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Leurs rôles dans le cours magistral

CHAPITRE 3 : CADRE DIDACTIQUE LA SCENE ET LE METTEUR EN SCENE LA SCENE ET LE METTEUR EN SCENE

2. L’enseignant et ses rôles dans le CM

2.2. Leurs rôles dans le cours magistral

Tout d’abord, selon le nouveau décret promulgué par le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en 2007, les enseignants-chercheurs consacrent la moitié de leur temps de travail à l’enseignement et l’autre à la recherche. Pour la première tâche, ils assurent l’équivalent de 128 heures de cours magistraux ou de 192 heures de travaux dirigés par an, environ 6 heures par semaine. Faisant partie de l’université et chargés de cours magistraux, leurs rôles seront analysés sous deux volets, à savoir les aspects pédagogiques et les aspects scientifiques. Le travail de bilan des nombres d’heures d’exercice du métier des enseignants universitaires ne peut pas décrire explicitement leurs rôles et activités. Pour faire le lien entre recherche et enseignement, on a besoin du concept de transposition didactique.

2.2.1. Réflexion sur le concept de transposition didactique

C’est Yves Chevallard, précurseur ayant introduit et développé le concept de transposition didactique dans les années 1980. Ce concept est devenu important en sciences de l’éducation. Selon ses études relatives à la didactique des mathématiques, cette transposition s’effectue du fait que les théories des mathématiciens, autrement dit savoirs savants, se sont transformés en savoirs scolaires au service de l’enseignement/apprentissage, pour le public auquel il s’adresse. Selon le sociologue de l’éducation Perrenoud, il s’agit d’un parcours selon lequel

« les savoirs changent partiellement de forme, voire de contenu, lorsqu’ils passent de leur domaine d’origine (la cité savante) à leur domaine de transmission (l’école)226 ».

La transposition se caractérise par la complexité de ses démarches. La première est nommée externe par Chevallard parce qu’« elle part de l’extérieur du champ éducatif et didactique227 ». Celle-ci consiste à transformer les savoirs et pratiques en programmes, instructions, curriculum d’enseignement, transformant ainsi les savoirs savants en savoirs à enseigner. La seconde transposition, dite interne, vise à la mise en œuvre des programmes et des dispositifs institutionnels dans les pratiques d’enseignement/apprentissage. Participent à ce processus de nombreux acteurs tels que les formateurs, les enseignants, même les éditeurs, travaillant les savoirs à enseigner.

Perrenoud a développé cette double transposition en rajoutant le dernier processus de l’implication des élèves. Il résume sa complète transposition par le schéma suivant228.

226 Perrenoud Philippe, id., p. 19. 227 id.

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La chaîne de transposition didactique

Savoirs et pratiques ayant cours dans la société

Curriculum formel, objectifs et programmes

Curriculum réel, contenus de l’enseignement

Apprentissages effectifs et durables des élèves

Tableau 4

La chaîne de transposition didactique de Philippe Perrenoud

Le chercheur n’élargit pas seulement la chaîne de la transposition didactique mais il remonte aussi à la genèse de ce mécanisme, quand il intègre la transposition de savoirs savants dans le processus supérieur nommé la scolarisation de la culture. Ce faisant, l’expression de transposition didactique subit une re-conceptualisation qui inclut toutes disciplines, y compris linguistiques ou artistiques. Ainsi, « la transposition de savoirs savants n’est qu’un cas particulier » parmi d’autres composantes de la culture. La transposition didactique se traduit alors par la transformation des savoirs de culture. En outre, Perrenoud présume que la transposition didactique :

« n’est pas un pur parcours du savoir, mais passe par des situations et des pratiques qui ne contiennent pas les savoirs, mais en permettent la reconstruction par chaque apprenant229 ».

En effet, ce processus ne renvoie pas seulement à la transformation des formes et des contenus mais aussi aux démonstrations et exercices des pratiques, permettant à l’apprenant d’acquérir des connaissances ainsi que les compétences nécessaires. La transposition didactique s’est vue ainsi rebaptiser par la notion de « transposition pragmatique », comme l’indique le chercheur (1995). Par conséquent, ladite transposition est présente dans toutes les disciplines et toutes les formations,

« non pas comme cadre unique, ni même intégrateur, mais comme une dimension majeure de toute scolarisation230 ».

Cette scolarisation signifie également qu’on transmet une culture, ce qui n’a lieu que par « un apprêt scientifique », ainsi que le note Verret. Elle est définie par :

« une série de transformations, qu’il serait défendable de conceptualiser, globalement, comme une chaîne de transpositions, sans que cela évoque immédiatement le « parcours d’un savoir », mais plutôt un ensemble de

229 Perrenoud Philippe, id., p. 21. 230 id.

95 décisions et d’opérations qui rendent en fin de compte la culture assimilable

par ceux qui veulent ou doivent se l’approprier231 ».

De surcroît, ce mécanisme s’applique aux pratiques sociales de référence (Martinand, 1995) qui incluent entre autres « les langues et les cultures (au sens anthropologique)232 », et puis passent pour des savoirs experts, c’est-à-dire ceux qui sont « partagés par les acteurs d’un même champ d’activité, qui font l’objet de transposition didactique, notamment pour former à ces activités (Joshua, 1996)233 ». La transposition didactique, abordant tous types de savoirs (savants, experts, sociaux), s’applique dans tout domaine d’enseignement/ apprentissage. C’est :

« une opération complexe de ‘‘sélection, adaptation, organisation des savoirs et pratiques scientifiques, expertes et sociales de référence afin de constituer des objectifs et des contenus d’enseignement en fonction des besoins et de modalités d’apprentissages ciblés’’234 » .

Les types de références s’influencent les uns sur les autres. En effet, les savoirs savants peuvent être liés aux pratiques sociales, aux expertises professionnelles, mais ils peuvent rester isolément abstraits. Par exemple, en didactique des langues et des cultures, la transposition didactique se traduit par l’élaboration des savoirs enseignés à partir des pratiques sociales. Vient à son aide la sociolinguistique dans la recherche de l’usage des langues dans les communautés où elles sont véhiculées. Ces savoirs sont loin d’être proches des savoirs experts et des savoirs savants des grammairiens ou des linguistes.

Dans l’enseignement au niveau universitaire, la didactique des langues et des cultures tente de détecter les pratiques sociales intégrées dans le discours de l’enseignant. Il s’agit de celles de la communication entre interlocuteurs, au sein d’un groupe, d’une communauté. Elles se fondent donc sur les bases communicatives traditionnelles et évolutives, porteuses de l’idéologie propre à la communauté universitaire.

De son côté, la transposition didactique s’intègre à un double niveau dans les discours magistraux à l’université. D’une part, sur le plan externe, les programmes sont construits à partir des savoirs dégagés par les recherches et/ou des pratiques du domaine de spécialité. Les programmes sont liés et cohérents dans le parcours de formation et avec des disciplines connexes. D’autre part, sur le plan interne, l’enseignant choisit les sources de connaissances qui peuvent venir de ses travaux, des matériels pédagogiques, ensuite il

231 id., p. 22.

232 Blanchet Philippe, « Les transpositions didactiques », dans Guide pour la recherche en didactique des

langues et des cultures. Approches contextualisées, Blanchet Philippe et Chardenet Patrick (dir.), Paris, Editions des archives contemporaines, p. 197.

233 id. 234 id.

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adopte sa méthode en vue de l’enseignement réel aux étudiants. Comment les savoirs et les pratiques sociales sont-ils impliqués dans les méthodes de l’enseignant, dans sa façon de discourir dans son enseignement ?

Tableau 5

La double transposition didactique dans l’enseignement supérieur

2.2.2. Les rôles de l’enseignant dans le cours magistral 2.2.2.1. Du côté pédagogique

Au cours des deux dernières décennies, des études ont mis l’accent sur les démarches pédagogiques des enseignants dans le supérieur. Devenant ainsi objet de recherche surtout en Sciences de l’éducation et en Didactique, les pratiques enseignantes sont observées, évaluées pour être améliorées, grâce aux recherches de Fave-Bonnet et Annoot en 2004 et aux travaux de Nicole Reget Colet et Marc Romainville (2006). Par ailleurs, Marguerite Altet (2004) amène les enseignants à parler de leurs difficultés devant le besoin d’une méthode de travail universitaire chez les étudiants. Régine Boyer et Charles Cordian, quant à eux, (2002) ont étudié les cours magistraux « en amphi » en première année pour observer les attitudes choisies par l’enseignant et par l’étudiant. Malgré une différence entre les deux niveaux, secondaire et universitaire, les enseignants avertissent-ils les étudiants de cette différence ? Réponse assez prompte et décevante :

« rares sont les enseignants qui, lors du premiers cours, prennent la peine d’expliquer les règles du jeu universitaire, en quoi elles sont différentes de celles du lycée, et ce qui est attendu des étudiants235 ».

De plus, le cours magistral ressemble beaucoup à une conférence-monologue menée par l’enseignant en dépit des comportements des étudiants. Les questions pédagogiques se

235 Musselin Christine, id., p. 37.

Cours (contenus) Culture

(Savoirs et pratiques sociales)

Programmes, curriculum

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posent en fonction de différentes disciplines, du contenu et aussi comme le remarque Boyer :

« les historiens instaurent une barrière et se maintiennent à distance des étudiants alors que les sociologues tentent l’ouverture et l’interaction avec eux236 ».

Quant aux didacticiens, en particulier ceux en langue française, certains s’investissent dans les études des genres universitaires pour mieux comprendre les conditions réelles auxquelles les étudiants étrangers devront faire face lorsqu’ils poursuivent leurs études dans les universités francophones. C’est grâce à ces travaux que nous avons des résultats concrets décrivant des démarches pédagogiques des enseignants universitaires dans les cours magistraux. Par exemple, selon Catherine Carras, le CM est une « une structure discursive extrêmement complexe237 ». En effet, elle insiste sur la présence des énoncés secondaires portant de multiples fonctions (annonce du thème du cours, reformulations, répétitions, explications, précisions lexicales, exemplifications, rappels de cours précédents, interactions, etc.) à côté de l’énoncé principal visant le contenu du cours. Bien que les énoncés secondaires n’entravent pas ou même favorisent la cohérence énonciative de l’énoncé principal aux yeux d’un étudiant francophone, le cours magistral, ajoute des contraintes pour les étudiants non-francophones. La didacticienne rejoint les travaux de recherche de Parpette et Bouchard (2003 : 70) :

« Problèmes de décodage linguistique ;

Prérequis universitaires / scolaires non partagés ; Savoir collectif non partagé ;

Contraintes liées à la situation d’énonciation : attention sur une période longue face à un discours monologal ; obligation de prise de notes238 ».

D’autres études ont pour objectif d’aider à la compréhension des cours magistraux des étudiants en particulier des étudiants étrangers non-francophones. Ces études situent le cours magistral comme le cadre d’enseignement/apprentissage où interagissent institutionnellement deux acteurs principaux, l’enseignant et l’étudiant. Malgré une apparence monologale, le cours magistral est vu dans de nombreuses recherches sous sa caractéristique dialogique, puisque l’enseignant effectue sans cesse un discours en interaction avec les étudiants, et qu’au-delà de cette communication s’impose une co-construction du savoir.

236 Boyer, 2002, p. 85, cité par Musselin Christine, id., p.37.

237Carras Catherin, 2009, « L’activité métalexicale en cours magistral : dialogisme et transmission des connaissances », dans Acteurs et contextes des discours universitaire, Tome 2, Jean-Marc Defays et Annick Englebert (dir.), L’Harmattan, Paris, p. 12.

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2.2.2.2. Du côté de la recherche

Comme la moitié de leur travail est consacrée à la recherche, les enseignants-chercheurs sont par définition des scientifiques dans le sens où ils créent et font partie de réseaux sociotechniques. En effet, ils garantissent un double rôle à la communauté professionnelle : d’une part former et socialiser les futurs scientifiques et d’autre part « veiller » à ce que les normes scientifiques soient « respectées ». Ces dernières sont définies selon l’ethos scientifique de Merton239.

Ainsi, scientifiquement parlant, l’enseignant universitaire a pour mission d’élaborer sa propre discipline sur le plan cognitif et épistémologique afin de former ses étudiants. Nous notons que le fait d’enseigner sert aussi à la recherche. Il communique ainsi des exigences vis-à-vis de l’approche des savoirs et transmet donc des compétences ainsi que des attitudes nécessaires et appropriées face à la recherche. L’article 9 de la déclaration de l’UNESCO est consacré à la demande d’une approche novatrice de l’éducation en faveur de la pensée critique et de la créativité, ce qui prouve la priorité de cette compétence aujourd’hui. Les étudiants sont formés sur un premier plan aux savoirs et aux connaissances scientifiques et sur un second plan ils s’entraînent aux compétences intellectuelles et professionnelles en vue de leur intégration dans le monde du travail et pour leur vie à venir. Les politiques et les approches d’enseignement sont donc adoptés suite à la devise selon laquelle l’apprenant est au centre des préoccupations enseignantes.

Par ailleurs, il entretient des liens sociaux auxquels ses futurs collègues seront associés dans la discipline ou même dans d’autres disciplines. Sa mission met en valeur donc non seulement la formation aux attitudes dans les travaux de recherche mais aussi la solidarité entre les membres d’une communauté scientifique.

Nous venons de développer deux points principaux du cours magistral, l’espace du cours et l’enseignant universitaire comme acteur principal. Il faudra maintenant mentionner le public qui constitue aussi l’élément essentiel de cette forme d’enseignement. Il s’agit des étudiants.

239- « Le désintéressement tout d’abord conduit à ne pas faire de la science pour son propre intérêt mais pour celui de a société tout entière.

- Le communalisme ensuite consiste à partager les connaissances produites, à ne pas en tirer un usage privé. - L’universalisme (par opposition au particularisme) garantit la reconnaissance de la seule qualité scientifique : la valeur d’un scientifique ne doit donc pas dépendre de ses attributs personnels et particuliers (son origine sociale ou son genre par exemple) mais de la seule qualité de ces travaux.

- Le scepticisme organisé permet enfin de rester vigilant face à tout savoir et à ne pas le reconnaître comme tel sans avoir vérifié son authenticité. » (Merton, 1973, essai publié en 1942, cité par Musselin Christine,

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