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Formes et rôles du bénévolat

III.1. Les formes de bénévolat

III.1.1 Un bénévolat « de bonne volonté »

Comme le note Martine Barthélémy, « la « bonne volonté » est la condition de l’action collective. »46 Elle constitue en effet le requis à toute mobilisation et engagement. De pré-requis fondamental, elle peut en réalité constituer la seule « compétence » des individus mobilisés, sans que cela ne soit perçu négativement (comme une insuffisance) pour autant.

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Prouteau L., Wolff F.-C., Art. cit., Economie et statistique, n°372, 2004, p. 8.

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Le bénévolat de CA est en effet totalement éludé par les interviewés, comme si ces bénévoles n’étaient pas véritablement considérés comme tels. Ce constat du rejet des bénévoles de CA hors du bénévolat (considéré selon l’acception courante d’attitude altruiste pure) est également chose courante, dans la mesure où les bénévoles du CA « vont avec » la structure associative. On pourrait dire qu’ils « font partie des meubles » puisque sans eux, pas de structure associative. Ils en sont la condition sine qua non. Ils sont alors enfermés dans un rôle de gestion plus que de don de soi désintéressé. La passion, le militantisme, la fibre, etc. sont (injustement ?) exclus de leur univers. Ferrand-Bechmann D. Op. cit., 2000, p. 21.

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Cette terminologie – qui semble tautologique puisque le terme bénévole, issu du latin

benevolus47, « qui veut bien », signifie vouloir bien donc accepter d’agir, être disposé à agir, faire preuve de bonne volonté48, être « animé de dispositions favorables », être « bienveillant » (en italien, benevolo) – semble véritablement caractériser une forme de bénévolat. Si l’on veut caractériser ce bénévolat de « bonne volonté », à la lumière des entretiens et observations réalisés, il semble que l’on puisse l’assimiler à une fonction de soutien, de « bras » ou de « chaperons » supplémentaires. Plus précisément, il constitue véritablement le « personnel de renfort »49 nécessaire à l’action (sociale, éducative ou culturelle) mise en œuvre.

Ce bénévolat se divise en deux sous-groupes selon la temporalité et la taille de l’action menée c’est-à-dire qu’il se divise entre un « groupe restreint » attaché à la structure (comme les parents des enfants pris en charge notamment) et un « groupe élargi » attaché au territoire (le quartier) qui pourra être alors qualifié de bénévolat « de masse », bénévolat « logistique » ou bénévolat « conjoncturel » qui viendra en (double) renfort de la structure sur des actions qui se développent sur l’ensemble du territoire, comme la fête de quartier par exemple.

Cette précision établie, il reste que certains éléments distinguent les deux groupes considérés ici. Le « groupe restreint » constitue un bénévolat organisationnel, formel, attaché à la structure sur le long terme (une année voire davantage). Il est, le plus souvent, dépourvu de compétences ou d’expérience formalisée (entendue comme relevant du travail associatif ou social en général) à l’entrée dans la structure – bien que disposant d’autres compétences propres. Ainsi suit-il bien souvent une formation sur le tas dans le cadre de la structure par les salariés. Cependant cette formation prend la forme d’une initiation aux « trucs », pratiques et représentations de la structure, bien plus que d’une formation au sens diplômant du terme. Cette formation est de la sorte difficilement transposable à d’autres structures dans l’éventualité d’un recrutement professionnel. Le recrutement comme bénévole ne relève donc pas d’un processus sélectif en termes classiques s’appuyant sur des critères qualifiants du type du diplôme ou de l’expérience professionnelle. Par contre, l’individu peut être doté de ce que l’on peut appeler une compétence territoriale qui pourra être prise en considération pour son recrutement. Qu’entend-on par compétence territoriale ? Il s’agit d’un processus de naturalisation des compétences du seul fait de l’inscription géographique de l’individu. Ce

47 Sur ces précisions terminologiques et la comparaison entre le bénévolat et le volontariat, voir Halba B., Op.

cit. 2003.

48 Ce qui le rapproche du volontaire, qui est un terme qui renvoie à un autre statut récemment contractualisé en France par le statut et le contrat de volontariat. Sur ce positionnement du volontaire à la frontière du bénévolat et du salariat, voir Hély M., Op. cit., principalement le chapitre 2, 2005.

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processus opère sur le même mode que la construction de l’« instinct maternel »50 des femmes qui institue la compétence à élever et éduquer les enfants du seul fait de l’appartenance de genre ou encore de la construction de certains métiers dits féminins pour lesquels les qualités dites féminines (de précision, de délicatesse, de patience, etc.) sont érigées en compétences naturelles51. Ici, le seul fait de résider sur un territoire dit sensible est constitué en compétence en soi, tout aussi légitime pour occuper un poste qu’un diplôme du travail social ou une expérience de longue date. Ce processus s’est incarné officiellement à la vue de tous en la personne du « grand frère », des « médiatrices interculturelles » ou des « personnels d’ambiance » dont la compétence était, dans ces cas, sociale et ethnique52.

Le « groupe élargi » (ou bénévolat « de masse », « logistique », parfois appelé bénévolat « informel 53» ou bénévolat « conjoncturel 54») est mobilisé par l’association à l’occasion d’évènements marquant le quartier. Il s’agit d’une participation plus ponctuelle même si l’attachement à la structure et au quartier se mesure sur le long terme. Le « coup de main » apporté émane quasi exclusivement du territoire considéré. Les seuls « extérieurs » – les non résidents si l’on peut les nommer ainsi – qui fréquentent les évènements et/ou qui donnent un « coup de main » sont soit des militants (politiques, syndicaux) soit des professionnels intervenant dans le quartier (enseignants, infirmières, etc.), donc des individus ayant une attache au quartier comme lieu de militantisme (diffusion de tracts sur la place du marché, porte-à-porte, discussions informelles et diffusion de programmes électoraux) ou comme lieu d’exercice d’une activité professionnelle (école, hôpital à proximité)55. Ce bénévolat est véritablement pensé sur le mode du « coup de main », de « mettre la main à la pâte » sans réflexion attachée à la structure. La logique de cet engagement ponctuel tient à une proximité

50 Sur l’histoire de la construction sociale récente de ce sentiment, voir Badinter E., L’amour en plus, Livre de poche, Paris, (1980) 2001, 472p.

51 Sur cette logique de naturalisation des compétences dans le cadre de métiers dits féminins (secrétaires, couturières, ouvrières, etc.) voir entre autres Maruani M. (sous la dire.), Femmes, genre et sociétés. L’état des

savoirs, La découverte, Paris, 2005, 480p. 52

Sur ces différents « nouveaux métiers », voir entre autres Delcroix C. (sous la dir.), Médiatrices dans les

quartiers fragilisés : le lien, La documentation française, Paris, 1996, 136p. ; Dubet F., Le déclin de l’institution,

Seuil, Coll. l’épreuve des faits, Paris, 2002, 421p., notamment p. 269-302. ; Ion J., Ravon B., Les travailleurs

sociaux, La découverte, Coll. Repères, Paris, 2002 (6ème éd.), 120p., notamment p. 55-62. ; Soulet M.-H., Les

transformations des métiers du social, Eds. Universitaire de Fribourg, Fribourg, 1997, 314p. 53

Amadio S., Engels X., Jory H., L’association fait-elle partie de l’économie sociale et solidaire ? Rapport commandité par la Délégation interministérielle à l’innovation sociale et à l’économie sociale, piloté par le Préfecture de la région Lorraine (Secrétariat général pour les affaires régionales), Convention DIISES-Lorraine n°24, in Cahiers de recherche de la MIRE, n°16, avril 2003, p. 55. Voir également Prouteau L., « Les différentes façons d’être bénévole », Economie et statistiques, n°313, 1998, p. 57-73.

54 Amadio S., Engels X., Jory H., Ibid., p. 66.

55 Ce constat est le résultat de l’observation de rencontres organisées sur le quartier. Une personne ressource, interviewée par ailleurs, m’accompagnait et m’indiquait le « titre » d’éventuels « extérieurs » présents.

amicale, familiale, interpersonnelle à la structure ou au quartier. Cela renvoie à la logique de l’entraide familiale.

Quel que soit le groupe (restreint ou élargi), on constate que le recrutement de cette part importante du bénévolat est faiblement « critérisé ». La raison principale tient à ce que ce bénévolat est entièrement encadré par des salariés des structures.

« une grosse partie de bénévolat qui peut… qui soutenait toutes les actions qui étaient gérées par des relais professionnels quoi. » (Entretien président AJB, 07 mai 2002)

Il vient principalement en soutien, pour des actions à faible technicité : encadrement, surveillance, « coup de main » :

« je suis arrivée en tant que bénévole parce que j’avais su qu’ils avaient besoin d’un coup de main donc euh… déjà c’était pas… on parlait pas de sélectionner quoi euh… » (Entretien vacataire ATTM 20 janvier 2003)

Néanmoins, « un minimum » est exigé. Prenons l’exemple de la vacataire précédemment citée : elle est étudiante en licence de lettres modernes à l’université et est venue à l’ATTM après avoir su par des amis que la structure était à la recherche de personnes pour l’aide aux devoirs en direction d’enfants allant du cours préparatoire à la troisième. Son profil n’est donc pas celui du tout venant. Et même si, comme le dit l’un de ses collègues (vacataire, étudiant en licence de communication), semblant prendre la défense de la structure et rappelant la vision familiale de cette dernière

« c’est pas de cette manière [par entretien sélectif, qu’on embauche] On discute »,

il reste néanmoins qu’une base minimale est demandée. L’étudiante vacataire disait plus loin dans l’entretien :

« On ne peut pas prendre des personnes illettrées quoi mais… c’est sûr ! enfin… mais bon… ben ça… ils le savent tout de suite mais je sais… je sais pas c’est quoi le critère… la barrière quoi. ».

On constate donc que l’absence de visibilité des critères de recrutement ne signifie pas pour autant une totale inexistence de contrôle des compétences des bénévoles par l’équipe dirigeante. La discussion qui s’opère lors de la première rencontre entre le personnel et le

bénévole potentiel sert à transmettre « les petits trucs […] plus qu’une vraie formation… formelle » (étudiante vacataire). Cela préfigure de l’apprentissage sur le tas qui sera instauré afin de dévoiler les « trucs du métier » et la « routine »56 de l’équipe et du travail à mettre en œuvre.

« y a pas de formation. Ils nous jugent un peu… ils nous présentent surtout les gamins, les embrouilles enfin… ils nous disent qu’il faut demander à voir les cahiers de texte de tout le monde comme ça, ça permet de voir... » (Entretien étudiante vacataire ATTM, 20 janvier 2003)

L’attente en termes de savoirs et de compétences porte davantage sur la capacité du bénévole à faire face aux exigences de la situation que sur des compétences d’ordre professionnel dans le domaine de l’éducation ou du soutien éducatif. Reste cependant qu’un minimum est exigé. Ce minimum varie en fonction des structures et en fonction des objets de celles-ci : plus la structure a pour objet un domaine technique, pointu, plus ses exigences augmentent. Ce qui nous conduit à parler dans certains cas d’un « bénévolat professionnel ».