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Des CDI principalement pour les « postes à responsabilité »

Formes et rôles du salariat

IV.1. Les formes de salariat

IV.1.1. Un salariat « typique », un mode mineur du secteur associatif

IV.1.1.4. Des CDI principalement pour les « postes à responsabilité »

Sur le secteur associatif considéré, les personnels en CDI le sont le plus souvent sur des postes à responsabilité, qu’il s’agisse de responsabilité d’encadrement général au niveau de la direction (comme c’est le cas dans de très nombreuses structures : l’ADIE, l’AJB, l’AIEM, le

CFQ, Rencontre), ou au niveau d’axes spécifiques (comme à l’AIEM, l’ATTM, Rencontre, le CFQ ou encore ISM-Est). Il s’agit, dans tous les cas de postes pivots, au cœur de

l’organisation du travail et du collectif de travail. Ils sont ceux qui font l’histoire de la structure dans le sens où ils définissent les orientations, autorisent une permanence et contribuent à asseoir la légitimité (compétence voire expertise) de la structure. L’incertitude et la mobilité touchent plus souvent des postes subalternes, assimilables aux postes d’exécution présents dans d’autres secteurs d’activité100. On retrouve en effet cette même opposition entre poste d’exécution et poste de conception, même si le sentiment de cette division du travail et de cette distinction n’est pas toujours en conformité avec ce constat.

Le salariat typique constitue donc un mode mineur d’emploi du secteur associatif pour deux raisons principales : d’une part, l’incertitude du volume financier des structures contribue à limiter son usage et à favoriser des contrats de courte durée et d’autre part, étant largement attaché aux postes les plus qualifiés, souvent postes à responsabilité, il concerne, comme dans tout collectif de travail, une minorité de personnels. La présence massive de formes particulières d’emploi, comme nous allons l’analyser, contribue alors à créer un collectif spécifique qui n’est pas sans conséquence sur l’organisation du travail, sur les actions menées et sur les expertises réalisées.

IV.1.2. Les structures associatives, « des auxiliaires des politiques de l’emploi »101 Comme le notent Le Crom et Retière102, toutes les études s’accordent pour dire que le salariat associatif « présente la forte caractéristique d’être composé presque exclusivement d’emplois

100 Maruani M., « Statut social et modes d’emplois », Revue française de sociologie, XXX, 1989, p. 31-39.

101 Bévant D., « Les associations sont-elles des entreprises ? », p. 49-65 in Prouteau L. (sous la dir.), Les

associations entre bénévolat et logique d’entreprise, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2003, 211p. 102

dits aidés »103. Ces « formes particulières d’emploi »104 sont en effet, aux dépends de l’emploi typique, la norme d’emploi du secteur105. Comme je l’ai indiqué, mon corpus principal compte 124 CDI à temps complet sur les 382 postes répertoriés, les autres représentant des postes à temps partiel, des CDD, CES, CEC, Emplois-jeunes, vacataires, etc. Didier Bévant explique ce phénomène du fait que « les associations sont […] sollicitées pour absorber du travail non directement employable par le secteur marchand (CES, emplois-jeunes). »106 Sans rentrer dans la discussion sur la notion d’employabilité, dont on sait qu’elle est controversée, on peut néanmoins retenir de cette analyse le fait que le secteur associatif constitue, en matière d’emplois, un « lieu recueil » qui tente l’amalgame des improbables107 (bénévolat/salariat, de multiples formes de salariat) sans que cela ne semble a priori déclencher de réaction collective d’hostilité. Les carrières fondées sur des emplois précaires ne sont pas rares tant pour les travailleurs associatifs que pour les usagers à qui l’on propose ces types d’emploi. Ici, il semble que l’on pense que « nécessité fait loi ». La flexibilité est pensée comme inhérente au secteur, presque normale car complètement intégrée par les salariés eux-mêmes108.

IV.1.2.1. Les formes particulières d’emploi. Un effet d’aubaine

On tient ici un paradoxe fondamental du secteur associatif : l’une de ses missions désormais classiques vise l’insertion sociale et économique des usagers ; or, le secteur associatif est celui qui mobilise le plus de contrats aidés, symboles de flexibilité et d’instabilité salariale et

103 Le Crom J.-P. et Retière J.-N., Art. cit., 2003, p. 79.

104

« les formes particulières d’emploi, dans leur acception contemporaine, se situent pour l’essentiel à l’intérieur du salariat. Elles englobent tous les types d’emploi qui, d’une manière ou d’une autre, dérogent à la norme du travail sur contrat à durée indéterminée pour une durée hebdomadaire de trente-cinq heures. Deux sortes de formes particulières d’emploi peuvent être distinguées (même si elles se recouvrent parfois) : - celles qui dérogent à la norme du point de vue de la durée et de la stabilité du contrat de travail : ce sont les contrats à durée déterminée (CDD), l’intérim, les divers stages, etc. ; - celles qui se distinguent du point de vue de la norme du temps de travail : il s’agit là du travail à temps partiel. » (p. 54) et les auteures ajoutent plus loin : « Ce qui réunit ces diverses formes d’emploi, ce n’est pas seulement le fait qu’elles soient d’une manière ou d’une autre « hors normes ». C’est aussi leur instabilité qui les assimile à la précarité et qui les rapproche du chômage. » ( p. 57). Maruani M ; Reynaud E., Op. cit., 2001.

105 Tchernonog V., Op. cit., 2000, p. 65-69.

106 Bévant D., Art. cit., 2003, p. 56.

107

Par amalgame des probables, j’entends le rapprochement d’opposés impensables et totalement inenvisageables dans d’autres domaines du salariat.

108 Les salariés semblent peu enclins à défendre leurs droits en tant que salarié, comme si cette forme de lutte – existante dans d’autres secteurs productifs – n’était pas légitime. Le « mythe » fondateur du don et du désintéressement sur lequel repose le secteur associatif semble peser au point de rendre totalement incongru (pour ses salariés eux-mêmes) d’envisager une lutte pour lui-même alors qu’il est supposé en être dépourvu (d’intérêt pour lui-même). Par contre, le secteur associatif est très souvent engagé auprès d’autres (usagers ou secteur social, culturel, sanitaire) autour de causes sociales transversales. Il serait intéressant d’étudier le secteur sous cet angle.

sociale. « En 1993, les associations emploient, par exemple, un peu plus du tiers de l’ensemble des personnels en Contrat emploi-solidarité »109 de sorte que l’« on ne saurait […] exclure que le développement dans les associations de ces statuts atypiques serve la précarité plutôt que l’intégration, contribue à stigmatiser les personnes qui passent par l’emploi associatif avant de se porter sur le marché du travail dans le secteur marchand et participe indirectement à l’abaissement du coût du travail et au développement de la "flexibilité". »110 Ainsi, « on construit des formes d’enfermement à l’intérieur des systèmes d’accompagnement »111. L’« effet d’aubaine »112 est net comme en attestent les extraits d’entretiens suivants.

« dans le milieu associatif c’est… c’est beaucoup de… de travail à temps partiel, des

emplois précaires. […] Bon, je sais que par exemple un certain nombre de ces acteurs là vont

partir l’année prochaine, soit parce que leur projet professionnel débouche maintenant sur… sur un métier, soit parce que leur statut – je pense par exemple aux emplois-jeunes hein ! qui ont pu être recrutés et qui ne vont plus… - donc ces gens-là vont partir. Mais on peut penser quand même que euh… le partenariat restera, même si les personnes vont changer. Je pense… enfin en tout cas, moi, j’espère ! J’espère. » (Entretien salariée Rencontre, 20 décembre 2002)

« on a mis… on a mis à peu près quatre ans à travailler autour du bénévolat. Et puis après on s’est dirigé vers une professionnalisation du métier parce que y avait des exigences des

financeurs… hein ! très vite. Donc ben moi je… j’étais président-fondateur à l’époque et en

janvier 96 donc je suis passé salarié en fait. Dans le cadre de l’ILE – Insertion Locale Emploi et puis je suis venu avec un statut ILE et puis après faut voir la situation de l’emploi aussi ! Alors là c’est comme ça aujourd’hui. Après j’ai eu le poste de direction. Et après bon ben… on a eu des postes… on a utilisé un peu tout en fait [il rit]… toutes les opportunités se retrouvent ici : y a

des CES, des CEC, des appelés du contingent en l’occurrence et puis une grosse partie de

bénévolat quoi. » (Entretien Président AJB, 07 mai 2002)

« après on a eu un poste euh… c’est-à-dire par l’Etat comme dans plusieurs endroits pour euh… un poste de euh… "médiation de femmes et jeunes filles" tout ça… et puis aussi on a profité un petit peu de ce… de ce titre. » (salariée02 ATTM, 02 décembre 2002)

« en termes de personnel, ben on est euh… huit permanents et euh… des intermittents. Et les

intermittents ça varie chaque année euh… donc euh… ils sont une soixantaine. Alors les

intermittents, c’est quelque chose de très, très, très irrégulier. Très, très particulier. Ils font un travail en plus […] ils interviennent à la demande, ça veut dire qu’ils peuvent travailler 20h dans le mois pour leur compte » (Entretien responsable ISM-Est, 07 mai 2002)

109 Barthélémy M., Op. cit., 2000, p. 133.

110 Ibid., p. 134.

111

Worms J.-P., « Recherche, associations et pouvoirs publics », Produire des solidarités. La part des

associations, MIRE, Rencontres et recherches, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, avec la collaboration de

la fondation de France, Paris, 1997, 403p., p. 389. Cité par Barthélémy M., Ibid., p. 134.

112 Rappelons que l’effet d’aubaine correspond à l’usage rationnel que font les entreprises de ces « dispositifs pour empocher des aides publiques à l’occasion des décisions qu’elles auraient prises ou qu’elles prendront de toute façon : ainsi une décision de création d’emploi déjà prise pourra-t-elle être avancée ou reculée dans le temps, ou déplacée géographiquement pour bénéficier d’une prime ; une embauche de toute façon nécessaire pourra être réservée à un travailleur « porteur d’exonérations sociales », etc. » Freyssinet J., Le chômage, La découverte, Coll. Repères, Paris, 1998, 122p., p. 105.

« moi, j’ai un CDI mais parce que j’étais embauché au début en ILE […] C’est les types de contrats qui existaient avant les emplois-jeunes et qui étaient surtout financés par le Conseil régional avec une aide dégressive, etc. […] On peut pas compter sur une reconnaissance institutionnelle, pas sur… t’es rendu précaire par le système de financement puisque tout est

remis en question systématiquement d’année en année. Même les postes des gens : t’as aucun

poste fixe, etc. donc forcément ça… » (Entretien responsable salarié ATTM, 24 mai 2002)

Un certain nombre d’études en sociologie de l’emploi ont en effet montré depuis plusieurs années combien la multiplication des « petits boulots » nuit très largement113 à l’insertion professionnelle. La multiplication des « jobs » ne favorise pas tant l’insertion qu’une pérennisation de l’emploi précaire, justifiée par l’idée que la multiplication des « expériences » professionnelles peut être un vecteur d’insertion professionnelle.

« [I. : et vous arrivez quand même à projeter dans l’avenir ou pas au niveau de l’association ?] ben non parce que même moi, pour mon poste euh… il sera jamais pérennisé euh… on va…

à moins qu’il y ait vraiment des grands changements qui… mais… parce que on pourra plus le financer… » (Entretien Emploi-Jeune La Clé, 09 décembre 2002)

« en 1993, j’ai été embauchée en CES au Comité de Gestion des Centres Sociaux [APSIS]. Le CGCS m’a financé le BAFA, j’aurais pas pu me le payer toute seule… J’ai fait une spécialisation "ado en difficulté" […] Ensuite j’ai été embauchée en CEC à l’APSIS, au club de prévention…[…] A la fin de mon CEC, j’ai eu quelques temps de vache maigre, la galère comme on peut dire, donc du chômage… et c’est avec l’ANPE que j’ai trouvé une annonce : « association cherche adulte-relais »… ça en disait pas plus… Ça fait un peu plus d’un an maintenant que je suis ici… » (Entretien salariée01 ATTM, 02 décembre 2002)

Ces quelques extraits témoignent, par leur ton et le vocabulaire employé, des conséquences négatives qu’engendre cette situation subie plus que stratégique (de réduction des coûts) chez les salariés comme chez les responsables recruteurs.

113 Sur ce point voir Capdevielle J., Meynaud H.-Y., Mouriaux R., Petits boulots et grand marché européen. Le

travail démobilisé, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1990, 238p. Les auteurs

notent, p. 74, que « les effets les plus marquants [des dispositifs (TUC, SIVP, contrats emploi-solidarité…)] sont le remplacement d’emplois à plein temps – payés quasi correctement et exercés dans de bonnes conditions de sécurité/repos – par des petites boulots, mal payés, sans formation ni protection sociale, avec l’adhésion des intéressés eux-mêmes. […] On sait désormais que ces petits boulots ne sont pas le plus long ou le plus sûr chemin vers un emploi stable, mais au contraire : souvent le début d’une régression sociale. ». Voir également Aucouturier A.-L., « Contribution à la mesure de l’efficacité de la politique de l’emploi », Travail et emploi, n°55, 1993, p. 20-29. ; Aucouturier A.-L., Gelot D., « Les dispositifs pour l’emploi et les jeunes sortant de scolarité : utilisation massive, des trajectoires diversifiées », Economie et statistique, n°277-278, 1994, p. 75-93. ; Pialoux M., « Jeunesse sans avenir et travail intérimaire », Actes de la recherche en sciences sociales, n°26-27, mars-avril 1979, p. 19-47. Analyses de cas ou de statistiques nationales, les auteurs montrent que la politique de l’emploi s’apparente à un dispositif d’orientation et de sélection, plus que de qualification, requalification ou d’emploi.