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La première étape des élections au Grand Conseil : le tirage au sort des balles d’or et d’argent

Les procédures électorales des institutions politiques

1. Les élections dans le Grand Conseil pour les magistratures ordinaires

1.2. La première étape des élections au Grand Conseil : le tirage au sort des balles d’or et d’argent

Le processus électoral commençait par le tirage au sort d'une balle, d'or ou d'argent, par chaque patricien du Grand Conseil. Je décrirai tout d'abord comment étaient disposés les bancs et comment ils étaient tirés au sort afin d'assurer que l’ordre de déplacement des patriciens soit aléatoire. Je présenterai ensuite les urnes utilisées lors du tirage pour éviter les fraudes. Enfin, j'expliquerai l'objectif de ce tirage au sort : la formation de quatre commissions électorales.

Dans la salle du Grand Conseil étaient disposés, d’une part, la tribune où s’asseyaient le doge et ses conseillers et, d’autre part, dix bancs doubles et deux bancs simples installés dans le sens de la longueur de la salle (voir l’annexe 2). Curti et Milledonne donnent des explications très claires sur les bancs du Grand Conseil. Les bancs simples étaient dos aux murs nord et sud de la salle. Ils s’appelaient « banco de sora » (« bancs supérieurs »). Les dix bancs doubles, numérotés de un à cinq, se trouvaient entre les bancs simples. Les deux bancs du milieu avaient en conséquence le numéro cinq165. Chaque côté de banc avait un nom qui dépendait de son orientation : soit vers le sud en direction du monastère de San Giorgio, soit

d’intromission et étaient des accusateurs publics dans les conseils. Pour un aperçu plus complet de leurs fonctions, voir : A. da Mosto, L’archivio di Stato di Venezia, indice generale, storico, descrittivo ed analitico, Rome, 1937, p. 68‑69. Les censeurs sont deux magistrats chargés de la lutte contre le « broglio ». Les « auditori vecchi delle sentenze » étaient trois et jugeaient en appel les sentences civiles des magistrats de Venise et des gouvernements. Ils étaient aussi appelés « avogadori civili ». Les « auditori novi delle sentenze » reprirent une partie des compétences des « auditori vecchi » avec l’agrandissement du territoire vénitien. Plus tard, s’ajoutèrent à eux les « Auditori novissimi delle sentenze ». Ibid., p. 68‑69. Les censeurs sont deux magistrats chargés de la lutte contre le « broglio ». Les « auditori vecchi delle sentenze » étaient trois et jugeaient en appel les sentences civiles des magistrats de Venise et des gouvernements. Ils étaient aussi appelés « avogadori civili » . Les « auditori novi delle sentenze » reprirent une partie des compétences des « auditori vecchi » avec l’agrandissement du territoire vénitien. Plus tard, s’ajoutèrent à eux les « Auditori novissimi delle sentenze ».

Ibid., p. 85‑86.

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G. Maranini, La costituzione di Venezia, op. cit. n. 140, p. 105.

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vers le nord où se trouvait la basilique Saint-Marc. Une seconde indication permettait de subdiviser ce côté en deux moitiés, selon l’axe longitudinal : l’une pointait en direction de l’Est, appelé « Castello » (d’après le « sestiere » homonyme), et l’autre vers l’Ouest, nommé « Broglio » (d’après la place de même nom). Comme les bancs étaient numérotés de manière symétrique, les moitiés de chaque côté de banc allaient par paire (voir l’annexe 2). Ces indications étaient reportées sur de grandes balles de métal qui étaient tirées au sort avant le début des élections. Seuls les patriciens situés sur les deux moitiés de banc tirés au sort avaient le droit de se rendre à l’urne. Cette mesure permettait d’éviter le déplacement confus et simultané de tous les patriciens vers les urnes électorales166.

C’est le plus vieux conseiller, selon Milledonne, qui piochait une balle au hasard et annonçait ainsi quelles seraient les premiers quarts de banc à pouvoir se diriger vers l’urne la plus proche167. Si le magistrat annonçait « il banco terzo de ver san marco cao de ver castello » (« le troisième banc tourné vers Saint-Marc, extrémité de Castello ») les nobles assis face à Saint-Marc sur les troisièmes bancs dont la moitié pointait vers Castello pouvaient se déplacer vers l’une des urnes latérales la plus proche. Les deux quarts de bancs concernés sont indiqués par une ligne en pointillé sur l’image en annexe (n°2 ; voir également l’annexe 3 pour le tirage des balles d’or et d’argent).

Malgré cette procédure stricte, quelques problèmes surgissaient parfois. Il arrivait par exemple que les derniers patriciens à tirer au sort soient lésés car il ne restait plus de balles dans les urnes. En conséquence, les conseillers devaient s’assurer qu’il en reste autant dans le « capello » que de patriciens n’ayant pas encore tiré au sort168. Parfois, les nobles profitaient de cette occasion de déplacement pour solliciter leurs collègues ou s’asseoir sur un autre banc. Pour éviter ceci, après avoir pioché une balle, ils devaient faire le tour de la salle et non emprunter le même chemin qu’à l’aller. Enfin, les bancs qui n’étaient pas invités à tirer au sort étaient fermés par un cadenas pour éviter que les nobles ne changent de siège169.

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La division des bancs pour se rendre au « capello » est connue depuis au moins 1457 : Indice e repertorio

generale (...) parte prima, op. cit., fol. (99)‑98 ; douze balles de métal ou «cedule» sur lesquels étaient gravés les noms et numéros des bancs étaient tirées au sort. À partir du 29 juillet 1544, les bancs étaient divisés par moitié. C’est cette seconde mesure qui est décrite ici : A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 16, 1544, fol. (49)49 ; les indications ont été recoupées avec celles de Milledonne: A. Milledonne, dialoghi, op. cit., fol. 7v‑8v.

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Ibid, fol. 8‑8v.

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Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 16, op. cit., fol. (49)49.

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Les urnes à Venise s’appelaient « capelli ». Elles étaient fermées par un couvercle afin de ne pas en apercevoir l’intérieur. Il est possible que la forme des « capelli » ait évolué, mais on n’en retrouve pas mention dans la législation. Trois « capellis » étaient disposés près de la tribune et fermés par un couvercle. Près d’eux était posté un conseiller chargé de leur surveillance. L’une de ces urnes se trouvait à droite de la tribune, une autre à gauche et enfin la troisième au milieu. Le couvercle des deux urnes latérales avait deux ouvertures afin que deux patriciens puissent retirer en même temps une balle évitant ainsi une trop grande perte de temps. Celle du milieu n'avait au contraire qu’une seule ouverture. Ces ouvertures devaient permettre de passer facilement la main sans pouvoir apercevoir le contenu des urnes. Chaque urne contenait des balles d’or et d’argent : celles latérales renfermaient chacune environ 700 balles d’argent et 30 d’or ; celle centrale ne renfermaient que trente-six balles d’or et vingt-quatre d’argent. Ces nombres correspondent à des élections avec vingt-quatre commissions électorales. En revanche, lorsque deux commissions électorales seulement devaient être composées, les urnes latérales ne contenaient que vingt balles d’or et celle au centre dix-huit en or et vingt-deux en argent170.

La première phase de l’élection commençait par le tirage au sort dans une de ces urnes d’une balle d’argent ou d’or, banc après banc.

Dans le vocabulaire vénitien, tirer au sort se disait « andare a capello », littéralement « se rendre à l'urne », que j'ai librement traduit par « tirage au sort ». Je viens d’expliquer que les deux urnes latérales étaient différentes de celle centrale. En effet, chaque patricien devait d'abord piocher une balle dans l'une des urnes latérales. Si le patricien était assis sur un banc de droite, il se rendait à celle située sur le côté droit et vice-versa s’il était assis à gauche. Si un patricien piochait dans cette première urne une balle d'argent, il retournait bredouille à sa place. Au contraire, s’il en piochait une d’or, il pouvait alors en tirer au sort une autre dans l’urne centrale. Si cette balle était de nouveau d’or, un « jeune » de la chancellerie vérifiait

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G. Maranini, La costituzione di Venezia, op. cit. n. 140, p. 110 ; à partir du XVIe siècle, le nombre de charges élues seulement par deux commissions électorales diminua : A.S.V., Maggior Consiglio, Libro d’oro 10,

1503-1522, fol. 196‑201. Dans ce document, on y trouve une liste des régiments et offices élus par le Grand Conseil précisant s’ils sont élus par deux ou quatre mains (une main désigne une commission électorale) : 53 gouvernements dont 34 élus par deux mains ; dix « podestà » et capitaines dont un est élu par une main ; deux « podestà » provisoires ; un duc (le duc de Crête) ; deux lieutenants ; quatorze capitaines ; quinze comités dont cinq élus par deux commissions électorales ; huit recteurs ; treize provisoires ; trois baillis et capitaines ; deux consules ; sept conseillers dont quatre élus par deux mains ; trois « camerari » et châtelains dont deux élus par deux mains ; quinze « camerarii » dont onze élus par deux mains ; quatre « salinarii » dont trois élus par deux mains ; 29 châtelains dont quinze élus par deux mains ; onze amiraux et capitaines «  ad beneplacitum dominii » ; 76 officiers dont quatorze élus par deux mains ; quatorze conseillers dont un élu par deux mains et un « vice domini fontici theutonicorum ».

son authenticité et prononçait à voix haute le prénom du patricien, son nom de famille et le prénom du père171. Ce patricien devenait membre d'une des quatre commissions électorales. Après qu’il avait été tiré au sort, aucun de ses proches parents ou des membres de sa « casata »172 n’avait le droit de tirer au sort tant que la commission électorale n’était pas complète. Ils recouvraient ce droit dès qu’elle avait été formée. Cependant, il ne pouvait jamais y avoir plus de deux membres d’une même famille ou « casata » parmi les quatre commissions électorales confondues173.

L’interdiction faites aux autres membres de la famille de participer au tirage au sort s’appelait « cacciarsi da capello », littéralement « se chasser du chapeau » (c’est-à-dire, de l'urne). J'ai traduit cette expression par « exclusion des élections pour liens de parenté ». Jusqu’à 1527, seul un patricien par nom de famille pouvait être tiré au sort. Mais à cause de l’augmentation du nombre de patriciens dont certains portaient le même nom, bien qu’ils aient perdu tout lien de parenté en commun, cette règle était devenue injuste. En conséquence, dès qu’un patricien était tiré au sort, seuls ceux qui étaient liés par des liens de parenté directs avec lui perdaient leur droit de tirage au sort. Cette interdiction frappait le père, les fils, les frères, les neveux (aussi bien par le frère que par la sœur), les cousins germains, le beau-père, le gendre, le grand-père paternel ou maternel, les beaux-pères des fils (« padregno »174), les demi-frères et les beaux-frères tant que l’épouse vivait175. En revanche, si un second patricien avec le même nom de famille était tiré au sort, cette fois-ci, tous les nobles de même nom étaient privés de tirage au sort même s’ils n’avaient aucun lien de parenté direct avec ces personnes. De plus, ce second patricien ne devait pas être dans la même commission électorale que le premier176. Du vivant du doge, ses fils et petits-fils ainsi que ses frères étaient également privés de participation aux élections et inéligibles sauf à la charge de sénateur177. L'opération de tirage au sort se poursuivait jusqu'à la formation de quatre commissions électorales de neuf membres chacune, soit 36 patriciens au total178.

171

G. Maranini, La costituzione di Venezia, op. cit. n. 140, p. 110.

172

Personnes portant le même nom de famille.

173

G. Maranini, La costituzione di Venezia, op. cit. n. 140, p. 110.

174

Il s’agit du beau-père en tant que mari de la propre mère après la mort du père biologique: G. Boerio,

Dizionario, op. cit. n. 75, p. 472.

175

A. Milledonne, dialoghi, op. cit. n. 132, fol. 9.

176

Loi du 31 juillet 1527. A.S.V., Maggior Consiglio, Libro d’oro 11, fol. 66v‑67.

177

A. Milledonne, dialoghi, op. cit. n. 132, fol. 9.

178

Cela n’a pas toujours été le cas. Jusqu’à 1527, les patriciens n’étaient pas autorisés à tirer au sort si une personne de même nom avait été tirée au sort, avec ou sans n lien de parenté direct entre eux. Après cette date, les nobles de même nom, à condition qu'ils ne soient pas liés par le sang ou des liens matrimoniaux, furent autorisés à piocher une balle. Cependant, une commission électorale ne pouvait contenir plus de deux patriciens de même nom. Si, au cours du tirage au sort des patriciens composant l'une des commissions électorales, des nobles d’une même «casata» piochaient une balle d’or, le second patricien allait dans la prochaine. Cette loi