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I1 : Genèse des politiques de la ville en France

I.2. Le travail associatif de proximité. Quelques jalons historiques

I.2.3. Secteur associatif et travail social, frères ennemis

I.2.3.1. Une formation du travail social

On constate effectivement que les travailleurs associatifs (bénévoles comme salariés) diplômés le sont très souvent du travail social, à tous les niveaux de diplômes existant c’est-à-dire du BAFA au DSTS ou CAFDES135. Les diplômes détenus sont fonction du secteur d’activité de la structure associative. En cela, des distinctions existent selon les implications des acteurs associatifs dans le secteur sanitaire, linguistique, éducatif, etc. A l’occasion de l’étude menée, malgré un recueil non systématique qui eut été nécessaire, j’ai pu recenser, sur les trente entretiens principaux effectués sur le terrain principal (voir chapitre suivant), un gros tiers de personnels ayant reçu une formation du travail social, au sens large (éducateur,

131 Donzelot J., Op. cit., 1977, p. 190.

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Barthélémy M., Op. cit., 2000, p. 168-169.

133 Sur la distinction entre service et service public, voir Gadrey J., Zarifian Ph., L’émergence d’un modèle du

service : enjeux et réalités, Eds. Liaisons, Coll., Entreprise & Carrières, Paris, 2002, 162p., p. 19-56. 134 Chauvière M., Op. cit., 2004, p. 41.

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animateur, assistante sociale, infirmière, enseignant FLE (Français Langues Etrangères), etc.). Au-delà de ses différences internes qui ne sont plus à démontrer136, le secteur social connaît depuis 1986 (date de création des instituts régionaux du travail social – IRTS – en France) si ce n’est une unification des référentiels de compétence et de formation, une homogénéisation des savoirs transmis137. On peut ainsi dessiner une certaine idéologie portée par le secteur du travail social actuel, que l’on retrouve à différents degrés au sein du secteur associatif. On pourra ainsi constater une proximité dans les modes d’action, les façons de définir et caractériser un problème comme tel, les références pratiques et théoriques qui renvoie à un idéal de service138 commun. De plus, les professionnels du travail social exercent de façon privilégiée dans le secteur associatif. A ce titre, l’étude d’Eric Robinet sur les animateurs socioculturels est intéressante en ce qu’elle montre non seulement la proximité mais véritablement l’émergence concomitante de ces deux mondes puisque « 72,4% [des animateurs interrogés par questionnaire] a déclaré avoir exercé leur activité dans le secteur privé non lucratif des associations. »139 Pour autant, il ne s’agit pas d’envisager le secteur associatif en doublon du secteur social. Nous verrons que le secteur associatif dispose de ses modes d’action propres et d’une capacité d’innovation et d’adaptation que n’a pas toujours le secteur social140. Par ailleurs, certaines activités transversales, comme le soutien scolaire, font cohabiter des professionnels ou ex-professionnels (bénévoles ou salariés) de tous types. Enfin, les deux secteurs vivent depuis plusieurs années des transformations semblables par l’introduction de (nouveaux) professionnels dits « issus du milieu »141 qui modifient tendanciellement leurs pratiques. Le secteur social pèse alors d’un poids non négligeable sur le secteur associatif mais il n’est ni son mentor ni son donneur d’ordre. Il est, selon les cas, un partenaire, un collègue ou un concurrent142.

A cela, s’ajoute la philosophie portée par les formations reçues qui conduit travailleurs sociaux et travailleurs associatifs à envisager leur métier de la même façon, en ce qu’elle guide les « mises en pratique ("bonnes pratiques"), le sens général de la pratique (éthique) et les recettes de survie du corps professionnel. Soit autant d’éléments qui constituent […] des

136 Verdès-Leroux J., Op. cit., 1978. ; Ion J., Ravon B., Op. cit., 2002.

137 Comme le rappellent Jacques Ion et Bertrand Ravon, on constate notamment « le développement de formations transversales aux différents métiers (notamment dans les IRTS et les IUT) ». Ibid., p. 85.

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Dubar C., La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin, Paris, (1991) 2000, 255p.

139 Robinet E., La dynamique des animateurs. Etude sociologique de la compétence professionnelle des

animateurs socioculturels, Thèse pour le doctorat de sociologie, Metz, 2003, 416p., p. 210. 140 Laville J.-L., Sainsaulieu R., Op. cit., 1997.

141 Dubet F., Op. cit., 2002, p. 269. ; Masclet O., La gauche et les cités. Enquête sur un rendez-vous manqué, La Dispute, Coll. Pratiques politiques, Paris, 2003, 316p.

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"identités de métiers" et […] le "soi professionnel". »143 Jeanine Verdès-Leroux rappelait en 1978 que l’intervention, la mission du travail social consiste « en une action globale à visée

éducative, c’est-à-dire recherchant une transformation des individus, de leur manière de voir,

de se comporter, de réagir, afin qu’ils s’insèrent mieux dans la société. Cette visée adaptative est constamment rationalisée en termes d’épanouissement du sujet qui est censé coïncider avec son utilité sociale. »144 Le travail social et le travail associatif en territoire dit sensible, qui peut se retrouver dans cette définition, sont pleinement des entreprises de services145 dans la mesure où ils tendent vers une transformation, si possible méliorative, de la personne concernée. En effet, rappelons avec Jean Gadrey, qu’« une activité de service est une opération, visant une transformation d’état d’une réalité C, possédée ou utilisée par un consommateur B, réalisée par un prestataire A à la demande de B, et souvent en relation avec lui, mais n’aboutissant pas à la production d’un bien susceptible de circuler économiquement indépendamment du support C. »146 Pour le dire en termes plus sociologiques qu’économiques, il s’agit de professionnels du « service personnalisé »147 qui se trouvent dans « une relation à trois pôles : praticien-réparateur, objet, propriétaire »148. La proximité de formation entre le travailleur social et le travailleur associatif fait que la nature de la relation de service entre le travailleur social et l’usager (ou bénéficiaire) relève du même ordre que celle qui s’établit entre le travailleur associatif et les usagers. Comme le rappelle Goffman, « théoriquement, la relation procède d’une double volonté »149 dans le sens où l’usager demande les services du professionnel de son plein gré et le professionnel, de son côté, accepte de répondre à la demande formulée par l’usager. Or, selon le service demandé, il semble que la libre adhésion nécessite d’être envisagée dans son contexte de production car cette libre adhésion, qui fonde le secteur associatif et la nature de l’échange au sein de celui-ci, s’opère dans un contexte sociétal qui établit la normalité sociale à l’aune de la bonne formation, de la bonne socialisation, de l’intégration et insertion sociale et professionnelle, etc. Pour autant, bien que les usagers ne soient pas toujours en position de décider une demande d’aide, de soutien, de formation, etc., il ne s’agit pas, comme le notait de façon excessive Verdès-Leroux, d’envisager les secteurs associatifs et sociaux comme des acteurs privilégiant la réalisation de leur propre intérêt (maintenir l’existence de leur secteur) en

143 Chauvière M., Op. cit., 2004, notamment p. 41.

144 Verdès-Leroux J., Op. cit., 1978, p. 104.

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Gadrey J, Zarifian Ph., Op. cit., 2002.

146 Ibid., p. 60.

147 Goffman E., Asiles, Les éditions de Minuit, Coll. le sens commun, Paris, 1968, 447p., p. 378.

148 Goffman E., Op. cit., 1968, p. 380.

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n’essayant pas de « porter remède à des maux sociaux » mais en se contentant de « détecter ces maux et de proposer des mesures d’encadrement »150. Cette vision des secteurs en question n’apporte qu’une analyse limitée des enjeux qui les portent. Certes cette dimension est à considérer mais elle vaut pour tant d’autres professions (que serait le médecin sans malades, l’enseignant sans élèves, l’avocat sans délinquants et criminels ?) qu’elle semble réductrice en occultant le second pan de tout acte de professionnels ou de militants à savoir un intérêt conjoint pour soi et pour les autres.

Parallèlement à leur formation proche et à cette philosophie de l’entreprise de service et de la relation de service qui les porte, ce qui lie travailleurs sociaux et associatifs est constitué par la nature complexe de leur recrutement. A savoir que ce qui « fait », comme on le dit couramment, le bon (c’est-à-dire apte et légitime) travailleur social ou associatif c’est certes sa capacité technique (ses qualifications et son expérience professionnelle, pourrait-on résumer) mais c’est également sa capacité à « être » ce travailleur dans ce secteur. Autrement dit, la dimension subjective de la personnalité de l’individu, évaluée à l’aune de ses qualités personnelles qui font qu’il/elle a la « fibre » ou pas, qu’il/elle est « fait(e) » pour ce métier c’est-à-dire qu’il/elle « est » tout simplement151, presque naturellement dans l’attitude adéquate (d’écoute, de compréhension, d’échange, d’aide, etc.). A ce titre, je poserai dans la première partie l’hypothèse selon laquelle ce qui fait la spécificité du secteur associatif, c’est son caractère hybride établi à partir du binôme salariat/bénévolat qui engendre une transformation du collectif de travail suivant un effet de vases communicants des attentes d’un

statut sur l’autre. Le recrutement dans le secteur associatif emprunte à différentes logiques et

stratégies qu’il s’agira alors de mettre en évidence (professionnalité, compétences, engagement, proximité pour les principales).