• Aucun résultat trouvé

Certains exemples du cours magistral au fil de l’histoire française

Dans le cadre socio-historique, le cours magistral s’inscrit comme un objet étudié en Sciences de l’Education. Cette étude historique nous permettra de découvrir comment les cours magistraux s’effectuent au fil des temps. Il s’agit, dans la partie suivante, de présenter des études sur le cours magistral depuis le XIVème siècle.

Bien qu’il existe depuis longtemps, ce n’est que dans les années 1880 que le cours magistral est reconnu comme une vraie forme d’enseignement et il est appelé comme tel depuis 192175. Sur le fond, il s’agit toujours d’un schéma selon lequel :

« le professeur a toujours parlé devant des élèves qui l’écoutaient76 ».

Cependant, les pratiques enseignantes connaissent une grande variation suite à la réforme des enseignements et de la formation des professeurs.

Certes, il y a sept cents ans, l’enseignement scolastique en Occident se faisait surtout à l’oral. De plus, les maîtres ne dictaient jamais leurs cours et il était interdit aux étudiants de prendre des notes. Pourtant, ils pouvaient se procurer des textes à consulter

73 Disponible sur le site http://www.magna-charta.org/cms/cmspage.aspx?pageUid={d4bd2cba-e26b-499e-80d5-b7a2973d5d97}.

74 Renaut Alain, id., p. 9.

75 Waquet Françoise, 2003, Parler comme un livre. L’oralité et le savoir (XVIe – XXe siècle), Paris, Albin Michel, p. 164.

42

avant le cours au profit du suivi des explications magistrales77. Depuis le XVIIème siècle, cela a changé.

« Les professeurs (…) dicteront et expliqueront pendant une heure entière, et ensuite ils exerceront leurs écoliers par répétitions et disputes (…) au moins, pendant une demi-heure ; et leur feront faire en outre des exercices publics sur des thèses imprimées, le plus souvent qu’il se pourra.78 »

On remarque donc une différence des méthodologies adoptées par les professeurs de différentes époques, ce qui est probablement issu de leur position et de leur point de vue par rapport au savoir et aux étudiants. Au Moyen Âge, l’image du professeur étant suprême79 vis-à-vis de ses novices, celui-ci avait tout droit d’explorer ses connaissances à sa manière et il était interdit d’interrompre ses propos. Les étudiants étaient obligés de suivre leur maître. Par contre, à partir du XVIIème siècle, l’ouverture au savoir à un public grandissant a conduit les professeurs à changer leurs démarches pédagogiques. Bien que les professeurs soient toujours considérés comme détenteurs des savoirs, les étudiants bénéficient de méthodes d’enseignement en vue d’accéder plus facilement à ces savoirs.

Nous voudrons donner par la suite deux exemples du cours magistral, dont l’un est issu de l’époque médiévale et l’autre de l’Ancien Régime, sachant que chacun de ces exemples donnerait une image signifiante de la façon dont se déroule ce phénomène particulier d’enseignement. Des travaux récents ont été menés et les résultats sont publiés dans la revue Histoire de l’Education.

2.1. Au Moyen-Âge : le cours magistral d’Ange Politien, une nouvelle vague humaniste

Au Moyen-Âge, un des cours se réalisait sous forme de commentaires. Ce n’était pas si simple qu’on le croyait car il s’agissait d’une « nouvelle vague » humaniste dont Ange Politien faisait partie (1454-1494). En effet, ses cours, ayant lieu à l’université de Florence, se sont effectués de manière opposée à celles des auctoritates, représentants du système hiérarchique traditionnel. En quoi cette méthode consistait-elle ?

Politien était professeur de poétique et de rhétorique, nommé par son mécène Laurent de Médecis. Il « voulait se présenter à ses nouveaux auditeurs de l’université

77 Dès lors, le livre bien que manuscrit, rédigé par le maître, occupait une place dans l’enseignement (Charle Christophe et Verger Jacques, 2007, p. 30).

78 id.

43

comme l’héritier et le continuateur ». Il commence le cours par une leçon inaugurale dans laquelle il fait le plaidoyer de sa discipline, ensuite, il présente les auteurs et les ouvrages qu’il va commenter. Il se caractérise par sa liberté dans l’enseignement, sans se laisser influencer par les professeurs chevronnés, suscitant à cette époque-là des craintes des autorités universitaires. Par exemple, il critique leur manière de commenter des auteurs antiques l’allégorique du style néoplatonicien. Voici un extrait qui illustre le travail de cet enseignant révolutionnaire :

« Politien lisait directement l’œuvre de l’auteur commenté – de préférence à partir d’une édition imprimée -, il s’appuyait toujours, pour ses propres explications, sur un commentaire antérieur, qui lui servait en quelque sorte de matière première et qu’il passait au crible.80 ».

Ses méthodes se sont appuyées donc sur des commentaires antérieurs, ce qui ouvre une nouvelle voie dans la manière d’aborder une connaissance, préexistant dans l’étude ainsi que dans la recherche. Il est important selon lui d’aller voir ce qui a été dit et discuté par les autres sur le sujet afin pouvoir placer sa propre opinion. D’où la fin de l’étape appelée « restitution philosophique du texte » qui est aussi importante.

Politien est considéré comme le précurseur de l’approche de la revue des auteurs, qui marque une évolution dans la pédagogie à la fin de la moitié du XVème siècle en ce qui concerne le cours magistral.

Par souci de favoriser l’accès rapide aux savoirs pour le plus grand nombre possible de public, il a fait reproduire ses cours inauguraux et ses principaux cours. Comme l’affirme Jean-Marc Mandosio, « cela contribue à faire de Politien un professeur à la pointe du progrès81 ». Pourtant, on n’aperçoit que l’image imposante du maître dans la description de la forme d’enseignement médiéval. Cinq cents ans après, le maître se situe toujours au centre de la scène lors de la reconstruction, mais de nouveaux éléments apparaissent. A titre d’exemple, nous possédons le cours de M. Cousin, de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire. Avant de passer au cours magistral sous l’Ancien Régime, nous notons que cette appellation prend une autre signification au XVIIIème siècle. Elle représente effectivement non pas une séance d’enseignement mais une sorte de notes de cours publiées.

80 Mandosio Jean-Marc, 2008, “Les cours d'Ange Politien à l'université de Florence (1480-1494), dans

Histoire de l'éducation, n° 120, octobre-décembre 2008, sous la direction de Bruter Annie, Paris, INRP, pp. 33-54.

44

2.2. Au XVIIIème siècle, le cours de mécanique appliqué de Jean-Victor Poncelet

Au XVIIIème siècle, époque qui témoignait de grandes révolutions politiques et scientifiques, le cours magistral voit son champ d’action s’étendre en même temps que son cadre socio-historique. L’appellation « cours magistral » désigne non seulement le cours où travaillent le professeur et ses étudiants, mais aussi la publication, autrement dit, la version textuelle, de ce qui est enseigné pendant ce cours. Dans cette perspective, Konstantinos Chatzis souligne que le cours magistral :

« entame alors un nouveau cycle de ‘‘fabrication, mise sur le marché, consommation’’82 »

Il définit trois phases que connait un cours magistral. Premièrement, il s’agit de fabriquer, d’élaborer son cours à partir de ses propres travaux et des extraits d’enseignement magistral de ses collègues. Deuxièmement, la mise sur le marché, soutenue par cette préparation laborieuse mettant en valeur les travaux d’autres professeurs, avance par la traduction de la publication originale des cours.

Le cours magistral au XVIIIème siècle renvoyait donc à des notes visant à être publiées. Continuons à étudier l’évolution du cours magistral dans l’histoire, en particulier celui de M. Cousin dans l’Ancien Régime.

2.3. A l’Ancien Régime, le cours de M. Cousin, par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire

A partir du XIXème siècle, l’accent est mis sur la forme selon laquelle s’est déroulé le cours, en l’occurrence dans les facultés de lettres et de sciences (1808-1878)83 :

« L’auditoire était à peine rangé et en silence que le professeur arrivait dans la tribune ; des applaudissements frénétiques se répétaient en son honneur à deux ou trois fois reprises. Il s’inclinait par politesse [...]84 »

On note un respect mutuel entre le maître et son public par ces gestes manifestement rituels. Le premier, par son honorabilité, montre une image impeccable face à son auditoire :

82 Chatzis Konstantinos, 2008, « Les cours de mécanique appliquée de Jean-Victor Poncelet à l’École de l’Artillerie et du Génie et à la Sorbonne, 1825-1848 », dans Histoire de l’éducation, n° 120, octobre-décembre 2008, sous la direction de Bruter Annie, Paris, INRP, p. 114.

83 Nogues Boris, 2008, « Le public des facultés de lettres et de sciences au XIXème siècle (1808-1878) », dans Histoire de l'éducation, n°120, octobre-décembre 2008, sous la direction d’Annie Bruter, Paris, INRP, pp. 77-97.

84 Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, M. Victor Cousin. Sa vie et sa correspondance, Paris, Hachette, 1895, t.I, p. 239-240, cité par Boris Noguès, p. 86).

45 « […] après quelques instants de recueillement, il se levait pour parler

durant une heure, quelquefois davantage, sans la moindre note, sans la plus légère hésitation, avec l’expression toujours juste et correcte.85 »

Quant à lui, le public exige une réelle qualité d’enseignement de la part de son maître. En effet, il « ne demande pas, comme l’auditeur de passage, qu’on l’émeuve ou qu’on lui plaise, mais qu’on l’instruise86 ».

Les cours se déroulent de façon « élégante, spirituelle, parfois éloquente » par « une parole habile » pendant une heure. L’image du maître reste respectueuse et attrayante, via les comportements des étudiants. Par l’image du Monsieur Cousin est décrit le modèle du maître à cette époque :

« L’auditoire restait sous le charme, et n’interrompait l’orateur que quand il ne pouvait plus contenir ses émotions. […] M. Cousin avait alors 36 ans. Il était dans toute sa virilité. Sa taille était assez élevée, et il était très bien fait ; ses yeux lançaient à tout moment des éclairs ; les traits de la figure étaient réguliers, et d’une beauté sculpturale ; la physionomie très expressive et mobile […]. La voix était sonore, d’un timbre qui n’était, ni trop grave, ni trop aigu ; elle n’avait rien de précipité, et elle n’était pas lente. Elle se faisait entendre de toutes les parties de la salle ; pas un mot n’était perdu.87 »

Comme l’a conclu Boris Noguès à propos de l’image soignée du maître,

« Le triomphe du cours spectacle explique la construction, dans l’imaginaire social, d’un modèle du professeur de faculté fondé sur le charisme, le brio rhétorique et la capacité à séduire88 ».

Le modèle du maître est donc décrit non seulement par son apparence physique mais aussi par ses compétences d’expression, son charisme, son éloquence rhétorique, sa capacité de convaincre, etc.

Par ces deux exemples, nous voulons souligner l’image du maître du point de vue historique et éducatif. D’autres recherches contemporaines visent le cours magistral comme objet de recherche central sous différents angles, en particulier en sociologie.