• Aucun résultat trouvé

UNE DOUBLE ANALYSE DE NOS DONNEES

CHAPITRE 2 : MICRO-ANALYSE DES TROIS CM DU CORPUS

1. Analyse du système énonciatif aux multiples fonctions

1.3. Les indices démonstratifs

Selon Emile Benveniste, dans le système énonciatif, à côté des marques personnelles, les indices démonstratifs

« impliquent un geste désignant l’objet en même temps qu’est prononcée l’instance du terme358 ».

Ils sont donc le signe de l’oral et de la communication directe. Le cours magistral étant un acte de « négociation de sens », nous voulons insister sur l’emploi des déterminants démonstratifs pour montrer l’interaction entre le locuteur et ses interlocuteurs, interaction censée faciliter l’enseignement/apprentissage. Nous avons trouvé 185 occurrences d’adjectifs démonstratifs dans les discours des enseignants qui apportent au discours des nuances de sens intéressantes.

1.3.1. Adjectifs démonstratifs

Les adjectifs démonstratifs, suivis des noms particuliers, assument des fonctions intéressantes dans les énoncés.

1.3.1.1. Etablir le plan

En premier lieu, évoquons les termes grâce auxquels le plan du cours peut s’établir, soulignés par un démonstratif, à savoir chapitre, partie, point :

« dans ce chapitre là je parlerai aussi des parents » (CM1, l. 83),

« bon voilà * pour le programme de cette deuxième partie corps et conduite » (CM1, l. 160),

« dans cette troisième partie / je serai amené à parler de » (CM1, l. 163-164),

« le pacs est un contrat donc pour parfaire ce premier point » (CM3, l. 62-63).

1.3.1.2. Aborder l’expérience partagée

Certaines marques démonstratives sont parfois combinées avec des indices temporels. En effet, nous avons relevé deux valeurs temporelles, dont l’une renvoie au contenu transmis et l’autre au plan du cours. Nous voulons insister sur la deuxième valeur déictique qui vient renforcer l’interaction entre le locuteur et ses interlocuteurs, et le partage d’un temps commun.

« cette fois on va commencer le cours par le début » (CM1, l. 189), « c’est dans la lignée de ce que j’ai dit / là ce soir / » (CM1, l. 533),

196

« je vais parler maintenant de l’adolescence ? / / pour ce second

semestre » (CM1, l. 2-3),

« on voit que les modèles simple évidemment dans ce semestre de l’introduction à la macro » (CM2, l. 16-17),

« on peut voir ce qu’on peut voir cette année » (CM2, l. 536-537).

L’usage des démonstratifs souligne ici l’expérience commune partagée. Par ailleurs, ce qui est intéressant, dans la majorité des cas (57), c’est que les démonstratifs sont présents dans les énoncés métadiscursifs et décrivent la façon de discourir du locuteur. Ils sont suivis à un premier niveau par les noms du type cadre, enseignement, passage, présentation, sujet, théorie, trame d’analyse, travail, permettant de présumer généralement l’acte métadiscursif du locuteur. Lisons certains exemples :

« prenez-le ! prenez ce travail de l’inconscience de la même manière ! » (CM1, l. 498-499),

« pour en faire une véritable trame d’analyse / cette trame d’analyse c’est / c’est je peux arriver à expliquer la détermination / simultanée / d’un ensemble des variables-clés » (CM2, l. 296-298),

« ce cadre théorique ce cadre d’interprétation de Keynes / » (CM2, l. 365-366),

« il a su pêcher des choses pour faire la théorie globale et cette théorie

globale / elle renvoie à des variables » (CM2, l. 394-395),

« le but de cet / de cet enseignement est / de vous faire pressentir donc » (CM3, l. 16-17).

Ces énoncés contribuent en partie à promouvoir l’aspect interactif du discours magistral, parce que l’enseignant s’adresse à ses étudiants pour reprendre ou engager des processus (travail de l’inconscient, cadre théorique, enseignement) ou partager des idées (une trame d’analyse, la théorie globale) : dans tous les cas, il souligne qu’ils partagent une expérience commune.

1.3.1.3. Mettre en relief la co-construction des savoirs

On peut ajouter à cette catégorie une suite de mots qui représentent la réflexion engendrant la co-construction des contenus, comme idée, interprétation, présentation dominante, sens, type de, vision :

« tout est possible les conduites toujours avec cette idée de l’explosion pulsionnelle à l’adolescence » (CM1, l. 305-306),

« il y a / y a là ces deux aspects » (CM1, l. 523),

«donc je vais passer de cette vision que je dirais universelle / plutôt cool de l’adolescence /» (CM1, l. 212-213),

« il n’y a pas eu de décisions dans ce sens mais rien n’interdit de penser que » (CM3, l. 45-46),

« on ne peut pas se pacser oralement ? en ce sens qui il faut obligatoirement obligatoirement » (CM3, l. 165-166).

197

Dans les premiers cas, le démonstratif renvoie au contraire à une opinion extérieure, communément admise, connue de tous : c’est à la communauté plus large des humains, et pas seulement à l’auditoire qu’il est fait allusion.

1.3.1.4. Souligner les éléments importants du cours

On trouve enfin des cas où le démonstratif sert à souligner des éléments importants du cours. Par exemple dans le CM1, il s’agit du vocabulaire du thème d’adolescence, par exemple : ado, adolescence, adolescents, adulte, enfant, fille, jeune fille, nature, objets, professionnels, comportements, état de diversité, explosion pulsionnelle :

« on incite / on a incité là où y a au moins cinq ou six ans un recul de l’âge / concernant ces comportements d’attaque des des on peut dire des représentants de l’institution tous ceux qui portent l’uniforme » (CM1, l. 308-310),

« ou en ressentant exactement ce que cet ado est en train de penser » (CM1, l. 579-580),

« c’est d’ailleurs être tellement énervé par cette explosion pulsionnelle qu’on va démolir l’adolescence » (CM1, l. 654-655).

Dans le CM2, ce sont des termes relevant du domaine de l’économie comme variables, économie, éléments, ensemble, macro, modèle, nom (parlant de Keynes) et site (site de l’économie) qui sont mis en valeur :

« c’est un mélange entre un niveau / de théorie modélisée dans ce modèle » (CM2, l. 9-10),

« elle renvoie à des variables macros économiques qui sont décisives encore aujourd’hui notamment la croissance / la production du PIB que l’on appelle le produit et le rendement et ces variables sont quand même pas centrales dans les débats macroéconomiques contemporains » (CM2, l. 390-393),

« la macro standard vient chercher des liens qui à cette macro des anticipations qu’on pourra plaider des éléments / pré-ma notée chez du Keynes pastourer la macro standard » (CM2, l. 952-954).

Quant au CM3, il s’appuie sur les mots du champ lexical juridique à savoir arrêt, contrat, pacs, personne, pièces, projet de loi, règle :

« le point important c’est que ce contrat ne peut pas être et là l’article 515 tiret euh 1 est très net à ce sujet / le pacs ne peut pas être conclu entre personnes mineures » (CM3, l. 39-41),

« donc c’est le notaire qui procéderait à la formalité de publicité c’est-à-dire qui enverrait le pacs au service d’état civil / pour permettre donc l’enregistrement / et euh des / donc pour permettre la publication de ce pacs sur les actes de naissance / donc gros gain de temps évidemment pour les partenaires » (CM3, l. 348-351),

« donc voilà * pourquoi je dis c’est très hypocrite parce que en réalité cette

personne adopte en tant que personne célibataire mais en réalité c’est ce que réalisent les journalistes / elle est pacsée / » (CM3, l. 526-528).

198

Nous noterons également la reprise anaphorique des contenus sous forme de synonymes ou de nominalisation de l’idée précédemment traitée dans le cours. On peut citer ancienneté, aptitudes, choses, façon de posséder un corps, histoire, mécanismes, phénomène, pulsion, situation dans le CM1, complémentation, liaison, solution, technique, partition, proportion, relation dans le CM2, acte notarial, affaire, empêchements, histoire, liens du mariage, niveau, plan dans le CM3. En voici quelques exemples :

« le fait qu’ils sont dérythmés par / par la croissance // ce rythme / cette

façon de posséder un corps à peu près harmonieux » (CM1, l. 132-134),

« un premier point / pourquoi on relis Keynes et la macro ? /// bon / on va voir / dans cette liaison elle est due c’est-à-dire que / y a historiquement […] » (CM2, l. 246-248),

« un des ces empêchements n’étaient pas respectés / les règles de la nullité absolue devrait exactement s’appliquer » (CM3, l. 84-86),

1.3.1.5. Relever les points de vue

On trouve des cas où se développent des lexiques destinés à mettre en évidence le point de vue du locuteur, tels que problème, problématisation, et surtout question(s), ou des occasions de discussion :

« les parents / en première ligne ont le mérite d’être évoqués : / dans cette

problématisation » (CM1, l. 91-92),

«je pense que s’il y a un travail à faire c’est bien à revenir sur des choses très très précises sur ces questions-là / » (CM1, l. 347-348),

« par ailleurs on retrouve sur cette question de conditionnement des adultes », (CM1, l. 611-612),

« il va s’intéresser / en particulier à ce problème de / du produit » (CM2, l. 262),

« vous allez voir ces questions elles très très importantes » (CM2, l. 584-585).

Certains autres termes impliquent, en particulier, des évaluations, des jugements ou des opinions de l’auteur : boîte pour désigner l’économie, côté-là, décalage de croissance, truc, angoisse, baraque, chauds humeurs, désordres, disharmonies, disqualification, évaluations, intelligence, particularité, pression, témoignages, trouble, affaire. On dépasse ici le simple cours pour laisser passer quelques opinions personnelles sur ce qui est dit à travers le choix des termes. En voici quelques exemples dans notre corpus :

« et c’est possible que dans ces disharmonies / dans ces /dans ces chauds

humeurs des moments contradictoires / l’adolescence qui se donne un peu

du travail de l’adolescence / » (CM1, l. 288-290),

« mais c’est quelque chose que les adultes doivent travailler / qui est cette

disqualification de soi-même dans le regard des adolescents » (CM1, l. 585-586),

199 « boîte on va dans le chapitre deux on va assez vite à présenter une version

de cette boîte-là » (CM2, l. 302-303),

« une explication qui se tient testable de ce décalage de croissance qui est quand même pas simplement une année liée à des facteurs et cætera qui peuvent varier mais qui semble lier à des facteurs qui sont lourds et que donc sont temporellement ils sont / bien posés statistiquement par un fait stylisé » (CM2, l. 92-95),

« madame EB conteste devant les juridictions administratives et c’est là que le 10 novembre cette affaire a été très médiatisée en droit français » (CM3, l. 516-518).

En bref, vu les résultats obtenus ci-dessus, l’étude des déterminants démonstratifs dans les CM est très riche sur le plan lexical. Ces approches soulignent donc non seulement les valeurs énonciatives mais aussi révèlent d’autres valeurs interactionnelle et didactiques entre les acteurs du CM. Après avoir étudié les démonstratifs, nous allons passer à l’étude de cas de ça, un indice particulier omniprésent dans notre corpus, déictique typique de l’interaction orale en français. Examinons-le maintenant.

1.3.2. Le démonstratif ça

En effet, nous ne pouvons pas négliger la présence du pronom ça, vu sa fréquence dans notre corpus parmi les démonstratifs. Nous en recensons 120 sur 213 cas dans le CM1, 146 sur les 201 dans le CM2 et 37 sur 75 dans le CM3, soit plus de la moitié des démonstratifs du corpus. Dans son étude sur ce démonstratif, Céline Guillot identifie trois types de référent, appelé « contexte-source », représenté par ça :

« - le contexte-source est constitué des dernières paroles de l’interlocuteur - le contexte--source est constitué des dernières paroles du locuteur lui-même

- le contexte-source est constitué de l’ensemble du discours qui précède l’occurrence de ça359. »

Nous allons examiner les exemples de ça dans notre analyse qui, à première vue, renvoient généralement aux dernières paroles du locuteur : cela est dû à l’apparence monologuée du cours magistral. Mais, avec une étude plus approfondie, nous constatons que le pronom déploie des fonctions différentes.

D’abord, ce sont des cas, situés dans les constructions impersonnelles (ça+verbe), qui n’ont pas besoin de référents exacts. Celles-ci sont fréquentes dans les situations de communication courantes, par exemple : ça va, ça y est. Nous rencontrons ces tournures dans les discours d’autrui que le locuteur rapporte directement, comme suit :

359 Guillot Céline, 2006, « Démonstratif et déixis discursive : analyse comparée d’un corpus écrit de français médiéval et d’un corpus oral de français contemporain », dans Langue française, n°152, 2006, p. 64.