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Encadré I : Interprétation des coefficients d’un modèle multivarié

I.2.2. Le paradigme des processus médiateurs

Pour une amélioration de la compréhension de l’échec universitaire en première année, nous privilégierons une autre approche qui se positionne dans le paradigme des processus médiateurs. Le postulat réside dans l’intégration de variables médiatrices, qui joueraient un rôle d’intermédiaire entre le processus et le produit. Selon Doyle (1986), « les variations dans les résultats de l’apprentissage des élèves sont fonction des procédures intermédiaires de traitement de l’information qu’ils déploient lors de l’apprentissage ». L’analyse porte alors au-delà de la mise en évidence de relation de cause à effet entre les comportements pédagogiques et les performances des élèves. Ce paradigme peut être illustré par le schéma suivant :

Schéma 2 : Le paradigme des processus médiateurs (Morlaix, 2009)

Dans ce cadre, il s’agit de prendre en compte « les processus humains implicites qui s’interposent entre les stimuli pédagogiques et les résultats d’apprentissage » (Levie et Dickie, cités par Doyle, 1986). C'est-à-dire qu’il s’agit de s’intéresser à comprendre dans quelle mesure les variations dans les résultats de l’apprentissage sont fonction de procédures intermédiaires de traitement de l’information que les élèves mobilisent au cours de l’apprentissage. Il est opéré, par ce paradigme, un déplacement de l’élément considéré comme central dans l’apprentissage. En effet, l’enseignant, dans le paradigme du processus-produit, est le facteur central, alors que c’est l’élève qui est mis au centre dans le paradigme des processus médiateurs. Par l’adoption de ce changement de positionnement, l’élève n’est plus dans l’attente de recevoir l’enseignement mais devient un élément actif (Doyle, 1986 ; Morlaix, 2009).

L’identification de processus médiateurs peut être établie lorsqu’il est démontré qu’une variable indépendante (VI) exerce un effet sur une variable médiatrice (VM) qui elle-même exerce un effet sur une variable dépendante (VD). L’effet de la VI est donc indirect et transite par la variable médiatrice. Si l’effet de la VM est annulé, on ne devrait plus observer d’effet de la VI sur la VD (Brauer, 2000). La démonstration qu’une VI influe sur une variable appelée médiatrice et sur une variable dite dépendante ne suffit pas pour conclure à l’existence d’une médiation. Certaines conditions doivent être respectées avant de montrer statistiquement une médiation. Avant de détailler ces conditions, précisons une distinction qui doit être faite entre la médiation et la modulation.

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I.2.2.1. Distinction entre la médiation et la modulation

La médiation intervient entre une variable explicative et une variable à expliquer, elle lie ces deux variables. Sans cette médiation, il n’y a plus de liaison entre les deux. La modulation, parfois confondue avec la médiation, existe pour sa part quand une variable modulatrice (V mod) nuance l’effet de la VI sur la VD (cf. schéma 3).

Médiation

Modulation

Schéma 3 : Distinction de la médiation et de la modulation

Dans le cas de la modulation, l’effet de la VI dépend du niveau de la variable modulatrice. Cet effet est l’équivalent statistique de l’interaction (Brauer, 2000). Il importe de bien identifier ces effets d’interaction dans les travaux sur un système complexe tel que le système éducatif. Plusieurs recherches ont déjà mis en exergue des effets d’interaction, par exemple entre la taille de la fratrie et le niveau socio-économique (Mingat, 1977). L’impact du nombre de frères et sœurs sur la scolarité est, dans cet exemple, dépendant du niveau socio-économique familial. Il est observé qu’une fratrie importante dans un milieu défavorisé influence négativement le déroulement de la scolarité, alors que ce n’est pas le cas dans un milieu favorisé. Les interactions sont donc une combinaison d’actions entre trois variables. Ce cas de figure n’implique pas que la VI et la variable modulatrice soient liées.

VI VM VD VI VD

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I.2.2.2. Les conditions d’une médiation

Brauer (2000) rappelle quelles sont les conditions nécessaires à la conclusion d’une médiation. Quatre relations doivent être démontrées pour y parvenir. La première est la démonstration d’un effet de la VI sur la VD. La seconde est que la VI a un effet sur la variable médiatrice. La troisième repose sur le fait que la variable médiatrice doit avoir un effet sur la VD quand l’effet de la VI sur la VD est contrôlé. Enfin, la quatrième condition nécessaire, condition sine qua non pour une médiation complète, est que l’effet de la VI sur la VD disparaît si l’effet de la variable médiatrice sur la VD est contrôlé. La validité de ces conditions se vérifie par trois régressions :

 Y= b0 + b1X

Cette régression vérifie la première condition.

 M= b0 + b1X

Cette régression vérifie la deuxième condition.

 Y= b0 + b1M + b2X

Cette régression est utilisée pour vérifier les conditions 3 et 4. La condition 3 est vérifiée si le coefficient b1 est significativement différent de 0. La condition 4 est vérifiée quant à elle si le coefficient b2 n’est pas significativement différent de 0.

La validation de ces conditions permet d’établir qu’il existe une correspondance avec le modèle causal proposé et qu’il est nécessaire de prendre en compte l’effet de la variable médiatrice. Pour autant, il ne peut être certifié que ce modèle reflète la seule vérité possible. L’élaboration de plusieurs modèles causaux doit être envisagée pour conforter le modèle causal initial. Lorsque le chercheur réussit à satisfaire les quatre conditions ci-dessus rappelées, il s’agit d’une médiation complète. Un autre cas de figure peut se présenter au chercheur, qui s’observe fréquemment, le cas où l’effet de la variable indépendante n’est pas transmis complètement par l’effet de la variable médiatrice. On parle alors de médiation partielle.

Une configuration de médiation partielle s’observe à partir du moment où la variable médiatrice ne canalise pas dans sa globalité l’effet de la VI. Une partie de l’effet de la VI est bien médiatisée par la variable médiatrice, mais une autre partie de l’effet de la VI s’exerce directement sur la VD. La quatrième condition de la médiation complète n’est pas satisfaite, l’effet de la VI sur la VD ne disparait pas totalement. Brauer (2000) postule alors que l’on peut s’attendre à ce que « l’effet de X sur Y diminue si l’on contrôle statistiquement l’effet de M sur Y ». Cet effet est considéré comme une condition nécessaire par Baron et Kenny (1986), ces derniers posent en effet comme condition de

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validation d’une médiation que l’effet indirect soit supérieur à l’effet direct, ce qui implique que le coefficient mesurant l’effet de la VI sur la VD diminue après contrôle de la VM. Le modèle causal d’une médiation partielle peut se résumer ainsi :

Schéma 4 : Modèle causal avec une médiation partielle (Brauer, 2000)

Il peut également être supposé que l’effet direct de la VI sur la VD résulte d’un effet médiatisé non connu, car non mesuré. L’effet direct supposé entre la VI et la VD pourrait en fait masquer une deuxième médiation. La médiation partielle serait le résultat de l’effet de deux variables médiatrices. La difficulté qui émerge est celle de l’identification du ou des processus médiateurs. Il convient là aussi de tester plusieurs modèles causaux avant de déterminer la fiabilité d’un modèle. Afin de déterminer les médiations partielles dans cette recherche, nous utiliserons l’analyse en pistes causales.

I.2.2.3. L’analyse en pistes causales

Afin d’approfondir les relations existantes entre les variables, l’analyse en pistes causales (ou path analysis) est privilégiée. Elle est un outil pour la modélisation causale (Myers et Hansen, 2007) et permet de dépasser la relation de cause à effet entre des variables indépendantes et une variable dépendante. Elle vise à déterminer par où l’effet d’une variable transite, c'est-à-dire par quel(s) chemin(s) (d’où une autre de ses appellations, l’analyse de cheminement), elle fournit donc une décomposition de l’effet produit (Meuret et Morlaix, 2006). L’analyse en pistes causales apporte deux informations qui seront utiles à l’analyse. D’une part, elle permet de mesurer l’effet direct et indirect d’une VI sur une VD et d’autre part, elle permet de considérer certaines variables à la fois comme dépendante et indépendante (Kline, 1998), statut qui varie selon leur positionnement dans le modèle causal.

L’analyse en pistes causales repose sur plusieurs hypothèses, i) la linéarité et l’additivité des relations entre les variables, ii) l’utilisation de variables d’intervalle standardisées, iii) l’asymétrie des relations

VI

VM

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causales, à savoir que l’analyse en pistes causales est dite récursive dans le sens où sont identifiées des variables de cause et des variables d’effets (Meuret et Morlaix, 2006).

La mesure des effets réside dans la décomposition de l’effet total qui est la somme de l’effet direct et des effets indirects. En adoptant une notation où la VI est x, la VM est m et la VD est y, les effets sont mesurés par les équations suivantes :

 L’effet total est le coefficient b1 dans y = b0 + b1x

 L’effet de x sur m, , est le coefficient b1 dans m = b0 + b1x

 L’effet de m sur y, , est les coefficients b2 à bi dans y = b0 + b1x + b2m1 + b3m2 +…+ b1mi

 L’effet direct de x sur y est mesuré par le coefficient b1 dans y = b0 + b1x + b2m + b3m +…+ b1m

L’effet indirect est obtenu par la multiplication de et . L’effet total se résume par :

La méthode de l’analyse en pistes causales permet d’obtenir in fine les coefficients mesurant les effets directs et indirects des variables et l’ampleur de l’effet de ces variables.

I.2.2.4. La présence d’une modulation et d’une médiation

Le chercheur peut être confronté à des analyses mettant en jeu deux variables indépendantes et chercher à comprendre dans quelle mesure ces deux variables interagissent sur une ou plusieurs variables. Il est alors potentiellement possible de se trouver dans un modèle qui fait intervenir à la fois la médiation et la modulation. A savoir que les deux variables indépendantes interagissent sur une variable médiatrice qui elle-même exerce son effet sur la variable dépendante. Ce modèle se configure de la sorte :

Schéma 5 : Modèle causal avec une modulation et une médiation (Brauer, 2000) VI

VMod

VD VM

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La vérification d’un modèle causal de ce type nécessite, comme pour la médiation, la vérification de quatre conditions à l’aide de trois régressions. Les conditions nécessaires sont i) que la variable indépendante et la variable modulatrice aient un effet interactif sur la variable dépendante, ii) que la variable indépendante et la variable modulatrice aient un effet interactif sur la variable médicatrice, iii) que la variable médiatrice ait un effet sur la variable dépendante si l’effet interactif de la variable indépendante et de la variable modulatrice est contrôlé et iv) que l’effet interactif de la variable indépendante et de la variable modulatrice sur la variable dépendante disparaisse si l’effet de la variable médiatrice sur la variable dépendante est contrôlé. Les régressions suivantes permettent de vérifier ces conditions :

 Y= b0 + b1X + b2Z + b3 (X*Z) pour la condition 1

 M= b0 + b1X+ b2Z + b3 (X*Z) pour la condition 2

 Y= b0 + b1M + b2X+ b3Z + b4 (X*Z) pour la condition 3, si le coefficient b1 est significativement différent de 0 et pour la condition 4 si le coefficient b4 n’est pas significativement différent de 0.

La mise en évidence des effets de médiation et des effets de modulation tiennent chacun un intérêt particulier. La modulation nous indique quand et sous quelles conditions l’effet mesuré se produit. La médiation, quant à elle, permet de savoir pourquoi et comment un effet se produit. Elle permet d’approfondir le mécanisme sous-jacent de l’effet mesuré. L’apport appliqué de la mise en évidence d’une médiation est de renseigner sur les leviers d’intervention envisageables pour agir sur l’effet produit, soit en vue de l’augmenter, soit en vue de le diminuer.

Le positionnement de cette recherche dans le paradigme des processus médiateurs et l’identification de processus médiateurs repose sur un choix résultant de plusieurs observations. L’hypothèse est sous-tendue par le fait que les variables avancées dans les causes de l’échec universitaire sont basées sur différents groupes de facteurs, entres autres les caractéristiques de l’individu et les variables relevant du contexte universitaire, mais qu’un paramètre intermédiaire n’est pas relaté dans le paradigme du processus produit. L’étudiant arrive en effet dans l’enseignement supérieur avec ses caractéristiques individuelles, son genre, son origine sociale, son passé scolaire (retard scolaire, série et mention au baccalauréat). Cet individu cherche à s’intégrer dans un environnement, l’enseignement universitaire, et le contexte s’ajoute donc aux paramètres à prendre en compte dans l’explication de la réussite, à la fois à travers l’adaptation de l’étudiant à ce nouveau contexte mais aussi par les variables telles que les pratiques des enseignants. Romainville (2000) propose dans cette logique une distinction de trois groupes de facteurs influençant la réussite : les caractéristiques sociodémographiques de l’étudiant, la gestion de son nouveau métier d’étudiant et le contexte universitaire.

L’ensemble de ces facteurs a déjà fait l’objet de recherches dans lesquelles leur impact a été démontré, et dont l’influence est plus ou moins élevée. Au-delà de ces facteurs, si on considère l’université

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comme un lieu d’apprentissage, on s’aperçoit que ces facteurs ne relatent qu’assez peu les éléments qui pourraient régir l’apprentissage, d’autant plus que les individus à caractéristiques semblables du point de vue des facteurs mentionnés et soumis à un contexte identique ne réussissent pas systématiquement de la même façon. La question se pose alors de l’origine de ces différences, et notre hypothèse se concentre sur les mécanismes d’apprentissage, du point de vue du fonctionnement cognitif. Les différences de capacités cognitives interindividuelles interviendraient dans notre schéma comme des variables médiatrices, intermédiaires. C'est-à-dire que les variables indépendantes classiques joueraient un rôle moindre ou nul sur la réussite une fois prises en compte les capacités cognitives des individus en tant que variable médiatrice.

I.2.2.5. Deux facteurs médiateurs envisagés

Les capacités cognitives sont des variables qui ne sont pas habituellement mobilisées en sciences de l’éducation, le recours à des variables de nature économique et sociologique étant plus prépondérant. Notre approche s’appuie sur ces facteurs traditionnels en incluant d’autres variables plus psychologiques. Les psychologues développementaux ont établi des tâches permettant de mesurer les capacités cognitives des individus. Pour appréhender ces capacités individuelles, des travaux au niveau du primaire (Barrouillet, Camos, Morlaix, Suchaut, 2008) ont montré que trois mesures permettaient d’appréhender les capacités cognitives, à savoir la mémoire de travail, le raisonnement et la vitesse de traitement de chaque sujet. Notre objectif est d’introduire ces différentes dimensions afin d’établir dans quelle mesure ces capacités participent à l’explication de la réussite des étudiants aux examens. Par ailleurs, il sera inclus dans cette recherche une variable rarement prise en compte en France, et principalement de façon très qualitative. Il s’agit de la motivation de l’étudiant. Facteur qui peut paraître banal, il a fait l’objet de peu d’analyses quantitatives dans l’enseignement supérieur en France. C’est pourtant un facteur qui peut sembler évident, tant on sait la difficulté plus grande de réaliser une tâche ou une activité lorsque l’on est peu motivé. De la même façon que pour les capacités cognitives, la motivation sera envisagée comme un processus intermédiaire concourant à la réussite universitaire. Les capacités motivationnelles seront abordées comme dépendantes de facteurs antérieurs dans l’hypothèse que la motivation résulte en partie d’un vécu scolaire et d’un sentiment d’efficacité personnelle. Les échecs ou les réussites passés faisant partie de la construction de l’individu, il est probable qu’ils soient liés à la motivation actuelle. La motivation sera aussi considérée comme agissant constamment sur les acquisitions et la réussite. L’objectif vise à déterminer le statut de la motivation. Nous verrons dans quelle mesure elle influe sur la réussite universitaire et de quelle manière elle intervient, à savoir si elle se présente comme une variable médiatrice ou si son impact est plus direct sur la réussite.

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La multiplication des variables, sociologiques, démographiques, scolaires, cognitives et motivationnelles, dont on souhaite évaluer l’influence, complexifie le travail d’identification de leur rôle respectif. C’est la raison pour laquelle le cadrage dans le paradigme des processus médiateurs a été retenu. En effet, l’analyse des relations entre ces variables ne peut pas se limiter à une analyse causale unidirectionnelle (influence de X sur Y). Ce choix et les variables multiples impliquent l’utilisation de méthodes adaptées pour la mesure de ces relations à travers notamment l’identification de variables médiatrices.