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Les fraudes et la lutte antifraude sous le prisme de la législation

Chapitre 1 : les tentatives d’influence des électeurs interdites par la législation

1. Les sollicitations de vote

1.3. Les sanctions contre les sollicitations

En cas de sollicitation, la législation prévoyait en règle générale l’annonce publique du nom du transgresseur, une amende pécuniaire, l’exclusion des Conseils et l’inéligibilité (voir les tableaux en annexe 9). Le montant des amendes et la durée d’exclusion du Grand Conseil correspondent à la hiérarchie des offices. Les peines pécuniaires pouvaient aller de 25 ducats, pour les élections ordinaires, à mille ducats lorsque la dignité de procurateur de Saint-Marc était en jeu. Les peines d’exclusion prévoyaient de six mois à quatre ans d’exclusion du Grand Conseil ou d’inéligibilité.

Les décrets contre les sollicitations ne concernaient pas toujours toutes les élections. Pour cette raison, il faut distinguer cinq catégories de peines que j’ai rangées en fonction du prestige des charges en jeu. Les sanctions cependant ne divergent pas toujours complètement entre ces catégories. La première catégorie concerne les élections pour lesquelles l’urne des

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Loi du 13 septembre 1513. A.S.V., Maggior Consiglio, deliberazioni, registre 25 deda, 1503-1521, fol. 143‑145.

sollicitations était utilisée, soit des scrutins organisés dans le Grand Conseil et le Sénat et concernant de nombreuses charges, prestigieuses ou triviales. Les législateurs privilégièrent l’inéligibilité – pouvant aller d’un à deux ans – à une peine pécuniaire (seul un décret, en 1540, propose cette option). Les décrets concernant cette urne spéciale présentent la particularité de ne pas prendre pour cible seulement les solliciteurs mais aussi les électeurs qui refusaient de voter avec cette urne. Leur absence intentionnelle lors de ce vote était donc considérée comme une preuve de leur implication dans des sollicitations. Leurs peines étaient exactement les mêmes405.

La seconde catégorie regroupe indifféremment les élections dans le Grand Conseil et le Sénat et concerne en conséquence la majorité des offices. La troisième ne touche qu’aux élections dans le Sénat et dans le « scrutinio ». La quatrième ne cible que les élections dans le Conseil des Dix et sa « Zonta ». Enfin, la dernière catégorie traite des élections des procurateurs de Saint-Marc.

TABLEAU qui regroupe les peines pour les 5 catégories :

Type d’élections Amende Inéligibilité et exclusion du Grand Conseil Urne des sollicitations Rien à 50 ducats Non précisé à 2 ans406

Grand Conseil et Sénat 25 à 200 ducats (et libre appréciation des juges)

Six mois à 3 ans (et libre appréciation)

Sénat et « scrutinio » 50 à 500 (et libre appréciation des juges)

Non précisé à 2 ans et libre appréciation

Zonta du CX 500 ducats 5/10 ans

Procurateur de Saint-Marc 1000 ducats Pas prévue

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, entre 1555 et 1580, les peines prévues dans le cadre des élections dans le Sénat et le Grand Conseil présentaient une particularité : elles étaient déterminées par le lieu de la fraude. Par exemple les peines d’inéligibilité et d’exclusion du Grand Conseil furent augmentées respectivement jusqu’à trois et deux ans si les sollicitations étaient faites en dehors du Grand Conseil. Une telle distinction n’existe plus par la suite. À la fin du XVIIe siècle, la peine augmenta à 200 ducats et le transgresseur restait inéligible tant qu’il n’avait pas payé l’amende. C’est une décision politique assez forte car il est probable que les petits patriciens, condamnés par cette loi, ne pouvaient pas rembourser cette somme conséquente. Des sanctions devaient également être appliquées aux patriciens qui refusaient

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En 1548, le temps d’inéligiblité fut même doublé pour ceux qui sortaient de la salle de vote avec les familles des nominés alors qu’ils n’en faisaient pas partie.

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de dénoncer celui ou ceux qui les avaient sollicités : à deux ans d’inéligibilité et d’exclusion du Grand Conseil s’ajoutaient la publication de leur nom407. À l’inverse, un délateur pouvait espérer recevoir une partie de l’amende versée dans le cadre des élections qui se déroulaient dans le Sénat et son « scrutinio » (tableau en annexe 8.3).

Une autre catégorie d’élections est celle de la Zonta du Conseil des Dix. Être élu dans la Zonta du Conseil des Dix signifiait avoir accès à des informations de premier plan. À l’origine, les élections de la Zonta du Conseil des Dix se déroulaient dans le Conseil des Dix avant d’être confiées au Grand Conseil. Le cercle des électeurs était par conséquent très restreint ce qui pouvait faciliter l’achat de votes. Pour éviter ces manœuvres, les peines prévues étaient très sévères. Un décret du 2 octobre 1510 prévoyait cinq ans d’exclusion du Conseil des Dix et de sa Zonta et une amende de 500 ducats. Si un membre du Conseil des Dix votait en faveur du candidat qui l’avait sollicité, l’exclusion du Conseil des Dix doublait. Une dernière catégorie d’élections concerne les procurateurs de Saint-Marc : ils risquaient une amende de 1000 ducats s’ils transgressaient les lois contre les sollicitations.

Enfin, il faut également mentionner un décret – non listé dans le tableau – qui fait allusion aux sollicitations des prétendants à la charge de doge. En 1615, les censeurs furent chargés de renvoyer chez eux tous les prétendants qui se montraient en public et sollicitaient des votes. De plus, ils devaient s’acquitter d’une amende de 50 ducats aux « governatori delle Intrade » à chaque fois qu’ils transgressaient cette loi408. L’allusion aux « governatori delle Intrade » est intéressante car elle signifie que les prétendants ne devenaient pas automatiquement débiteurs du palais et restaient en conséquence éligibles à toute charge tant qu’ils ne remboursaient pas cette somme – qu’ils pouvaient probablement payer. Aucune grâce n’était possible sauf si les élections s’étaient déroulées dans la « Zonta » du Conseil des Dix. Si un juge accordait une grâce à un patricien ayant sollicité des votes, il devait payer 50 ducats409.

Des amendes étaient également prévues contre les magistrats peu consciencieux. Par exemple, les chefs de la Quarantie et les conseillers devaient imposer une amende de 500 ducats aux avocats de la Commune ou aux censeurs s’ils ne menaient aucune enquête ou n’appliquaient pas les peines contre les patriciens qui sollicitaient ou corrompaient leurs compatriotes lors

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21 janvier 1566. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, miste, registre 24, fol. 96v‑97.

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5 novembre 1615. A.S.V., Maggior Consiglio, deliberazioni, registre 34 antelmus, 1607-1616, fol. 143‑144(163‑164).

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Loi du 13 septembre 1517. A.S.V., Maggior Consiglio, deliberazioni, registre 25 deda, 1503-1521, fol. 143‑145.

des élections du doge (voir également l’annexe 23)410. Le montant de l’amende s’élevait à 500 ducats pour les juges trop laxistes envers les patriciens qui n’avaient pas respecté les interdictions de sollicitations411. En outre, si les avocats de la Commune et les censeurs ne se rendaient pas personnellement avant comme après la mort d'un procurateur avant les élections sur la place Saint-Marc et à Rialto pour empêcher, avec l'aide de leurs « fanti » et « ministri » que ne soient faites des « cliques » (« conventicole »), les conseillers prenaient note de leur négligence. À l’inverse, si les conseillers ne convoquaient pas le Grand Conseil immédiatement le lendemain matin pour faire l'élection du nouveau procurateur, les avocats de la Commune se partageaient les 500 ducats d’amende412. La grâce n’était possible qu’avec les 5/6èmes des voix du Conseil des Dix (voir l’annexe 25)413. Enfin, les « fanti » des censeurs, des avocats de la Commune et des autres magistrats chargés de la surveillance des patriciens risquaient d'être privés de leur office chaque fois qu'ils oubliaient de surveiller les patriciens dans le Grand Conseil, sur la place de Saint-Marc et de Rialto et de dénoncer les transgresseurs qui faisaient des sollicitations (voir l’annexe 24)414.

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7 janvier 1539. A.S.V., Maggior Consiglio, deliberazioni, registre 27 novus, 1537-1551, fol. 36.

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21 décembre 1697. A.S.V., Maggior Consiglio, deliberazioni, registre 44 busenellus, fol. 29‑33(48‑52).

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21 juin 1621. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 71, 1621, fol. 93‑97(173‑177).

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21 juin 1621. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 71, fol. 93‑97(173‑177).

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Décret du 10 août 1555. A.S.V., Senato, deliberazioni, terra, registre 40, 1555-56, fol. 45‑46(65‑66) ; de plus, si des secrétaires députés aux élections voyaient des membres de commission électorale faire pression sur un quatrième patricien pour s’échanger leurs voix et ne les dénonçaient pas, alors ils risquaient la privation perpétuelle de la chancellerie (décret du 25 août 1508). Consiglio di Dieci, deliberazioni, miste, registre 32,

op. cit., fol. 31(81) ; une peine similaire fut proposée de nouveau en 1534 mais sans précision sur la durée: les

notaires députés aux élections, en cas de transgression, risquaient la privation de la chancellerie, s’ils ne dénonçaient pas la transgression aux chefs des Dix (21 janvier 1534). A.S.V., Consiglio di dieci, deliberazioni,

comuni, registre 9, 1533, fol. 154v‑155(154v‑155) ; cette peine fut abaissée à la privation d’un an de salaire au début du XVIIe siècle : si l’un des électeurs utilisait la violence ou transgressait cet ordre, les notaires devaient prévenir le « massaro » ou bien le secrétaire pour qu’il en avertisse l’avocat de la Commune sous peine de privation d’un an de salaire (30 juin 1626). A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 76, fol. 102‑103(168‑169) ; oublier de prendre en note les serments des candidats ou de rappeler aux chefs du Conseil des Dix de faire observer la loi était passible d’une privation de charge pour les notaires et les secrétaires respectivement (10 juillet 1596 et 20 mars 1531). A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 46, fol. 43‑44(87‑88) ; A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 7, fol. 4‑5(4‑5) ; laisser un candidat être soumis au vote alors qu’il n’avait pas prété serment de ne pas faire d’échange de votes entraînait pour le secrétaire, outre une privation de sa charge, le paiement d’une amende de 200 ducats (27 juin 1596). A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 46, fol. 39(83) ; même les adolescents, les « ballottini », devaient aider dans la lutte contre les fraudes. S’ils ne dénonçaient pas immédiatement les transgresseurs qui votaient contre la manière habituelle et autorisée aux chefs du Conseil des Dix, ils étaient immédiatement renvoyés du conseil, exclus de la fonction de « ballotino » pendant dix ans et devaient rester six mois en prison (27 octobre 1529). A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 5, fol. 111v‑112 ; les adolescents furent chargés plus tard de vérifier que les patriciens n’adressent pas de suppliques aux magistrats pour ne pas être élus à des charges coûteuses. Mais cette fois-ci, la peine contre la négligence des « ballottini » était laissée à la libre appréciation des censeurs (12 février 1783). A.S.V., Compilazione delle leggi,