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Les fraudes et la lutte antifraude sous le prisme de la législation

Chapitre 1 : les tentatives d’influence des électeurs interdites par la législation

2. Les échanges de votes

2.2. Les serments contre les échanges de votes

Pendant l’accord d’échange de votes, les patriciens auraient promis, par un serment officieux, de respecter la parole donnée, allant ainsi à l’encontre du serment officiel de vouloir élire le meilleur et le plus loyal pour la République. En conséquence fut introduit en 1596 un tout nouveau serment contre les échanges de votes dans le cadre des élections du Sénat et du « scrutinio »427. Après avoir juré d’élire le meilleur, les électeurs devaient promettre, par

422

Loi du 25 août 1508. Ibid., fol. 31(81).

423

Loi du 16 septembre 1593. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 43, fol. 104(104).

424

Loi du 16 juin 1632. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 82, fol. 70‑71(132‑133).

425

Loi du 20 juin 1611. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 61, fol. 60‑61(114‑115).

426

18 août 1604. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 54, 1604, fol. 62‑64(112‑114).

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En juin 1596, le Conseil des Dix promulgua deux lois avec un serment contre les échanges de votes puis ces deux lois furent ensuite fusionnées le 10 juillet 1596. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre

serment, de « ne pas avoir fait, ni fait faire, ni devoir faire, ni consentir que se fasse par l’intermédiaire de parents ou amis des échanges de voix aussi bien pour l’actuelle élection que les suivantes »428. Par ce serment, ils s’obligeaient à déposer leur ballotte dans le « bossolo delle preghiere » pour le candidat avec lequel ils avaient convenu d’échanger leurs voix. Toutefois, ce serment ne sembla pas résoudre le problème car des promesses illégales de vote sous serment furent encore mentionnées dans la législation. La fréquence aurait été telle que le patriarche de Venise intervint et prévint les patriciens qu’ils ne devaient pas respecter les serments privés ni obliger autrui à prêter de tels serments, s’ils ne voulaient pas pécher deux fois, l’une en invoquant irrespectueusement le nom de Dieu, l’autre en enfreignant le serment public:

« Le serment public, avec lequel chacun est obligé de donner son vote librement, conformément à sa propre conscience, est celui qui doit toujours prévaloir sur tout autre et le serment privé illicite […] ne fait aucun autre effet que celui d’un grave péché sans aucun profit […] Les serments promissoires et intéressés de donner le vote pendant l’élection à l’un plutôt qu’à un autre, ou spontanément ou sur l’instigation d’un autre sont, d’une part, un grave péché en faisant appel sans nécessité ni respect au nom de Dieu en témoignage de ses actions, d’autre part, ils ne peuvent contraindre mais laissent chacun libre ou plutôt dans la juste obligation de donner son vote selon les lois et non autrement comme s’il n’y avait pas eu de serment privé. »429

Malgré le soutien du patriarche, le Conseil des Dix se montra plus prudent. Il estima que la loi de 1596 « ne f[aisait] pas l’effet qui était l’intention de ce Conseil mais plutôt caus[ait] de pires conséquences, dommageables pour les âmes et préjudiciables à la justice distributive »430 et abrogea en conséquence le serment public en 1605431. Cependant, afin que

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Loi du 10 juillet 1596. « […]giuramento di non haver fatto, né fatto far, nè dover far, nè assentir, che si faccia per mezzo de parenti et amici baratto o permuta de voti si per questa presente, come per altra futura elettione. » A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comune, registre 46, fol. 43‑44(87‑88).

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« Poiche il publico giuramento, co’l qual ciascuno è obligato a dar liberamente il suo voto, conforme alla propria conscienza, è quello che deve prevalere sempre ad’ogn’altro, et il giuramento privato illecito contra giuramento publico, che obliga, non fa altro effetto che di commissione di peccato grave senz’alcun profitto;[…] Questa istessa verità, benche certa, et chiara per se stessa, è stata dichiarata in altro tempo, et occasione da miei precessori, et massime da Monsignor Illustrissimo Patriarca Trivisano […] et perche forse non è avvertita da molti, ne considerata a sua immitatione venimo con le presente a raccordarla, et notificarla a tutti, et in quanto fosse necessario, dichiarandola di nuovo, dicemo, che in tali giuramenti promissorii, et interessati, di dare il voto nell’elezione più ad’uno, che ad’un altro, o siano fatti spontaneamente, ond’ instanza, et instigatione d’altro, per una parte si commette peccato grave chiamando il nome di dio senza necessità et reverenza in testimonio delle sue attioni, et per l’altra non hanno forza alcuna d’obligare ma lasciano ciascuno nella libertà di prima, anzi nell’obligo giusto, costanto di dare il voto secondo le leggi, et non altrimenti a punto, come se non si fosse giurato; et che di più l’osservarli contra la giustitia et le leggi, sarebbe aggionger pecato a peccato ». A.S.V.,

Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, filza 251.

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Le 13 mai 1605. « Ha potuto conoscer assai chiaramente questo Consiglio per la esperientia maestra delle attioni humane, che la provisione fatta d’intorno li giuramenti, che si danno per virtù della parte 1596 à quelli che ballottano, così nel Conseglio di Pregadi come nel scrutinio di esso, et l’obligo, che hanno di cacciarsi dalla ballottatione in caso, che havessero giurato, come publica il magistrato cancellier grande per la forma di essa parte, non fa quell’effetto, che fù intentione di questo Conseglio, ma invece causa consequenze pessime, dannose alle anime, et pregiudiciali alla giustitia distributiva ». A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre

55, 1605, fol. 36(86).

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les partisans des serments privés ne puissent crier victoire, il réaffirma que ces derniers étaient toujours tenus pour « nuls » par le for ecclésiastique432.

À l’aube du XVIIe siècle, les patriciens du Sénat étaient donc obligés de ne prêter qu’un seul serment, celui de vouloir le meilleur et le plus capable pour le service public, et devaient mettre leur ballotte dans l’urne négative ou non-sincère si un échange de vote avait été demandé. Toutefois, le serment sur les échanges de votes refit son apparition en 1621 dans le cadre des élections qui employaient le « bossolo delle preghiere »433. Tous les membres du Sénat durent jurer de ne pas avoir fait directement ou indirectement de tels accords. Si c'était le cas, ils étaient obligés d’insérer leur ballotte dans l’urne des sollicitations. La formule du serment était la suivante:

« Je jure, moi … sur les évangiles de ne pas avoir fait, ni fait faire, ni devoir faire, ni consenti, ni avoir été contraint d’accepter que se fasse des échanges de voix (« baratto o permuta de voti ») même par l’intermédiaire de parents ou d’amis, pour l’élection présente et pour toute autre élection à l’avenir et je voterai avec l’urne des sollicitations celui ou ceux qui m’ont contraint ou forcé et me contraindront ou me forceront à jurer et qui m’auront sollicité ou avec qui j’aurai convenu de faire des échanges de voix »434.

Très probablement ce serment disparut en même temps que la suppression du « bossolo delle preghiere » en 1626.

Le serment contre les échanges de voix fut également en usage dans le Grand Conseil. Un mois à peine après son introduction dans le Sénat en 1596, il fut institué pour les élections des sénateurs, des membres de la Zonta ordinaire du Sénat et des procurateurs de Saint-Marc. Les électeurs devaient prêter serment de :

« ne pas avoir échangé son vote (« baratto »), ni fait soi-même ou par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs tiers des échanges de ballottes (« permute di ballotte ») aussi bien pour la présente élection que les suivantes »435.

Si quelqu’un avait fait de telles promesses ou avait été contraint de promettre son vote par l’intermédiaire d’un serment privé, il serait tenu, sous serment public, de voter contre le candidat en question.

pas l’unanimité. Document du 22 juin 1604 du Conseil des Dix. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni,

comuni, filza, 248.

432

A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 55, fol. 36(86).

433

Certaines élections en effet n’employaient que les « bossoli » positifs et négatifs. Décret du 24 mai 1621. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 71, fol. 68‑69(148‑149).

434

« Giuro ad Sacra Dei Evangelia, che nella presente occasione non ho baratato ne baratterò il mio voto con alcuno, né meno dato ordine assentito, overo havuto pur minima scienzia, ne lo darò, né assentiro, che sia promessso in questa, ò altre ballottationi il mio voto, overo quello di alcuno de miei congionti, et dipendenti per cambio, ne per qualsi voglia altra illicita et indiretta maniera contra la mente publica. » Ibid., fol. 93‑97(173‑177).

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« […] non haver fatto, né fatto far, nè dover far, nè assentir, che si faccia per mezzo de Parenti et amici baratto o permuta de voti si per questa presente, come per altra futura elettione […] ». Loi du 10 juillet 1596. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 46, fol. 43‑44(87‑88).

À première vue, les modalités de ce serment semblaient être les mêmes que pour les élections du Sénat et du « scrutinio ». Mais en réalité, il existait une différence. Dans le Sénat et le « scrutinio », les électeurs devaient voter avec l’urne des sollicitations. Or, l’urne avait été supprimée un an auparavant dans les élections du Grand Conseil. En son absence, les électeurs devaient voter contre le candidat ayant fait l’objet d’un échange de votes.

À partir de 1597, le serment contre les échanges de votes engloba toutes les élections du Grand Conseil436. Une fois les nominations de candidats effectuées, le grand chancelier ou son assistant proclamaient, devant l’assemblée d’électeurs, leurs noms puis le serment habituel (de voter pour le meilleur) et celui de

« ne pas avoir promis avec serment avec ou sans intermédiaire son vote positif ou négatif à quelqu'un, et ceci pour l'élection présente puis les suivantes, d'avoir voulu ou ne pas voulu quelqu'un, et n'ira pas non plus jurer de manière privée après le vote »437.

Si quelqu'un avait été contraint de prêter serment « en mentionnant Dieu, la Vierge, les Saints ou sous toute autre forme de parjure, d’insultes ou de mots qui obligent et violentent la libre volonté et la conscience de la personne sollicitée »,438 il devait s'abstenir de voter avec les urnes ordinaires et déposer sa ballotte dans le « bossolo delle preghiere ». Un mois plus tard, la loi fut légèrement modifiée439. Si des élections avaient lieu avec les seules urnes ordinaires (donc sans le « bossolo delle preghiere »), le grand chancelier rappelait aux nobles qu’ils devaient sortir du Grand Conseil avant le vote s’ils avaient été sollicités par un candidat. Très probablement, les patriciens prêtaient serment ensemble après l’annonce officielle du grand chancelier. À partir de 1604, la République voulut vraisemblablement s’assurer que chaque patricien prête serment et ordonna que, pendant le tirage au sort, les électeurs se déplacent jusqu’aux évangiles disposés près de l’urne contenant les balles d’or et d’argent440. Même les patriciens qui étaient exclus des élections à cause de leur lien de parenté avec les candidats devaient se soumettre à cette procédure. Deux mesures complémentaires furent également adoptées afin de s’assurer que les patriciens n’oublient pas de prêter serment. Premièrement, il fut décidé que le « capitolo » - l’article du règlement sur les élections - qui interdisait les échanges de votes soit lu à chaque élection du Sénat, de la Zonta et de la Quarantie ordinaire (mais curieusement, les élections de procurateur de Saint-Marc ne sont

436

Loi du 24 mars 1597. A.S.V., Consiglio di Dieci, Deliberazioni, comuni, registre 47, fol. 8‑9(48‑49).

437

«[…] si darà insieme giuramento à cadauno di non haver promesso con giuramento per se, ne per altri il suo voto ad alcuno così in volerlo, come in non volerlo, et così per la presente, come per altra futura elettione di haver voluto, o non voluto alcuno, ne manco di dover giurar dopo la ballotatione, et elettione […].» Ibid.

438

«[…]Il qual s’intenda quando si sia fatta mentione di Dio, della beata vergine, di santi, ò di qualunqu’altra forma di scongiuro, o d’imprecatione, o di parole, per le quali si vegni ad obligar, è violentar la libera volontà, et conscientia di chi sarà pregato […].» Ibid., fol. 8‑9(124‑179).

439

Loi du 18 avril 1597. Ibid., fol. 19(59).

440

pas mentionnées)441. Deuxièmement, les censeurs devaient rappeler au grand chancelier ou à son assistant de faire prononcer par les patriciens, pendant le tirage au sort, le serment habituel et celui contre les échanges de votes442.