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Spontanément, l’image publique du secteur associatif est associée à des questions de don de soi, de générosité et d’altruisme, emblématiques de la figure du bénévole. La réalité associative est éminemment plus diverse que cela. La logique du don1 ne supporte que partiellement le secteur associatif. Sa professionnalisation et sa salarisation2 engendrent aujourd’hui une cohabitation de multiples statuts au sein des structures associatives construites autour du binôme central bénévolat/salariat, elles présentent une grande diversité de situations.

Usagers, bénévoles et salariés constituent un triptyque fondamental du secteur associatif. Ces rôles peuvent cependant connaître des interprétations variées : un usager peut être bénéficiaire, adhérent, membre (régulier ou permanent) ou encore sympathisant ; un bénévole peut être « de bonne volonté », « professionnel » ou « d’insertion »3 ; enfin, un salarié peut être permanent en CDI ou CDD ou via des dispositifs de la politique publique de l’emploi,

1 L’idée d’un don pur, dénué de tout intérêt, est remise en cause depuis les travaux fondateurs de Marcel Mauss qui envisage le don comme un échange. Le don se trouve entre intérêt et obligation. « Le don non rendu rend encore inférieur celui qui l’a accepté, surtout quand il est reçu sans esprit de retour. », p. 258. Mauss M., « Essai sur le don » in Sociologie et anthropologie, PUF, Paris, (1950) 1966, p. 143-279. Depuis, de nombreux auteurs ont contribué à la connaissance de ce phénomène social. On se reportera, entre autres, aux travaux suivants : Godelier M., L’énigme du don, Flammarion, Coll. Champs, Paris, 1996, 315p. ; Terestchenko M., « Egoïsme ou altruisme ? Laquelle de ces deux hypothèses rend-elle le mieux compte des conduites humaines ? », De la

reconnaissance. Don, identité et estime de soi, revue du M.A.U.S.S., n°23, 1er semestre 2004, p. 312-333. Sur les multiples logiques propres au phénomène du don, voir Godbout J. T., Le langage du don, Editions Fides, Coll. Les grandes conférences, Québec, 1996, 41p. ; Godbout J. T. (en collaboration avec Caillé A.), L’esprit du don, La découverte & Syros, Paris, (1992) 2000, 356p.

2 Sur cette question liant professionnalisation et salarisation du secteur à sa transformation structurelle et de son rôle social (d’un lieu de solidarisme pur à un lieu économique, de participation politique et de sociabilité élargie), voir entre autres : Archambault E., Le secteur sans but lucratif. Associations et fondations en France, Economica, Paris, 1996, 261p. ; Archambault E., « Les Institutions sans but lucratif en France. principales évolutions sur la période 1995-2005 et défis actuels », Communication au colloque ADDES, 7 mars 2006, 14p. ; Barthélémy M., Associations : un nouvel âge de la participation ?, Presses de Sciences-Po, Paris, 2000, 286p. ; Guitton C., Legay A., « La professionnalisation de l’emploi associatif. L’exemple des associations intermédiaires. » in Bref-Cereq, n°180, Marseille, nov. 2001, p. 1-4. ; Hély M., Le travailleur associatif. Un

salarié de droit privé au service de l’action publique, Thèse de doctorat de sociologie, EHESS, 2005, 470p. ;

Marchal E., La professionnalisation des associations, Thèse de doctorat de sociologie, Université René Descartes Paris V, 1987, 350p. ; Poupaux S., Tchernonog V., Truchot G., « Les associations sportives et d’éducation populaire dans le secteur associatif français en 2000 », Stat-info, Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, n°05-04, oct. 2005, 8p. ; ou encore Siméant J., Dauvin P., « La "professionnalisation" humanitaire comme réalité et comme enjeu », in Actions associatives, solidarités et territoires, Centre de recherche et d’études sociologiques appliquées de la Loire, Presses Universitaires, Saint-Etienne, p. 199-208.

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stagiaire, vacataire ou encore intervenant ponctuel, intermittent. Le mélange des statuts contribue parfois, comme l’analysent Lionel Prouteau et François-Charles Wolff4, à l’émergence d’hybrides tels les « bénévoles salariés » ou « bénévoles indemnisés ». Le bénévole n’est donc plus le seul acteur du secteur associatif ; et, sa professionnalisation fait que, quand bien même il serait un emblème représentatif du secteur, « le bénévolat n’exclut pas la conflictualité sociale »5. La vocation de bénévole, autrefois posée comme emblématique du secteur, oscille aujourd’hui, suivant le modèle de l’homme politique de Max Weber, entre l’idée de vivre « pour » et vivre « de »6. Et cette tension interne à toute vocation publique, fait écho à l’hétérogénéité du secteur, tous domaines considérés. Cette hétérogénéité existe en effet non seulement entre structures mais également au sein d’une même structure, selon l’axe, les modalités organisationnelles, l’objet associatif, les rapports institutionnels, les origines des fondateurs comme des personnels, etc. Bref, on constate tout à la fois une déstabilisation de la figure classique du bénévole et une recomposition de sa compétence et au développement du salariat dans le secteur associatif. Ce qui conduit certains auteurs7 à parler d’« entreprise associative » concernant des structures mobilisant les deux « dispositifs » : l’un (le bénévolat) relevant de l’association et l’autre (le salariat) relevant de l’entreprise8. La

quasi totalité (hors ISM-Est et Permanence Emploi, fonctionnant exclusivement avec du

salariat) du corpus constitué ici relève de cette appartenance bipolaire.

La forme contemporaine de l’investissement associatif. Vocation, militance et

plaisir

A la vocation semble avoir succédé une notion plus tournée vers l’individu bénévole lui-même : la notion de plaisir. Il faut que ça (le travail associatif) plaise. L’idée du sacrifice de son temps ou de soi ne semble plus être centrale ; ou plus exactement, elle est accompagnée

4 Prouteau L., Wolff F.-C., « Donner de son temps : les bénévoles dans la vie associative », Economie et

statistique, n°372, 2004, p. 3-39, p5.

5 Ion J., « Groupements associatifs et espace public », in Association et citoyenneté, Ecarts d’identité – n°83, juin 2001, http://www.revues-plurielles.org/zoom/zoom.asp?no_zoom=6&nom_theme=Association%20et%20citoyennet%C3%A9&numero_d etail=n%C2%B083. Voir également Caillé A., Produire les solidarités. La part des associations, MIRE, Paris, 1997.

6 Weber M., Le savant et le politique, Plon, Paris, 1959, 184p., p. 111 et suivantes.

7 Marchal E., « L’entreprise associative entre calcul économique et désintéressement », Revue française de

sociologie, XXXIII-3, 1992, p. 365-390 ; Hély M., Tchernonog V., « Les formes de l’action associative. Essai de

typologie à partir d’une enquête statistique », pp25-47 in Prouteau L. (sous la dir.), Les associations entre

bénévolat et logique d’entreprise, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2003, 211p. ; Alix N., Castro S., L’entreprise associative, Economica, Paris, 1990,228p.

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d’un plaisir personnel, et ce quelle que soit la formule de bénévolat (de bonne volonté, professionnel ou d’insertion). Altruisme et égoïsme s’associent.

« Je cherchais beaucoup en bénévolat, cette formule m’a plu et j’ai adhéré. Je ne suis pas parti moi avec l’idée de faire ça. Je suis parti avec l’idée de faire un bénévolat qui me convienne, que ce soit dans ce domaine ou un autre. » (Entretien bénévole La Passerelle, 17 février 2003) « si c’est bien vécu, si vous ne faites pas du bénévolat histoire de vous… de vous… si c’est pas

être utile pour être utile et en l’occurrence être utile en s’emmerdant, c’est pas la peine !

Mais si vous y trouvez votre compte euh… je trouve cette période particulièrement intéressante. D’autant qu’encore une fois je n’ai pas de contrainte et le jour où j’en ai marre de l’ADIE, je

ferai autre chose. » (Entretien bénévole ADIE, 22 mai 2002)

« Elle : ben j’sais pas mais moi, en tout cas, j’ai pas de contact par rapport à ça ! donc déjà c’est pas ce qui me motive de me sentir utile. Je fais pas les choses parce que je me dis… enfin pour

me donner bonne conscience ou parce que j’ai envie de me sentir utile quoi. C’est parce que

euh… oui, j’suis là mais c’est parce que je trouve que c’est important mais bon ! c’est pas ce qui me motive quoi tu vois ? Donc euh... oui effectivement je pense que c’est utile ce que je fais mais bon c’est pas… [Q. : qu’est-ce qui te motive alors ?] ben essayer de… ben j’sais pas [un intérêt social] voilà et puis ensuite par plaisir quoi !

Lui : faire avancer les petits quoi et puis faire plaisir, se faire plaisir

Elle : ouais. Voilà. Si ça ne me faisait pas plaisir, en tout si c’était juste pour l’utilité, je le

ferais pas. Mais c’est qu’en plus ça me fait plaisir et…

Lui : et puis ça va servir à quelque chose. Bon… ouais… y a les parents… y a des parents, ils ont du mal hein ! Ils arrivent pas… » (Entretien vacataires ATTM, 20 janvier 2003)

L’idée d’entrer en bénévolat, en association comme on entre en religion semble remise en cause au profit d’une rhétorique propre à l’« engagement distancié »9.

« ben je ne sais pas moi euh… ben non ! enfin… ouais… c’est… c’est vrai que c’est sympa… de faire partie d’un… d’un milieu associatif etc. et puis ben euh… enfin, moi personnellement j’entrevois ouais effectivement des… l’intérêt de la vie associative sur le quartier etc. donc euh… dans ce sens-là, je me sens militante euh… bon après, en dehors de l’ATT je me sens

militante déjà sur d’autres trucs mais enfin… je trouve que oui, c’est intéressant comme

démarche, justement de… ouais dans… dans la démarche militante en général, je trouve que c’est intéressant de faire de l’associatif…euh…enfin de cibler sur la vie associative dans les quartiers. » (Entretien vacataire ATTM, 20 janvier 2003)

S’agissant des salariés associatifs, on retrouve la même rhétorique justifiant leur engagement.

« Je suis salariée. Je suis salariée mais je ne suis pas salariée juste pour gagner de l’argent.

Non, c’est sûr que non. Il faut quand même avoir… il faut s’investir. Et il faut penser aux…

besoins du public que nous avons en face de nous. Euh… c’est surtout pour cela que nous avons vraiment départagé les publics. Je me suis battue à avoir des cours spécifiques pour le public Français Langues Etrangères et les très analphabètes parce que dans beaucoup de… euh… d’endroits, tout le monde a été mélangé. Alors moi, je trouve que avoir un analphabète et

9 Ion J., La fin des militants ?, Les éditions de l’Atelier, Paris, 1997, 123p. ; Ion J., Franguiadakis S., Viot P.,

quelqu’un qui a Bac+5 dans le pays d’origine, c’est vraiment pas ça ! […] Alors donc je dis que

notre rôle, notre vocation, c’était l’insertion sociale donc tous les sujets que nous avons

abordés avec les analphabètes, c’était des sujets pour les avancer dans… dans la vie… dans leur compréhension du système… dans la compréhension de… euh… et on… demander de l’information auprès des assurés. Par contre, euh…je ne dis pas que je suis militante pour le

public FLE parce que le public FLE n’a pas besoin de militants. [petit silence] Juste par

rapport aux papiers peut-être… […] Eh ! Je suis passionnée déjà ! je suis passionnée par l’apprentissage linguistique, par les cultures différentes. » (Entretien salariée02 CFQ, 10 décembre 2002)

« Moi, je me sens militante. Non, non, moi je me sens militante de cette association [rires]. Là, en ce moment, si je n’étais pas une militante, je pense que je serais restée dans mon administration ou… je crois que même là haut, on peut être militant. Non, moi je pense que je suis… enfin, oui, oui : je me sens militante de cette association. [I : Comment est-ce que ça se manifeste ?] Ben, si je reste déjà dedans,… enfin, si je suis simplement salariée, je viendrais

ici puis j’écouterais les gens et puis voilà. Mais là, je m’implique aussi par ailleurs. [I :

Avec les problèmes de gestion et tout ça…] Ouais, pis même, il faut parler des conditions de

travail ; on travaille également au niveau de la communauté de quartier par exemple. Bon, ben, on fait des choses en plus à coté… […] moi je travaille quand même dans une commission.

On travaille aussi avec les associations et il y a des choses en commun avec eux. [I : Et comment on peut concilier les deux : à la fois le travail salarié et la militance ?] Ben, quand je reçois les gens ici, je… j’estime que je suis dans un milieu où je travaille. Quand je suis dans des actions avec les autres, je pense que c’est une militante là. Quand on… et puis aussi le fait d’être venue

sur ce quartier, etc. quoi. [I : C’est un choix ?] Oui, c’est un choix. D’ailleurs, on me l’a reproché d’être militante, déjà dans mon travail, donc euh… à la limite… donc, moi je trouve

que c’est bien. Moi, c’est un compliment que l’on me fait.[…] Même le fait de faire vivre

une association… Je me sens bien militante. » (Entretien salariée mise à disposition La Clé, 09

décembre 2002)

« [I : « vous sentez-vous militante ? »] Oui. J’adhère pleinement au projet global de l’association, aux valeurs qui y sont véhiculées. Même si je ne suis pas bénévole, oui. Je suis déléguée syndicale également ici. On a une autre action que l’on développe, que l’on travaille en binôme avec les équipes Saint-vincent qui interviennent dans le cadre d’une coopérative alimentaire. Un militant, c’est quelqu’un de passionné qui défend des valeurs chères. Et puis, c’est un ensemble, par ailleurs, je suis bénévole dans d’autres structures : je suis administrateur d’une crèche et déléguée de parents d’élèves. » (Entretien salariée01 CFQ, 05 décembre 2002)

On voit que se dégagent du discours des acteurs différentes formes ou différentes manières d’être bénévole ou salarié associatif dans des structures implantées sur un territoire dit sensible. On note également la dialectique professionnalisation/déprofessionnalisation qui fait passer de la forme traditionnelle de l’investissement (la vocation) à l’affirmation du « mandat »10 ; le bien du public local, en même temps qu’il conduit à relativiser la rhétorique professionnelle du service comme sacrifice, don de soi. Il s’agit, comme le note Matthieu Hély11, de « rompre avec l’image d’Epinal d’un monde associatif incarnant un oasis de vertus

10 Hughes E. C., Le regard sociologique, Editions de l’école des hautes études en sciences sociales, Paris, 1996, 344p.

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dans un désert de cynisme et de rapports instrumentaux. ». Sans abandonner cependant l’idée de service rendu à la population, ceci confirme l’idée que l’implantation d’une structure associative sur un territoire dit sensible lui confère une identité singulière d’acteur politique et d’intervenant social. A l’idée, développée par Manuel Castells, d’une intervention créatrice de formes sociales (notamment territoriales) par l’interaction établie entre l’espace et la société12, s’adjoint celle d’une nécessaire personnalisation de l’action associative mise en œuvre, en fonction des ressources incorporées par les travailleurs en présence.