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Formes et rôles du salariat

Cas 2 : un dispositif plus formel

IV.3. Les enjeux du salariat associatif

IV.3.1. Une polyvalence persistante

IV.3.1. Une polyvalence persistante

Même si une division du travail existe et traduit des compétences différentes, notamment dans les grosses structures, la polyvalence est extrêmement présente et constitue une valeur en soi et une compétence professionnelle propre au secteur associatif118. Ce paradoxe, qui fait de la polyvalence une compétence spécifique, repose sur deux éléments propres au secteur : le

117 Entretien responsable ATTM, 24 mai 2002.

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premier tient à sa genèse bénévole (donc non professionnelle) qui a vu la mobilisation initiale et l’engagement d’un petit noyau de personnes non formées, qui ont donc dû apprendre à fonctionner par tâtonnement, en faisant « un peu de tout ». Ce petit nombre et cette absence de qualification originelle constitue une grande part de l’explication. La polyvalence est de fait particulièrement présente au sein des petites structures.

Le second élément qui explique cette situation est le mode de financement « par projet » qui ne rend pas possible le recours permanent à des professionnels spécifiques et ne permet pas non plus un recrutement aussi important que nécessaire. Bien que le secteur associatif ait connu une professionnalisation et une salarisation croissantes, associées à une implication dans les politiques publiques et une attribution experte, il n’a donc pas perdu son caractère « touche à tout ». Les acteurs associatifs tendent d’une certaine façon à compenser le manque de personnel par une polyvalence. A l’instar de la précarité et de la difficulté de pérennisation des emplois associatifs, la polyvalence reste la norme du travail associatif.

« moi, je suis déjà accueillante et puis trésorière de l’association. Et un petit peu… chef, quoi en fait (rire). Je ne sais pas… en lien avec… je suis en lien avec le groupe… plutôt relations

publiques » (Entretien salariée mise à disposition La Clé, 09 décembre 2002)

« Moi, je suis en alternance… j’ai pas de statut… Sur le contrat de travail, je suis animateur

mais en réalité j’ai la fonction, la charge de la coordination et de la gestion. Normalement, c’est un travail de directeur mais je suis animateur sur la fiche de salaire et je compte pas le travail ; et je suis responsable du dispositif "action jeunesse" donc – tout ce qui touche à

l’enfance et à la pré-adolescence et je suis responsable du dispositif "action culturelle" aussi,

à titre bénévole parce que… en fait je mène 80% du dispositif d’action culturelle et je m’occupe

de tout ce qui de l’aspect logistique et organisationnel : toutes les manifestations culturelles organisées par l’assoc. Et aussi par rapport au financement : tout ce qui est montage de projets, rapport avec les institutions et un peu au-delà, quand on a des points ponctuels, comme là on va bientôt déménager dans d’autres locaux. C’est aussi moi qui en ai la charge. La

gestion du personnel et des trucs comme ça. C’est un travail de directeur en gros quoi mais j’ai

été embauché ici comme animateur. Mais c’est pas… bon parce qu’on n’avait pas changé la feuille de salaire…je ne vais pas changer de salaire donc on ne va pas changer de contrat de travail mais au départ, j’ai été embauché comme ça et j’ai pas été restreint à cette activité quoi. Rapidement, je me suis aperçu qu’il y avait d’autres trucs à faire et donc je l’ai fait et puis

donc par défaut, voilà. […] t’es rendu précaire par le système de financement puisque tout est remis en question systématiquement d’année en année. Même les postes des gens : t’as

aucun poste fixe, etc. donc forcément ça… » (Entretien responsable ATTM, 24 mai 2002)

Ces deux extraits d’entretiens sont particulièrement symptomatiques de la polyvalence du secteur associatif. Le second extrait, notamment, met clairement en évidence le caractère subi de celle-ci avec les termes « par défaut » ou « t’es rendu précaire ». Une autre question centrale qui émerge de ces extraits est la question des temporalités. On voit nettement la succession dans le temps, à l’échelle des mois, des années mais également de la journée de

travail, des activités qui incombent aux travailleurs associatifs. Ils se retrouvent à faire différentes tâches selon des temporalités différentes. Un dernier élément est la question des statuts (bénévole et salarié) qui se mêlent au point de coexister en une même personne, selon des temporalités différentes. La polyvalence des activités aux enjeux politiques et économiques se trouve ainsi redoublée par celle des statuts. Cette situation ne se retrouve cependant pas uniquement au sein des petites structures, même si elle est exacerbée dans ces petites unités. Les grosses structures soulignent qu’« on leur demande » également d’être polyvalentes et de pouvoir répondre à un ensemble divers d’actions. Une responsable d’axe du CFQ, l’un des maillons de la tentaculaire APSIS, qui régit nombre des activités associatives du territoire de Borny (culture, éducation, formation, insertion linguistique, professionnelle et sociale, prévention spécialisée, régie de quartier, santé, sport) le confirme :

« Ma collègue Bénédicte, elle a formulé des projets mais pour le moment on n’a pas de réponse ! On ne sait pas ce qui va se passer ! […] Et ça veut dire que c’est un risque pour l’association de devoir fournir un salaire à tout le monde mais c’est aussi nous… on nous a demandé une plus

grande polyvalence d’intervention. C’est-à-dire d’être en capacité d’intervenir sur tous les types d’action qu’on va pouvoir avoir. C’est faire de l’apprentissage du Français Langue

Etrangère, de l’alphabétisation, de l’illettrisme, c’est faire du suivi individuel, c’est faire de l’accompagnement de groupe, du travail d’orientation, du travail de projet… c’est… le travail de valorisation de soi, … le travail de formation de l’animateur, euh… ça peut être de l’encadrement d’une régie de propreté. Donc avoir une polyvalence d’intervention dans le

collectif d’ensemble. Ça aussi, ils nous demandaient à la fois – comme c’est en CDI donc je

veux dire, on peut… – réfléchir plus amplement […] mais d’un autre côté, en échange, on nous

demande d’être d’une grande souplesse dans notre capacité d’intervention et de ne pas être

borné à un type d’intervention. C’est aussi quelque chose qu’on nous demande. (silence) mais c’est…on est toujours après les subventions… mais ça à voir avec les subventions… c’est pas un problème de formation mais c’est le problème de toutes les associations… qui entretiennent des actions. » (Entretien salarié 01 CFQ, 05 décembre 2002)

Instabilité financière et des partenariats, précarité de l’emploi et des postes, polyvalence sont donc trois caractéristiques récurrentes du secteur associatif. Cette situation est d’autant plus paradoxale aujourd’hui que le secteur associatif est devenu un acteur majeur des territoires. Il fait partie des dispositifs de politiques publiques, principalement de la Politique de la ville, et les politiques lui confient une tâche d’importance, le développement de la « cohésion sociale », tous domaines confondus, et de la démocratie locale. Il est d’autant plus important de pointer ce paradoxe que le salariat est une nécessité vitale pour toute structure qui recherche une stabilité et la reconnaissance de son expertise.