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Les fraudes et la lutte antifraude sous le prisme de la législation

Chapitre 1 : les tentatives d’influence des électeurs interdites par la législation

4. Autres fraudes allant à l’encontre de la liberté de vote

4.3. L’expression publique de la préférence électorale

Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler de tentatives d’influence du vote, certaines fraudes en étaient le pendant. Les patriciens auraient, par exemple, rendu compte de leur vote,

487

Loi du 12 février 1783. A.S.V., Compilazione delle leggi, prima seria, busta 18 ambito, fol. 722‑723.

488

Loi du 26 avril 1793. S. Romanin, Storia documentata di Venezia, op. cit. n. 187, p. 196‑197.

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Loi du 26 avril 1793. Ibid. Voir également l’enquête qui se déroula entre 1791 et 1794 : A.S.V., Dossier

“Morosini Vincenzo e correi” (1791), Inquisitori di stato, busta 1163, dossier 1156.

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L’original de la loi du 26 avril 1793 n’a été trouvé ni dans les « filze » du Conseil des Dix ni dans les registres du Grand Conseil. Ibid.

sous serment ou non, après les élections, afin de démontrer qu’ils avaient respecté la parole donnée491. Cette fraude fut irrégulièrement poursuivie par la législation, et fut interdite au moins depuis 1517 (voir le tableau en annexe 6). De même, la République considérait que les remerciements aux électeurs, mais aussi tout acte de félicitation ou de consolation, étaient une marque d’affection qui allait à l’encontre de la liberté de vote. Alors que le matériel utilisé garantissait une certaine discrétion du vote, il suffisait d’un seul geste ou de quelques mots pour rendre inutiles ballottes en laine et urnes couvertes.

Les remerciements aux électeurs furent interdits, lors des élections dans le Sénat et dans le « scrutinio » du Grand Conseil, au moins depuis 1517492. Il fut prohibé aux membres du Sénat de rester sur les escaliers ou bien aux portes du Sénat, ainsi que dans la Quarantie pour saluer en leur propre nom ou pour des tiers. Les censeurs devaient, afin d'intercepter les transgresseurs, envoyer leurs « fanti » dans les escaliers493. Puis en 1532494, aucun candidat élu ou non, ni aucun de ses parents ou amis, n’eut l’autorisation de rester sur les escaliers, près des portes du Grand Conseil et du palais pour remercier ses électeurs. Cette interdiction ne resta valable que le jour même de la session électorale en 1555 mais fut étendue à plusieurs lieux (la place Saint-Marc, l’église et à d’autres lieux sans précision) 495. Les complices

étaient exposés à une amende de 25 ducats tandis que les principaux intéressés risquaient de payer 25 à 50 ducats auxquels s’ajoutaient 10 ducats par patricien remercié depuis 1532496. En outre, la législation prévoyait leur exclusion temporaire du Grand Conseil voire l’inégilibilité (voir le tableau en annexe 13)497. À partir du 5 juillet 1709, la République préféra étendre la durée de cette proscription aux deux jours suivant l’élection. En outre, les censeurs et les avocats de la Commune avaient le droit, après une élection, de se rendre sur la place du « broglio » afin de contrecarrer toute tentative de remerciement. Cependant, il était probablement très difficile de surveiller le bon comportement de tous les patriciens à chaque élection. Au nombre de deux, les censeurs n’avaient que quelques « fanti » sous leurs ordres tandis que les patriciens étaient en moyenne plus d’un millier.

491

Loi du 21 décembre 1697. A.S.V., Maggior Consiglio, deliberazioni, registre 44 busenellus, fol. 29‑33(48‑52).

492

Loi du 13 septembre 1517. A.S.V., Maggior Consiglio, deliberazioni, registre 25 deda, 1503-1521, fol. 143‑145.

493

Ibid.

494

Le 10 septembre 1532. A.S.V., Senato, terra, deliberazioni, registre 27, fol. 55(77).

495

Le 10 août 1555. A.S.V., Senato, deliberazioni, terra, registre 40, 1555-56, fol. 45‑46(65‑66).

496

Loi du 10 septembre 1532. A.S.V., Senato, terra, deliberazioni, registre 27, fol. 55(77).

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Deux ans en 1517 d’exclusion du Grand Conseil puis un an dans une répétition de loi de 1671 accompagnée d’un an d’inéligibilité. Répétition de lois le 1er septembre 1671 qui fait référence à un chapitre (« capitolo ») du 2 août 1671. A.S.V., Compilazione delle leggi, prima seria, busta 18 ambito, fol. 440.

En parallèle aux remerciements, les félicitations et les consolations des candidats furent interdites dans un premier temps à certains magistrats en 1522 (voir le tableau en annexe 14). Les conseillers, les chefs des Dix et les avocats de la Commune ne pouvaient, lorsqu'ils se trouvaient dans les différents conseils, quitter leur place pour féliciter un patricien à peine élu498. Puis près de quatre ans plus tard, le Sénat étendit cette interdiction à tous les patriciens et à leurs épouses et aux candidats malheureux comme aux nouveaux élus499. Il était désormais impossible de se serrer la main, de faire une accolade ou tout autre geste avec le candidat élu ou de consoler un candidat non élu, que ce soit dans ou près du palais des doges et au domicile de ces derniers. De telles manifestations d’amitié ou de favoritisme n’étaient autorisées qu’au domicile des patriciens pour lesquels l’électeur ne pouvait pas voter en raison des liens de parenté500. Tout transgresseur risquait une amende d’un montant de 50 à 200 ducats et une exclusion temporaire (entre six mois et un an) du Grand Conseil.

Dès 1526, quelques concessions furent accordées : si un électeur félicitait un patricien élu à la dignité de procurateur de Saint-Marc ou de capitaine général, il ne risquait aucune peine, car ces offices étaient « les principaux offices de l’État »501. En 1533, la République répéta certes l’interdiction de déclarer à un candidat élu ou non « je vous ai voulu » ou « je vous ai honoré » 502, sous serment ou non, mais autorisa à leur adresser la parole avec les formules suivantes : « je me réjouis » ou « je suis désolé »503. Il n’est plus fait mention de ces interdictions par la suite. Peut-être les patriciens trouvèrent-ils un moyen plus discret de féliciter ou consoler leurs amis, clients ou patrons504; peut-être Venise se désintéressa-t-elle complètement de ces manifestations de sociabilité.

***

Toute forme de campagne électorale fut interdite en raison de l’impossibilité de faire preuve d’ambition. Sollicitation de vote et autres recommandations, repas et banquets avant des élections majeures, ou encore échanges de votes, ne devaient influencer le scrutin. D’autres fraudes seraient cependant intervenues pendant les élections, visant à manipuler directement

498

Le 5 mai 1522. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, miste, registre 45, fol. 25(81).

499

Le 13 janvier 1526. A.S.V., Senato, deliberazioni, terra, registre 24, 1525-26, fol. 64(82).

500

Loi du 19 septembre 1532. A.S.V., Senato, terra, deliberazioni, registre 27, fol. 58(80).

501

« […] per esser di principali offitii del stato nostro ». Loi du 13 janvier 1526. A.S.V., Senato, deliberazioni,

terra, registre 24, 1525-26, fol. 64(82).

502

« Io vi ho voluto » ou « io vi ho honorato ». Loi du 10 mai 1533, A.S.V., Senato, deliberazioni, terra, registre 27, 1532-33, fol. 118-120(139-141).

503

« Io me allegro » ou « mi doglio ». Ibid.

504

Dans le fonds Labia ont été retrouvées environ 300 lettres de félicitations pour l’élection d’Angelo Maria Labia à la charge de capitaine à Vicenze mais il n’est pas possible de dire que les lettres de félicitations soient une pratique habituelle puisque ce genre de fonds est plutôt rare (Laura Magna en recense quelques-uns mais les lettres ne sont pas toutes liées à une élection).

Chapitre 2 : les manipulations techniques