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SE DEBROUILLER AVEC UN CORPUS UNIQUE

DISCOURS CONTEXTE

2. Les approches théoriques et leur intérêt pour notre étude

2.1. L’analyse du discours

L’histoire de l’analyse du discours commence vers 1952 avec la publication de l’article de Zellig Sabbettai Harris dans la revue Language numéro 28, traduit en français en 1969 dans Langage numéro 13. Harris, à l’instar de Sapir et Bloomfield, révèle que la sémantique et la grammaire ne sont pas séparées l’une de l’autre mais que la première est incluse dans la deuxième. Autrement dit, le contenu et la forme, sont deux faces d’une même pièce. Cette idée rejoint celle du philosophe soviétique Michael Bakhtine :

« La forme et le contenu ne font qu’un dans le discours compris comme phénomène social : il est social dans toutes les sphères de son existence et dans tous ses éléments, depuis l’image auditive, jusqu’aux stratifications sémantiques les plus abstraites276 ».

Le précurseur américain est aussi celui qui met en place la méthode distributionnelle selon laquelle, dans le discours, l’étude des éléments dits isolables comme des morphèmes permet de donner des renseignements qui ne sont pas tous lus via le texte. Cette méthode s’effectue grâce à la corrélation spécifique des morphèmes et cela enrichit la réflexion sur l’analyse du discours lorsque cette dernière s’appuie sur la corrélation entre la langue et des types de comportements. En fait, elle traite le texte comme une séquence de phrases et l’étudie en tenant compte des éléments linguistiques mais aussi des comportements sociaux, comme l’indique Harris :

« Les discours d’un individu, d’un groupe social ou relevant d’un style particulier, ou portant sur un thème, présentent non seulement des significations propres (dans le choix des morphèmes) mais aussi des traits formels caractéristiques277 ».

Francine Mazière, une autre linguiste, apporte sa contribution dans un ouvrage publié dans la collection « Que sais-je ? » qui développant l’histoire et les pratiques de l’analyse du discours. Dès les premières pages, elle souligne les principes de l’analyse du discours :

« Toute AD tient compte de la langue en tant qu’objet construit du linguiste, et des langues particulières en tant que situées dans un espace-temps 278 ».

276 Bakhtine Michael, 1978, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, p. 85. 277 id., p. 11.

278 Mazière Francine, 2005, L’analyse du discours, collection « Que sais-je ? », n° 3735, Paris, Presses Universitaires de France, p. 5.

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Cette première remarque met l’accent sur la langue comme objet auquel s’intéresse le linguiste et puis sur le contexte spatio-temporel des langues particulières. L’analyse du discours à laquelle nous avons recours nous guidera donc d’abord vers l’étude linguistique de notre corpus. Parallèlement, cette étude prendra en compte les conditions spatio-temporelles de la production du cours magistral. Resterait cependant une question essentielle qui est la définition des notions de temps et d’espace dans l’étude linguistique, car nous constatons la complexité de ces niveaux contextuels dans le cours magistral. Par exemple, au niveau temporel, il serait intéressant d’étudier le cours magistral d’une part comme une partie du déroulement du cours entier, d’autre part comme une séance de cours située dans une suite des séances d’une discipline, sans négliger ses relations avec d’autres disciplines en connexe d’une même spécialité. Nous ferons appel ultérieurement au travail de Benveniste sur les embrayeurs spatio-temporels dans l’approche énonciative, ce qui nous permet de relever les indices linguistiques en français dans le discours de l’enseignant. Par ailleurs, en soulignant la valeur des éléments linguistiques en tant qu’ « héritage descriptif » d’une langue, la chercheuse adopte la vision d’« une syntaxe logique universelle ». Pour elle,

- « Toute AD a une relation double aux héritages descriptifs des langues. Elle prend en compte la grammaire, les syntaxes et vocabulaires de langues particulières, contre une syntaxe logique universelle. Elle prend en compte des productions datées, à partir d’un héritage philosophique, celui qui décrit les appariements répétables et modulables qui font de tout énoncé un ensemble sémantique singulier ;

- elle configure les énoncés à analyser en corpus construits, souvent hétérogènes, selon un savoir assumé, linguistique, historique, politique et philosophique 279 ».

Son l’idée est d’appréhender les productions linguistiques comme un « héritage philosophique » d’une langue qui nous tient à cœur. Ces idées font donc écho au travail de Charaudeau280 qui détermine que les fonctionnements discursifs sur les conditions de production de connaissances ou sur des positionnements idéologiques font partie de la discipline. Certes, l’analyse du discours ne se penche pas seulement sur le plan linguistique mais elle attribue aussi à tout énoncé une valeur sémantique singulière via des éléments extralinguistiques, ce qui va dans la même lignée des réflexions de Harris et de Bakhtine.

En projetant cette pensée à notre travail, nous sommes conduite à réfléchir sur les aspects autres que celui de la langue lors de notre étude du cours magistral. Nous

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supposons que les discours magistraux en français possèdent des caractéristiques révélant leur héritage institutionnel dont nous avons parlé dans la partie contextuelle, et philosophique, en particulier sur le plan intellectuel, venu des philosophes de l’Antiquité jusqu’aujourd’hui, et marqué par de grandes figures françaises comme Descartes et Pascal. L’analyse du discours nous permettra également de traiter notre objet d’étude, outre du point de vue linguistique, sous les angles philosophique, historique, politique, social, etc.

En définitive, d’après Francine Mazière, l’analyse du discours met l’accent sur le « sujet parlant » et plus précisément sur ses « capacités linguistiques réflexives ». Cette remarque de Mazière est signifiante et constructive dans notre élaboration des outils d’analyse car le sujet parlant renvoie dans notre corpus à l’enseignant universitaire. Ce qui est intéressant, c’est le fait qu’elle souligne « les capacités linguistiques réflexives » de ce dernier comme visée de l’analyse du discours.

- « elle propose des interprétations qu’elle construit en tenant compte des données de langues et d’histoire, en prenant en compte les capacités linguistiques réflexives des sujets parlants, mais aussi en refusant de poser à la source de l’énoncé un sujet énonciateur individuel qui serait « maître chez lui281 ».

En effet, l’analyse du discours met l’accent sur le facteur subjectif dans la mesure où il interagit avec la langue, à travers ses compétences intellectuelles, c’est-à-dire ses raisonnements verbaux. Cette interaction est loin d’être simple car le sujet parlant est en contact avec un entourage complexe. L’analyse du discours, aux yeux des linguistes, est donc supposée s’effectuer dans un cadre d’interaction. Il s’agit en effet du premier pôle d’étude de la discipline que Charaudeau mentionne282. Cette idée nous conduira à aller plus loin dans le champ de la sociolinguistique que nous allons développer d’une manière plus détaillée ultérieurement. Il s’agit ici de la sociolinguistique des interactions.

L’analyse du discours se base aussi sur la linguistique, avec toutes ses règles grammaticales, syntaxiques et terminologiques propres à chaque langue. S’y ajoute la prise en compte des éléments extralinguistiques qui définissent les conditions de production et des données subjectives du sujet parlant, sachant que ce dernier se situe en permanence dans un cadre d’interaction, mais ces éléments extralinguistiques ne sont pas toujours clairement perceptibles dans notre corpus.

L’analyse du discours que nous avons choisie comme outil d’analyse est en fait une étude linguistique et énonciative appliquée à la diversité des pratiques discursives.

281 Mazière Francine, 2005, id.

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Dans cette partie méthodologique, nous allons exposer quatre approches qui nous seront utiles pour le traitement de notre corpus : l’approche énonciative, le dialogisme, la théorie des actes de langage et enfin l’approche sociolinguistique.