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Pour une ethnographie d’un quartier dit sensible

II.2. Le cadre de l’observation

II.2.1 Le contexte de l’enquête

II.2.1.5. Récit de présentation du secteur associatif rencontré

Présentons à présent les structures associatives rencontrées dans le cadre de cette enquête. Nous avons donc contacté dix structures au total, qui composent pour certaines d'entre elles un maillon d'une chaîne associative plus globale. Cette présentation n’a pas pour but de

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Hirlet Ph., Kaiser J. et. Streicher F, Economie solidaire en région lorraine : développement local, création de

services et gestion de l’emploi en milieu rural, rapport pour la Délégation interministérielle à l’innovation

sociale et à l’économie sociale-MIRE, IRTS de Lorraine, Nancy, 2002, 132p.

314 Dulong R., Paperman P., Op. cit., 1992.

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présenter de façon exhaustive toutes les dimensions de chacune des structures rencontrées mais plutôt de donner une vision globale de l’activité sur le quartier316.

Borny, contrairement à l’image traditionnelle des quartiers dits sensibles, connaît une activité associative dense. A entendre ce qui se dit du quartier, plus de quatre-vingt associations existent sur celui-ci. Cela dit lorsque l’on s’approche et que l’on observe le secteur associatif d’un peu plus près, on constate une vie associative importante mais qui rassemble plutôt une grosse vingtaine de structures. Ce qui tend à indiquer une importante création associative mais également une mortalité importante des petites structures. Les structures rencontrées sont différentes en termes de taille (de 5/6 personnes à plusieurs centaines), de mode organisationnel (plus ou moins formel et hiérarchisé et une répartition variable des effectifs bénévoles et salariés), de motif de création (pour le territoire lui-même, par souci interne de développement de la structure, en réponse à une demande institutionnelle, etc.) voire d’objet associatif. Ce que toutes connaissent (même si c’est à des degrés divers comme on le verra dans les parties suivantes) c’est une incertitude budgétaire (essentiellement liée au mode de financement) et un travail en partenariat au cœur de leurs pratiques (sous différentes formes : inter-associatif, avec le secteur social, le secteur privé, les pouvoirs publics et institutions sociales).

Même si, comme on vient de le préciser, les objets associatifs sont divers, d’une manière globale, les activités s’orientent toutes vers le social, entendu au sens large. Il s’agit de proposer des cadres d’aide, de soutien visant à la résolution de problèmes sociaux d’ordre éducatif (aide aux devoirs, formations, réorientations, requalification, etc.), productif (aide à la recherche d’un emploi, mise en emploi via des ateliers ou des chantiers d’insertion, etc.) ou sanitaire (problème d’alcoolisme, soutien psychologique voire psychiatrique, etc.).

L’ADIE (créée en 2000 sur Borny mais existante au niveau national depuis1998) propose un soutien à la création économique à destination de chômeurs ou de publics touchés par les politiques publiques. A la différence des autres structures rencontrées, l’ADIE n’est pas implantée au cœur du quartier « choc » de Borny mais elle est excentrée, au cœur de la zone Technopôle au milieu d’entreprises, d’agences de communication et d’établissements scolaires.

Toutes les autres sont en effet implantées à quelques mètres les unes des autres sur trois rues principales qui convergent vers la place du marché, lieu central de la vie du quartier, où sont installés les quelques commerces (banques, laverie automatique, petite épicerie, bureau de

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tabac, kebabs et snack, deux pharmacies, une agence de développement de photos, un fleuriste), médecins (généralistes, dentistes, gynécologues pour l’essentiel), la médiathèque, la mairie annexe et dans des rues alentour, le commissariat de police, le collège classé ZEP, deux écoles maternelles et primaires. A 300 m se situe également le campus universitaire Bridoux qui rassemble des étudiants inscrits en biologie et en STAPS ainsi qu’une résidence universitaire.

L’AIEM (créée en 1961 sur Metz et instaurant une antenne sur Borny en 2000), quant à elle, prend en charge différents types de problèmes qui vont de l’hébergement d’urgence aux problèmes d’emploi, en passant par la formation mais également des problèmes de violence, d’alcoolisme, d’exclusion. Cette diversité en termes d’activités est liée à la diversité du public de l’association (femmes battues, Sans Domicile Fixe, demandeurs d’asile, ex-détenus, chômeurs, RMIstes, jeunes sans formation, etc.). Cette association tente d’élaborer une prise en charge globale des individus usagers de leur structure. Implantée de longue date sur Metz, un local la rend visible à Borny depuis 2000 mais son action sur le quartier est antérieure à cette occupation physique puisqu’elle y œuvre depuis les années 1980.

L’AJB (créée en 1992), est typiquement ce que l’on appelle une association de quartier. Elle s’est montée suite à un évènement marquant touchant profondément le quartier (la mort d’un jeune militant associatif de 20 ans issu du quartier, poignardé « par erreur », son meurtrier s’étant trompé de personne qui avait déclenché la fureur d’une poignée de jeunes à l’encontre des « pompiers qui mettent beaucoup de temps pour venir euh… et en plus derrière… les autorités de police qui… qui ont pas trop… je veux dire qui ont un petit peu… comment dire ? qui ont fait quelques erreurs dans la gestion des conflits. Euh… après, ça a fait que dans le quartier c’est parti un petit peu en travers quoi donc… la jeunesse qui s’est révoltée… avec des voitures brûlées… des vitrines de cassées. Et puis ça avait terminé carrément par une voiture de police retournée juste à l’angle là [il désigne le fond de l’entrée, face au local où nous nous trouvons] », Entretien responsable AJB, 07 mai 2002). Aujourd’hui, les activités proposées sont diverses : elles touchent les enfants, les adolescents mais également les adultes dans le cadre de la permanence d’écoute qui offre des conseils, des informations, des orientations, etc. Pour les enfants et les adolescents, différents ateliers sont organisés : soutien scolaire, activités extra-scolaires, sorties, etc.

L’ATTM (créée en 1976 sur Metz et arrivée en 1981 à Borny), a une identité singulière parmi cet ensemble car à l’origine elle est une amicale turque qui s’est transformée au fil des années, du renouvellement de ses membres et des politiques. Elle garde une assise communautaire forte tout en s’étant ouverte à l’ensemble de la population du quartier. Créée à l’origine pour

aider la population turque à s’installer, à s’organiser sur le territoire français, ses activités se sont diversifiées. Elles visent à englober l’ensemble de la population, donc toutes les générations hommes comme femmes. Différents ateliers, diverses actions sont mis en place : des activités quotidiennes telles que le soutien scolaire ; des activités hebdomadaires telles que les soirées « femmes » le mardi soir ; des activités mensuelles ou annuelles récurrentes telles que la fête de quartier, le carnaval des enfants, etc. ; et puis des activités ponctuelles telles qu’une soirée couscous ou l’organisation d’un concert ou d’une conférence-débat. Ces dernières activités sont très souvent organisées en partenariat avec d’autres structures associatives locales. L’ATTM et l’AJB sont sans doute celles des structures rencontrées qui entretiennent les rapports les plus affectifs avec le quartier.

Si La Clé (créée en 1997) a une identité spécifique c’est pour une tout autre raison que précédemment : elle est spécialisée dans le champ « psy ». N’ayant ni l’envie ni l’agrément pour faire du soin, elle s’attache à conseiller, écouter, aider les personnes en souffrance psychologique ou en difficulté comportementale (notamment les enfants). Le rôle de l’association se limite donc à la détection de problèmes psychologiques dans des contextes spécifiques : écoles ou autres associations.

Le CFQ (créé en 1985) connaît également un ensemble d’activités ciblées. La spécificité de cette association est qu’elle appartient à un ensemble associatif global (l’APSIS) qui répartit les activités dans chacun des lieux qu’il possède. Ici, le CFQ a la charge de la formation. Ce créneau de la formation se divise en deux parties : d’une part, des cours d’alphabétisation destinés à un public ne maîtrisant pas le français ; d’autre part, des cours appelés FLE (Français Langues Etrangères) qui sont destinés aux personnes souhaitant améliorer leur français. Ces cours sont alors proposés dans une logique finale d’insertion par l’économique, de mise en emploi. Permanence Emploi (créée en 1976) appartient au même groupement associatif et a la charge du versant « emploi ». Ici, il s’agit alors d’aider les individus sans emploi à en trouver un dans le « secteur TCRM317 », comme le précisait le responsable rencontré318. Le CFQ et Permanence Emploi sont des structures qui développent notamment de forts partenariats avec l’ANPE ou la Mission Locale compte tenu de leurs objets respectifs. L’APSIS a développé encore de nombreuses autres structures, dont le club de prévention (créé en 1977) dont nous avons rencontré trois éducateurs (Mounia, Dimitri et Philippe) ainsi que la gestion des centres sociaux (Champagne depuis 1971 puis Petit Bois, rénové en 1995),

317 C’est-à-dire le secteur couvert par la régie de transport en commun locale, TCRM signifiant Transports en commun de la région messine.

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l’Ecole des Sports à la fin des années 90 (1989/1990) et d’autres structures pour les colonies de vacances dans les Landes (au milieu des années 1990) et dans les Vosges (au début des années 2000), la gestion de la régie de propreté sur Metz-Borny et Metz-Nord (créée en 2001) et de la maison de la santé (depuis 2002) ainsi que du club de prévention spécialisée sur le territoire de la commune de Woippy, secteur La Patrotte depuis janvier 2005.

ISM (créée en 1980) connaît elle aussi un groupe d’activités ciblées. La formation et

spécialement le travail de diffusion d’information constitue la base de leur action. L’association propose des services d’interprétariat, de traduction, de formation dans le cadre d’un centre de documentation mais également d’orientation, de conseil lorsque des problèmes ponctuels ne relevant pas de leurs attributions se présentent. Cette structure est restée implantée au cœur du quartier de Borny jusqu’en 2003. Après avoir subi trois cambriolages rapprochés (sur la même année), ils ont pris la décision de déménager pour se retrouver sur le territoire de Woippy, commune de l’agglomération messine que l’on a déjà évoqué auparavant.

La Passerelle (créée en 1998) a un projet global qui est de faire émerger des créations

d’entreprises sur le quartier. Et ce, dans une logique de développement local durable, puisque le public principalement visé est constitué par les jeunes enfants et adolescents du quartier. Un ensemble d’activités est alors mis en place pour attirer les jeunes et les sensibiliser à la nécessité de travailler sur l’image du quartier en réalisant des projets, des évènements positifs. La médiathèque, lieu fréquenté à plus de 50% par des personnes extérieures au quartier, sert d’espace-relais pour valoriser ces projets.

Quant à Rencontre (créée en 1977), dernière association de notre panel, elle a une diversité d’activités : un point écoute pour les femmes, les parents et les enfants. Elle est dans un projet de constitution d’une Ecole des parents. D’autres ateliers existent : écrivain public mais également et surtout (c’est la spécificité et la carte de visite de cette association sur le quartier) les ateliers de lecture pour les CP. La différence entre l’objet associatif et les activités associatives, ici, se constate aisément : l’objet associatif vise l’émancipation, l’autonomie des familles, des individus alors que les activités, elles, sont nettement plus ancrées dans la réalité de la gestion des problèmes quotidiens. Un travail en partenariat est également caractéristique des pratiques de cette association. L’ATTM et La Clé travaillent très régulièrement avec Rencontre. Nous verrons que le partenariat de ces trois structures se caractérise par une mutualisation concrète des moyens (soit des locaux soit des personnels soit des deux à la fois) puisque des membres de La Clé ont des permanences hebdomadaires dans les locaux des autres structures.

La présentation succincte des structures principales rencontrées sur le quartier de Metz-Borny nous a permis d’établir un premier contact avec les acteurs qui nous accompagneront au long de ce travail et de soulever quelques-uns des enjeux qui font le secteur associatif actuel (logiques de professionnalisation, logiques concurrentielles, partenariat, une problématique sociale dominante en territoire dit sensible, un système de financement contraignant, etc.). Nous retrouverons nos acteurs pour une présentation plus détaillée en termes d’organisation du travail, de statuts, d’équipe, etc. dans la deuxième partie puis dans ce que j’appelle leur rapport au territoire et les outils dont ils disposent pour agir sur le territoire dans la troisième partie avant de voir ce qu’ils font et comment ils le font dans la dernière partie. Pour l’heure, il s’agit de présenter le territoire d’intervention de ces acteurs dans ses multiples dimensions afin de mieux saisir le décor de l’action associative.