience de la complexité épistémologique et didactique des notions de compréhension, d’interprétation et de lecture littéraire

Pourquoi une telle centration de notre part sur les tensions liées aux objets enseignables en matière de lecture littéraire2 à l’école primaire et aux conditions de leur enseignement-apprentissage ? La réponse à cette question est intimement liée à notre expérience professionnelle en tant qu’enseignante de français dans le second degré, puis formatrice en INSPÉ3 et enfin apprentie chercheure depuis un master 2 recherche réalisé en sciences de l’éducation en 2011. Nous ne perdons pas de vue avec B. Daunay et Y. Reuter (2011, p. 17) qu’un travail de thèse ne saurait relever de l’essai personnel. Néanmoins, nous faisons nôtre dans cette introduction un principe défendu par C. Niewiadomski à l’occasion de l’entretien qu’il a mené avec Y. Reuter pour justifier l’importance des éléments biographiques dans un parcours de chercheur·se. C. Niewiadomski (2017, p. 22) considère en effet que la production scientifique d’un·e chercheur·se a partie liée, et ce parfois de manière très intime, avec son histoire personnelle, ce qui explique que, pour un·e didacticien.ne notamment, la recherche en didactique peut « recouvrer la possibilité de répondre à des questions qui traversent son existence » (Ibid., p. 27).

Nous allons donc aborder ici plusieurs moments de notre carrière professionnelle où nous avons eu affaire directement à ces tensions inhérentes aux savoirs mis en jeu par l’enseignement de la littérature, notamment à l’école primaire, tensions à l’origine de notre volonté de nous engager dans ce travail de thèse. En effet, nous pensons que ces tensions, dans

2 Si, au cours de cette introduction générale, nous allons utiliser les expressions d’« enseignement de la littérature »,

d’« enseignement de la lecture littéraire », d’« enseignement de la lecture de textes littéraires » ou encore d’« enseignement de la compréhension et de l’interprétation » comme équivalentes, nous les préciserons peu à peu tout au long de notre thèse, ce qui constitue d’ailleurs l’enjeu central de l’ensemble de notre réflexion.

3 Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation, qui portait encore le nom d’IUFM (Institut de

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9 la mesure où elles demeurent aujourd’hui le centre de débats scientifiques et institutionnels, nécessitent encore une réflexion épistémologique ne baissant pas la garde.

Des programmes de 2002 consacrant l’enseignement de la littérature comme un nouveau sous-domaine dans l’enseignement du français à l’école primaire

En 2007, enseignante de français, nous devenons formatrice à l’INSPE de Nantes : nous nous voyons alors confier la formation des futur·e·s professeur·e·s des écoles dans le domaine du français, notamment la préparation au concours du CRPE4. L’obtention d’un tel concours nécessite, on s’en doute, de la part des futur·e·s enseignant·e·s, une connaissance fine des contenus curriculaires qu’ils auront à enseigner. Une de nos premières tâches, une fois nommée formatrice, a donc consisté à nous intéresser aux programmes de l’école primaire concernant l’enseignement du français. Les programmes alors en vigueur dataient de 2002. Comme nous allons l’expliquer infra, quelle ne fut pas notre surprise de constater que la littérature en constituait un sous-domaine particulier et que les instructions officielles afférentes étaient très détaillées en termes de pratiques pédagogiques (débat interprétatif, réseaux de lecture, etc.) en lien avec une conception didactique de la lecture littéraire clairement revendiquée comme spécifique à l’école primaire, en grande partie sous l’influence des travaux de C. Tauveron (1999, 2001).

La lecture littéraire, terme qui apparaissait tel quel dans les programmes comme dans les documents d’accompagnement de l’époque5, y était en effet définie à la fois comme une

activité de résolution de problèmes et un espace de jeu, attachés au fonctionnement du texte comme à sa dimension esthétique, nécessitant donc à la fois compréhension et interprétation pour permettre au jeune lecteur d’appréhender différents niveaux de sens. En lien avec les théories de la réception, C. Tauveron proposait de redéfinir les rapports entre compréhension et interprétation, afin de faire de l’activité interprétative l’essence même de toute lecture littéraire et le prérequis de toute compréhension. Une telle conception nécessitait donc de revoir les conditions de l’enseignement-apprentissage de l’interprétation littéraire selon C. Tauveron : celui-ci ne pouvait plus être réservé aux classes de lycée en effet mais devait au contraire débuter dès l’école maternelle grâce à la fréquentation d’œuvres, certes destinées à la jeunesse, mais suffisamment « résistantes » pour offrir aux élèves de l’école primaire un terrain de jeu intellectuel et culturel à même d’éprouver leurs droits de lecteurs face aux droits du texte.

Cette approche didactique proposée par C. Tauveron, concernant tous les niveaux de l’école primaire (de la maternelle au CM2) et prenant appui sur la littérature de jeunesse, s’est

4 Concours de Recrutement des Professeur·e·s des Écoles.

5 Ces programmes à destination de l’école maternelle et de l’école élémentaire sont publiés dans le B.O. n°1 –

Hors-Série, en date du 14.02.2002. Les documents d’accompagnement, comme leur nom l’indique, relatifs à ces programmes et destinés à accompagner les enseignant·e·s dans le domaine de la lecture et de l’écriture littéraires, sont publiés en 2003 par le ministère de l’éducation nationale, sous le titre Lire et écrire au cycle 3. Repères pour organiser les apprentissages au long du cycle. L’appellation « lecture littéraire » apparait à deux reprises dans les textes des programmes 2002, à sept reprises dans le document d’accompagnement précité.

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10 donc trouvée relayée en 2002 par le ministère de l’Éducation nationale via des contenus curriculaires visant à développer chez les élèves des compétences interprétatives, des connaissances sur les textes (en termes de genres, de personnages, de motifs, etc.) et une première culture littéraire commune (publication de listes de référence). Pourquoi parler de « surprise » pour caractériser notre découverte de ces programmes ? Les notions de compréhension et d’interprétation qui y occupaient une place prépondérante, ce qui ne semble pas à priori une hérésie épistémique s’agissant de lecture littéraire, constituaient pourtant à nos yeux un champ didactique de réflexion totalement nouveau car, pour l’enseignante du second degré que nous étions, ces notions n’avaient fait au cours de notre carrière ni l’objet d’une formation initiale ni l’objet de l’enseignement que nous avions dispensé à nos élèves. En effet, notre carrière en collège ayant débuté à la fin des années 1990, notre propre formation comme notre propre enseignement avaient été marqués du sceau de la maitrise des discours, paradigme qui avait contribué à la fois à renouveler l’enseignement du français à cette période et à inaugurer l’avènement de la didactique du français en tant que telle6. En tant qu’enseignante,

nous avions par conséquent surtout appris à nos élèves à reconnaitre différents types de discours en les amenant à lire autant des articles de journaux, des recettes de cuisine, des textes scientifiques que des textes littéraires, même si ces derniers continuaient à occuper une place importante.

Non seulement, grâce à notre entrée dans la formation, nous découvrions des notions didactiques totalement nouvelles pour nous, comme celles de compréhension, d’interprétation et de lecture littéraire – le terme de « lecture littéraire » n’apparaissant pas paradoxalement dans les programmes du second degré (cf. B. Louichon, 2011) où les termes de « lecture cursive » et de « lecture analytique » (ou « lecture méthodique ») lui étaient préférés – mais aussi nous prenions aussi conscience, tel Monsieur Jourdain, que nous avions pu en tant que professeure en collège et lycée, enseigner la compréhension et l’interprétation sans le savoir… Cette découverte et cette prise de conscience, aussi enrichissantes furent-elles (elles sont en grande partie à l’origine de notre engagement dans la recherche), se sont aussi révélées particulièrement déconcertantes tant elles nous ont semblé porteuses de tensions fortes. Si nous n’en avions pas pris la mesure pendant notre carrière d’enseignante, il faut bien avouer qu’une telle hétérogénéité de références théoriques et didactiques – conduisant à des pratiques d’enseignement de la littérature non seulement radicalement différentes entre les premiers et second degrés mais également ignorantes les unes des autres – nous est en effet apparue comme très inconfortable pour former les futur·e·s enseignant·e·s.

6 Il est ainsi précisé dans le programme à destination de la classe de sixième, en vigueur à cette époque : « l’objectif

du collège est de faire accéder l’élève à la maitrise des formes fondamentales de discours […] La progression d’ensemble au collège sera donc la suivante : en 6e, identifier le pôle narratif et le pôle argumentatif ; lire, produire,

étudier diverses formes de récits ; ’entraîner à l’expression orale d’un point de vue argumenté/ en 5e-4e, pour le

pôle narratif, poursuivre l’étude de la narration et développer celle de la description ; pour le pôle argumentatif, aborder l’étude du discours explicatif/ en 3e, pour le pôle argumentatif, étudier les principales formes

d’argumentation ; pour le pôle narratif, enrichir la pratique des formes du récit » (Arrêté du 22 novembre 1995 - BO n° 48 du 28 décembre 1995, p. 10-11, souligné par nous).

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11 Les programmes de 2008 pour l’école primaire : un retour aux « savoirs fondamentaux »

Notre surprise n’a pas été moins grande de découvrir que, dès 20087, une telle

conception de l’enseignement de la littérature disparaissait déjà des nouveaux programmes de l’école primaire, le sous-domaine « littérature » apparaissant certes encore dans les contenus curriculaires à destination du cycle 38, mais réduit essentiellement à des questions de transmission patrimoniale. Faut-il voir dans ce changement de nature peut-être autant idéologique que didactique – tant se dessinait alors une certaine « culture du mépris » de l’institution scolaire vis-à-vis des didacticien·ne·s ayant pris part à la rédaction des programmes du primaire ou du secondaire dans les années 2000 (Daunay et Reuter, 2011, p. 11) – un simple effet du mouvement bien connu et anciennement pointé du doigt par J.-F. Halté (1998, p. 189) de « la torsion du bâton dans l’autre sens » ? En tant qu’usager de la langue, chaque locuteur a un sentiment de compétence qui, pense-t-il, l’autorise à avoir un avis sur la manière dont la langue française et la littérature doivent être enseignées et tend alors à considérer les nouveautés didactiques9 dans ce domaine comme responsables de (presque) tous les maux de la société,

explique S. Plane (2018, p. 120).

Les évaluations nationales et internationales10 révélaient d’ailleurs dans ces années – ce

qui est toujours le cas aujourd’hui – que les élèves français, depuis l’école primaire jusqu’au lycée, rencontraient d’importantes difficultés à comprendre et interpréter des textes complexes, littéraires ou non (C. Viriot-Goeldel et J. Crinon, 2014, paragr.1). Dans ce contexte où l’École, loin de compenser les inégalités entre les élèves, semblait les aggraver (Ibid.), les programmes de 2008 proposaient alors à cette dernière, en accord avec une certaine demande populaire11, de se recentrer sur « les savoirs fondamentaux »12 en mettant principalement l’accent sur la

7 Les changements d’orientation sont en réalité amorcés dès 2006 par la circulaire intitulée Apprendre à lire et

proposée par le ministre de l’éducation nationale, Gilles de Robien, dans le B.O. n°2 en date du 12.01.06.

8 Cf. Les horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, parus au B.O. n°3 en date du 19.06.2008. 9 Il ne s’agit pas ici de défendre l’idée que toute innovation didactique est forcément synonyme de « progrès » en

termes d’apprentissages des élèves. Au contraire, ce qui apparait comme nouveau l’est rarement comme le montre par exemple l’analyse de B. Daunay des propositions de G. Lanson : perçues comme radicalement nouvelles au début du XXe siècle, celles-ci ont été jugées comme dépassées à partir des années 1960-70 (le « lansonisme »

devenant alors synonyme d’une conception caduque de l’enseignement de l’histoire littéraire), mais elles sont finalement proches de la conception unificatrice de l’enseignement du français défendue par la didactique de cette discipline à partir des années 1980-90 (cf. Daunay, 2006). Le « nouveau » donc n’a pas de valeur « scientifique » en soi s’il n’est pas adossé à des recherches didactiques rigoureuses (cf. Daunay, Reuter et Schneuwly, 2011, p. 15). Il n’en demeure pas moins que l’introduction de l’enseignement de la littérature dans les programmes de l’école primaire constituait une radicale nouveauté en 2002, attestant de l’émergence d’un champ didactique, jusqu’alors impensé pour ce niveau scolaire (cf. M.-F. Bishop, 2016, 2017, 2019).

10 Notamment les évaluations PIRLS pour les élèves scolarisés en CM1 en France (Progress in International Reading Literacy Study) ou Pisa pour les élèves âgés de 15 ans (Programme for International Student Assessment). Nous y reviendrons dans la deuxième grande partie de notre thèse.

11 Notre formulation ne se veut pas péjorative.

12 Cf. Les horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire, parus au B.O. n°3 en date du 19.06.2008,

p. 11. La notion de « savoirs fondamentaux » demeure centrale dans les programmes de 2018 pour l’école primaire comme en attestent la note proposée par J.-M. Blanquer sur le site du ministère de l’éducation nationale en date du 29.08.18 (se reporter à : https://www·education.gouv.fr/cid133386/transmettre-les-savoirs-fondamentaux.html) ou la circulaire éditée pour la rentrée scolaire 2019 : « effet, l’inégale maitrise des savoirs fondamentaux constitue l’un des principaux obstacles à la réduction des inégalités sociales. Seule une politique d’élévation générale du niveau des élèves peut donc permettre à l’École républicaine de répondre à sa mission et

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12 maitrise du décodage et des notions « traditionnelles » de la grammaire de phrase au détriment des apprentissages littéraires et culturels prônés en 2002.

Dans la lignée de l’histoire de l’enseignement du français et de la littérature , discipline socialement vive, comme nous venons de le signaler, en prise souvent avec l’adage du « c’était mieux avant »13, les changements intervenus dans les programmes de 2008 révélaient donc que les notions de lecture littéraire et d’activité interprétative ne faisaient déjà plus consensus dans la sphère des prescriptions institutionnelles pour former les jeunes élèves à l’école primaire. Cependant, bien loin de considérations « politiciennes », il faut aussi considérer que la promotion de la lecture littéraire, telle qu’avait pu la faire C. Tauveron pour le premier degré, n’était pas alors partagée non plus par l’ensemble des recherches françaises en lien avec l’enseignement de la compréhension et de l’interprétation.

En lien avec des recherches menées dans les domaines de la psychologie cognitive et de la sociologie, il est en effet apparu que l’opacité et le caractère implicite des attendus scolaires et des modes de travail exigés des élèves étaient en grande partie au cœur des processus d’installation de l’échec scolaire chez les élèves de milieux populaires. En matière de lecture donc, les manières d’enseigner qui visaient au contraire le développement de stratégies explicites de compréhension paraissaient se révéler particulièrement efficaces pour réduire les échecs (cf. les travaux de R. Goigoux et al., M. Bianco et al. ou ceux du laboratoire ESCOL14), ce que ne semblaient pas permettre les propositions adossées aux notions de « lecture littéraire », et de « textes résistants » et d’« interprétation ». C’est pourquoi des chercheurs tels que C. Viriot-Goeldel et J. Crinon, se situant dans une réflexion de nature sociologique sur l’origine des inégalités scolaires, ont pu s’alerter de « cette généralisation de l’utilisation de textes complexes dès le début de l’apprentissage de la lecture », estimant cette dernière « fondée sur des intuitions, sur des convictions plutôt que sur des résultats de la recherche scientifique » (Ibid., paragr. 2)15.

de lutter efficacement contre les déterminismes. En travaillant à une meilleure maîtrise par tous les élèves des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter, respecter autrui), chaque professeur des écoles, dans son rôle de pédagogue, contribue aussi à la construction d’une société plus juste » (souligné par nous ; cf. https://www·education.gouv.fr/cid142412/la-circulaire-de-rentree-2019-au-bulletin-officiel.html).

Constatant qu’il est très souvent brandi au nom de préoccupations politiciennes, surtout en périodes électorales, Y. Citton (2010, p. 44) fustige le retour à ces savoirs fondamentaux surtout quand, appliqué à la « compétence de lecture », ce retour fait fi de la dimension interprétative que suppose cette dernière.

13 De même que nous ne défendons pas les pratiques scolaires « innovantes » comme panacée en termes

d’apprentissage, de même, à l’instar d’Y. Citton (cf. note précédente), nous ne faisons pas des pratiques scolaires « traditionnelles » et de leur pérennité (ou de leur retour) au sein des programmes et des classes un gage assuré de réussite. Les unes comme les autres doivent faire l’objet d’une dénaturalisation critique, ce qui, à notre avis, est le propre de toute réflexion didactique à vocation scientifique, comme nous allons l’expliquer dans la suite de notre introduction.

14 L’équipe ESCOL (Éducation et scolarisation) regroupe des enseignants-chercheurs et chercheurs associés

exerçant pour la plupart à l’Université Paris 8 Saint-Denis ou à l’Université Paris-est Créteil – ESPÉ/ INSPÉ de l’Académie de Créteil. Les travaux menés dans le cadre de cette équipe visent pour l’essentiel à étudier et mieux comprendre le renouvellement des processus de production des inégalités sociales et sexuées en matière de scolarisation et d’accès aux savoirs et aux modes de travail intellectuel.

15 Comme le précise C. Delarue-Breton (2016, p. 80 et sq.), mieux comprendre le rôle potentiel de ces textes

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13 Des changements de programmes révélateurs de la juxtaposition de modèles didactiques concurrents

L’influence des recherches en psychologie cognitive ou en sociologie dans le domaine de la lecture et de l’écriture sur les changements apportés par les programmes de 2008, comme ceux de 2018 d’ailleurs, peut s’interpréter comme un rééquilibrage en faveur de la langue au détriment de la littérature, l’histoire de la discipline du français étant structurée par les relations houleuses de ces deux sœurs bien souvent érigées en ennemies. B. Daunay (2007, p. 145 et sq.) propose en effet de voir dans l’histoire de l’enseignement du français, y compris depuis sa rénovation aux alentours des années 1990 dans le premier comme dans le second degré, deux orientations qui dominent tour à tour la manière d’envisager les relations entre langue et littérature.

L’une consiste à se servir des notions de « texte » et de « document », voire de « discours » comme outils d’unification de la discipline français à tous les niveaux scolaires, en minorant alors la place des textes littéraires, notamment au secondaire, au profit d’une extension du corpus à toutes sortes de supports : de la bande dessinée à l’image fixe et mobile en général, de la paralittérature à des articles de presse ou des textes scientifiques. Cette approche des textes s’est traduite récemment par l’introduction dans un certain nombre de recherches, à la fois en didactique du français ou dans le domaine de la sociologie, de la notion de littératie16, en particulier de littératie scolaire, comme en témoignent par exemple le numéro 190 de la revue Le français aujourd’hui, consacré aux « Litéracies scolaires »17 (2015), ou les travaux de C. Delarue-Breton et É. Bautier portant sur les relations entre l’émergence de nouvelles formes de littératie scolaire et l’accroissement des inégalités scolaires (2013, 2016). L’autre conception envisage au contraire la littérature comme un discours spécifique qui se traduit par des formes de lecture et d’écriture particulières, nécessitant un enseignement en tant que tel, et ce, dès l’école primaire, en mettant l’accent sur le développement chez l’élève non seulement d’un rapport esthétique au texte mais aussi d’un rapport subjectif via le traitement de questions à la fois culturelles et philosophiques : c’est l’axe de recherche que retiennent notamment le numéro 197 du Français aujourd’hui, consacré à la « Littérature et [aux] valeurs »18 (2017) ou le numéro 58 de Repères dédié au « Tournant éthique en didactique de la littérature »19 (2018).

mettre en question leur présence à l’École, seul lieu où certains élèves d’ailleurs fréquentent de tels supports. Selon C. Delarue-Breton, la non-prise en charge par l’École de tels supports contribuerait au contraire à renforcer ces inégalités. C’est pourquoi les interrogations de l’équipe ESCOL sur les usages de la littérature de jeunesse n’ont d’autre visée que « d’éclairer notamment la pratique pédagogique » (Ibid.). Il nous semble que c’est ainsi qu’il faut lire les réserves sévères de C. Viriot-Goeldel et J. Crinon auxquelles nous nous sommes référée.

16 L’orthographe française du terme anglais Literacy fait encore débat aujourd’hui au sein des chercheur·se·s qui

s’intéressent à cette notion (cf. C. Delarue-Breton, 2016, p. 86).

17 Repéré à : https://www-cairn-info.budistant.univ-nantes.fr/revue-le-francais-aujourd-hui-2015-3.htm 18 Repéré à : https://www-cairn-info.budistant.univ-nantes.fr/revue-le-francais-aujourd-hui-2017-2.htm 19 Repéré à : https://journals.openedition.org/reperes/1608

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14 Ce que Daunay interprète d’un point de vue diachronique comme une alternance entre différentes conceptions des liens entre langue et littérature, à la lumière de ce mouvement de « torsion de bâton dans l’autre sens », très caractéristique de l’histoire de l’enseignement du français, comme nous l’avons déjà évoqué, M.-F. Bishop, en ce qui concerne l’avènement de l’enseignement de la littérature au début du XXIe siècle et d’une didactique spécifique à ce

domaine à l’école primaire, le lit de son côté de manière synchronique, comme le reflet de l’existence de deux modèles didactiques qui n’ont de cesse de s’affronter (Bishop, 2016, p. 381 ; 2019, p. 47). D’après la chercheuse, l’un semble donner la priorité au « savoir comprendre » en lien avec des recherches anglo-saxonnes, héritières notamment des travaux de W. Kintsch (comme nous le montrerons dans notre thèse), tandis que l’autre privilégie le « savoir interpréter » en lien avec les théories de la réception, notamment celles de l’École de Constance, très influentes en France (cf. A. Compagnon, 1998 ; J.-L. Dufays, 1994

/

2010).

Nous pensons que les changements les plus récents en termes de préconisations ministérielles qui se sont produits entre 2015 et 2018 attestent de la persistance du conflit entre ces deux modèles. Si les programmes de l’école élémentaire en date de 2015 ont en effet proposé à nouveau, en réaction aux programmes de 2008, des préconisations en faveur de l’activité interprétative des élèves reconnus comme sujets lecteurs à part entière dès leur plus jeune âge, en particulier grâce à la lecture de textes littéraires, ces préconisations ont été néanmoins singulièrement amendées dès les programmes de 2018, en particulier pour le cycle 220, mettant à nouveau l’accent sur un enseignement explicite et décontextualisé des stratégies de compréhension à partir d’extraits de textes créés à cette fin, sans vocation littéraire aucune. Nous reviendrons dans notre première partie à l’aide de M.-F. Bishop sur l’ensemble des modèles qui ont jalonné l’enseignement de la littérature à l’école primaire depuis la fin du XIXe

siècle jusqu’à aujourd’hui, mais signalons d’ores et déjà, comme elle le met en évidence (2017, paragr. 1), que ces modèles, toujours difficiles à dater de manière précise, évoluent sans disparaitre totalement. C’est pourquoi ils se juxtaposent le plus souvent, les plus anciens n’étant que lentement abandonnés dans les pratiques.

Cette coexistence d’une « pluralité » de modèles n’est pas alors sans créer des effets de feuilletage et de sédimentation (M.-F. Bishop, 2017, paragr. 2), effets dont nous faisons l’hypothèse qu’ils rendent complexes, pour les enseignant·e·s, l’identification des savoirs à enseigner en termes de compréhension et d’interprétation, comme celle des situations d’apprentissage à mettre en œuvre pour accompagner les élèves, notamment les plus fragiles scolairement, dans une véritable mobilisation à la fois cognitive, culturelle et symbolique leur permettant de s’approprier ces savoirs (É. Bautier et P. Rayou, 2013, p. 30). L’équipe ESCOL en effet montre dans plusieurs de ses travaux qu’une des raisons de l’inégalité d’accès des élèves en échec scolaire à des supports complexes tels que les albums de littérature de jeunesse repose sur une « pédagogie invisible » où les processus cognitifs et les enjeux épistémiques et culturels qu’ils recouvrent ne sont jamais explicités. Les chercheur·se·s de cette équipe

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15 attribuent les causes de ce phénomène à la croyance ancrée chez les enseignant·e·s que les savoirs et savoir-faire requis pour appréhender des textes complexes seraient déjà communément partagés par l’ensemble des élèves et ne demanderaient donc pas d’apprentissages spécifiques (cf. C. Delarue-Breton, 2016, p. 31). Pour notre part, nous pensons que cette pédagogie invisible en lien avec les textes complexes est également le résultat d’une inflation des savoirs à enseigner dans le domaine de la lecture et de la littérature, sans que ces savoirs, construits au sein de la didactique du français ou empruntés à d’autres disciplines (comme les notions de stratégies et d’inférences, issues de la psychologie cognitive) aient toujours un statut clairement identifié de savoirs destinés à la pratique d’enseignement ou à la réflexion didactique des chercheurs et des enseignants (B. Daunay, 2007, p. 159 ; J.-L. Dufays, 2006, paragr. 10 et 11).

3. Du constat d’une hétérogénéité des savoirs à enseigner et des pratiques enseignantes à une première entreprise de recherche inscrite dans le paradigme de la problématisation

Nous avons souhaité dans un premier temps relater dans cette introduction générale les débuts de notre expérience de formatrice en français en lien avec le professorat des écoles pour mettre en évidence combien nos débuts ont été pour nous synonyme d’une importante perplexité liée au constat d’une grande diversité des modèles didactiques et des savoirs à enseigner, y compris dans le premier degré, en matière de compréhension et d’interprétation des textes, que ceux-ci soient littéraires ou non. Nous allons désormais mettre en évidence comment notre perplexité de formatrice a donné lieu à une première entreprise de recherche de notre part, via la rédaction en 2011 d’un mémoire de recherche réalisé dans le cadre d’un master 2 en sciences de l’éducation.

Une entreprise de recherche résolument disciplinaire, tournée vers les savoirs

Nous avons en effet mis au travail dès notre mémoire de recherche cette hétérogénéité des savoirs en matière d’enseignement de la compréhension et de l’interprétation des textes littéraires en faisant l’hypothèse, en lien avec les travaux sur la problématisation développés au sein du CREN21, que cette hétérogénéité pouvait générer un « brouillage » didactique des contenus à enseigner, non seulement complexes à appréhender pour les enseignant·e·s du premier degré – qui, rappelons-le, ne sont pas des spécialistes de la littérature (Bishop, 2019, p. 34) –, mais également à l’origine de leurs difficultés pour proposer aux élèves des situations d’apprentissage à même d’engager de leur part une activité intellectuelle mobilisatrice et émancipatrice. Nous avons certainement inscrit notre réflexion dans le cadre du paradigme de la problématisation parce que l’IUFM de Nantes au sein duquel nous exercions était très lié aux

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16 travaux du laboratoire du CREN dans ce domaine et que cet aspect logistique simplifiait bien des contraintes organisationnelles.

Néanmoins, les travaux en lien avec le paradigme de la problématisation sont venus surtout donner corps et légitimité scientifique à une interrogation personnelle sur la conception de la didactique que nous souhaitions et souhaitons toujours défendre, à savoir que la première relation qui sous-tend le système didactique est celle qui existe entre les savoirs visés dans telle discipline et les situations d’apprentissage. C’est pourquoi, via le paradigme de la problématisation, nous nous inscrivions, et nous continuerons à le faire dans cette recherche doctorale, dans une conception résolument disciplinaire de la didactique, focalisée sur les savoirs, en tant que ceux-ci sont objets d’enseignement et d’apprentissage (cf. Y. Reuter, 2014, p. 54), ce qui n’empêche une réflexion d’ordre comparatiste sur ces objets, telle celle que nous allons également entreprendre dans notre thèse.

Selon C. Orange (2006 a, p. 124) en effet, un des chercheur·se·s à l’origine du paradigme de la problématisation, « enseigner, c’est construire et mener des situations en fonction d’objectifs d’apprentissage, qui visent certains savoirs. On peut donc penser qu’il s’agit de l’axe essentiel d’une analyse de pratiques didactique ». Défendre une telle conception de la didactique ne revient pas nécessairement à survaloriser le pôle « savoir » au détriment des autres pôles du système didactique et de leurs relations, survalorisation remise en cause par J.-F. Halté (1998, p. 172) ou R. Goigoux (2001/2018, paragr. 5) car, comme l’explique C. Orange (Ibid.) lui-même, cela reviendrait à défendre une conception simpliste de l’apprentissage.

Il s’agit bien plutôt, dans le cadre du paradigme de la problématisation, d’envisager la réflexion sur les savoirs comme une entrée particulièrement heuristique pour interroger l’ensemble justement de ce qui se joue dans le système didactique, c’est-à-dire les interactions possibles et leurs contraintes éventuelles entre les contenus d’enseignement en jeu, les situations d’apprentissage proposées, les productions effectives des élèves et leur possible activité intellectuelle (Ibid.). Cette « entrée par les savoirs », prônée par le paradigme de la problématisation, nous est apparue également à même de nous aider à prendre en compte les résultats des recherches du laboratoire ESCOL en matière de co-construction des inégalités scolaires, même si ces dernières n’allaient pas constituer directement le socle de nos références théoriques dans notre recherche de master 222.

22 Les équipes du CREN et d’ESCOL se sont rencontrées à plusieurs reprises pour interroger leurs travaux

respectifs. L’une comme l’autre, malgré leurs différences théoriques (notamment en lien avec la priorité à accorder à la dimension disciplinaire dans l’analyse des phénomènes didactiques) partagent en effet une même préoccupation : l’égalité d’accès de tous les élèves, quelle que soit leur origine sociale, à des savoirs véritables et émancipateurs, préoccupation constante au cours de notre carrière d’enseignante, de formatrice ou d’apprentie chercheuse.

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17 Une entreprise de recherche adossée à différents modèles didactiques

C’est pourquoi nous avons entrepris dans notre mémoire de master en lien avec nos interrogations de formatrice évoquées supra, à la fois de dresser un état des lieux de recherches ayant influencé la didactique de l’enseignement de la lecture et de la littérature à l’école primaire et de modéliser, en lien avec cet état des lieux, un dispositif d’enseignement permettant l’accès des élèves de l’école primaire à des savoirs dits « problématisés » en matière de compréhension et d’interprétation des textes littéraires. Un tel projet nécessitait donc d’une part d’identifier les savoirs en jeu dans les différents modèles didactiques de la lecture et de la littérature que nous avions retenus et de définir dans quelle mesure les difficultés théoriques à définir les notions de compréhension et d’interprétation par ces modèles pouvaient être éclairées par celle de problématisation ; nous avions en effet émis l’hypothèse que comprendre-interpréter un texte littéraire consistait à le problématiser. D’autre part, dans une perspective comparatiste, en lien avec d’autres didactiques disciplinaires, telles que les sciences ou l’histoire, ayant déjà mené des recherches approfondies en termes d’apprentissage par problématisation, nous avions également pour intention de définir des situations d’apprentissage à même de faire accéder les élèves à des savoirs littéraires problématisés.

Une recherche en lien avec l’enseignement de la compréhension-interprétation dans le domaine de la lecture des textes littéraires

Pour réaliser cette entreprise, nous avons alors retenu pour référents théoriques propres à la didactique de la compréhension-interprétation deux modèles en particulier. D’une part, notre choix s’est porté sur le modèle proposé par J. Giasson23 : ce dernier, résultant de la

traduction des travaux anglo-saxons de J. Irvin24, dans un cadre psycho-cognitiviste et d’abord destiné au public québécois, connaissait un franc succès auprès du public francophone, notamment en France et en Belgique25. Ce succès, sans aucun doute lié à la clarté d’exposition du propos et à des propositions pédagogiques concrètes, susceptibles d’éclairer l’hétérogénéité et l’opacité des savoirs en jeu dans le domaine de la lecture-compréhension, constituait alors à nos yeux une raison suffisante pour la retenir comme aide à notre réflexion.

D’autre part, nous avions repris les principaux principes du modèle proposé par C. Tauveron qui, comme nous l’avons déjà mentionné, s’était donné pour but de didactiser la notion de lecture littéraire à l’école primaire à l’aide d’une définition personnelle des concepts de compréhension et d’interprétation dans la lignée des travaux de U. Eco, B. Gervais, M. Picard ou C. Vanderdorpe. Signalons que ces travaux présentaient néanmoins des différences

23 Giasson, J. (2007). La compréhension en lecture. Belgique : De Boeck.

24 Irwin, J. (1986). Teaching reading comprehension processes. États-Unis : New Jersey Prentice-Hall. Notre

propre lecture de cet ouvrage nous a permis de constater combien les propositions de J. Giasson en étaient directement inspirées.

25 M. Dispy (2011, p. 118) s’est d’ailleurs interrogée sur la manière dont les enseignant·e·s belges se sont

approprié·e·s les propositions de J. Giasson : selon la chercheuse, la diffusion massive de ces travaux a en effet conduit ces derniers à se méprendre sur les notions de « littéral » et d’« implicite ».

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18 notoires (une approche sémiotique pour Eco ou une approche plus psychanalytique pour M. Picard par exemple) conduisant à ne pas accorder les mêmes priorités aux droits du texte ou aux droits du lecteur, suivant que ce dernier est envisagé comme lecteur modèle ou lecteur empirique. Nous n’avions pas alors conscience de l’importance de ces différences, dimension sur laquelle nous reviendrons dans la suite de cette introduction. Les raisons qui nous avaient poussée à retenir ce second modèle n’étaient pas éloignées de celles qui avaient présidé à notre sélection de celui de J. Giasson. En effet, le modèle proposé par C. Tauveron bénéficiait lui aussi d’un succès incontestable, d’où son adoption en grande partie pour la rédaction des programmes de 2002, comme nous l’avons expliqué. À titre personnel, nous trouvions également ce modèle très « attirant », principalement pour les trois motifs suivants : tout d’abord, il manifestait une exigence en matière de savoirs littéraires et culturels, notamment via la promotion d’une pratique intertextuelle des œuvres de littérature de jeunesse, exigence qui ne pouvait que faire écho à notre profil d’enseignante du second degré (ce qui n’est certes pas sans faire problème) ; ensuite, la réflexion « novatrice » proposée sur les liens entre les notions de compréhension et d’interprétation conduisait à faire de l’activité interprétative un contenu d’apprentissage dès l’école primaire dans une volonté de réduire l’échec scolaire, préoccupation majeure à nos yeux ; enfin, C. Tauveron proposait des dispositifs d’enseignement basés à la fois sur l’appropriation singulière des œuvres et des échanges collectifs, via les écrits de travail et les débats interprétatifs, à même selon nous d’impulser sur le terrain de l’école primaire des pratiques de la littérature enfin « dépoussiérées » des fameux questionnaires de lecture, encore légion dans les classes.

Une recherche en lien avec le paradigme de la problématisation

Après avoir présenté dans notre mémoire de recherche de master 2 ces deux modèles en mettant en exergue leurs principaux principes en lien avec les notions de compréhension et d’interprétation, nous avions alors proposé un dispositif didactique visant à aider les élèves de l’école primaire à comprendre-interpréter des textes littéraires dans une perspective de problématisation. Ce dispositif était à la fois adossé à la modélisation didactique proposée par C. Orange des savoirs en jeu en classe de sciences et des conditions nécessaires à leur accès par les élèves ainsi qu’aux propositions de M. Fabre (1989, 1996, 1999) en matière de compréhension de récit, en lien notamment avec son travail sur le genre de la fable et le rôle des personnages26. Nous avions également complété notre dispositif avec d’autres travaux de

M. Fabre sur les philosophies du problème, notamment sur la conception problématologique du langage et du texte proposée par M. Meyer. La conjonction des modèles didactiques de la compréhension et de l’interprétation (J. Giasson et C. Tauveron faisant l’une et l’autre référence à la notion de résolution de problèmes pour envisager l’activité de lecture) ainsi que les travaux en problématisation nous avait alors conduite à envisager dans une perspective proche de celle de M. Meyer tout texte, littéraire ou non, comme une réponse littérale à une question figurée

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19 (Meyer, 2001) et l’activité de compréhension-interprétation comme une activité consistant à re-construire le problème auquel le texte lu apparait comme réponse.

Comme le précise M. Fabre (2006a, p. 135), le problème dont le texte constitue la solution ne se situe ni dans le texte lui-même ni dans la tête de l’auteur mais dans un lieu virtuel qui définit l’espace de compréhension-interprétation, lequel est d’ailleurs indéfiniment ouvert. Comprendre-interpréter un texte ne consiste donc pas pour le lecteur à retrouver la problématique que l’auteur avait en tête avant ou pendant la rédaction de son œuvre mais à en construire une nouvelle à l’aide des données textuelles jugées pertinentes en lien avec des normes et un cadre de lecture. Cette problématique, ces normes et ce cadre permettent en effet, selon M. Fabre, au lecteur de tisser ensemble les données textuelles, conformément à l’étymologie même du mot « texte », comme un tout cohérent au sein duquel différents réseaux de signification entrent en résonnance à la fois sur un plan narratif, thématique et idéologique (cf. M. Fabre, 1989, 1999, 2016).

Pour finaliser notre travail de recherche de master 2, nous avons alors transposé ce modèle de l’activité de compréhension-interprétation, pensé dans le cadre de la problématisation, à l’univers de la classe en cherchant à formaliser des possibilités d’accompagnement des élèves de l’école primaire à même de leur apprendre à questionner des œuvres issues de la littérature de jeunesse. Pour ce faire, dans la lignée des propositions de J. Giasson et de C. Tauveron, nous avons construit notre dispositif autour de la notion de « lecture par épisodes », consistant pour l’enseignant·e à aménager des pauses dans la découverte de l’œuvre au cours desquelles écrits de travail individuels et discussions collectives – proposées aux élèves sous forme de débats interprétatifs – sont destinés à les aider à réaliser des retours aux données textuelles pour y confronter leurs hypothèses. En d’autres mots, nous avions alors conçu cette lecture par épisodes comme une activité de résolution de problèmes à un double niveau, envisageant les activités de compréhension et d’interprétation dans un continuum : le premier niveau, davantage liée à la compréhension, demandant aux élèves de reconstruire le texte comme un tout cohérent en réalisant des inférences à la fois textuelles et extratextuelles (cf. J. Giasson) ; le second, sollicitant davantage l’interprétation, invitant les élèves à concevoir ce tout comme une réponse à un problème que le jeu textuel réalisé avec les différents rôles des personnages permettrait d’identifier (cf. M. Meyer et M. Fabre).

Notre dispositif avait par conséquent partie liée à la notion d’enquête, chère à M. Fabre, en lien notamment avec ses travaux sur J. Dewey. Concevoir la lecture proposée aux élèves comme une activité de résolution de problèmes nous a amenée en effet à penser cette dernière comme la conduite orchestrée d’une enquête, nécessitant pour les élèves d’identifier un certain nombre d’indices textuels à relier entre eux, ces indices étant mis en valeur à la fois par l’auteur lui-même grâce à des marqueurs ou intensificateurs stylistiques et rhétoriques (cf. M. Fabre, 1989 ; M. Meyer, 2001) et par les situations d’apprentissage mises en œuvre par l’enseignant·e pour attirer l’attention de ses élèves sur ces derniers. Pour le dire autrement encore, mais cette fois-ci à l’aide d’un vocabulaire emprunté à C. Orange, cette enquête consiste pour les élèves,

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20 grâce à l’étayage didactique et pédagogique rigoureux de leur enseignant·e, à « explorer le champ des possibles », c’est-à-dire à explorer les pistes interprétatives laissées ouvertes par les blancs du texte (cf. J. Giasson et C. Tauveron), puis à les délimiter progressivement au fur et à mesure de la lecture de l’œuvre en établissant la « nécessité » de certaines pistes contraintes par le texte. Quand nous évoquons l’étayage rigoureux de l’enseignant·e, il ne s’agit pas pour lui/elle d’imposer à la classe sa propre interprétation du texte mais d’organiser, grâce notamment à une analyse rigoureuse en amont de l’œuvre proposée et de ses obstacles potentiels en termes de compréhension-interprétation, la confrontation des pistes proposées par les élèves afin qu’ils parviennent à en identifier le degré de nécessité par rapport à la cohérence narrative, symbolique et argumentative du texte.

Notre entreprise de recherche de master 2 visait donc à explorer différents modèles didactiques, certains issus de travaux en lien avec la compréhension et l’interprétation dans le domaine de la lecture, en particulier des textes littéraires, d’autres issus du paradigme de l’apprentissage par problématisation. Et en lien avec ces modèles, nous avions élaboré une modélisation personnelle de l’enseignement de la lecture littéraire à l’école primaire, ou autrement dit, de la compréhension et de l’interprétation des textes littéraires, dans l’intention de fournir aux formateur·trice·s et aux enseignant·e·s une cartographie possible des savoirs enseignables et des situations d’apprentissage dans ce domaine.

Heurs et malheurs de notre première entreprise de recherche

Nous nous sommes lancée dans la rédaction de notre mémoire de master dans l’intention de trouver des réponses sur un plan scientifique aux tensions auxquelles notre expérience de formatrice nous avait confrontée pour accompagner les professeur·e·s des écoles dans leur enseignement de la compréhension-interprétation des textes littéraires. Pour rappel, nous avions d’abord identifié certaines de ces tensions comme étant liées à l’hétérogénéité des savoirs à enseigner dans le domaine de la lecture et de la littérature à l’école primaire en raison de la co-existence de discours didactiques issus de différents champs de recherche (la psychologie cognitive versus la didactique de la littérature) et différemment pris en compte dans les programmes scolaires. Nous avions également déterminé un second foyer de tensions en lien avec les conséquences de cette hétérogénéité dans les pratiques de classe : synonyme d’opacité et de désarroi pour les enseignant·e·s dans le premier degré, cette dernière se traduisait bien souvent (et se traduit encore) en termes de « pédagogie invisible » dans les classes, pédagogie particulièrement préjudiciable pour les élèves les plus éloignés de la culture écrite.

Si notre mémoire de master nous a permis de nous acculturer aux exigences théoriques et méthodologique d’une recherche en didactique, force est de constater que la proposition que nous avons faite en termes de dispositif d’enseignement de la compréhension-interprétation ne nous a pas permis de lever les tensions que nous venons de rappeler. Peut-on les lever d’ailleurs ? Peut-on même se fixer un tel but ? Nous répondrons plus loin à ces questions quand nous formaliserons plus avant dans cette introduction nos hypothèses de recherche relatives à

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21 notre thèse. Précisons pour le moment les conditions qui nous ont permis de prendre un recul critique avec notre première entreprise de recherche.

Comme nous avions publié deux articles relatifs à notre proposition de dispositif didactique, en collaboration avec F. Simon et A. Schmehl-Postaï qui nous avaient accompagnée lors de notre mémoire de master 2 (cf. Simon et al., 2015a et b), les relectures expertes dont nous avons bénéficié nous ont permis de prendre conscience d’un certain nombre de difficultés. Ces dernières, si elles sont de nature diverse, présentent néanmoins un point commun, à savoir un manque de vigilance de notre part quant au risque de naturalisation qui guette toute proposition de modélisation didactique. Nous avons également affiné notre identification de ces difficultés grâce à de nouvelles lectures que nous n’avions pas approfondies au moment de notre master 2 et qui nous semblent pourtant aujourd’hui incontournables pour qui s’attèle à une réflexion sur l’enseignement de la compréhension-interprétation : il s’agit de lectures retraçant à la fois l’histoire de la didactique du français et les débats ayant contribué à sa structuration27, l’avènement des notions de lecture littéraire et de sujet lecteur au sein des recherches en didactique de la littérature28 ainsi que des travaux en lien avec une perspective didactique comparatiste, fil conducteur adopté par plusieurs séminaires en lien avec les travaux du CREN sur la problématisation29.

 Un dispositif lié à une conception de la didactique par trop « interventionniste » Une première difficulté relative à notre dispositif d’enseignement de la compréhension-interprétation, tel que nous l’avons proposé dans notre mémoire de master 2, est liée à sa visée praxéologique, visée que l’on peut certes qualifier de caractéristique de toute entreprise didactique, en particulier en français (cf. J.-F. Halté, 1998). Néanmoins, nous n’avions pas conscience des limites que peut entrainer une telle visée praxéologique. Comme le soulignent en effet Y. Reuter et al. (2013, p. 65-69, article « Didactiques »), les didacticien·ne·s ont des positions divergentes « sur les relations entre l’espace de recherche qui est le leur et les autres espaces (de pratiques, de prescriptions, de recommandations…) auxquels ils sont confrontés ». La première, poursuit Y. Reuter, se pensant sur le mode de l’abstention, postule que, comme nombre d’autres sciences dites fondamentales, les visées des didactiques résident non pas dans l’aide à l’intervention, mais seulement dans la description et l’analyse des pratiques, le chercheur n’étant en aucun cas un prescripteur. À l’inverse, les tenants d’une seconde position, que Y. Reuter se propose de qualifier d’« interventionniste », n’hésitent pas à considérer que la didactique peut remplir un rôle de guide des pratiques qui peut aller jusqu’à la prescription de « bonnes pratiques ». Entre ces deux positions extrêmes, existe un ensemble de positions, dont celle d’Y. Reuter et de son équipe, ou encore de ce qui nous semble être celle des

27 J.-P. Bronckart, B. Daunay, J.-F. Halté, Y. Reuter ou encore B. Schneuwly par exemple. 28 S. Ahr, M.-F. Bishop, J.-L. Dufays, G. Langlade et B. Louichon par exemple.

29 Il s’agit des séminaires « Aides à la problématisation » et « Problématisation » en lien avec le thème 5 « Savoirs,

Figure

Tableau 2 - Seconde tentative de mise en relation des notions de compréhension et d’interprétation
Figure 2 - Modélisation des savoirs scientifiques (C. Orange, 2006b, p. 77)
Figure 3 - La problématisation : un processus bidimensionnel (C. Orange, 2005b, p. 81)

Références

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