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nouvelles lois

2. Les effets des lois sur les patriciens

Bien que la légitimité du terme « efficacité » en matière de mise en œuvre des décrets a été remise en cause, se pose la question de leur application. Dans quelques rares cas, il est fait référence au succès ou à l’échec des décrets précédents que de nouvelles lois devaient remplacer ou compléter. En dehors des sources normatives, les journaux de Sanudo ont parfois décrit l’effet des lois sur le comportement des patriciens. Quelques fois, notamment directement après la création des censeurs, Sanudo rapporte le comportement exemplaire des patriciens : le 8 novembre 1517, après la lecture de plusieurs lois contre le « broglio », Sanudo rapporte qu’à cause du zèle des censeurs, « on ne sollicite plus les votes, on ne les cherche plus, et on ne donne pas d’argent non plus »631. Mais une telle affirmation fut nuancée aussitôt l’année suivante lorsque Sanudo rapporta le 14 mars 1518 que l’on voyait dans le Conseil des Dix et de sa Zonta que « beaucoup de patriciens commencent à solliciter des votes avec effervescence parce que les lois des censeurs ne concernent pas le Conseil des Dix »632.

Analyser l’application des sanctions se heurte également à l’absence de sources. Quelques rares sentences ou procès ont pu être retrouvés, parfois grâce à des sources transversales tels que les journaux de Sanudo ou des écrits anonymes. En outre, on dispose parfois de quelques procès dans les registres du Conseil des Dix et des inquisiteurs d’État et d’autres documents officiels rédigés par les magistrats. Enfin, quelques récits d’ambassadeurs étrangers à Venise complètent cet aperçu.

Bien que chargés de la surveillance et de sanctionner les patriciens, seules deux sentences concernant le « broglio » ont été notées dans les registres des censeurs633. D’autres peines

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Giorgio Lauro cite Marin Sanudo : « non si priega più, né si procura e nemmeno si dà denari ». G. Lauro, La

magistratura dei censori, op. cit. n. 22, p. 87.

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Lauro Giorgio cite Marin Sanudo : « Molti patrizi si metteseno a procurar con gran furia, perchè le parte di censori e di le procure non si estende al Consiglio dei Dieci ». Ibid., p. 88.

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Giorgiana Bacchin a étudié le fonds des censeurs. Elle a examiné deux des trois livres de la « busta » 3 du fonds des censeurs concernant la période 1561-1609. Dans le premier livre (1561-1570), elle recense 389 cas : 44 concernent les paris illicites, un procès pour un « portador de nove », et les autres concernent les serviteurs, rameurs, marchands et employés. Dans le second livre, elle a compté 428 sentences : 69 pour paris illicites, 5 contre les « ballottini » et deux concernant le « broglio », les autres concernant les serviteurs, employés et

infligées par les censeurs ont été rapportées par Marin Sanudo. Une des premières condamnations visait un gros bonnet, un chef du Conseil des Dix pris en flagrant délit de sollicitations auprès de sénateurs pour être élu « savio » de Terre ferme. Malgré sa très haute position, les censeurs le condamnèrent à six mois de prison en 1517. Un an plus tard, Piero Bragadin, « provveditor sora le camere » et aspirant également au poste de « savio » de Terre ferme, fut condamné à deux ans de privation du Grand Conseil, trois ans d’inéligibilité et à une amende de 50 ducats pour avoir sollicité des patriciens. En décembre 1519, trois patriciens corrompirent des collègues afin d’entrer dans le Sénat et firent l’expérience de la justice des censeurs. Alvise di Priuli, Nicolò Malipiero et Piero Mudazo furent condamnés à cinq ans d’inéligibilité, deux ans d’exclusion du Grand Conseil et à 50 ducats d’amende. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour avoir de nouveau quelques informations sur des peines infligées par les censeurs. Trois condamnations ont été rapportées en 1698, 1705 et 1719 dans des documents souvent anonymes634. Le 16 février 1698, Filippo Capello, un membre de la Quarantie criminelle et du Sénat, aurait dit à ses collègues sénateurs de voter pour Alvise Barbaro parce qu’il était un « vieux pauvre impotent et ayant besoin de soutiens »635. Il aurait tout de même ajouté « faites ce que vous voulez »636. Son intervention fut considérée comme une recommandation et les censeurs le condamnèrent. La deuxième condamnation connue eut lieu le mardi 28 juillet 1705, jour de réunion du Sénat. Ce jour-là, Prospero Emo « fit broglio »637 auprès de Stefano Capello en lui avouant qu’il avait voté pour lui638 lors de l’élection à la charge de « podestà » à Brescia dans le « scrutinio » du Grand Conseil le dimanche précédent (donc le 26 juillet). Le censeur lui infligea une peine pour « broglio »639. En 1719, Alvise Dolfin, fils de procurateur, fut condamné pour des sollicitations illicites. Aussi infime que soit le nombre de cas rapportés, il reflète la culture judiciaire vénitienne laissant aux juges une marge de manœuvre assez ample pour adapter les peines à la gravité des délits. Par exemple, le gros bonnet condamné par les censeurs en 1517 devait passer six

rameurs. La première sentence pour « broglio » datée du 1er novembre 1570 condamnait Desiderio Samitario à la privation à perpétuité du Grand Conseil parce qu’il écrivait des bulletins avec le nom d’éventuels candidats qu’il donnait ensuite aux nobles tirés au sort formant les commissions électorales en se plaçant près de la porte d’entrée du Conseil. La seconde sentence n’a pas pu être retrouvée et Giorgiana Bacchin ne la mentionne pas non plus en détail. G. Bacchin, I censori e il broglio elettorale nella Repubblica di Venezia, op. cit. n. 29, p. 173.

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Voir le chapitre 6 consacré à la loi de 1697.

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« […] povero vecchio impotente, e bisognoso di sostegno ». A.S.V., Anonyme, Trattato dell’ambito sine

broglio. 1706 sin 1709, Compilazione delle leggi, prima seria, busta 17, ambito, fol. 294-332, fol. 298.

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« […] constata che s’havesse corretto con aggiunger fatte quello volete ». Ibid., fol. 299.

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« fece broglio ». Ibid., fol. 301.

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« Suo voto gl’era andato nel verde ». Ibid., fol. 301.

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« Fù sentito e veduto dal N.H. Ser Angelo Mariello Censor attuale, quale non potendi colerar un’insulto fatto alla legge in sua presenza che n’era l’essecutore co il custode ». Ibid. ; V. Sandi, Principi di storia civile della

Repubblica di Venezia, vol. 1, Venise, 1769, p. 119 ; une copie de la sentence datée du 20 août 1706 se trouve

mois en prison alors qu’aucun décret en matière de sollicitations ne préconise cette sanction. En revanche, les censeurs appliquèrent les lois à la lettre contre Piero Bragadin en l’excluant du Grand Conseil pour deux ans, en lui infligeant une amende de 50 ducats et une période de trois ans d’inéligibilité640. Les trois patriciens condamnés en 1519 furent plus chanceux. Bien qu’ils aient corrompu des nobles pour entrer dans le Sénat, ils ne furent pas ostracisés à vie de Venise et ne furent pas non plus soumis à une amende de 500 ducats. Leur peine fut celle d’une simple sollicitation avec une amende de 50 ducats, deux ans d’exclusion du Grand Conseil mais cinq ans d’inéligibilité en vue de leur délit641.

En 1698, les censeurs infligèrent à Filippo Capello les sanctions prévues par la récente loi de 1697 contre les recommandations: il fut condamné à la perte de sa charge dans la Quarantie criminelle, fut exclu de tout conseil pendant deux ans et dut payer 200 ducats d’amende. En revanche, les censeurs durcirent la peine face au délit de Prospero Emo en 1705 puisqu’ils l’exclurent pour cinq ans du Grand Conseil et lui infligèrent une amende de 500 ducats642. En 1719, la sanction contre Alvise Dolfin, qui avait sollicité illégalement le vote de patriciens, fut exactement comme le décret le prévoyait : une exclusion de deux ans de participation aux conseils et d’inéligibilité et une amende de 200 ducats. S’il ne la payait pas, il était inscrit débiteur du palais et restait en conséquence inéligible tant que la somme n’était pas remboursée643. Le nombre de cas est en réalité plus élevé que l’échantillon présenté ici mais l’on ne dispose pas toujours des informations sur les peines infligées.

Les censeurs n’étaient pas les seuls à lutter contre le « broglio ». Le Conseil des Dix fut le juge de deux procès retentissants en 1579 et en 1620 avec plusieurs patriciens condamnés pour fraudes électorales qui feront l’objet d’un chapitre de cette thèse. À leurs côtés, les inquisiteurs d’État veillaient. Au cours du XVIIIe siècle, ils travaillèrent en aval des élections en essayant de prévenir d’éventuels débordements pendant les élections des procurateurs de Saint-Marc644.

640

G. Lauro, La Magistratura dei Censori nel 1500, op. cit. n. 22, p. 89.

641

Ibid., p. 90.

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L’histoire est aussi rapportée dans Vittore Sandi : V. Sandi, Principi di Storia civile della Repubblica di

Venezia: Dalla Sua Fondazione Sino All’Anno Di N.S. 1700. Dall’anno di N. S. 1700. sino all’anno 1767, s.l.,

1772, p. 119 ; une copie de la sentence datée du 20 août 1706 se trouve ici : Compilazione delle leggi, prima

seria, busta 18 ambito, op. cit., fol. 659.

643

15 janvier 1719. A.S.V., Maggior Consiglio, deliberazioni, registre 46 victoria, fol. 54v.

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Par exemple, le 9 novembre 1763, le secrétaire des Inquisiteurs d’État se rendit sur ordre du tribunal au domicile d’Alvise Manin, père de Lodovico, actuellement « podestà » à Brescia et candidat à la charge de procurateur de Saint-Marc. Il expliqua au père de famille que le tribunal n’aimerait pas être témoin d’un comportement peu exemplaire à l’approche des élections à cette dignité. A.S.V., Inquisitori di Stato, busta 538,

Dans leurs résumés régulièrement envoyés au gouvernement vénitien au début du XVIIIe siècle, les censeurs répètent la difficulté de prendre sur le fait un patricien et de le faire condamner645. Sous diverses excuses, les accusés parvenaient à se défaire des accusations. S’ils étaient toutefois sanctionnés, il suffisait de tirer profit de l’enchevêtrement des compétences des magistratures pour faire annuler un jugement. Le bilan global à partir de ces informations est plutôt négatif. Même si on ne peut effectivement pas juger la productivité judiciaire des magistrats, plusieurs indices laissent penser qu’ils n’étaient ou ne pouvaient être très efficaces. En tout état de cause, il n’est pas certain qu’une analyse quantitative des sanctions aurait apporté un regard objectif sur le nombre réel de fraudes646. Les décrets comme la répression des fraudes restent subjectifs. Ils sont liés à une perception individuelle de la corruption, à une évolution de ce qui peut être toléré et de ce qui ne peut pas l’être et enfin à la mise en application réelle des lois.

L’effet limité des décrets sur le comportement et la répression des patriciens trouve racine dans plusieurs facteurs. Premièrement, les conditions d’application n’étaient pas toujours réunies pour permettre une surveillance efficace des patriciens. J’ai déjà fait remarquer que la présence des patriciens s’élevait parfois à plus de 2000 membres dans la salle du Grand Conseil alors qu’une dizaine de magistrats surveillaient l’ensemble des électeurs. Au début du XVIe siècle, des patriciens se plaignirent qu’il n’y avait pas assez de place dans la salle de vote. Comment voter en toute discrétion ? Et surtout, comment surveiller des patriciens assis si proches les uns des autres ? Les nombreux déplacements engendraient une confusion propice aux sollicitations illicites de vote. Même au XVIIIe siècle alors que le nombre de patriciens présents aux séances du Grand Conseil avait fortement diminué, les censeurs déplorèrent la difficulté de leur tâche face aux centaines de patriciens647. En 1609, un patricien anonyme se plaignit que les règles imposées par le « capitolare » étaient trop nombreuses pour être appliquées et que la plupart d’entre elles n’étaient pas respectées pour cette raison648.

645

Par exemple: document des censeurs du 4 juin 1710. A.S.V., Compilazione delle leggi, busta 17, ambito, fol. 374‑375.

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N. Dompnier, « La mesure des fraudes électorales », dans Histoire & mesure, XXII, no 1, 2007, p. 123‑144.

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Dans le document qui rapporte cette plainte, les censeurs se plaignent même de se retrouver seuls à surveiller toute la salle. Document des censeurs du 22 avril 1722. B.M.C., Archivio Morosini-Grimani, N 253, raccolti di

decreti, pareri in materia di broglio e giuramenti, fol. 25., fol. 153.

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Lettre anonyme d’un noble pauvre qui précise que certaines règles du « capitolare » électoral ne sont pas du tout respectées principalement parce qu’il est difficile de surveiller la salle. Il explique que la « Seigneurie a fait imprimer il y a déjà plusieurs années un « capitolare » sur lequel on peut lire toutes les règles qu’un noble doit observer dès qu’il entre dans le Grand Conseil » mais il commente qu’il y a « vraiment beaucoup de règles et certaines ne sont pas du tout appliquées ». « la Signoria Vostra gia molti anni fece stampare un capitulare il quale si legono ogn’uno di tutte quelle cose che deveno il nobile osservare di subito che intra in gran consiglio sono

Parfois, cette surveillance s’étendait aux places publiques devant le Palais des doges et l’église Saint-Marc mais aussi au Rialto. Or, l’étendue de ces places, la présence de nombreuses autres personnes, le tintamarre des activités commerciales ou de divertissement ne devaient pas faciliter la tâche des magistrats. En particulier, ce n’était pas toujours ces derniers qui effectuaient ce travail de surveillance mais leurs « fanti », issus du cercle des « cittadini », les citoyens originaires de Venise, hiérarchiquement inférieurs aux patriciens. Cette distinction hiérarchique rendait difficile tout exercice d’autorité de ces « fanti » sur les patriciens ; leur parole ne faisant pas le poids face à celle d’un noble, même s’il avait été pris en flagrant délit.

Deuxièmement, les magistratures étaient parfois en concurrence entre elles, régies elles aussi par une hiérarchie institutionnelle et se chamaillaient parfois pour des conflits de compétence. Par exemple, l’institution des censeurs engendra une perte de compétences des avocats de la Commune, autrefois chargés de la répression du « broglio ». Que ce soit au début du XVIe siècle ou à l’aube du XVIIIe siècle, les avocats de la Commune tentèrent à plusieurs reprises d’entraver le travail de répression des censeurs. De plus, les patriciens recouraient parfois au Conseil des Dix pour casser les sentences des censeurs. Outre les patriciens, les autres institutions du gouvernement ne soutenaient pas les censeurs. Par exemple en 1524, un censeur aperçut le patricien Luca Falier debout sur son banc pour solliciter des votes. Falier s’excusa tout d’abord puis nia avoir bougé de sa place ou s’être recommandé. Mais la Seigneurie douta du témoignage du censeur et préféra renvoyer les censeurs et Luca Falier retourner s’asseoir649. L’année suivante, un chef de la Quarantie tenta, après le tirage au sort, de retourner à son banc probablement en empruntant le même chemin qu’à l’aller. Le « fante » des censeurs l’en empêcha mais la Seigneurie une fois encore les contraria. Elle indiqua que les « fanti » n’avaient aucune autorité pour réprimer les patriciens. En conséquence, Pietro Bembo ne fut pas condamné et mieux encore, il réussit à être élu dans la Quarantie civile ordinaire650. La même année, la Seigneurie préféra suspendre une élection en cours plutôt que de voir condamné le cousin du doge, Marco Foscari, pour sollicitations illicites651.

Même le Conseil des Dix se mettait en travers du chemin des censeurs. Il accordait des grâces aux condamnés si bien que les sentences des censeurs devenaient complètement inutiles. Par

molti veramente li capitoli ma ve ne alcuno che vengi esseguito niuno al sicuro ». A.S.V., Capi Consiglio di

Dieci, Miscellanea, busta 2. denuncie, 1501-1778, Lettere anonime, 1506-1628., fol. non numéroté.

649

G. Lauro, La Magistratura dei Censori nel 1500, op. cit. n. 22, p. 107.

650

Ibid., p. 109.

651

exemple, Piero Mocenigo, premier condamné par les censeurs comme je l’ai évoqué, réussit au bout de quelques jours seulement, à sortir de prison alors qu’il avait été condamné à six mois de prison ferme. Il faut préciser qu’en tant que chef du Conseil des Dix, il bénéficiait sans conteste de l’influence nécessaire pour obtenir une telle grâce652. Piero Bragadin, le second cas évoqué, condamné entre autres à deux ans de privation du Grand Conseil, fut de retour dans l’assemblée un an avant la fin de sa peine grâce au Conseil des Dix653. Un troisième cas fut plus controversé car une partie du Conseil des Dix était moins encline à de telles concessions. J’ai déjà mentionné le délit des trois patriciens Alvise di Priuli, Nicolò Malipiero et Piero Mudazo. En décembre 1519, ils avaient été condamnés à deux ans d’exclusion du Grand Conseil, à cinq ans d’inéligibilité et à une amende de 50 ducats pour avoir donné 500 ducats à des patriciens afin d’entrer dans le Sénat654. Alvise di Priuli chercha alors à obtenir grâce auprès du Conseil des Dix, et si cette dernière n’était pas octroyée, il espérait au moins récupérer les 500 ducats. Le Conseil des Dix n’accorda rien dans un premier temps puis en mars 1520, la supplique commune d’Alvise di Priuli, Pietro Mudazo et Nicolò Malipiero convainquit le Conseil des Dix de leur accorder l’absolution655. Les censeurs, convoqués par le Conseil des Dix et informés de la décision, firent part de leur désapprobation partagée par plusieurs autres membres du Conseil des Dix. La demande de grâce des trois patriciens fut alors remise aux voix et cette fois-ci elle ne passa pas car huit membres du Conseil des Dix contre sept s’exprimèrent en défaveur656. L’affaire passa alors au Collège le 14 mars 1520 qui confirma la condamnation des trois patriciens. Cependant, le Conseil des Dix et sa Zonta rendirent à Alvise di Priuli deux mois plus tard ses 500 ducats. Malgré cette concession, le Conseil des Dix vota le 5 juillet de la même année l’interdiction d’accepter les suppliques de patriciens condamnés par les censeurs657. Pourtant, un patricien condamné pour sollicitations réussit en 1526 à obtenir une grâce par le Grand Conseil après avoir énuméré tous ses mérites658.

En revanche, si un patricien entrait dans la ligne de mire du Conseil des Dix, il avait a priori moins de chance de s’en sortir. Outre l’aura d’institution redoutable et redoutée, elle bénéficiait d’une procédure d’enquête bien rôdée qui permettait d’identifier avec certitude les transgresseurs. C’est dans le cadre de cette institution que plusieurs patriciens et membres du 652 Ibid., p. 86. 653 Ibid., p. 89. 654 Ibid., p. 90. 655 Ibid., p. 91. 656 Ibid. 657

Ibid., p. 92. Décret du 5 juillet 1520. G. Lauro, La Magistratura dei Censori nel 1500 op. cit. n. 22, p. 93.

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personnel électoral ont été jugés pour fraudes électorales et paris illicites en 1579 puis en 1620.

Ces conflits de compétence entre censeurs, Conseil des Dix et avocats de la Comune étaient en partie engendrés par une distribution confuse du pouvoir législatif en matière de « broglio », débouchant parfois sur une surproduction de normes électorales. Grand Conseil, Sénat et Conseil des Dix pouvaient être à l’origine contemporainement de plusieurs lois contre les diverses fraudes du « broglio ». Le problème de l’enchevêtrement des compétences est particulièrement visible dans la première moitié du XVIe siècle (voir le tableau en annexe 32). Le Conseil des Dix domine largement le paysage législatif depuis le début du XVIe siècle jusqu’au premier tiers du XVIIe siècle. Ce fait est éloquent car il signifie que les réformes subies par le Conseil des Dix en 1582 et 1628 n’ont pas eu de véritable impact sur son droit de légiférer en matière de « broglio ». Alors qu’en 1628, une loi octroyait au seul Grand Conseil toute prérogative législative en matière de corruption électorale, le Conseil des Dix fut l’auteur de plusieurs lois dans les quelques années suivantes avant une longue période de silence normatif659. Ces quelques soubresauts législatifs du Conseil des Dix restent sans explication tandis que le long silence jusqu’à la fin du XVIIe siècle peut s’expliquer par la difficulté de légiférer et s’accorder sur une loi dans un conseil regroupant plusieurs centaines