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Pour une ethnographie d’un quartier dit sensible

II.2. Le cadre de l’observation

II.2.2. Le quartier dont on parle : sa dimension territoriale

II.2.2.1. Des contours géographiques

Ce « quartier dont on parle » est implanté dans la zone Est de la commune de Metz. Il se divise géographiquement en deux secteurs : une grande zone de plateau regroupant les secteurs d’Actipôle, des Hauts de Blémont et du village de Borny d’une part et autour de la vallée de la Cheneau, à l'ouest, un secteur légèrement en pente vers le site de Belletanche d’autre part. Le quartier s’étend sur 441 ha (soit 10,6% de la superficie totale de Metz) avec au dernier recensement de 1999, une population estimée à 15 003 habitants (soit 12,1%329 de la population totale de Metz) et une densité de population s’élevant à 3 882 hab/m². Entre 1990 et 1999, la population du quartier a diminué de 4,9%. Enfin, le parc de logements représente environ 6 000 logements (dont 4 000 logements sociaux), soit 10,3% du nombre de logements de la ville330. Il est donc un quartier d’une commune de taille moyenne (environ 120 000 habitants331) et ne connaît pas la même dimension que les célèbres Minguettes de Vénissieux et Vaulx en Velin332, la Courneuve333, les Quartiers Nord334 ou encore le Mirail335.

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Di Méo G., « De l’espace subjectif à l’espace objectif ! l’itinéraire du labyrinthe », L’espace géographique, n°4, 1991, p. 359-373, p. 359.

329 L’un des interviewés remettait en cause ce chiffre au titre de la présence de clandestins non répertoriés (par définition) par l’INSEE. Il indiquait, augmentant la proportion officielle et sans plus de preuves que son expérience et son ancienneté : « 15% officiellement mais presque 20% [de la population messine] en comptant les clandestins que l’on peut chiffrer entre 3 000 et 5 000. », Entretien éducateur Club de prévention APSIS, Dimitri, 16 mai 2002. Il est important de l’entendre en gardant les précautions d’usage en de telles circonstances.

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Source : exposition à la mairie annexe de Borny appelée La révision du plan local d’urbanisme. Cette exposition, qui s’est tenue du 14 janvier au 14 février 2005, présentait l’état d’avancement du projet pour le quartier ainsi que quelques données de présentation générale du quartier (historique, composition actuelle, difficultés, etc.).

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Précisément 123 704 au recensement de 1999 (chiffres qui nous serviront à la démonstration) et 124 300 en 2004.

332 Situés dans la grande banlieue lyonnaise qui compte près de 450 000 habitants.

333 Situé en Seine-Saint-Denis qui compte presque 1 400 000 habitants, dont plus de 35 000 pour la seule Courneuve.

334 Situés à Marseille qui compte plus de 800 000 habitants.

Ce territoire ne constitue pas une enclave, au sens classique du terme336, dans la mesure où, situé en proche banlieue, on ne peut pas dire qu’il soit coupé du centre de la ville. Les moyens de transport y sont largement représentés et les deux lignes de bus (11 et 1-21-31) qui desservent le quartier et qui le relient directement à une autre commune (Woippy, située à proximité de Metz Nord-La Patrotte) ainsi qu’à d’autres quartiers non étiquetés « sensibles » (Moulin-lès-Metz et la Grange-aux-Bois) sont celles qui comportent la plage horaire la plus étendue, offrant des « services tardifs »337. De plus, les voies rapides et bretelles d’autoroute qui jouxtent le quartier ne sont pas non plus des constructions séparatives, même symboliquement. Ainsi ne peut-on considérer le quartier comme objectivement ou symboliquement enclavé. Reste qu’à l’intérieur même du quartier des découpages se font sentir et certains espaces ont pu être qualifiés d’enclave (« le fond de Borny »338). Ainsi, loin de constituer une entité monolithique, le quartier de Metz-Borny ressemble davantage à un montage de « micro-lieux »339, qui tend à distinguer non seulement un « Borny choc » d’un « Borny chic »340 mais plus finement encore, suivant un processus que l’on nommera processus de nanoterritorialisation, un découpage ségrégatif entre îlots, « barres », rues voire entre cages d’escaliers. De sorte que parler du quartier sur un mode unilatéral reviendrait non seulement à trahir la composition et l’organisation de celui-ci mais également à caricaturer l’analyse. Aussi, l’argumentation développée ici s’évertuera-t-elle le plus possible à préciser les espaces dont il sera question.

Pour préciser encore davantage le positionnement du quartier dans un espace plus large, la carte suivante (voir page suivante) montre combien le quartier est totalement intégré spatialement au reste de la ville et de l’agglomération messine.

336 Enclave vient du latin inclavatus qui signifie enfermé. En géographie humaine, elle constitue un morceau de terre totalement entouré par un territoire étranger.

337 En départ et en arrivée dans le quartier à 22h, 23h et 00h.

338 Expression mobilisée par plusieurs interviewés.

339 Wacquant L., Op. cit., 2006, p. 179.

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Carte de Borny

Aux abords, on trouve ainsi trois quartiers principaux de Metz qui ne constituent pas des territoires dits sensibles, au sens administratif du terme : la Grange-aux-Bois (sur la carte : en bas à droite), Vallières (en haut au centre) et Saint-Julien-lès-Metz (en haut à gauche), qui constituent des quartiers plutôt résidentiels, cossus de l’agglomération, aux caractéristiques

différentes de Metz-Borny. Cette proximité spatiale contribue là encore à ne pas définir le quartier comme une enclave urbaine de la ville. Par ailleurs, on le verra, Metz-Borny est cerné d’espaces économiques et technologiques importants puisque traverser le boulevard de la défense nous mène à la zone d’activité Actipôle constituée de divers espaces commerciaux de tous ordres (hypermarché, magasins spécialisés dans l’alimentation, l’automobile, le jardinage, le bricolage, etc.) et d’entreprises (de maçonnerie, de vente en gros comme au détail, d’électroménager, usine Citroën installée depuis 1968, etc.) ainsi qu’au Technopôle 2000, constitué d’un ensemble important d’espaces de bureaux, d’entreprises liées aux (télé)communications (téléphonie, audiovisuel avec notamment l’implantation d’une antenne de la télévision locale RTL9, etc.) et d’institutions scolaires (le Lycée de la communication mais également un site universitaire destiné aux sciences de l’ingénierie, aux sciences dites dures, un grand nombre d’IUT et de grandes écoles telles que Georgia Tech, etc.). Autrement dit, il existe une proximité à l’économie et à l’institution scolaire qui ne tend pas à ségréguer l’espace.

Pour autant, bien que cet espace ne constitue pas un espace coupé du reste de la ville, le rapport centre-périphérie contribue à instaurer un lien particulier entre le quartier et le reste de la ville dans la mesure où « rien n’oblige les habitants des autres quartiers à venir à Borny »341. Le seul espace identifié comme transversal à l’ensemble de la ville est la médiathèque. Située au cœur du quartier, elle véhicule un message transitionnel puisqu’elle est fréquentée à moitié par des « extérieurs » au quartier. Elle constitue ainsi un lieu privilégié, très souvent mobilisé par les structures associatives pour « travailler l’image du quartier »342 par l’exposition d’actions positives menées auprès de la population, notamment jeune, du quartier. Hormis cet espace et les quelques « extérieurs » qui fréquentent le marché bi-hebdomadaire (les mardis et vendredis), aucun autre lieu ne tend à « faire venir des gens sur le quartier »343. Ainsi, toute démarche administrative, toute requête institutionnelle se gère au centre ville. Les seuls espaces administratifs sur le quartier sont représentés par la mairie de quartier, située depuis sa rénovation au début des années 2000 aux abords de la

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Comme on l’entend souvent dire par les acteurs de terrain.

342

Comme le dit, entre autres, le président de La Passerelle : « nous, on veut changer l’image. On veut travailler sur l’image de Borny. ». Entretien, 15 avril 2002.

343 « Alors moi aussi, on m’a dit, par rapport à ce que je fais que j’étais pas objectif ; alors je leur ai dit que j’étais tout aussi objectif que la presse locale : elle, qui ne montre que des histoires négatives et moi, qui ne raconte que des histoires positives. Nous, on est là pour valoriser ça et c’est tout, on ne fait que relater des faits à travers ces expos, par exemple. Il faut quand même bien penser qu’un jour il va falloir faire quelque chose pour ce quartier […] Pour ceux qui veulent faire quelque chose, il faut venir dans le quartier, il faut discuter. », Entretien président La Passerelle, 15 avril 2002.

médiathèque, le commissariat, situé au cœur du quartier « choc » et un bureau de Poste, situé au centre de l’une des grosses artères du quartier.