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SE DEBROUILLER AVEC UN CORPUS UNIQUE

DISCOURS CONTEXTE

2. Les approches théoriques et leur intérêt pour notre étude

2.2. L’approche énonciative

Dominique Maingueneau soutient que l’analyse du discours vise à

« penser le dispositif d’énonciation qui lie une organisation textuelle et un lieu social déterminés283 ».

En effet, ce procédé s’appuie sur une approche énonciative contextualisée. L’un des précurseurs qui s’intéresse à l’énonciation, Emile Benveniste, la définit par

« (une) mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation284 ».

Il souligne aussi qu’il s’agit d’un acte pour « produire un énoncé et non le texte de l’énoncé ». Benveniste évoque le locuteur, et notamment sa relation avec la langue, comme élément signifiant à travers des marqueurs linguistiques. En discutant ce point, il insiste sur le cadre formel dans lequel se réalise l’énonciation. Puis, le linguiste introduit ses remarques descriptives sur les indices linguistiques :

- les pronoms personnels : en particulier l’indice de la première personne au singulier prouve que chaque énonciation est définie par la présence d’un locuteur. La subjectivité est construite par la relation entre le je locuteur qui « profère l’énonciation » et le tu incarnant l’allocutaire. Benveniste souligne :

« Dès qu’il (l’énonciateur) se déclare locuteur et assume la langue, il implante l’autre en face de lui [...], postule un allocutaire [...]. Ce qui, en général, caractérise l’énonciation est l’accentuation de la relation discursive au partenaire, que celui-ci soit réel ou imaginé, individuel ou collectif 285».

- les adjectifs possessifs (mon, ton, etc.) qui décrivent les caractères de l’énoncé autour de l’énonciation font partie aussi des indices énonciatifs.

- les indices démonstratifs permettent de désigner en même temps l’objet qui est abordé dans l’énoncé.

- le présent est par excellence un indice énonciatif car il « coïncide avec le moment de l’énonciation286 », autrement dit il est « inhérent à l’énonciation ».

Tous ces types d’indices se caractérisent comme énonciatifs car ils marquent l’énoncé au moment où le locuteur énonce, c’est-à-dire qu’ils représentent les caractères formels de l’énonciation qui permet de distinguer un locuteur, un objet désigné et un acte

283 Maingueneau, 1991/1997 : 13, cité par Charaudeau et Maingueneau, p.43.

284 Benveniste Emile, 1974, Problèmes de linguistique générale, tome II, Paris, Gallimard, p. 80. 285 Benveniste, 1974, id., p. 14.

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d’énonciation réalisé au moment où il est énoncé.

A côté de ces indices grammaticaux, une autre branche dans la perspective énonciative développée par Benveniste consiste dans les structures syntaxiques, à savoir :

- l’interrogation, ce qui demande de réponse à l’allocutaire ; - l’impératif, le vocatif, s’adressant immédiatement à l’allocutaire ;

- l’assertion ainsi que la négation confirmant par excellence la présence du locuteur dans l’énonciation via sa proposition ;

- et les modalités via lesquelles le locuteur exprime ses attitudes vis-à-vis de ce qu’il énonce.

Toutes ces formes syntaxiques impliquent non seulement un procès linguistique mais aussi un procès de comportement dans lesquels le locuteur instaure une relation comportementale immédiate et vivante avec son allocutaire. Nous les retrouvons dans nos analyses. Benveniste est donc le premier à avoir formalisé ces réflexions sur l’énonciation et à avoir posé des bases solides permettant aux autres chercheurs d’esquisser cette notion et d’affiner le paradigme des indices linguistiques énonciatifs.

Catherine Kerbrat-Orecchioni, elle aussi, se joint à ces recherches sur l’énonciation. Pour elle,

« C’est la recherche des procédés linguistiques (shifters, modalisateurs, termes évaluatifs, etc.) par lesquels le locuteur imprime sa marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message (implicitement ou explicitement) et se situe par rapport à lui (problème de la distance énonciative) 287 ».

Elle rajoute que :

« C’est une tentative de repérage et de description des unités, de quelque nature et de quelque niveau qu’elles soient, qui fonctionnent comme indices de l’inscription dans l’énoncé du sujet de l’énonciation288 ».

Selon elle, on peut percevoir dans l’énonciation la trace du locuteur, qui fait la preuve de sa subjectivité dans le langage, comme l’indique le titre de son ouvrage. En effet, l’énonciation se réalisant, le locuteur s’implique dans son énoncé et il se l’approprie. Etudiant également des indices énonciatifs inspirés des travaux de Benveniste (pronoms personnels, déterminants démonstratifs, indices spatio-temporels, etc.), Kerbrat-Orecchioni avance ses réflexions sur les affectifs et les évaluatifs. Ces catégories axiologiques et modalisatrices concernent particulièrement des substantifs, des adjectifs dans la mesure où :

287 Kerbrat-Orecchioni Catherine, 1980, L’énonciation de la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin p. 32.

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« -leur usage varie […] avec la nature particulière du sujet d’énonciation dont ils reflètent la compétence idéologique

-[…] ils manifestent de la part de L une prise de position en faveur, ou à l’encontre, de l’objet dénoté289 »

Par l’usage des marques évaluatives sont manifestées « certaines particularités de la compétence culturelle et idéologique du sujet parlant290 ».

Par ailleurs, Kerbrat-Orecchioni fait des analyses intéressantes sur la subjectivité dans les verbes, du point de vue sémantique, de la même manière qu’elle a traité des indices affectifs et évaluatifs. Certains types de verbes contiennent trois éléments à étudier :

- l’auteur du jugement évaluatif, - l’évaluation elle-même,

- et la nature du jugement évaluatif.

Parmi ces trois axes, la chercheuse insiste sur le premier qui reflète davantage la perspective énonciative et elle en déduit des classements détaillés des verbes subjectifs. Ci-dessous le classement des verbes subjectifs selon Kerbrat-Occhionie291 :

(a) Les verbes subjectifs occasionnels ne portant un jugement évaluatif que lorsqu’ils sont conjugués à la première personne :

(1) Evaluation de type bon/mauvais :

- verbes de sentiment (ex : détester, déprécier, craindre, redouter, appréhender…) - verbes qui dénotent un comportement locutoire : verbes de demande, de louange et de blâme

(2) Evaluation de type vrai/faux/incertain :

- verbes de perception pour une appréhension perceptive (ex : sembler, paraître), - verbes d’opinion pour une appréhension intellectuelle (ex : estimer, trouver, penser, croire, savoir, être sûr, être persuadé, être convaincu…)

(b) Les verbes intrinsèquement subjectifs : (1) Evaluation de type bon/mauvais :

Portant sur le procès lui-même et/ou sur l’un de ses actants (ex : ce sont majoritairement des verbes impliquant une évaluation négative du procès comme criailler, piailler, récidiver, sévir, s’en ressentir, etc.).

Nous nous intéressons au fait que l’analyse de ce type de verbe peut faire ressortir une évaluation sur trois éléments différents, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, à

289 id., p. 91. 290 id., p. 94. 291 id., pp. 101-103.

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savoir le locuteur, le procès dénoté et la nature axiologique. Ces points nous servirons dans notre analyse.

(2) Evaluation de type vrai/faux/incertain :

Verbes d’opinion et de jugement, verbes locutoires ».

Les analyses sur la subjectivité dans le langage nous intéressent beaucoup car elles nous livrent différentes couches d’interprétations possibles du discours sur le plan énonciatif.

Pour Georges Kleiber, c’est l’existence de l’objet dans la situation d’énonciation qui importe :

‹‹ ce n’est plus seulement le moment d’énonciation, l’endroit d’énonciation et les participants (locuteur interlocuteur) à l’énonciation qui forment le cadre déictique mais également l’objet résidant dans la situation d’énonciation292››.

Par ailleurs, Alpha Ousmane Barry développe la théorie de Kleiber que nous pouvons référer à notre objet de recherche, le cours magistral :

« Ces objets peuvent avoir une présence physique ou mentale, l’élargissement du cadre sera donc théorisé sous la forme de ce qu’on appelle la ‘‘mémoire discursive’’ de l’énonciateur et ‘‘savoirs-partagés’’ entre l’émetteur et le récepteur293 ».

Nous pensons en effet que l’objet des cours magistraux prend la forme d’objets discursifs et renvoie à des savoirs à co-construire entre l’émetteur enseignant et les récepteurs étudiants.

Quant à Antoine Culioli, il soutient que le système de repérage de tout énoncé constitue et se place dans un espace d’énonciation et un temps d’énonciation :

« énoncer, c'est construire un espace et un temps, orienter, déterminer, établir un réseau de valeurs référentielles294 ».

Il aborde en particulier, outre des valeurs référentielles, des valeurs appelées imaginaires, traduisant « par une abstraction l’espace des possibles295 ». Cette pensée rejoint plus tard la notion de polyphonie car elle fait apparaître un second énonciateur potentiel296. Culioli évoque aussi une suite des formes à étudier dans l’approche énonciative, comme les formes interrogatives, indéfinies, concessives, hypothétiques, etc. Nous retenons des travaux de Culioli sur l’énonciation, l’étude dédiée au subordonnant que dans les

292 Cité par Alpha Ousmane Barry, « Les bases théoriques en analyse du discours », disponible sur le site http://www.er.uqam.ca/nobel/ieim/IMG/pdf/metho-2002-01-barry.pdf.

293 id.

294 Antoine Culioli, 1999, Pour une linguistique de l'énonciation. Formation et opérations de repérage, Tome 2, Paris, Ophrys, p. 49.

295 id., p. 50.

296 La distinction entre le locuteur et l’énonciateur peut se faire à l’aide de la théorie sur la polyphonie de Ducrot.

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propositions déclaratives pour prouver la présence du premier énonciateur et l’acte assertif comme source de toute énonciation. Nous en avons plusieurs dans notre corpus.

Notons que l’approche énonciative nous permet de visualiser notre objet de recherche, le cours magistral. Sachant que la trace du locuteur, les contextes spatio-temporels sont importants dans les discours magistraux, analyser les CM sur le plan énonciatif et les situer dans leur contexte sera sans doute une démarche clef de notre travail d’analyse. Nous passons maintenant à la théorie du dialogisme puis à celle de la polyphonie qui jouent aussi un rôle important dans notre étude.