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L’approche pragmatique et la théorie des actes de langage

SE DEBROUILLER AVEC UN CORPUS UNIQUE

DISCOURS CONTEXTE

2. Les approches théoriques et leur intérêt pour notre étude

2.4. L’approche pragmatique et la théorie des actes de langage

Il s’agit d’un champ d’étude qui vise

« (un) mode d’approche des phénomènes à la fois original et fédérateur en sciences de l’homme317 ».

Il ne s’agit pas d’un nouveau champ d’étude car la pragmatique emprunte aux idées philosophiques en cours depuis l’Antiquité. Philippe Blanchet rappelle que les anciens rhétoriciens s’intéressaient « aux liens existant entre le langage, la logique (notamment argumentative) et les effets du discours sur l’auditoire318 ». Il rassemble également les définitions de la pragmatique comme suit :

- « un ensemble de recherches logico-linguistiques […] l’étude de l’usage du langage, qui traite de l’adaptation des expressions symboliques aux contextes référentiel, situationnel, actionnel, et interpersonnel (Encyclopedia universalis) ;

- l’étude de l’utilisation du langage dans le discours et des marques spécifiques qui, dans la langue, attestent de sa vocation discursive (A.-M. Diller et F. Récanati) ;

- l’étude du langage comme phénomène à la fois discursif, communicatif et social (F. Jacques) ;

- La pragmatique est cette sous-discipline linguistique qui s’occupe plus particulièrement de l’emploi du langage dans la communication (L. Sfez).319 »

La pragmatique, qui consiste à considérer le langage comme une action, s’intéresse donc aux aspects discursifs, communicatifs et sociaux de l’usage du langage en lien étroit avec les contextes référentiels, situationnels, actionnels et interpersonnels. La pragmatique est une approche « nouvelle et prometteuse du champ des sciences de l’homme320 ». Parmi les théories inscrites dans la pragmatique, nous nous intéressons à la théorie des actes de langage initiée par Austin et développée par Searle. Elle distingue trois groupes d’actes de langage :

- l’acte locutoire consiste à dire quelque chose, autrement dit à faire une énonciation321.

- l’acte illocutoire désigne une énonciation par laquelle le locuteur veut exercer une force en son auditeur, sous forme de promesse ou de menace, ce que Grice appelle l’« intention réflexive ». D’où la notion de performatif chez Austin, définie par le fait qu’énoncer quelque chose signifie l’effectuer. Cette théorie met l’accent sur l’énonciation car par exemple par le fait de dire « je te félicite », le locuteur fait l’action de féliciter. Les

317 Blanchet Philippe, 1995, La pragmatique. D’Austin à Goffman, Paris, Bertrand-Lacoste, p. 9. 318 id., p. 10.

319 id., p. 9. 320 id., p. 114.

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verbes illocutoires sont aussi clairement marqués par le fait qu’ils s’adressent à un interlocuteur pour transmettre l’intention du locuteur, comme remercier, conseiller, jurer, demander. Ainsi, un acte illocutoire se réalise en se verbalisant. Même quand un énoncé ne contient pas un de ces verbes mais a la forme interrogative ou affirmative, il renvoie à l’acte illocutoire car sa reformulation en discours indirect nécessitera ce type de verbe.

- l’acte perlocutoire sert à produire un effet intentionnellement ou non sur l’allocutaire via l’énonciation. Par exemple : le fait de dire « Il fait froid » implique probablement le souhait du locuteur que l’allocutaire aille fermer la fenêtre, ou fasse une autre action.

La théorie des actes de langage est intéressante car elle s’applique à tous les énoncés, comme le dit Catherine Kerbrat-Orecchioni :

« Tous les énoncés possèdent intrinsèquement une valeur d’acte et même les assertions, qui ne se contentent pas de faire savoir à A ce que L pense de X, mais visent cependant à influer d’une manière ou d’une autre sur la manière de voir de A. 322 ».

De plus, chaque énoncé peut inclure deux ou trois aspects, locutoire, illocutoire et perlocutoire. Par exemple,

- acte locutoire : « Il est venu » pour dire l’arrivée de quelqu’un ;

- acte illocutoire : « Il est venu ! » ou « Il est venu ? ». L’affirmation ou l’interrogation de cet énoncé s’adresse à un allocutaire et exprime l’intention de l’auteur ;

- acte perlocutoire : « Il est venu » pour amener les participants à se préparer à l’accueillir.

La théorie des actes de langage est d’un grand intérêt pour notre travail car elle nous permettra de détecter différents messages du locuteur enseignant universitaire ou des valeurs impliquées dans le cours magistral qu’il veut transmettre.

Le CM est aussi un moment ou espace privilégié pour exprimer la relation entre le locuteur enseignant et sa matière, son objet d’enseignement et tout ce qui lui est relatif. Ainsi, à côté de la fonction de transmission des savoirs, nous supposons que le cours magistral présente d’autres fonctions au niveau social dans l’interaction au sein de la communauté universitaire et les valeurs sociales qui renforcent le cours magistral et le rendent vivant jusqu’à aujourd’hui. Puisque notre seule méthode pour le prouver consiste à traiter les discours magistraux, autrement dit, tous les énoncés produits par l’enseignant, nous allons recourir d’abord dans cette approche pragmatique à l’analyse des types

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d’actes formulés, puis à l’étude des gestes professionnels que supposent ces actes (réf. partie 4, chapitre 3, p. 254).

Nous traiterons aussi des modalités de l’énonciation pour voir les messages que l’enseignant veut transmettre éventuellement aux étudiants ou l’influence qu’il exerce sur eux d’une certaine manière. Le travail sur l’implicite nous sera aussi très important car il nous aidera à lire les idées qui se cachent derrière les mots. Notons que ce modèle classique dit pragmatique auquel avaient recours les rhétoriciens helléniques est fondé sur la connaissance des passions et des mœurs323 : nous sommes bien dans le social.

Par ailleurs, la théorie des actes de langage est marquée par la métaphore :

« Pourquoi prenons-nous des expressions en un sens métaphoriques […] ? Comment les énonciations métaphoriques fonctionnent-elles ? […] L’ironie et les actes de langage indirects offrent d’autres exemples de cette faille entre le sens de l’énonciation du locuteur et le sens littéral de la phrase324 ».

La métaphore est présente dans la parole des enseignants, ce qui contribue à assaisonner le cours. Le cours magistral ne vise pas seulement à transmettre purement et à la lettre des savoirs. Cette façon de discourir peut expliquer le point de vue du locuteur sur l’actualité qui est traitée. La liberté de la parole est reconnue et s’effectue de manière subtile dans le milieu universitaire en France. On y a le droit de critiquer, de donner son avis sur tout ce à quoi on s’intéresse. Et cela passe souvent par la métaphore, qui est donc actualisée et contextualisée.

2.5. La sociolinguistique

Philippe Blanchet note que

« la sociolinguistique étudie les langues dans leur relation avec les sociétés où on les emploie. Elle cherche à répondre à la question ‘‘Qui parle quoi, où, quand, comment, pourquoi ?’’325 ».

Les chercheurs qui s’investissent dans ce champ d’étude nous permettent d’aborder des corpus linguistiques via d’autres angles de vue. Certes, la sociolinguistique débute comme une « branche de la linguistique externe » qui est « une sorte de rencontre entre une théorie linguistique et une théorisation sociale326 ». Cependant, Thierry Bulot, professeur et sociolinguiste, souligne que quoique l’étymologie des deux disciplines contienne le même terme lingua, la sociolinguistique se veut « autonome et distincte » de la linguistique car elle vise à un autre objet désigné par « la langue ». Ce n’est plus la langue comme un outil de communication avec des caractéristiques homogènes,

323 id., p. 10.

324 SE, p. 121-122, cité par Blanchet Philippe, 1995, id., p. 40. 325 Blanchet Philippe, id., p. 56.

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existantes ou pré-définies selon les conventions d’un système mais pour la sociolinguistique, il s’agit d’étudier

« un objet hétérogène nécessairement produit des usages sociaux, plurinormé, engageant fondamentalement la construction des identités, la socialisation, le rapport au monde327 »

C’est donc la langue dans sa dimension sociale et collective. Ecoutons ce que dit le spécialiste à propos de la distinction des missions des chercheurs de chaque champ d’étude :

« le linguiste qui observe et décrit la langue, se pose essentiellement la question de savoir comment ça marche, tandis que le sociolinguiste, tout en se posant cette question (ce qui signifie qu’être sociolinguiste implique des compétences quant aux outils descriptifs des formes) doit compléter son questionnement ; pourquoi ça marche comme cela (qui implique qu’être sociolinguiste suppose des connaissances théoriques et méthodologiques en plus et hors du seul champ linguistique)328 ».

L’analyse du discours est complétée par la sociolinguistique car, à la différence de la linguistique qui s’intéresse aux seuls phénomènes de la langue, à leur fonctionnement, cette discipline, quant à elle, se penche sur les raisons pour lesquelles une langue est utilisée de telle ou telle façon, par qui et dans quelles circonstances. De surcroît, cette discipline, qui date qu’à peine d’une cinquantaine d’années, permet de grands épanouissements dans les recherches sur les interactions langagières :

« - la façon dont les interlocuteurs utilisent diverses variétés d’une langue,

ou diverses langues, au cours des échanges (principes d’alternance codique et de covariation établis par la sociolinguistique) ;

- comment ces choix participent à des stratégies d’interaction ;

- comment ces choix construisent des cadres culturels pour l’interprétation des énoncés et des énonciations ;

- en quoi ces choix sont signifiants ;

- quelles inférences fondées sur quels indices sont effectuées […] ;

- comment ces modalités d’interaction fonctionnement dans le cas – fréquent – de contacts entre locuteurs appartenant à des communautés

ethnolinguistiques et sociolinguistiques différentes.329 »

La sociolinguistique permet d’appréhender comment fonctionne une société, à travers l’étude de la langue et de son contexte territorial et culturel, autrement dit, elle permet d’expliquer pourquoi les interlocuteurs, les membres d’une communauté, opèrent certains choix de langue. D’où l’intérêt de saisir les contextes sociaux. La sociolinguistique a désormais une influence sur l’étude linguistique, comme l’affirme Marcellesi :

« Si la langue est chose éminemment sociale, n’est-on pas en droit d’estimer après Labov qu’il n’y a pas de véritable linguistique sans

327 id.

328 Bulot Thierry, Blanchet Philippe, 2011, Dynamiques de la langue française au XIXème siècle : une

introduction à la sociolinguistique, http://www.sociolinguistique.fr/. 329 Blanchet Philippe, 1995, p. 56.

141 sociolinguistique et que de ce fait la sociolinguistique est la linguistique

véritable ?330 »

Thierry Bulot souligne que dans la perspective sociolinguistique, la langue relève d’un triple aspect :

« -nécessairement sociale : un langue n’existe que parce que les locuteurs intériorisent son existence via des/leurs pratiques linguistiques tant représentées qu’effectives […]

-diverse et hétérogène : son usage varie localement, socialement, selon les types d’interaction, le sexe des interlocuteurs, les genres de discours, etc. -constituée par et pour un système d’interaction entre des locuteurs sur une aire territorialisée […]331 »

Vue l’apport de la sociolinguistique dans les recherches sur la langue en situation sociale comme le CM, précisément sur les discours, notre travail pourra sans doute bénéficier de cet éclairage théorique étant donné que la langue que nous allons étudier est utilisée au sein d’une communauté, dans un cadre institutionnel appelé universitaire. Selon ces critères, la sociolinguistique intervient pour éclairer les cours magistraux à l’université en France, au début du XXIème siècle.

En bref, la présentation de nos outils d’analyse ne correspond pas obligatoirement à l’ordre des deux axes d’étude fixés par notre problématique. Par conséquent, nous n’allons pas mener notre analyse directement en fonction des hypothèses émises. Nous tenons à réunir des procédés pour voir leur dynamique dans le traitement de notre corpus suivant notre méthodologie.

330Marcellesi Jean-Baptiste,1981-82, Caractères de la sociolinguistique. fr.dansC.I.S.L., no3, p. 66. 331 Bulot Thierry, Blanchet Philippe, 2011, id.

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