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La massification de l’université et la diversification des profils d’étudiants sont à l’origine du développement du tutorat, qui vise à apporter une aide à la réussite à travers une approche individualisée (Barbier, 1996). Le développement du tutorat est dans un premier temps apparu sous la forme de tutorat d’accompagnement ou tutorat méthodologique au cours des années 1980/1990, avant une mise en place officielle et élargie à partir de 1996 (circulaire n°96-246 en 1996) et par la suite avec l’arrêté du 18 mars 1998 (Fornasieri, Lafont, Poteaux et Séré, 2003).

Les objectifs du tutorat sont multiples. Le tutorat permet un encadrement qui accompagne la transition entre le secondaire et le supérieur où l’autonomie déstabilise une partie des étudiants (Quéré, 1994). Il vise principalement à apporter une aide à la fois sur la maîtrise des connaissances et sur l’acquisition de méthodes de travail. Le Bulletin Officiel du 31 octobre 1996, quant au rôle du tuteur, préconise d’ « aider au travail personnel, aider au travail documentaire, donner son appui aux techniques d’auto-évaluation et d’auto-formation, permettre d’établir des relations de proximité entre les étudiants et leurs professeurs ».

Ces objectifs restent des directives globales dont les traductions dans les universités sont variées (Danner, 2000). Elles diffèrent en durée, en fréquence, mais également en pratiques pédagogiques et en outils et sont parfois le lieu d’innovations pédagogiques (Annoot, 1998). En outre, la mise en place

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du tutorat est dépendante des tuteurs, de leur formation, ou absence de formation. Annoot (1998) relève trois types de pratiques des tuteurs, ceux qui réitèrent un mode d’enseignement identique à ce qu’ils ont connu dans leur premier cycle, ceux qui « insistent sur l’acquisition des objectifs de maîtrise », et enfin, moins nombreux, ceux qui privilégient une approche méthodologique.

La diversité des pratiques et des conditions de mise en œuvre du tutorat s’observe entre les filières et entre les universités. Jarousse et Michaut (2001) relèvent des écarts en termes de durée annuelle de tutorat entre filières allant de 17,6 h en moyenne en psychologie à 47,1 h en moyenne en sciences de la vie ainsi que des écarts entre universités pour des filières identiques, par exemple en AES avec 16 h à Lyon pour 120 h à l’université d’Artois. Ces volumes horaires très disparates sont déjà le reflet de l’autonomie des universités qui sont libres d’organiser les modalités pédagogiques, leur volonté politique transparait alors à travers l’organisation du tutorat et les comparaisons intersites en montrent la variété. A l’échelle des filières, il est probable que les habitudes de fonctionnement souvent inhérentes aux disciplines se répercutent sur les modalités pédagogiques du tutorat. A ce titre, Jarousse et Michaut (2001) établissent une typologie des filières selon leurs modes d’organisation : les filières scientifiques par exemple se distinguent par une forte spécialisation, un volume d’enseignement important et une prédominance des enseignants statutaires. On peut imaginer que ces caractéristiques sont corrélées avec les conditions pédagogiques du tutorat.

La variabilité des dispositifs, l’hétérogénéité des pratiques pour la mise en œuvre du tutorat rendent les évaluations des dispositifs d’aide difficiles, notamment les comparaisons entre les universités. Les évaluations portent donc principalement sur les effets du tutorat au niveau local, au sein d’une université. Bien que les objectifs du tutorat soient pluriels : aide à la maîtrise de connaissances, soutien méthodologique, aide à l’intégration, à l’insertion ; les évaluations visent en général à mesurer l’efficacité par le biais de la réussite des étudiants aux examens, à savoir si les étudiants qui ont bénéficié du tutorat obtiennent de meilleures notes ou ont une probabilité plus élevée de valider leur année.

Les conclusions des différentes recherches sur la question du tutorat ne sont pas unanimes quant à son efficacité. En préliminaire, notons que, selon Annoot (1998), dont la recherche porte plus sur le rôle des tuteurs et l’appropriation du tutorat par les étudiants, les étudiants qui participent au tutorat ont des attentes différentes. Trois profils d’étudiants en ressortent, ceux dont la tendance est « réformatrice », qui ont plutôt tendance à se référer aux règles établies mais qui acceptent l’innovation. Ceux qui se servent du tutorat comme d’un service ponctuel, « les utilitaristes » et ceux qui ont une vision à plus long terme et qui trouvent dans le tutorat une forme « d’intégration » et « d’émancipation », ils ont « une tendance tournée vers l’autonomie ». Si les attentes des étudiants et leur utilisation du tutorat

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varient, le profit qu’ils en tirent sera conditionné par ces éléments. Il s’avère alors complexe d’établir quels gains font ces étudiants.

Danner (1999, 2000) propose une évaluation externe du tutorat en fondant son analyse sur les écarts de réussite10 des étudiants en première année. Une comparaison est établie entre les étudiants tutorés et les non-tutorés, à caractéristiques comparables. Elle constate de meilleurs taux de réussite « bruts » pour les tutorés dans cinq disciplines sur six évaluées (AES, droit, économie, géographie, histoire et sciences de la vie), seuls les étudiants tutorés de géographie réussissent moins bien que les non tutorés. Un effet de la fréquence de participation est observé avec un gain plus élevé pour une fréquence plus élevée. L’effet du dispositif reste significatif en prenant en compte les résultats aux partiels. Trois profils d’étudiants sont dégagés quant à leur probabilité de réussite à partir de leur réussite au premier semestre. Un premier groupe (« zone I ») se dégage, la moyenne des étudiants en faisant partie ne dépasse pas une limite en-dessous de laquelle l’échec est quasiment inéluctable. Un autre groupe (« zone III »), opposé, dépasse une moyenne limite au-dessus de laquelle la réussite est assurée. Au niveau intermédiaire se trouvent les étudiants les plus à risque et dont la réussite est incertaine (« zone II »). Il est intéressant alors de voir que la recherche montre des effets différenciés selon ces zones de risque. 20% des étudiants tutorés dont la situation prévisible était l’échec sont parvenus à modifier la tendance et à valider leur année. Ce résultat précise un effet positif du tutorat pour les étudiants en difficulté. Cependant, une analyse plus en détail montre que ceux qui ont plus profité de l’effet bénéfique du tutorat appartenaient à la zone II, des étudiants « moyens » donc (33%). Les étudiants les plus en difficulté dont l’échec était d’une très forte probabilité sont beaucoup moins nombreux (10%) à être parvenus à renverser la situation en faveur d’une réussite. L’ampleur de cet effet est variable selon les filières. L’effet net pour les étudiants ayant participé à au moins trois séances est un gain oscillant entre 0,10 point et 0,65 point sur la moyenne annuelle.

Une analyse entre différents sites a été menée par Michaut (2003) qui s’intéresse particulièrement aux effets de contexte. Il propose une évaluation du tutorat dans trois universités différentes (Dijon, Nantes, Toulouse) sur trois filières identiques (AES, psychologie, sciences de la vie et science de la terre). Les taux de réussite sont là aussi analysés en fonction de la fréquentation du tutorat. Les résultats bruts font ressortir des effets positifs du tutorat sur une large majorité des formations évaluées. Les analyses plus poussées amènent à relativiser ce constat et le bénéfice en termes d’amélioration de réussite n’est plus visible que sur trois formations. Les modélisations permettent d’identifier qu’à passé scolaire équivalent, la réussite est améliorée par le tutorat. L’élément qui parait crucial est que cet effet positif du tutorat disparait quand les comportements, notamment en matière d’assiduité aux cours, sont contrôlés. Michaut (2003) pointe que les étudiants qui participent au tutorat

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La réussite est mesurée par le biais des taux de réussite, réussite qui est effective avec l’obtention d’une moyenne supérieure à 10.

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sont aussi les plus assidus en cours, leur réussite tiendrait davantage dans leur comportement studieux, plus que dans l’efficacité du tutorat. Il est à noter qu’au-delà de l’effet sur la réussite, une analyse complémentaire montre que le tutorat ne permet pas non plus de diminuer les abandons (Michaut, 2002).

Le tutorat, tout comme les initiatives de remédiation plus locales montrent des effets variés, le bénéfice sur la réussite académique quand il est vérifié n’est pas univoque, l’effet ne semble pas très probant in fine. De la même façon que les dispositifs de soutien, d’accompagnement dans les niveaux inférieurs de l’éducation, il ressort des évaluations de l’efficacité du tutorat une difficulté à démontrer un effet net et conséquent de ce dispositif. La problématique de la population touchée (est-ce bien les individus qui en ont le plus besoin qui participent au dispositif) complète cette difficulté, déjà évoquées aux niveaux éducatifs inférieurs (Mingat, 1991b, Lambert et Suchaut, 2010). La question du ciblage de la population est une difficulté patente, les étudiants qui participent au tutorat n’étant pas spécifiquement ceux qui sont le plus en difficulté et les bénéfices du tutorat étant plus profitables aux étudiants moyens qu’à ceux en grande difficulté (Danner, 2000 ; Michaut, 2003 ; Borras, 2011). Ce ne sont donc pas les étudiants les plus faibles scolairement qui constitue la population des tutorés. S'ajoute à ce constat, le fait que parmi les étudiants les plus faibles ce sont uniquement des étudiants motivés (Borras, 2011), et des étudiants déjà enclins à fournir un travail universitaire (Michaut, 2003) qui sont présents. Ce phénomène réside dans le caractère facultatif du tutorat. La remise en question des modalités de fonctionnement du tutorat est engagée, le choix de le rendre obligatoire n’est pas tranché et ne rencontre pas une adhésion unanime. Une transition vers un tutorat dit « ciblé » est avancée (Raby, 2011), mais cette réflexion suscite de nouvelles questions, en particulier celle des critères retenus pour le ciblage des étudiants, celle de la stigmatisation ?

Une autre limite à l’évaluation de l’efficacité du tutorat est qu’elle porte principalement sur la mesure d’effets en termes de réussite académique, or le tutorat n’a pas pour unique objectif l’amélioration des résultats. La prise en compte du ressenti des acteurs apportent souvent des éléments positifs sur les conséquences d’une participation au tutorat, bien que non mesurables sur un plan scolaire. La question peut-être posée de déterminer quels sont les effets attendus. Cette étape encore floue du fait d’un cadrage national souple (Borras, 2011) serait nécessaire afin de circonscrire les attentes avant de pouvoir mesurer et conclure sur l’efficacité du tutorat.

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