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CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL EN TROIS VOLETS

2. La transmission des savoirs

2.3. Savoir vs savoirs

D’abord, dans le Dictionnaire de la langue française (Hachette, 1961), selon Emile Littré, l’usage singulier du terme nous permet d’accéder à sa signification philosophique dont nous avons parlé ci-dessus : ce qui se rapporte à un savoir, général mais complexe dans un domaine particulier, et qui donne lieu aux termes suivants :

- savoir-faire : « 1.habileté dans un art quelconque, 2.particulièrement. Habileté à réussir ce qu’on a entrepris174 ».

- savoir-vivre : « 1.habileté à conduire sa vie, 2.part. Connaissance des usages du monde, et des égards de politesse que les hommes se doivent en société175 ».

Ces expressions sont complétées par celle de savoir-être, qu’on trouve fréquemment dans les ouvrages pédagogiques.

Pourquoi « savoirs » alors ? Nous essayons de l’interpréter des deux manières suivantes :

Premièrement, Littré note le mot est :

« usité seulement au singulier (désignant la) connaissance acquise par l’étude, par l’expérience176 ».

Cette définition, à notre avis, correspond à un savoir acquis : il y a un mouvement de la connaissance vers le savoir. D’où l’emploi du pluriel du terme faisant référence à l’ensemble des connaissances acquises, entre autres, grâce à l’apprentissage ou à l’expérience. Donc les termes savoir et connaissance convergent-ils sémantiquement dans leur usage au pluriel ? En effet, nous pouvons admettre cette équivalence, qui embrasse la diversité des approches d’un objet.

174 Littré Emile, 1961, Dictionnaire de la langue française, Paris, Hachette, p. 1958. 175id.

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Deuxièmement, les savoirs se comprennent dans la mesure où chacun d’entre eux s’applique à un domaine. Ils représentent donc le trésor de toutes les connaissances humaines (les savoirs de l’astronomie, de la physique, de la philosophie, etc.).

Selon le DEEF, les savoirs se définissent par :

« (l’)ensemble d’énoncés et de procédures socialement constituées et reconnues 177».

C’est grâce à ces derniers « qu’un sujet, individuel ou collectif, entretient une relation au monde naturel et social et le transforme ». Les savoirs renvoient à :

« (des) stocks d’énoncés et de procédures dont l’organisation, la systématisation et la formalisation sont cohérentes, légitimées, dans un groupe social donné à un moment historique donné178 ».

S’agissant souvent du groupe, les savoirs jouent donc un rôle signifiant et constructif dans la société et ils ont une dimension collective. On distingue trois types de savoirs179 :

- des savoirs théoriques, dont les savoirs scientifiques,

- des savoirs procéduraux ou stratégiques qui formalisent les règles pour la mise en œuvre de l’action,

- et des savoirs pratiques, des procédures et des règles issues de l’action elle-même180.

En effet, cette re-conceptualisation a élargi le statut des savoirs, au-delà des savoirs scientifiques et théoriques. De plus, selon Perrenoud, il y a un continuum, des aller-retour entre des savoirs, c’est-à-dire que les savoirs savants sont issus des opérations d’expertise et des pratiques sociales, et à l’inverse, celles-ci se produisent en se basant sur les savoirs pratiques.

Il est noté aussi que :

« les savoirs n’existent que s’ils sont l’objet d’une activité pour un sujet collectif ou individuel : apprendre, mettre en œuvre, interpréter, etc.181 ».

Ils sont alors surtout une notion sociale contextualisée, utile et utilisée au profit de tous. Associée à cette approche concernant des disciplines d’intervention sociale, la didactique des langues et des cultures identifie des savoirs :

« à la fois comme origine, objet ou produit de la recherche182 ».

177 Champy Philippe, Eteve Christiane, 1998, id., p. 945. 178 id.

179 id. 180 id. 181 id.

182 Beacco Jean-Claude, « Contextualiser les savoirs en didactique des langues et des cultures »,dans Guide

pour la recherche en didactique des langues et des cultures. Approches contextualisées, Blanchet Philippe et Chardenet Patrick (dir.), Paris, Editions des archives contemporaines, p. 35.

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Elle distingue quatre formes de savoirs qui « interagissent entre elles183 », comme souligne Jean-Claude Beacco :

2.3.1. « Les savoirs savants »

« Les savoirs savants » se traduisent par :

« leurs modalités des constructions de la connaissance (concepts, protocoles, démarches…) laquelle est contrôlée épistémologiquement au sein des communautés scientifiques184 ».

Nous remarquons que, dans cette définition, se tisse une relation entre savoirs et connaissance. En effet, Jean-Claude Beacco définit les savoirs savants par les concepts, les protocoles, les démarches, etc., portant une fonction constructive en vue de la formation de la connaissance. Le lien entre savoirs-connaissance relève particulièrement des communautés scientifiques. Il a captivé notre attention en classant cette forme de savoirs comme académiques, universitaires, scientifiques. Les savoirs scientifiques sont en théorie neutres et indépendants de n’importe quelle communauté dans laquelle ils circulent, alors que les caractéristiques académiques et universitaires montrent que ces genres de savoirs se déplacent dans un milieu particulier et sont reconnus et utilisés par les membres de cet environnement. Autrement dit, les savoirs scientifiques peuvent être accessibles à tous les publics sans ou avec des conditions favorisantes, alors que les savoirs académiques sont l’objet de d’étude et de recherche des enseignants et étudiants particuliers. Par exemple, les savoirs scientifiques comme les généralités sur les adolescents sont publiés ou diffusés par l’éducation mais aussi par les médias. Les informations sont trouvées en brochure dans les cabinets des psychologues. En revanche, les savoirs dits académiques sont ceux que les futurs professionnels des adolescents devraient connaître pour travailler avec ce public. Ces savoirs sont donc discutés dans les cours menés par les spécialistes ayant des expériences dans le domaine, en l’occurrence notre CM sur la Psychologie de l’adolescence. En fait, les savoirs savants sont rendus accessibles lorsqu’ils se transforment en savoirs diffusés/divulgués qui seront traités ci-dessous et situés dans des contextes particuliers.

2.3.2. « Les savoirs savants diffusés/divulgués »

« Les savoirs savants diffusés/divulgués », comme leur nom l’indique, résultent des précédents mais sont présentés sous différentes formes de transposition en vue de l’accès à un large public. En fait, il s’agit d’un « ensemble des canaux et des ressources

183 id. 184 id.

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médiatiques » destinés au public sans que ce dernier soit spécialiste du domaine. Ce type de savoirs inclut premièrement :

« des formes discursives/sémiotiques diverses, dans des filiations intertextuelles avec les textes source qui en gomment plus ou moins la complexité185 ».

S’y ajoutent des opinions qui représentent aussi des sources d’informations. Tous ces savoirs sont facilement trouvés dans les cours magistraux ou abordés occasionnellement lors de l’enseignement du professeur. Par exemple, dans le cours magistral, l’enseignant a recours à toutes sortes de mesures discursives comme la reformulation, la répétition pour faciliter l’accès au savoir visé. Par ailleurs, l’enseignante de droit mentionne dans son cours qu’il y aura une conférence pour tout public à l’université pour éclairer un nouveau point sur une récente loi concernant le pacs. De savant, le savoir devient populaire.

2.3.3. « Les savoirs d’expertise »

« Les savoirs d’expertise » sont dégagés des situations dans lesquelles des « sujets expérimentés sont en mesure d’agir avec efficacité grâce à leurs connaissances spécialisées186 ». Il s’agit du type de « savoir-agir », qui renvoie à :

« une capacité de diagnostic et d’analyse des situations187 »,

établi à partir de l’expérience de l’expert. Dans les pratiques d’enseignement, l’auteur souligne que les savoirs d’expertise sont parfois subjectifs vu qu’ils sont personnels, bien qu’ils soient « en osmose avec des savoirs savants acquis ou avec les versions transposées de ceux-ci188 ». Nous allons voir que les cours magistraux sont en particulier dédiés à ce type de savoirs à travers des commentaires ou des avertissements subtils des enseignants, spécialistes également de leur domaine, vis-à-vis de notions enseignées ou de situations concrètes. Par exemple : la situation financière des foyers français, les adolescents d’aujourd’hui en France aux yeux des adultes et/ou des autorités, des cas particuliers relatifs au pacs, etc.

2.3.4. « Les savoirs sociaux »

Selon Beacco toujours, « les savoirs sociaux » sont « constitutifs des représentations sociales ». Ce type de savoirs est envisagé dans sa « matérialité discursive » et non en tant que déclencheur de pratiques sociales. S’inspirant de l’étude de B. Py (2004), Beacco rappelle qu’une représentation sociale est considérée comme une micro-théorie prête à l’emploi, et « économique » grâce à sa simplicité et son application

185 id. 186 id. 187 id. 188 id., p. 38.

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aux différents domaines. Lorsqu’il aborde les savoirs sociaux, Jean-Claude Beacco souligne l’acte de leur mise en œuvre énonciative, donc leur aspect factuel lié à des interprétations. D’après lui, ces dernières :

« font partie des connaissances et des croyances indispensables à la vie sociale (et notamment à la communication)189 ».

Surtout dans les sociétés multilingues contemporaines, selon Jean-Claude Beacco, les savoirs savants sont accompagnés de valeurs et des représentations sociales dans les protocoles, les positionnements épistémologiques. Nous nous demandons à quel type de savoirs fera référence notre corpus.

L’étude de la configuration des savoirs dans le champ de la didactique des langues et des cultures est récapitulée dans un cadre interactif entre les types de savoirs par Jean-Claude Beacco : Savoirs savants / académiques Savoirs d’expertise / professionnels Savoirs diffusés / banalisés Savoirs sociaux / ordinaires Tableau 2

La configuration des savoirs selon Jean-Claude Beacco

En bref, est-ce que nous arriverons ici à identifier ce que l’on entend par savoirs et par connaissances ? Il faut avouer qu’il n’est pas aisé de relever une différence nette entre ces deux notions. En effet, il existe, selon certains auteurs, des oppositions très claires selon lesquelles les savoirs sont :

« indépendants des êtres humains qui les produisent ou tentent de se les approprier190 »,

ils seraient :

« universels, impersonnels, sans propriétaires, sans trace de leur genèse, sans référence à leurs usages sociaux191 ».

189 id., p. 36.

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La preuve : il n’est pas encore possible d’accéder à tous les savoirs des sociétés existantes, tandis que les connaissances renvoient à :

« la face subjective des savoirs, tels qu’ils existent dans l’esprit humain, conceptualisés, personnalisés, voir englués dans l’ensemble des structures mentales192 ».

Notre étude a besoin de bien clarifier ces notions avant d’aborder d’autres points qui s’enchainent dans notre cadre conceptuel. L’étude des cours magistraux actualise la question de la transmission des savoirs en tant qu’entités générales et universelles. Nous terminerons cette partie d’analyse par les notions qui s’ancrent autour du savoir par l’examen des deux verbes transmettre et transférer.