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Face aux exigences sociales : l’élaboration du « broglio onesto »

3. Les règles d’interaction sociale

3.1. L’amitié sincère

Par « amitié sincère », j’entends une relation basée sur la confiance réciproque, ayant survécu aux épreuves du temps et restreinte à un petit nombre d’individus. Elle n’est pas encore comparable à notre amitié moderne basée sur une relation d’affection car, d’une part, elle se fonde sur la vertu et, d’autre part, elle est intrinsèquement liée à un objectif politique761. La

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Tandis que le terme allemand « Freundschaft » désigne au Moyen-Âge aussi bien un ami qu’un parent, Kühner a souligné qu’en France pour le moins, amitié et parenté ne sont pas synonymes. C. Kühner, Politische

Freundschaft bei Hofe. Repräsentation und Praxis einer sozialen Beziehung im französischen Adel des 17. Jahrhunderts, Göttingen, 2013, p. 103 ; Sur l’amitié, voir également : K. Oschema, Freundschaft oder « amitié »?: ein politisch-soziales Konzept der Vormoderne im zwischensprachlichen Vergleich (15.-17. Jahrhundert), Berlin, 2007 ; S. A. Schwarzenbach, On Civic Friendship: Including Women in the State, s.l.,

2009 ; U. Langer, Perfect Friendship: Studies in Literature and Moral Philosophy from Boccaccio to Corneille, Genève, 1994. Je remercie Andreas Affolter pour les indications bibliographiques.

761

On peut citer en contre-exemple l’amitié entre Montaigne et la Boétie qui trouva son pendant à Venise entre Marco Trevisan et Nicolò Barbarigo mais il s’agit d’exceptions. G. Cozzi, « Una vicenda della venezia barocca:

particularité des manuels et des instructions patriciennes est de souligner cependant qu’il existe deux degrés d’amitié : l’une sera réservée à la seule sphère publique, l’autre pourra être à la fois publique et privée (exceptés dans certains cas où il faudra limiter l’amitié à la sphère privée).

L’amitié était essentielle dans la vie politique italienne car elle permettait d’élargir le cercle d’électeurs au-delà du cercle familial et engendraient les mêmes obligations que celles dues à la famille. Déjà dans l’Italie du XVe siècle, un homme sans ami était politiquement insignifiant762. À Venise, les auteurs soulignent l’importance de l’amitié comme fondement de la vie en société et comme preuve essentielle de l’humanité d’une personne. Sansovino, Colluraffi et Scardua préviennent que, si une personne ne semblait pas avoir d’ami, elle risquait de donner l’impression d’être inhumaine ou mélancolique, se rendant indigne d’exercer des magistratures ou d’endosser des responsabilités publiques763. L’amitié était en

conséquence un pré-requis pour donner une bonne image de soi mais également, aux dires des auteurs, un atout pour obtenir les charges convoitées. Cependant, ils mettent en garde contre une amitié excessive : l’amitié comme l’ambition devait être parcimonieuse. Le patricien ne pouvait et ne devait pas se faire beaucoup d’amis. Les auteurs introduisent ainsi une nette distinction au sein de l’amitié : l’une était réservée à un petit nombre de personnes de confiance et d’estime tandis que l’autre était une amitié feinte qui avait une fin entièrement politique.

Le premier type d’amitié, sincère et restreint, était le meilleur garant contre l’ambition mais le plus difficile à mettre en application. Inexpérimenté, le jeune patricien risquait facilement de se fourvoyer dans la seconde. Pour cette raison, bien encore avant de chercher des amis sincères, il fallait être extrêmement prudent sur le « broglio » qui, selon le précepteur Scardua, était à l’image du forum romain décrit par Cicéron : un lieu de ruses et de fausses promesses. Pour cette raison, il déconseilla à ses lecteurs, à travers l’enseignement de Cicéron, de se fier aux personnes qui fréquentaient le « broglio »764. Erizzo explique à son fils qu’à sa première entrée sur la place du « broglio », tous les autres patriciens déclareront une prétendue amitié de longue date avec sa « casa », d’autres loueront ses actions passées ou lui prêteront des

Marco Trevisan e la sua “eroica amicizia” », dans Bollettino dell’istituto di storia della società e dello stato

veneziano (ancien SV), n. 2, 1960, p. 61-154.

762

S. Ferente, Gli ultimi guelfi. Linguaggi e identità politiche in Italia nella seconda metà del Quattrocento, Rome, 2013, p. 177.

763

F. Sansovino, Dialogo del gentilhuomo vinitiano, op. cit. n. 703, p. 5 ; A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 189 ; B. Scardua, Saggio d’instruzioni aristocratiche, op. cit. n. 723, p. 20.

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qualités sans le connaître765.Le jeune patricien devait absolument fuir ces sirènes et attendre que le temps révèle la vraie nature de ces personnes766. Ottobon délivre un conseil similaire à son fils en lui déconseillant de se laisser illusionner par l’obséquiosité de certains767.

Choisir de « véritables » amis était présenté comme une tâche délicate et de longue haleine. Pour se faire quelques bons amis, les auteurs conseillaient de choisir avec discernement ces personnes. Le patricien Erizzo suggère à son fils de limiter le nombre de ses fréquentations en dehors des lieux publics à un petit nombre de personnes choisies pour leurs vertus et leurs bonnes mœurs768. Ce choix ne devait pas être hâtif, selon le père, mais le fruit d’une longue maturation et de mises à l’épreuve (examen). Malgré toutes ces recommandations, Erizzo reste particulièrement circonspect envers les amis : il déconseille à son fils de se fier entièrement à eux769.

Mais les autres auteurs ne partagent pas une telle méfiance. Olcinio et Ceroni conseillent à leurs lecteurs de choisir des personnes de mœurs irréprochables770. Ceroni y ajoute l’excellence, le savoir, et le prestige de la fonction771. L’Accademico Imperfetto préfère parler de personnes « de génie » pour désigner les amis. Colluraffi conseille d’entretenir une amitié pérenne avec une personne d’« âme noble et affectueuse ». C’est le seul qui ajoute un critère économique : il était préférable d’avoir des amis de richesse égale car une trop grande différence de fortune ne pouvait engendrer d’affection – base de l’amitié vraie et stable – entre les personnes772. Si l’ami était plus riche, la personne risquait de devoir dépenser plus qu’elle ne le pouvait et de perdre à long terme sa réputation prévient Colluraffi. En revanche, il déconseille de s’acquérir les amitiés des « méchants » car une telle fréquentation pouvait entacher l’honneur de la personne773.

Les auteurs insèrent parfois une distinction cependant : certaines amitiés sincères pouvaient être montrées en public mais d’autres devaient rester discrètes. Par exemple, Colluraffi incite ses élèves à montrer leur amitié avec les personnes connues pour leur bonne réputation car cela permettait d’obtenir crédit et estime auprès des compatriotes774. Mais le précepteur, qui reprend les conseils de Sansovino, recommande à ses lecteurs de ne fréquenter en public que

765

G. Gullino, « Istruzione morale », art. cit. n. 679, p. 352-353.

766

Ibid., p. 352.

767

A. Ottobon, Lettere d’un nobile, op. cit. n. 694, p. 15.

768

G. Gullino, « Istruzione morale », art. cit. n. 679, p. 353.

769

Ibid., p. 352.

770

G. Olcinio, Ritratto del gentilhuomo venetiano, op. cit. n. 732, sans pagination ; D. Ceroni, Ristretto di

documenti per la civile, e morale istitutzione del patrizio veneto, op. cit. n. 702, p. 41.

771

Ibid.

772

A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit., n. 64, p. 204-205.

773

Ibid., p. 191.

774

des personnes de même âge775. En effet, ils jugent que si l’interlocuteur était très jeune, cela pourrait donner une réputation d’enfant au patricien tandis que s’il était plus vieux ou d’un rang différent, cela provoquerait la haine et l’envie et à long terme la dégradation de la réputation776. En conséquence, Trifone conseille à son jeune visiteur de fréquenter ses pairs aux yeux de tous, tandis que les amis qui ne correspondaient pas à son rang, à sa profession ou à son âge, devaient être rencontrés le plus discrètement possible.

Une fois trouvés les bons amis, les auteurs délivrèrent une série de conseils sur le comportement à suivre. La fidélité et la solidarité entre amis étaient deux préceptes répétés777. Colluraffi rappelle à ses élèves d’être particulièrement attentifs à respecter leurs obligations auprès de leurs amis778. On retrouve le même conseil chez le nouveau patricien Ottobon mais aussi chez Erizzo779. Cette fidélité pouvait s’exprimer auprès des amis, selon Colluraffi et l’Accademico Imperfetto, en les louant en public780 tandis que les erreurs étaient corrigées en secret781. L’Accademico Imperfetto incite ses lecteurs à leur montrer de l’intérêt, en se réjouissant de leur succès par exemple ou en exprimant leurs condoléances dans les mauvais moments782. Erizzo inculque le même enseignement à son fils : il devait être le premier à leur rendre visite et le dernier à les quitter dans les moments les plus forts de leur vie783. Enfin, Colluraffi conseille de ne solliciter les amis que pour les demandes « justes et honnêtes » et le moins souvent possible pour éviter de développer trop d’obligation à leurs égards784.

Au reflet du bon comportement envers les amis correspondait le contre-miroir des attitudes à éviter. Selon Sansovino et Colluraffi, il fallait éviter deux écueils : l’ambition et l’inconstance785 . Une personne ambitieuse risquait de faire croire que toutes les démonstrations qu’elle faisait pour les amis étaient feintes et avaient en réalité un but

775

Ibid.

776

F. Sansovino, Dialogo del gentilhuomo vinitiano, op. cit. n. 703, p. 4.

777

S. Treo, Lettera di copioso discorso scritta alli clarissimi sig. Giacomo et Angiolo Marcelli dell’illustriss.

Sig. Antonio podestà dignissimo di Vicenza, Trévise, 1610, p. 35.

778

« Con la memoria de’ beneficii, con l’espressione di scambievole volontà, e con l’accomodare à quel fine il suo ragionamento, per cui verso la persona sua così favorevoli, e propensi si dimostrano, eccitarli, e confirmarli maggiormente in quella opinione, che sì honorata hanno di lui, e in quell’affetto, che per sola benignità loro gli portano ; e che altro fondamento di merito non hà, che la gratia, e l’honore, che essi medesimi amandolo, le fanno. » A. Collurafi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 216.

779

A. Ottobon, Lettere d’un nobile, op. cit. n. 694, p. 21 ; G. Gullino, « Istruzione morale », art. cit. n. 679, p. 353.

780

L’Accademico Imperfetto, Ricordi etici, op. cit. n. 722, p. 57 ; A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 195.

781

Seul Colluraffi édicte ce conseil. Ibid., p. 205.

782

L’Accademico Imperfetto, Ricordi etici, op. cit. n. 722, p. 59.

783

G. Gullino, « Istruzione morale », art. cit. n. 679, p. 354.

784

A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 195-196.

785

F. Sansovino, Dialogo del gentilhuomo vinitiano, op. cit. n. 64, p. 5 ; A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 202-203.

purement égoïste. Quant à l’inconstance, elle pouvait être évitée en ne cherchant pas à se lier avec tous et en remplaçant les anciens amis par de nouvelles connaissances, elles-mêmes promptement oubliées pour d’autres. Un tel comportement, aux dires de Trifone-Sansovino, générait alors une « amitié large et non étroite, simulée et non vraie, faible et non ferme »786. En effet, personne ne pouvait aimer de manière égale un grand nombre de personnes et il était de plus impossible de conclure des accords politiques (« pratiquer étroitement ») avec de trop nombreux patriciens787. Le jeune homme devait donc limiter son cercle d’amis aux personnes avec lesquelles il pouvait avoir une relation continue, ferme et durable788.

Toutefois, ces conseils sur l’amitié laissent deviner le défaut de celle-ci lorsque le patricien était à la recherche des votes de ses compatriotes : ces derniers ne suffisaient pas pour obtenir la majorité des voix. Pour cette raison, les auteurs des manuels et les deux pères de famille enseignent également à leurs lecteurs et enfants comment être agréable au plus grand nombre de personnes afin d’obtenir leur soutien politique.

3.2. « L’arte dell’uccellare » ou l’acquisition de nouveaux électeurs

La chasse aux oiseaux (« l’uccellare ») est une métaphore utilisée par Sansovino et Colluraffi pour désigner le « broglio ». En effet, ce dernier oblige les patriciens à s’adapter aux divers électeurs potentiels de manière à obtenir leur soutien tandis que la capture de volatiles nécessite une grande variété de pièges adaptée à la diversité des oiseaux789. Cette chasse aux amitiés politiques répondait à des règles de comportement détaillées par les auteurs des manuels. Une fois ces règles connues, les patriciens pouvaient les appliquer et les adapter aux différents interlocuteurs dont ils briguaient les voix en fonction de leur hiérarchie sociale et de leur affection.

3.2.1. Règles générales pour se faire des amitiés politiques

L’espace du « broglio » de la République vénitienne présente quelques points communs avec les cours monarchiques étudiées par Norbert Elias790. La vie de cour était marquée par une

786

« genera amicitia larga et non stretta, simulata et non vera, debile et non ferma. » F. Sansovino, Dialogo del

gentilhuomo vinitiano, op. cit. n. 703, p. 5 ; Cela fut répété plus tard par Colluraffi. A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 203.

787

F. Sansovino, Dialogo del gentilhuomo vinitiano, op. cit. n. 703, p. 5 ; A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 203.

788

Ibid., p. 204.

789

Selon Colluraffi – qui partage si ce n’est copie Sansovino sur ce point – l’ »ambito ou broglio » ressemble à « l’arte dell’uccellare dove mille verità di reti, e di panie bisognano ». Colluraffi explique ainsi le choix de cette métaphore : « Voglio inferire, che nelle prattiche è necessario conoscere, di che più uno, che un’altro si diletta, per prendere, e cattivare il senso, e gli animi degli huomini con quella forza, e violenza, ch’ogn’altra forza, e violenza eccede. » Ibid., p. 190.

790

interrelation permanente entre ses membres caractérisée par l’art d’observer ses semblables et l’art de les manier dans un objectif purement personnel à travers un contrôle absolu de ses affects791. Le « broglio » n’était rien d’autre que cette interaction strictement codifiée entre les membres du patriciat. Non sans hasard, l’Accademico conseille à ses jeunes lecteurs lors de ses premières apparitions sur le « broglio » de parler peu pour mieux cerner les personnes et savoir ensuite s’adapter à elles792.

J’ai souligné auparavant que la vraie amitié se limitait à quelques personnes et ne suffisait donc pas à obtenir la majorité des votes. Une interaction multiple et assidue sur le « broglio » constituait en conséquence une règle d’or des réunions patriciennes informelles.Selon Norbert Elias, « amener l’autre, surtout s’il est d’un rang plus élevé, d’une main légère et sans qu’il s’en rende compte, à penser selon ses propres désirs est le premier commandement du commerce avec les hommes de la cour »793. Cet objectif était atteint, d’une part, par l’art de l’observation, et d’autre part, par l’art de manier les gens. Or, le seul outil dont disposaient courtisans et patriciens était la communication si aucun autre moyen de pression n’était envisageable. De plus, l’intérêt de cette manipulation était de parvenir à s’allier de nouveaux partenaires de leur propre gré. La communication passait par une maîtrise parfaite des expressions du visage et du corps, des gestes et de la conversation. Plus le rang d’une personne était bas, plus elle devait maîtriser cet ensemble de règles car sa position était bien plus précaire et dépendait fortement de la bonne volonté de ses pairs supérieurs794. L’enseignement de la conversation occupait en conséquence une place centrale dans les manuels pour jeunes patriciens.

Selon Norbert Elias, la compétitivité entre les courtisans nécessitait la maîtrise des affects et des passions afin de pouvoir adopter un « comportement judicieusement calculé et nuancé » vis-à-vis des interlocuteurs795. De même, sur le « broglio », la conversation commençait par l’adoption d’une certaine expression du visage. Il était conseillé d’adopter une expression à la fois neutre, sérieuse et affable couplé à un comportement toujours courtois. Le langage devait être exempt de toute influence étrangère, grave, toujours poli et cultivé sans être abscons796. Il

791

Ibid., p. 98-114.

792

L’Accademico Imperfetto, Ricordi etici, op. cit. n. 722, p. 55.

793

N. Elias, La société de cour, op. cit. n. 707, p. 104.

794

Ibid., p. 103.

795

Ibid., p. 108.

796

F. Sansovino, Dialogo del gentilhuomo vinitiano, op. cit. n. 703, p. 22 ; A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 194 et 197-198 ; L’Accademico Imperfetto, Ricordi etici, op. cit. n. 722, p. 57 ; D. Ceroni, Ristretto di

documenti per la civile, e morale istitutzione del patrizio veneto, op. cit. n. 702, p. 41 ; G. Gullino, « Istruzione

fallait éviter de lancer le sujet de la conversation ou donner son avis, adapter le thème à l’humeur des interlocuteurs en fonction des personnes et des objectifs à atteindre797.

Couplé à une parfaite maîtrise de soi, il était essentiel, selon les auteurs, de connaître parfaitement les interlocuteurs dont le jeune aristocrate sollicitait les votes. Sansovino, Colluraffi, Ceroni, Erizzo et Scardua conseillent aux patriciens d’apprendre les noms, les familles, leurs caractères et comportements798, « l’inclination de leurs génies »799, leurs « casate » 800et dépendances801, leurs titres802, leurs charges803, leurs actions et vertus exemplaires804. En ayant connaissance de ces informations, le candidat augmentait ses chances d’obtenir le vote de ses concitoyens selon l’Accademico805. Mais Scardua est le seul à expliquer en détails pourquoi il était si opportun de connaître le nom de ses concitoyens. Il reprend l’explication de Cicéron qui pensait qu’il était stupide de penser que quelqu’un dont on ne connaissait pas le nom allait accorder ses faveurs806. Pour cette raison, ils engageaient des serviteurs nommés nomenclatore qui suggéraient les noms des citoyens rencontrés et que la loi chercha en vain à supprimer807. En saluant les personnes par leur nom, celles-ci ne se considéraient plus comme étrangères, se faisaient plus rapidement une bonne opinion du candidat et le considéraient comme un « homme honnête et méritant notre faveur ». L’auteur donne aussi l’exemple du procurateur Girolamo Foscarini dont il rapporta qu’une fois arrivé à l’âge de vêtir la toge patricienne et d’entrer « dans les pratiques de la noblesse appelées généralement broglio », il apprit en peu de temps à connaître tous les nobles. Il connaissait les patriciens les plus importants par leur âge, leur rang ou leur sagesse ; il les appelait par le titre correct et saluait les égaux et les inférieurs par leur nom. Il s’acquit ainsi l’amitié et

797

Plutôt que de lancer soi-même le thème de la conversation, Sansovino, Colluraffi, Erizzo et Ottobon recomandaient de laisser l’initiative aux autres participants. F. Sansovino, Dialogo del gentilhuomo vinitiano,

op. cit. n. 703, p. 22 ; A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 199 ; A. Ottobon, Lettere d’un nobile, op. cit. n. 694, p. 7 ; G. Gullino, « Istruzione morale », art. cit. n. 679, p. 353 ; c’était aussi une règle d’or de la

vie de cour monarchique. Norbert Elias cite une maxime de Gracian tirée des maximes d’Amelot de la Houssaie : « ne parler jamais de soi-même ». La société de cour, op. cit. n. 707, p. 104.

798

G. Gullino, « Istruzione morale », art. cit. n. 679, p. 352.

799

« l’inclinazione de’ geni ». D. Ceroni, Ristretto di documenti per la civile, e morale istitutzione del patrizio

veneto, op. cit. n. 702, p. 20.

800

F. Sansovino, Dialogo del gentilhuomo vinitiano, op. cit. n. 703, p. 22 ; L’Accademico Imperfetto, Ricordi

etici, op. cit. n. 722, p. 57 ; A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 187.

801

F. Sansovino, Dialogo del gentilhuomo vinitiano, op. cit. n. 703, p. 22 ; A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 187.

802

L’Accademico Imperfetto, Ricordi etici, op. cit. n. 722, p. 57 ; D. Ceroni, Ristretto di documenti per la civile,

e morale istitutzione del patrizio veneto, op. cit. n. 702, p. 42.

803

L’Accademico Imperfetto, Ricordi etici, op. cit. n. 722, p. 57 ; A. Colluraffi, Il nobile veneto, op. cit. n. 64, p. 187.

804

L’Accademico Imperfetto, Ricordi etici, op. cit. n. 722, p. 58.

805

L. Megna, Ricchezza e povertà. Il patriziato veneziano tra cinque e seicento, op. cit. n.5, p. 58.

806

Comme le fit le concurrent Antoine cité dans le Commentariolum Petitionis. F. Prost, Quintus Cicéron: le

petit manuel de la campagne électorale, op. cit. n. 717, p. 30.

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l’affection de tous parce qu’il semblait qu’il appréciait toutes les personnes dont il se souvenait des noms808. Sa conduite lui fut bénéfique puisqu’il fit une brillante carrière alors que sa famille ne se démarquait ni par sa richesse ni par son prestige politique809.

Colluraffi résume parfaitement le comportement à adopter pour demander un vote. Par son attitude et le choix de ses formules, le patricien devait démontrer qu’il ne le faisait pas seulement par intérêt personnel mais par affection et pour ne pas manquer à son devoir :

« Quand d’autres lui demande son vote, il faut le lui promettre avec honnêteté, sans lui nuire, pas avec une ostentation vaine ni une gravité affectée (en suivant les mots de Sénèque), ni timidement ni en retard […] mais en anticipant son désir, en étant attentif à ses mots, en n’admettant pas ses prières, mais en exprimant une âme affectueuse et des manières nobles »810.

3.2.2. En fonction de la hiérarchie sociale

Dans une cour monarchique, deux systèmes de position sociale se côtoyaient. D’une part, le rang officiel de chaque noble, déterminé juridiquement par le prestige et l’ancienneté de la famille, était en règle général immuable et formait une échelle hiérarchique très stricte.