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Notions d’éthique et de morale

CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL EN TROIS VOLETS

1. Notions relatives au phénomène d’enseignement magistral

1.3. Notions d’éthique et de morale

Nous présenterons d’abord ces deux notions d’un point de vue étymologique ; en deuxième lieu nous verrons ce qu’en disent les chercheurs qui se sont penchés sur la question.

1.3.1. Etudes étymologiques

Nous allons présenter d’abord la notion de morale et ensuite celle d’éthique. 1.3.1.1. Notion de morale

L’adjectif « moral » apparait au XIIIème siècle : paru en 1212 dans les textes manuscrits religieux et en 1270 par le philosophe italien Brunetto Latini qui le lie à la « vertu ayant pour principe la lumière de la raison118». De 1370 à 1372, le terme désignait

117 Nguyen Viet Quy Lan, 2010, « Comment se manifeste l’autorité de l’enseignant universitaire dans les cours magistraux ?», Séminaire Juniors, Cahiers du Celec, n° 2, Saint-Etienne, Laboratoire CELEC, Université Jean Monnet.

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ce « qui est conforme aux mœurs, à la morale119 », d’après Nicolas Oresme qui l’applique à la bonne vie, à la morale et à ses pratiques. L’origine latine mōrālis définit aussi ce qui est « relatif aux mœurs120 ». Au début du XVème siècle, cet adjectif désigne ce « qui concerne l’étude philosophique de la morale121 », d’après Eustache Deschamps (1403). Mais à la fin du XVIIème siècle, ce terme a perdu son acception de raisonnement intellectuel, c’est ce qui est moral « (est) fondé sur l’opinion, le sentiment, la croyance, et non sur les faits rigoureux ou un raisonnement122 ». Une dernière note sur cet adjectif, celle de Denis Diderot en 1752, désigne le caractère de ce qui est « relatif à l’âme, à l’esprit, par opposition au physique123 ». Quant au substantif, paru en 1752, à la période où l’adjectif moral adopte une nouvelle signification plus précise, il se définissait par l’« ensemble des facultés morales, état mental124 » puis « état d’esprit, énergie qui permet de supporter les difficultés125 ». Curieusement, en 1775, d’après Gabriel François Coyer, le terme semble se rapprocher de l’« éthique »126.

Aujourd’hui, quelles définitions donnent les dictionnaires populaires accessibles à tout le monde ? Prenons, par exemple, le dictionnaire Larousse en ligne qui donne les définitions suivantes de l’adjectif moral :

« Qui concerne les règles de conduite pratiquées dans une société, en particulier par rapport aux concepts de bien et de mal : Réflexions morales. Qui relève de la conscience que l’on a de ce qui est bien : Avoir l’obligation

morale de faire quelque chose.

Qui se conduit selon les règles de comportement communément admises dans une société ; qui est conforme aux bonnes mœurs : Un auteur très

moral. Un film moral.127»

Ces idées rejoignent celles mentionnées dans le dictionnaire du CNRTL :

« propres à une société, à une époque128 »,

ou

« (ce) qui concerne les règles ou principes de conduite, la recherche d’un bien idéal, individuel ou collectif, dans une société donnée129 ».

119 id.

120 Gaffiot Félix, 1934, Dictionnaire latin français, Paris, Hachette, p. 994. 121 id. 122 id. 123 id. 124 id. 125 id. 126 id. 127 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/moral/52562?q=morale#52427. 128 http://www.cnrtl.fr/definition/moral. 129 id.

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Ces définitions transforment en effet la notion en socle conceptuel d’une société. La morale est comprise d’abord par :

« (un) enseignement qui se dégage de quelque chose, conduite que l’événement ou le récit invite à tenir130 »,

par exemple : la morale d’une fable, la morale de l’histoire. Cette notion se veut porter des significations mettant en valeur des normes au niveau sociétal :

« (de l’)ensemble de règles de conduite, considérées comme bonnes de façon absolue ou découlant d’une certaine conception de la vie : Obéir à une morale rigide131 »,

ou

« (de la) science du bien et du mal, théorie des comportements humains, en tant qu’ils sont régis par des principes éthiques132 ».

Dans la dernière définition, on note de nouveau une relation forte entre la morale et l’éthique. Nous allons voir maintenant ce qu’il en est de la notion d’éthique.

1.3.1.2. Notion d’éthique

Le terme éthique en tant que substantif, a pour l’origine le mot latin ēthŏs et le mot grec ηθός et est paru depuis 1265 en philosophie133, ayant pour signification « mœurs, caractère134 », ce qui se rapproche de la morale. C’est aussi le titre d’un ouvrage d’Aristote qui a inspiré de nombreux philosophes, en particulier Paul Ricœur comme nous le verrons dans les paragraphes prochains.

En tant qu’adjectif, les origines latine et grecque du terme donnent deux acceptions de même sens : la première, provenant d’ēthĭca et ηθικη, veut dire « morale (partie de la philosophie)135 », la seconde, ēthĭcus et ηθικός, désigne « qui concerne la morale136 »137. Il est regrettable que nos connaissances limitées en philosophie ne nous permettent pas de voir clairement les différences subtiles entre ce qui réfère à chaque vocable. Or, semble-t-il, cette question déterminerait-elle la distinction entre l’éthique et la morale ? Ne serait-ce pas, pour la première tout ce qui résulte des réflexions des philosophes sur la morale et les mœurs pratiques pour bien vivre dans une société ? car la philosophie a, par étymologie, l’origine latine philosophia composé de deux éléments du grec ancien, φιλεῖν - « aimer » et σοφία - « la sagesse». Alors que pour la seconde,

130 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/morale/52564?q=morale#52429. 131 id.

132 id. 133id.

134 Gaffiot Félix, 1934, id., p. 604. 135 http://www.cnrtl.fr/etymologie/éthique. 136 id.

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l’éthique exprimerait les principes abstraits de la morale, qui se traduisent par l’« ensemble des comportements propres à un groupe humain ou à un individu et considérés dans leurs rapports avec une morale collective138 ». Il s’agit « (des) règles de vie, (des) modèles de conduite plus ou moins imposés par une société à ses membres139 ». Suite aux dernières réflexions, nous remarquons que la notion d’éthique connait deux conceptions distinctes. En effet, la première insiste sur le caractère abstrait en le définissant par :

« (une) science qui traite des principes régulateurs de l’action et de la conduite morale140 »,

autrement dit, comme le définit dans le dictionnaire Larousse, c’est :

« (une) partie de la philosophie qui envisage les fondements de la morale141 ».

Donc l’éthique se placerait avant la morale.

Pour la seconde, la notion d’éthique souligne les images exemplaires fondées par un individu ou par un groupe d’individus particuliers dans une société, images qui prescrivent les principes d’après lesquels doivent agir ses membres.

Nous venons d’étudier deux notions proches, morale et éthique, sur le plan étymologique et nous voyons une liaison étroite entre les deux. Toutes les deux sont des bases pour une société. Comme le duo savoir et connaissance, ce couple de notions contient, pour chacune, des nuances. Tandis que la morale décrit des règles de conduite, de comportements bien installés dans une société, l’éthique consiste en une science dynamique à la recherche constante de ces valeurs morales.

Alors, comment ces deux notions sont-elles entendues par les spécialistes, dans notre contexte et pour notre problématique ?

1.3.2. Ethique et morale : Paul Ricœur

Paul Ricœur a consacré sa vie à l’étude de l’éthique et de la morale. Il prend pour exemple le sage grec, Aristote, pour son « souhait de la vie bonne » s’agissant de la vie morale. Mais pour les temps modernes, dans son discours sur l’éthique, la morale et la politique, il souhaite réserver :

« le terme d’éthique à l’ordre du bien et celui de la morale à l’ordre de l’obligation142 ».

138 http://www.cnrtl.fr/definition/mœurs. 139 id.

140 http://www.cnrtl.fr/etymologie/éthique, op. cit.

141 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/éthique/31389?q=éthique#31324. 142 Ricœur Paul, 1993, « Morale, éthique et politique », dans Pouvoirs, n° 65, p. 5.

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C’est la confirmation de ce point de vue à propos de la distinction de ces deux notions qu’il a abordée dans son ouvrage Soi-même comme un autre :

« C’est donc par convention que je réserverai le terme d’éthique pour la visée d’une vie accomplie et celui de morale pour l’articulation de cette visée dans des normes caractérisées à la fois par la prétention à l’universalité et par un effet de contrainte (on dira le moment venu ce qui lie ces deux traits l’un à l’autre)143 ».

Il dit que sa pensée se base d’une part sur l’héritage téléologique d’Aristote, et d’autre part sur l’héritage déontologique de Kant pour arriver à la synthèse suivante :

« 1) la primauté de l’éthique sur la morale ; 2) la nécessité pour la visée éthique de passer par le crible de la norme ; 3) la légitimité d’un recours de la norme à la visée, lorsque la norme conduit à des impasses pratiques ».

Ces questions guideront nos réflexions lors de notre étude des trois CM de notre corpus. En effet, ces deux dimensions imbibent les savoirs transmis. Par exemple : dans le cours de Psychologie de l’adolescence, émerge la problématique des adolescents confrontés à un monde de consommation : émerge alors aussi deux visions morales différentes du monde et de la société. Dans le cours de Macroéconomie, les interventions institutionnelle et gouvernementale sur l’économie touchent aussi à la morale. Quant au cours de Droit civil, il souligne les valeurs humaines dans l’évolution des textes de loi : et ces valeurs sont des choix sociaux et moraux. Par ailleurs, dans la façon de discourir des enseignants, se dessinent les valeurs éthiques à transmettre, comme la nécessité de se connaître et de connaître autrui, le respect, la responsabilité. Ce sont des valeurs importantes qui nous conduiront à réfléchir sur un modèle de société pour « la vie bonne » de nos jours, dont les universitaires sont en partie responsables.

Par ailleurs, nous empruntons à Paul Ricœur des questions qui manifestent son souci éthique face aux discours politiques :

« qui est celui qui parle ? qui a accompli telle ou telle action ? de qui ce récit est-il l’histoire ? qui est responsable de ce dommage ou de ce délit ? »,

On peut ajuster ces questions à notre étude : qui est celui qui parle ? qui a accompli tel ou tel acte de discours ? qui sont les témoins de ces expériences ? qui est bénéficiaire de cet enseignement ? Ces questions mettront en évidence les statuts différents de l’enseignant, en tant que spécialiste, pédagogue, professionnel. Ses paroles sont dotées d’un pouvoir dit « autoritaire », ce qui met en place des « gestes professionnels » que nous allons aborder dans une partie ultérieure de ce travail. On voit avec la dernière question (qui pourrait profiter de cet enseignement) qu’elle va plus loin, et interroge à savoir quels sont les autres savoirs transmis outre les savoirs académiques.

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1.3.3. La question éthique vue par Patrick Charaudeau

S’agissant de l’intérêt social, le linguiste Patrick Charaudeau souligne que la notion d’éthique dépasse le ressenti individuel144. Cette notion est définie via des liens sociaux, des rapports entre les uns avec les autres, entre des individus et des groupes, et met en évidence une autre notion capitale qui est celle d’altérité. De ce fait, le terme éthique, historiquement éclairé par le Bien idéal, se voit attribuer un double caractéristique par le sociologue Max Weber (1864-1920), à savoir l’éthique de Conviction et l’éthique de Responsabilité. Ces deux notions développées par Charaudeau nous intéressent particulièrement car le cours magistral forme aux connaissances mais également, suivant notre thèse, à la conduite et à l’action vis-à-vis d’autrui et de la société en général.

1.3.4. La notion de morale selon deux points de vue : John Rawls vs Confucius

Nous remercions Ruiping Fan pour son article comparant deux points de vue philosophiques à la fois similaires et contradictoires, venue de deux grandes figures de deux pôles culturels distincts du monde, au niveau de la morale et de la justice. En effet, sa recherche fait écho d’abord aux travaux de John Rawls, un philosophe de l’Occident moderne. Ce philosophe développe sa théorie de la Justice sociale dans laquelle la notion de justice se traduit par l’idée de « procurer à tout le monde son « dû ». Il défend une déontologie intitulée « the right prior the to good », selon laquelle chacun, chacune a le droit de recevoir des biens sociaux, qui sont à présenter en duo : droits et libertés, puissance et opportunité, « income et wealth ». Cette forme de justice sociale, pour lui, permettrait d’établir des principes fondamentaux en vue de guider la structuration sociale. Alors qu’à l’inverse, malgré son symbole académique oriental, l’idéologie de Confucius se rattache à celle d’un des plus grands philosophes de l’Antiquité, Aristote. En effet, il s’appuie sur la construction des caractères et des qualités personnels pour former des vertus compatibles avec la moralité collective. Celles-ci, pour les deux grands maîtres, conduisent l’homme à faire de bonnes choses, au bon moment et à la bonne manière, dans la recherche du « telos ». Alors comment la formation de soi-même pourrait-elle contribuer à renforcer et favoriser les structures sociales ? Ecoutons le discours de Confucius :

144 Charaudeau Patrick, « Une éthique du discours médiatique est-elle possible ? », paru dans la revue

Communication, Vol. 27, 2/2012, disponible sur le site http://communication.revues.org/index3066.html, consulté le 15 septembre 2012.

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« Individuals being cultivated, their families can be well regulated. Their families being well regulated, their states can be rightly governed. Their states being rightly governed, the all-under-Heaven can be made peaceable. [Hence], from the king of a state to the mass of the people, all must consider the cultivation of the individual as the root of everything. (The Great Learning : the text)145 ».

Nous rejoignons le commentaire de Séraphine Couvreur de ces paroles du sage chinois qui est ainsi :

« Pour bien gouverner leurs principautés, ils mettaient auparavant le bon ordre dans leurs familles. Pour mettre le bon ordre dans leurs familles, ils travaillaient auparavant à se perfectionner eux-mêmes, ils réglaient auparavant les mouvements de leur cœur. Pour régler les mouvements de leur cœur, ils rendaient auparavant leur volonté parfaite. Pour rendre leur volonté parfaite, ils développaient leurs connaissances le plus possible146 ».

Aux yeux d’une Asiatique que nous sommes et qui a eu l’occasion d’avoir des contacts avec différentes cultures, les visions de l’éthique et de la morale dans deux cultures ont des points différents mais aussi des similitudes. Ce sont en fait deux procédures pour arriver au même but (avoir une bonne vie) à partir de deux sens opposés. En Occident, la liberté et la justice sont des acquisitions individuelles en vue d’une société stable et développée, alors qu’en Orient, la stabilité de la société entraine l’auto-instruction de chaque individu. Dans les deux visions, l’individu ou la société est l’acteur principal de toutes ses pensées, de toutes ses actions. L’autoformation de chacun et le désir de liberté et de justice permettent de créer la base d’une société prospère et juste. L’auto-conscience des valeurs morales et éthiques est ainsi demandée à chaque individu au service de sa famille, de son pays et de toute société à laquelle il appartient. C’est la dialectique qui régit ces deux instances (individu et société) qui est différente.

Après avoir abordé les deux premières notions, oral et genre, et le couple de notions éthique et morale, nous avons besoin d’aborder le cours magistral sous l’angle de la transmission des savoirs.