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Un salariat garant de l’action et de l’expertise associative

Formes et rôles du salariat

Cas 2 : un dispositif plus formel

IV.3. Les enjeux du salariat associatif

IV.3.2. Un salariat garant de l’action et de l’expertise associative

Le salariat associatif est aujourd’hui présenté comme un garant tant pour les financeurs, les partenaires locaux que les usagers. Mais garant de quoi ? Ce statut tend, selon les cas, à construire, asseoir la crédibilité technique du secteur ou à rendre visible sa professionnalité, par opposition à un amateurisme associatif, même si on a vu dans la section précédente que cette vision du secteur dissimule le fait qu’un bénévolat de plus en plus professionnel tend à s’instituer. Mais le bénévolat professionnel manque de légitimité aux yeux des financeurs qui attendent une plus grande stabilité et qui associent cette stabilité à un noyau de salariés. Ce salariat garantit donc la permanence de la structure en même temps qu’il représente une preuve du travail accompli pour l’obtenir.

L’idée selon laquelle le salariat associatif contribuerait à rendre légitime car efficace et utile l’action associative (et par là même la place du secteur) tend à être défendue par les acteurs eux-mêmes.

« L’association doit tendre vers plus de "professionnalité", professionnalité qui sera assurée par le salariat. Il faut cependant distinguer la professionnalité des bénévoles – tenant à leur expérience et à leur ancien parcours professionnel – et celle de l’association qui doit s’appuyer sur la stabilité offerte par la présence de salariés. La reconnaissance de l’association tient au statut des personnes générant l’activité. Pour être reconnue, l’association doit se fonder sur

l’activité salariée. » (Entretien bénévole 02 La Passerelle, 17 février 2003)

Cette reconnaissance associée au statut de salarié, qui permet de construire l’action associative dans le temps est d’autant plus essentielle que cette question du temps est complètement associée à un équipement de base de toute l’action associative : la confiance. C’est par le temps, et notamment le temps long, que s’obtient la confiance119. Et celle-ci constitue pour les acteurs associatifs le ciment de la relation de service spécifique qu’ils mettent en œuvre. Cette confiance est d’autant plus importante que la relation de service entre l’usager et le secteur associatif vient le plus souvent (en tout cas pour les situations attachées à la problématique sociale de lutte contre le chômage, l’exclusion, l’illettrisme, etc.) après un

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Philippe Chanial parle, lui, de « pari de la confiance ». « Si l’esprit du don y préside, c’est dans la mesure où ce que ces formes de regroupement volontaire supposent, c’est le pari de la confiance, confiance entre inconnus, confiance que rien – aucun contrat, aucune loi – ne vient garantir, mais sans laquelle cette "solidarité réciproque" (P. Leroux) ne saurait advenir. » Chanial Ph., « La délicate essence de la démocratie : solidarité, don et association », in Une seule solution, l’association ? Socio-économie du fait associatif, Revue du M.A.U.S.S., n°11, 1er semestre 1998, p. 28-43., p. 41. Les travaux de Pierre Leroux cités par l’auteur sont : Leroux P., « Aux politiques. De la philosophie et du christianisme », in Aux philosophes, aux artistes, aux politiques, Payot, Paris, 1994, 320p. et Leroux P., A la source perdue du socialisme français. Anthologie établie et présentée par Bruno

parcours jalonné de difficultés, parfois d’échecs qui ont nui en partie aux rapports entre l’usager et les « réparateurs », comme les appelle Erving Goffman. Et si l’on suit justement Goffman dans son analyse de la relation de service, on constate qu’il pose clairement la confiance comme condition sine qua non :

« Les relations de service telles que nous les décrivons, obéissent à une logique qui leur est propre. […] Nous pouvons dès lors nous attendre à ce que l’ensemble des droits et devoirs réciproques crée dans ces relations un foyer d’inquiétude et de suspicion, même lorsque chacune des parties engagées se conduit correctement. Le client se demande : "Ce réparateur est-il vraiment compétent ? agit-il dans mon intérêt ? ne prend-il pas trop cher ? est-il discret ? ne me méprise-t-il pas, en son for intérieur, à cause de l’état de l’objet que je lui ai confié ?" (Chacune de ces éventualités peut se présenter séparément, si bien qu’au total les possibilités pour que la relation achoppe sont très nombreuses.) De son côté, le praticien pense : "Ce client a-t-il vraiment confiance en moi ? essaie-t-il de me cacher qu’il s’est adressé à des concurrents avant de venir ici ? va-t-il me payer ?" »120

Bien que la question des honoraires soit hors de propos nous concernant – Goffman décrivant ici principalement la relation de service entre patients et médecins psychiatriques – l’analyse proposée est tout à fait transposable dans la mesure où les interrogations en termes de compétence du réparateur (quel que soit son statut dans ce cas), de mépris (donc de respect) de soi et de l’autre, de discrétion (par rapport aux voisins, au quartier), etc. sont au cœur de la pratique associative.

« De toute façon, si on veut avoir la reconnaissance des jeunes, on peut pas commencer à compter les heures. On a un truc qu’on aime, on le fait… comme nous, on n’a pas de mandat, pas de mission, le truc qui nous fait exister, c’est la fréquentation du public, c’est la fidélité

des gens, c’est… on arrive à avoir des résultats, etc. donc on peut compter que sur nous. »

(Entretien responsable ATTM, 24 mai 2002)

Si la confiance de la population est le ciment de la relation de service associative, la confiance des financeurs est la condition sine qua non de sa pérennisation. Cette confiance est d’autant plus importante du fait de la différence de temporalité (à court, moyen et long terme) qui peut exister entre le secteur associatif et les financeurs La mesure de l’efficacité d’une action ne peut pas toujours en effet se prendre à l’échelle du temps de l’action mais parfois la dépasse. Le salariat, par l’assurance de la permanence dans la prise en charge des usagers qu’il apporte et la garantie de bonne marche des actions qu’il représente est donc un élément essentiel de la reconnaissance institutionnelle du secteur. D’une certaine façon, le salariat associatif, en collaboration avec le bénévolat, constitue un dispositif d’institutionnalisation de l’action

120 Goffman E., Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, Les éditions de Minuit, Coll. Le sens commun, (édition originale : Asylums, Doubleday & Company, Inc.), Paris, 1968, 447p.

associative, dans le sens où il tend à marquer durablement et à instituer l’expertise associative

dans le temps et dans les esprits au point de construire le secteur associatif en tant que « point de passage obligé » de la politique de la ville, pour parler comme Michel Callon121.

Si la stabilité de ce secteur est mise à mal par la précarité du collectif de travail reposant sur un mode d’emploi atypique, on observe malgré tout que ce collectif de travail hybride parvient à articuler (plus ou moins heureusement et plus ou moins facilement) les impératifs et compétences des uns et des autres pour construire projets et expertises.

121 Callon M., « Sociologie des sciences et économie du changement technique : l’irrésistible montée des réseaux technico-économiques », in Ces réseaux que la raison ignore, L’Harmattan, Coll. Logiques sociales, Paris, 1992, p. 53-78.

CHAPITRE V