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Les universités sont aujourd’hui beaucoup plus libres dans leur gestion et dans leurs responsabilités qu’elles n’ont pu l’être il y a encore 30 ans. Cet état de fait est le fruit d’une longue histoire dont nous allons retracer les grandes lignes. La France a longtemps connu un système d’enseignement supérieur où les universités n’existaient pas ou de façon limitée, Charle (1994) parle à ce titre d’ « impossible université française ». Ce constat émane d’un fonctionnement facultaire avec des structures monodisciplinaires très présentes en France pendant une longue période de l’histoire. Pourtant les universités à leur création au Moyen Age sont très tôt devenues une préoccupation nationale dont les pouvoirs publics se sont emparés. L’harmonisation au niveau national était visée et les mesures prises

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sous l’Ancien Régime ont conduit à la création d’un cadre institutionnel contribuant ainsi à la diffusion d’une uniformisation sur le territoire.

La prise de pouvoir de Napoléon signe la création de l’Université impériale (1806 à 1808). Les réformes napoléoniennes qui suivirent maintiennent et confortent la dimension nationale et le rôle étatique. Elles standardisent les structures universitaires, ce qui suppose que les facultés soient identiques et dispensent le même enseignement. C’est à cette même période que le baccalauréat est reconnu comme premier grade universitaire (1807). L’Université impériale, cependant, est transformée dans une vision beaucoup plus utilitaire, la transmission du savoir et la production de connaissance n’en sont pas les fondations (Musselin, 2001).

Au-delà de la dimension centralisatrice des réformes, un des apports de cette période est « la création d’instances centrales de gestion des carrières » (Musselin, 2001) toujours valide à l’heure actuelle sous la dénomination de Conseil National des Universités (CNU). C’est là un tournant majeur dans l’histoire des universités et qui perdurera dans le fonctionnement jusque dans les années 1980. C’est l’origine de la cogestion étatico-corporatiste et de la gestion centralisé des carrières des enseignants. Les corporations auparavant universitaires font place à une structure verticale, scindant les disciplines en leur donnant une gestion interne qui a provoqué la perte de l’idée d’université, privée de toute autonomie (Musselin, 2001).

A travers la loi du 10 juillet 1896, l’université sera remise en avant dans l’enseignement supérieur français, elle permet « la réapparition, pour la première fois depuis la Révolution, du terme d’université dans le langage administratif français » (Renaut, 1995). Malgré ce renouveau, les universités françaises restent inexistantes en substance de la fin du XIXème et au cours du XXème. Les réformateurs cherchent à les réhabiliter sans pouvoir y parvenir réellement. Selon Musselin (2001), cette impossibilité est liée à la fois à l’absence de ralliement intellectuel, mais également au maintien de la double centralisation héritée des réformes napoléoniennes et au problème de la transformation des idées en actes.

Bien que recréées en 1896, les universités disposent d’une autonomie restreinte et la place des facultés est prépondérante. Une grande part du XXème siècle est marquée par l’échec de la renaissance des universités et par l’affirmation de la légitimité des facultés. Le caractère disciplinaire est au devant de la scène, à la fois dans la gestion des carrières, et dans la logique verticale des disciplines qui est renforcée notamment avec un gouvernement s’appuyant sur les facultés en opposition à des universités inexistantes.

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Ce n’est qu’avec la loi Faure, en 1968, que les universités réapparaissent, notamment à travers la création d’établissements supérieurs aux entités disciplinaires. C’est une loi décisive dans les transformations de l’enseignement supérieur. Pourtant la lenteur des processus et une gouvernance faible font entrer les universités dans une période où elles demeurent dans les faits sous une tutelle des disciplines. L’existence des universités s’établira sur le long terme, dans un premier temps au début des années 1970 avec le passage par une phase d’apprentissage organisationnel (Musselin, 2001) dans laquelle la mise en place des instances décisionnelles se politise. Les prises de positions engendrent des conflits qui nuisent à la direction des universités et empêchent les prises de décisions (Rémond, 1979). Une deuxième phase s’installe au cours des années 1980 où les non-décisions découlent cette fois de l’installation dans une anomie des établissements. Les instances souffraient des critiques et d’une vision très négative de leur fonctionnement ainsi que d’un faible engagement de la part de leurs membres. La gouvernance à la fois pour la présidence des universités et pour les directeurs des UER (unités d’enseignement et de recherche) n’était pas assez puissante pour pallier à la déficience des capacités décisionnelles des instances. Les limites institutionnelles de la loi Faure mais aussi de la loi Savary de 1984, qui s’inscrit dans la même voie, résident en partie dans le fait qu’elles ne remettent pas en cause l’organisation de double gestion par l’Etat et une corporation centralisée.

Les effectifs de la massification de l’enseignement universitaire ont donc été intégrés dans des universités dont le fonctionnement était encore dépendant d’une tutelle toujours « à l’écoute » des disciplines. Cette forte croissance a par ailleurs bouleversé l’offre de formation qui, jusque là, sous les principes d’uniformité et d’égalité, était constituée de formations homogènes, aux débouchés restreints et dont les contenus s’avéraient largement standardisés. Les universités se sont adaptées aux flux croissants des étudiants notamment en diversifiant les formations et en élargissant leurs prérogatives sur le terrain des grandes écoles. L’hétérogénéité de l’offre résulte pour partie de la création des filières supérieures courtes, des diplômes d’Université et des filières longues sélectives.

Cette diversité de l’offre et des publics va entraîner des réformes visant la prise en compte de cette nouvelle donne. En particulier, la loi Savary de 1984 qui, outre la redéfinition de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur, apportera également une réponse institutionnelle aux difficultés inhérentes à la massification, aux difficultés d’orientation notamment par la réforme des DEUG (Fave-Bonnet et Clerc, 2001). La réforme Bayrou en 1997 permet également d’entamer la prise en charge des difficultés de ces nouveaux étudiants face à l’apprentissage dans l’enseignement supérieur et au fonctionnement universitaire avec le développement du semestre initial, du tutorat, des stages d’accueil, des groupes de remise à niveau, des ateliers méthodologiques.

Dans ce contexte français, la donne européenne doit également être prise en compte. On ne peut en effet pas faire l’économie de la vision européenne qui intervient désormais dans les politiques

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publiques. Par ailleurs la croissance économique étant régie sur un espace européen et mondial, le développement de la formation supérieure se trouve nécessairement en proie à la volonté de s’inscrire dans cet espace et à la fois d’exercer un attrait pour les étudiants et parallèlement de pouvoir former les étudiants français à l’étranger. Depuis la fin des années 1970, les projets de coopération communautaire se développent. Bien qu’ils soient dans un premier temps des expérimentations de faible ampleur, ils sont un appui au développement d’une politique européenne. Les transformations qui inscriront l’enseignement universitaire français dans un mode de fonctionnement structuré par le LMD sont un renouveau majeur qui, dans les multiples effets attendus, permettront des modifications en termes de gouvernance et en termes de lutte contre l’échec.