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Fraudes et mesures anti-fraudes dans les salles de commission

Les fraudes et la lutte antifraude sous le prisme de la législation

Chapitre 2 : les manipulations techniques du processus électoral

2. Les fraudes pendant les commissions électorales

2.2. Fraudes et mesures anti-fraudes dans les salles de commission

Les lois informent que même les secrétaires, qui n’avaient pourtant aucun droit de vote, se retrouvaient impliqués dans des fraudes électorales. Ces derniers bénéficiaient d’une certaine liberté de déplacement pendant les élections, car ils devaient en assurer le bon déroulement. Ainsi, certains d’entre eux n’auraient pas hésité à transmettre des messages entre les patriciens restés dans la salle du Grand Conseil et ceux qui étaient dans les commissions électorales556. Ils se seraient rendus dans le couloir entre le Grand Conseil et les salles des commissions électorales, même si cela n’entrait pas dans leurs attributions. Par exemple, les secrétaires du Collège et de la chancellerie allaient dans ce couloir alors que seuls le secrétaire

551

A.S.V., Censori, busta 1, fol. 92v.

552 Ibid., fol. 82‑83(129‑130). 553 Ibid. 554 Ibid. 555 Ibid. 556

Les secrétaires du Collège ou de la chancellerie selon la loi du 30 août 1566. A.S.V., Capi Consiglio di Dieci,

du Conseil des Dix, quatre assistants557, le « masser »558 de la chancellerie et son serviteur qui portait les livres, y étaient autorisés559. L’objectif de ces déplacements aurait été de contacter les membres des commissions électorales afin de leur transmettre des billets ou leur rappeler qui ils devaient nommer560.

Le déplacement entre les commissions électorales et la salle du Grand Conseil où se déroulait le vote sur les candidats était également sujet à plusieurs types de manipulation. En effet, les électeurs seraient parvenus à connaître le nom des candidats avant l’annonce officielle, ce qui leur laissait un peu de temps pour solliciter des votes. Ces informations auraient été dévoilées par les secrétaires, il leur fut en conséquence interdit en 1528 de communiquer avec les patriciens restés dans le Grand Conseil561. Mais ils avaient le droit, en revanche, d’indiquer aux électeurs de chaque commission électorale quels patriciens avaient été nominés dans les autres commissions afin qu’ils puissent choisir un candidat différent. En outre, à partir de 1566562, ils devaient entrer dans la salle de la commission électorale qui leur avait été attribuée par tirage au sort et s’enfermer aussitôt à clé de l’intérieur de manière à ce qu’aucune personne ne puisse entrer ou sortir de la commission. Les secrétaires ne devaient rouvrir la porte, sans sortir de la salle, qu’une fois l'élection terminée pour transmettre la liste des candidats. Une fois les résultats transmis, la salle de la première commission électorale devait être refermée, puis on ouvrait la deuxième et ainsi de suite avec la troisième et quatrième commission électorale. Ils ne pouvaient quitter les salles qu'une fois le travail des quatre commissions électorales terminé et n’avaient pas le droit de rejoindre le Grand Conseil. Seul le « massaro », ou bien son serviteur, assisté du secrétaire du Conseil des Dix, avait l’autorisation de rester dans le couloir des salles électorales. Il ne pouvait rien transporter de salle en salle, ni parler aux électeurs ou aux notaires, ni autoriser quelqu'un à entrer dans le couloir des élections, ou révéler qui avait été nommé candidat, ni rapporter les discussions des notaires ou des membres des commissions électorales. Son unique responsabilité était de fournir ce dont les commissions électorales avaient besoin.

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Ils sont appelés « deputadi » dans la législation.

558

C’est l’employé des avocats de la Commune.

559

Loi du 30 août 1566. A.S.V., Capi Consiglio di Dieci, notatori, busta n°21, 1566-1569, fol. 31‑32.

560

Loi du 3 septembre 1566. A.S.V., Capi Consiglio di Dieci, notatorio, n°21, 1566-1569, fol. 41v.

561

Loi du 2 octobre 1528. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 4, fol. 105(105) ; le 3 septembre 1566, il fut répété dans une nouvelle loi que les notaires ne pouvaient pas distribuer des bullettins, ou révéler les candidats nommés. Cette interdiction valait également pour l’assistant de la chancellerie ou tout autre secrétaire qui était à l’extérieur des salles électorales pour suppléer aux besoins des commissions électorales. A.S.V., Capi Consiglio di Dieci, notatorio, n°21, 1566-1569, fol. 41v.

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Malgré ces précautions, il semble que parfois le personnel électoral n’ait eu nul besoin de communiquer avec les patriciens pour que ces derniers parviennent à connaître le nom des candidats. En effet, lorsque les bulletins, sur lesquels étaient inscrits les noms des candidats, étaient transmis au Grand Conseil, ils n’auraient pas toujours été correctement pliés si bien que les patriciens parvenaient à voir les noms sur les listes. Une part de simple négligence est possible, mais il se peut aussi que volontairement, les patriciens ou les secrétaires aient laissé les listes ouvertes. Pour résoudre ce problème, le Conseil des Dix décréta le 29 mars 1531563 que les listes de candidats de chaque commission électorale devaient être fermées sous le sceau de Saint-Marc afin qu'on ne puisse les lire d'aucun côté. Ainsi scellées, le secrétaire du couloir, qui devait prêter serment de ne communiquer à personne d’autre les informations, les transmettait au « comandador »564 posté sur le palier de la porte du Grand Conseil et du couloir. Celui-ci recevait les listes et les consignait selon la procédure ordinaire, au guichet de la porte du Grand Conseil. Là, un notaire les récupérait sans entrer sur le palier. Ce dernier les apportait ensuite au doge ou en son absence au conseiller le plus âgé, qui les transmettait à son tour au grand chancelier ou à la personne qui le remplaçait. De plus, le personnel électoral n’ayant aucune raison de se retrouver sur la tribune à ce moment précis ne pouvait s’en approcher au risque de perdre l’office exercé. Ce parcours sévèrement orchestré des listes avait pour objectif d’empêcher qu’elles soient interceptées par d’autres personnes. Enfin, il était interdit au personnel situé sur la tribune de faire des signes aux patriciens, ou d’utiliser tout autre moyen de communication, pour révéler le nom des candidats prématurément565. Or ces mesures ne furent pas suffisantes566. Déjà en 1603, la République tenta de mettre fin aux problèmes survenus par de nouvelles solutions, mais la majorité du Conseil des Dix les rejeta567. En l’absence de réformes, le problème aurait persisté: les noms des candidats

563

Loi du 29 mars 1531. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 7, fol. 10(10).

564

Ce sont les secrétaires des tribunaux vénitiens. Boerio, Dizionario, op cit. n. 75, p. 182.

565

Loi du 30 août 1566. A.S.V., Capi Consiglio di Dieci, notatori, busta n°21, 1566-1569, fol. 31v‑32.

566

Loi du 13 août 1603. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 53, fol. 79‑80(129‑130).

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La surveillance du couloir par le secrétaire du Conseil des Dix pour empêcher à toute personne d’y entrer n’avait pas fonctionné. Il semblerait que les patriciens trouvèrent une astuce pour connaître les noms des candidats avant l’annonce officielle. Une solution supplémentaire fut proposée mais la majorité des membres du Conseil des Dix la rejeta. Après la fin du tirage au sort, le censeur qui n’était pas en charge cette semaine-ci, devait se rendre, accompagné de son « fante », aux portes du Grand Conseil qui donnaient accès au couloir. Ce censeur était obligé de rester dans ce lieu pendant toute la durée du conseil. Il devait avoir auprès de lui le secrétaire député aux Voix avec les livres et les instructions nécessaires. Le secrétaire du Conseil des Dix qui se trouvait dans le couloir, devait aussitôt donner au censeur les bulletins transmis par les commissions électorales pour qu’il les montre au « segretario alle Voci ». Ce dernier vérifiait à cet endroit – entre le Grand Conseil et le couloir – que les bulletins des candidats ne contenaient pas d’erreurs. Si c’était le cas, il devait les corriger directement sur la même feuille. Une fois vérifiés, ils étaient scellés en présence du censeur puis transmis à la tribune du Grand Conseil afin que personne ne prenne connaissance de leur contenu avant l’annonce officielle des noms des candidats. Pendant ce temps, les salles des commissions électorales devaient rester fermées à clé pour assurer qu’aucun contact entre les membres des commissions et les électeurs ne soient possibles. C’est

auraient toujours été connus dans le Grand Conseil avant l’annonce officielle568. Cette révélation précoce encourageait, selon les lois, les « brogli » et « pratiques » si bien que certains patriciens, « par propre bonté et modestie »569, n’osaient pas se porter candidats. En 1626, de nouvelles mesures furent finalement adoptées. Dès que la porte du Grand Conseil était fermée et les clés portées aux pieds du doge, l’avocat de la Commune situé près de la petite porte devait se rendre personnellement dans les couloirs menant aux salles d'armes du Conseil des Dix pour éloigner tous ceux qui s'y trouvaient avant que les patriciens ne tirent au sort. Il devait veiller à la fermeture de toutes les portes et rendre compte à la Seigneurie de l’exécution de cet ordre. En outre, le déplacement des « savi » du Collège fut de nouveau contrôlé. Après le tirage au sort, ils devaient se regrouper afin de sortir ensemble en bon ordre. De plus, ils étaient accompagnés de l’avocat de la Commune570, d’un chef du Conseil des Dix ou du censeur qui était situé sur les balustrades de la tribune. Ils veillaient à ce que personne ne puisse les aborder aux portes du couloir des salles des commissions électorales. Les portes devaient ensuite être refermées à condition que personne ne soit resté dans le couloir. Puis l'avocat de la Commune et le chef des Dix retournaient s'asseoir à leur place et prévenaient la Seigneurie qu'ils avaient appliqué le règlement.

Enfin, les censeurs avaient également toute autorité pour bloquer tout endroit jugé sensible afin que les patriciens ne soient plus importunés par des « demandes et des uffiti di broglio » dans le Grand Conseil. Peut-être ces mesures fonctionnèrent-elles : plus aucun décret ne fut publié pour empêcher l’annonce publique officieuse des candidats nommés par les commissions électorales.

seulement vers la fin du vote des divers candidats, que le censeur situé à la porte du conseil pouvait donner au secrétaire du Conseil des Dix les clefs des salles des commissions électorales afin d'ouvrir les salles. En attendant, le censeur avait l’ordre de ne permettre à personne, s’il n’y avait aucune nécessité, de s’arrêter dans les couloirs, ni de s’approcher des portes du conseil pour chercher à savoir ce que l’on y faisait. Ibid., fol. 79‑80(129‑130).

568

Loi du 30 juin 1626. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 76, fol. 102‑103(168‑169).

569

« […] per propria bontà, e modestia […] ». Ibid.

570

S’il laissait sortir un « savio » du Conseil sans l’autorisation de la Seigneurie (après le tirage au sort), il risquait une amende de 100 ducats et restait inéligible tant qu’il ne la payait pas. Mais cette amende pouvait avoir des conséquences si le magistrat coupable ne la payait pas. Loi du 19 janvier 1590. A.S.V., Consiglio di

Dieci, deliberazioni, comuni, registre 40, fol. 260(204) ; la seconde amende la plus élevée s’élevait à 200 ducats

et concernait les chefs du Conseil des Dix et les avocats de la Commune. Ils devaient faire respecter toutes les lois contre les désordres lors du tirage au sort et les faire appliquer avec toute rigueur sous peine de 200 ducats d’amende : 22 juin 1604. A.S.V., Consiglio di Dieci, deliberazioni, comuni, registre 54, fol. 41‑42(91‑92).