• Aucun résultat trouvé

Formes et rôles du bénévolat

III.2. Deux rôles principaux : entre « autonomie » et « soutien »

III.2.1. Les bénévoles autonomes

Les bénévoles autonomes, responsables de leurs actions et à l’origine de la conception et des choix des modalités de mise en œuvre de celles-ci constituent en effet une fraction mineure du bénévolat total. Sur l’ensemble du corpus, seuls deux responsables évoquent la présence de bénévoles autonomes. La première, responsable de l’ADIE signalait que sur les neuf bénévoles de l’équipe, six appartiennent au CA et gèrent les dossiers collégialement en collaboration avec les salariés à l’origine du montage du dossier, deux autres font du suivi avec son soutien et un dernier est « polyvalent », selon son propre terme, et gère les partenariats, les suivis, les permanences, etc. Ce qui justifie la place privilégiée qu’occupe ce bénévole, c’est qu’il est pré-retraité du secteur bancaire. Il appartient donc clairement à la forme du bénévolat professionnel compétent qui dispose des mêmes attributs de légitimité et de compétence que les salariés. L’autre responsable, celui de l’ATTM, évoquant les « bénévoles autonomes », signale lui aussi le caractère exceptionnel de ces derniers. Il dit en avoir « eu un » sur l’ensemble de ses personnels :

« on en a eu un qui s’est impliqué de manière autonome dans la tâche qu’il avait à mettre en place puisqu’il avait eu envie de mettre en place un atelier de construction de modèles réduits et

il avait les compétences, etc. donc lui, il a fait son truc tout seul et il a mené son projet du

début à la fin en étant autonome mais la plupart du temps, les bénévoles, ils interviennent en

soutien. Ils vont accompagner en tant qu’accompagnant sur les groupes etc. mais ils vont pas

forcément participer à […] l’élaboration du programme. » (entretien responsable ATTM, 24 mai 2002)

Le caractère exceptionnel de l’autonomie des bénévoles est patent et témoigne de la hiérarchie et de la division du travail (chapitre V) qui existent au sein des structures associatives. Ils sont bien davantage « soutien » ou « démultiplicateur des forces salariées », pour reprendre l’expression d’interviewés. On verra par la suite que cette répartition et cette diversité des rôles tend à orienter la construction des missions des structures.

III.2.2. Les bénévoles « soutiens » ou « démultiplicateurs des forces salariées » Le faible nombre de salariés comparativement aux bénévoles, dans certaines structures, tend à qualifier les bénévoles de « démultiplicateurs des possibilités » ou des forces salariées. En cela, il s’agit pour eux de remplacer, de compléter, de prolonger l’action des salariés.

« y a de l’accueil. Y a de… l’activité commerciale de terrain euh… euh… dans le sens vente, recherche de prescripteurs, contact avec les prescripteurs. […] il faut savoir qu’à Metz, […] c’est une antenne qui est relativement récente donc il n’y a pas énormément de… de bénévoles. Bon… puisqu’à l’échelon national, il doit y avoir cent permanents et disons quatre cents ou cinq cents bénévoles. Donc là on est plutôt… un ou… euh… un bénévole et demi ou quelque chose comme ça… ou deux bénévoles et demi ! […] y a un rôle de coordination. Donc y a tout ce qui comporte la vie de crédit sauf son…sauf son instruction. Par contre et c’est un rôle essentiel des bénévoles aussi : c’est la décision de suivre ou non le projet déposé… comme je fais partie du comité de crédit [pour le financement du projet déposé]. Hein ! parce que là, ce ne sont pas les salariés… ce ne sont pas des… permanents qui… mais disons que c’est plus… en fait euh… avec Colette mais c’est peut-être un peu spécifique sur… sur Metz parce que… on n’est pas dans une grande structure. C’est plutôt euh… une démultiplication de ses possibilités euh… d’aller faire une réunion à l’ANPE euh… » (entretien bénévole ADIE, 22 mai 2002)

A l’image de « bras armé du service public » qu’évoquait le responsable de l’AIEM pour qualifier le rôle des structures associatives, on peut dire que les bénévoles sont aux salariés ce que les structures associatives sont au service public, leurs bras armés, leur prolongement. Ils sont les « soutiens », démultiplicateurs de forces et, en cela, ils ont un rôle défini comme un complément « indispensable ».

« [I. : quelle différence vous faites entre le travail du bénévole et le travail du salarié ?] ben ici,

ils se complètent. Mais si c’est en terme général… [silence] ben… les… on va dire les ONG

entre guillemets euh… font partie du paysage de… de la vie du monde. Je ne sais pas, non ? Euh… si vous n’avez pas des gens qui font… du bénévolat dans le sens euh… [silence] le

bénévolat est un complément euh… reconnu euh… de… de l’action politique, non ? Ils sont indispensables ! […] mais je sais pas mais… mais… mais les bénévoles euh… complètent les

salariés et aussi l’ADIE est un bon exemple… euh… si y a pas de salariés, les bénévoles ne

peuvent pas obtenir de crédit. C’est pas leur job ! Et l’ADIE ne peut pas emmener ça si elle n’a pas de bénévoles ! Et je crois que le but euh… là aussi, ça doit être dans le plan triennal

euh… il y a un développement qui est beaucoup plus appuyé sur les bénévoles que sur les salariés parce que les salariés, ils ont… probablement moins… besoin d’être montrés quantitativement en nombre parce que… l’informatique a transformé, parce que je ne sais pas quoi… par contre les bénévoles, pour courir après euh… euh… j’allais dire courir après les

clients… pour être partout euh… de manière à… à accroître la notoriété et rendre service aux gens et avoir… aboutir au rôle qui est défini qui est d’aider les gens à se… à s’en sortir euh… des bénévoles, y en a jamais assez ! [...] sous l’angle de l’ADIE, c’est très net ! parce que l’un ne va pas sans l’autre. » (Entretien bénévole ADIE, 22 mai 2002)

Cet extrait indique deux éléments constitutifs du rôle du bénévole, attaché au salarié (puisque « l’un ne va pas sans l’autre ») : d’une part, un rôle de porte-voix, qui va faire passer l’information et contribuer ainsi à faire connaître la structure, son objet, ses modalités d’action et permettre également d’asseoir une certaine légitimité de la structure par cette opération de diffusion massive de son action ; d’autre part, le bénévole permet d’agir plus largement par le renfort qu’il constitue pour les travailleurs salariés. Par sa gratuité, il soulage le coût en matière de personnel de la structure et il autorise ainsi la prise en charge et le suivi d’un nombre d’usagers plus important. Alors cette position de remplaçant gratuit, si l’on peut dire, n’est pas sans générer quelques tensions, notamment en matière de droit du travail. Ainsi entend-on parfois des critiques en direction du bénévolat, qui « boufferait » l’emploi de salariés potentiels.

« Moi, quand j’étais en activité, j’ai jamais été défavorable d’une manière déclarée mais j’ai

jamais favorisé ce genre de trucs parce que je partais du principe qu’il bouffaient le pain des gens qui étaient en activité. Et il y a quelque chose de contradictoire. Alors j’en connais

plusieurs et tous me disent "oui mais nous, on fait ce que les autres veulent pas faire". Ça c’est l’argument. Et c’est toujours les frontières qui sont difficiles à définir. […] Actuellement au niveau de La Passerelle, je peux parler des salariés et de non-salariés parce que l’emploi-jeune est trop minoritaire. Par contre, où je travaille… enfin je passe mon temps… parce que je fais pas que La Passerelle… à radio-Jéricho, la radio de l’évêché… et là, il y a beaucoup plus de salariés. Et en fait le problème c’est que les gens ont trop de travail donc les bénévoles sont

les bienvenus. Mais on a trop tendance, trop rapidement, à vouloir que le bénévole remplace le salarié. Et ça, c’est pas bon : un bénévole doit rester un bénévole. Un bénévole qui tend à travailler selon un rythme équivalent à celui d’un salarié c’est le gars, il a pas digéré sa retraite, il a pas digéré son temps libre. Quand vous êtes à la retraite, vous avez autre chose à

faire qu’à travailler à plein temps. C’est pas sain. » (Entretien bénévole 02 La Passerelle, 17 février 2003)

S’il est question de tensions, c’est que nous sommes face à l’un des paradoxes du secteur : discours et philosophie originelle marquée par le désintéressement, le don de soi d’un côté et le constat de l’existence de « rétributions » pour le travailleur associatif par ailleurs, quelle qu’en soit la forme : une occupation pour certains (un loisir utile), un emploi pour d’autres et cet investissement personnel des structures associatives par ces acteurs est ce qui fait dire à l’interviewé que « c’est pas sain ». L’existence de ces rétributions et les différents rapports possibles entre les bénévoles et le secteur tend à accréditer l’idée de pratiques plus ou moins légitimes dans ce(s) monde(s) associatif(s). Ici, ce bénévole expose l’une des déviations78 (le détournement personnel du service), moralement condamnable selon lui79. Si l’on considère

78 Tchernonog V., Hély M. in Prouteau L. Op. cit., 2003.

79 Ce qui renvoie à la tension analysée par Laurent Thévenot entre le régime de proximité et la grandeur civique, toujours envisagée comme plus légitime en matière d’engagement, a fortiori associatif. Thévenot L., L’action au

maintenant l’évolution du secteur associatif, indépendamment de toute réaction morale, il s’agit de se demander si la coprésence de ces deux statuts est une situation de mise en concurrence ou non des bénévoles et des salariés.

Il ne semble pas que l’on puisse parler de mise en concurrence : le plus souvent, ces deux statuts ne sont pas investis des mêmes rôles internes. La division du travail tend à pacifier les rapports qui pourraient être conflictuels entre ces deux groupes. On peut toutefois remarquer que le choix de recrutement se tourne prioritairement vers des bénévoles plutôt que vers des salariés. Il s’agit d’un effet d’aubaine pour les structures associatives, les bénévoles constituant un vivier de main-d’œuvre compétente, disponible et gratuite :

« Les moyens humains, pour l’instant, c’est moi ! Donc c’est quand même assez limité donc on a peu de moyens, donc l’objectif de l’année c’est d’augmenter le nombre de bénévoles. En France on a trois fois plus de bénévoles que de salariés, même si c’est pas à temps plein. » (Entretien bénévole ADIE, 22 mai 2002)

A aucun moment, cet interviewé n’évoque la possibilité, pour la structure, de recruter davantage de salariés pour effectuer le travail supplémentaire. Un système de financement qui institutionnalise la situation de précarité des structures associatives80 explique en partie ce recours prioritaire au bénévolat plutôt qu’au salariat. La précarité des structures est totalement intégrée par l’ensemble des personnels, bénévoles comme salariés, à tous les niveaux de l’organisation. L’intériorisation de la contrainte financière du secteur évacue, chez les personnels, l’idée d’un possible recrutement supplémentaire de salariés. Tous s’accordent en effet pour affirmer que leurs structures ne pourraient pas supporter ce coût supplémentaire. Ainsi, cela leur interdit de penser l’action des bénévoles comme une concurrence déloyale. Elle n’est que nécessité et bienfait pour le secteur puisque, sans eux, il ne serait finalement plus en capacité de développer les services proposés. La relation ainsi établie entre statuts a de lourdes conséquences sur les conditions de travail des personnels. En effet, on peut faire l’hypothèse d’un processus de transfert de compétences de l’un vers l’autre et vice versa, les exigences posées sur l’un rejaillissant sur l’autre.

Au final, on constate qu’une part croissante des bénévoles du secteur associatif relève du bénévolat professionnel. Les bénévoles « de bonne volonté » se retrouvent quant à eux essentiellement dans quelques rares structures qui leur confient des actions très spécifiques, ne réclamant pas un haut degré de technicité (le « coup de main »). Certaines structures

pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, La découverte, Coll. Politique et sociétés, Paris, 2006, 310p.,

Chapitre 8 « Faire entendre une voix : engagement dans les mouvements sociaux », p. 213-225.

80

préfèrent d’ailleurs ne travailler qu’avec des salariés afin de minimiser les risques d’absence, de moindre disponibilité, de manque de professionnalité, etc. Le bénévolat professionnel, moins massif, est également plus souvent impliqué dans l’équipe au titre de soutien ou de remplaçant et plus rarement dans une autonomie créatrice. Ces caractéristiques doivent être rapportées au contexte dans la mesure où la présence, sur ces territoires dits sensibles, de structures à dominante sociale explique en partie cette prégnance professionnelle.

Si salarié semble rimer avec professionnalité, le chapitre suivant mettra en évidence que le salariat associatif n’est pas moins multiple que le bénévolat.

CHAPITRE IV