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La France développe son enseignement universitaire par la multiplication des cursus, mais l’offre de formation souffre de cette hétérogénéité dans le sens où les parcours deviennent de moins en moins lisibles. Il s’agit là d’une des cibles visées par la volonté d’harmonisation avancée dans la conférence de Bologne en 1999.

C’est à l’occasion de la conférence de la Sorbonne en mai 1998, célébrant les 800 ans de la Sorbonne, que les ministres allemand, italien, britannique et français vont solliciter les membres des pays de l’Union Européenne (UE) et les pays européens extérieurs à l’UE avec l’objectif de créer l’Espace Européen d’Enseignement Supérieur (EEES). Cet appel signe la volonté de coopération au niveau de l’enseignement supérieur. Il se fait en résistance à l’Union Européenne notamment pour montrer la lourdeur organisationnelle et administrative de la Commission européenne et la capacité des Etats à se coordonner pour œuvrer ensemble sur un projet qui reste basé sur une construction européenne (Muller et Ravinet, 2008). Cet appel fait aussi écho à la faible existence accordée à l’enseignement supérieur dans le projet de l’Europe de la connaissance formalisé par la stratégie de Lisbonne en 2000 (Ravinet, 2007).

En juin 1999, vingt-neuf ministres de pays européens signent la déclaration de Bologne autour de six objectifs5 dont l’élément essentiel repose sur l’harmonisation des diplômes en une organisation de

5 « Mettre en place un système de diplômes lisibles et comparables (notamment grâce au supplément de diplômes) ; privilégier un système fondé sur deux cursus, avant et après la licence (qui doit sanctionner au moins trois ans d’études). Le cursus après la licence doit conduire au master et au doctorat ; mettre en place un système de crédits (ECTS) ; promouvoir la mobilité (facilitée par les crédits) ; promouvoir la coopération européenne en matière d’évaluation de la qualité ; promouvoir la dimension européenne, en particulier dans les programmes d’études et la coopération entre établissements. » (IGAENR, 2005).

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deux cycles : licence et master6. Cette coopération croît avec l’adhésion, au fil des conférences qui ont lieu tous les deux ans, de nouveaux pays. Trente deux pays sont réunis à Prague en mai 2001, quarante-deux en septembre 2003 à Berlin, quarante-cinq en mai 2005 à Bergen et quarante-six Etats sont présents à Londres en 2007. Le processus de Bologne prend de l’ampleur et gagne en ambition. La traduction en France des engagements pris dans la création de l’EEES est entamée par la mise en place du triptyque Licence – Master – Doctorat (LMD), le master ayant été créé en août 19997 et la parution du décret n°2002-482 du 8 avril 2002 est un élément majeur pour la réalisation des objectifs du processus de Bologne. Outre la structuration des cursus selon ces trois grades, l’application du décret permet que « la question de la réussite à l’université [soit] abordée pour la première fois institutionnellement d’une manière multidimensionnelle » (Endrizzi, 2010).

La réforme LMD rencontre une forte et rapide adhésion, notamment au départ au niveau des présidents d’université. C’est à eux qu’incombe la tâche de promouvoir la réforme auprès des équipes pédagogiques et administratives. Un des arguments avancés repose sur l’inefficacité des réformes jusqu’alors mises en œuvre dans la lutte contre l’échec et la persistance d’une faible réussite dans les premières années de cursus (IGAENR, 2005). A cet égard, le décret de 2002 est explicite et place l’étudiant au centre des préoccupations. Il est préconisé de « faciliter l’amélioration de la qualité pédagogique, de l’information, de l’orientation et de l’accompagnement de l’étudiant » (article 3, décret n°2002-482 du 8 avril 2002). Une des applications réside dans les modifications apportées par la transformation des formations qui visent une orientation des étudiants progressive. C’est notamment par la semestrialisation que la progression dans des parcours adaptés aux étudiants est possible. Le choix de privilégier une formation plus générale au cours de deux premiers semestres a été pensé pour favoriser la réflexion des étudiants sur leurs projets et leur permettre de faire des choix plus tardifs et en meilleure connaissance de cause. La spécialisation du cursus intervient plus tardivement en fin de cycle licence.

L’adaptabilité des parcours a été accompagnée de dispositifs d’aide aux étudiants, le rapport de l’IGAENR (2005) rapporte la mise en place de directeurs d’études dont la dénomination peut varier selon les lieux, Simon (2006) parle d’enseignants référents. Le développement de projet individuel d’études ou projet professionnel selon les cas sont aussi mentionnés, ils visent l’implication de l’étudiant dans la construction de son projet. Le développement d’actions s’attachant plutôt à faire acquérir aux étudiants une méthodologie de travail universitaire (ex. : initiation au travail universitaire, apprentissage de l’autonomie) a pris le dessus sur les actions de tutorat dont les résultats étaient

6 Le cycle doctoral est intégré à la structure commune des diplômes à partir du sommet de Berlin en 2003 (Muller et Ravinet, 2008).

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mitigés dans le sens où les bénéficiaires n’étaient pas les étudiants les plus en difficultés. Le tutorat ne semble pourtant pas remis en question dans son efficacité, « partout où il a été évalué sérieusement, le tutorat d’accompagnement a eu un effet positif sur le niveau des étudiants qui s’y sont inscrits » (Simon, 2006). La difficulté semble davantage tenir dans le ciblage du public concerné. L’évaluation de l’utilité du tutorat ne peut s’établir sur la base de son efficacité sur un public dont les besoins ne sont pas les mêmes que ceux qui sont le plus en difficulté. L’objectif n’est pas d’écarter les étudiants qui profitent du tutorat et pour lesquels il est bénéfique, mais la question qui se pose alors est comment atteindre ceux qui n’y participent pas. Les difficultés que rencontrent ces étudiants ne résident peut-être pas, en tous cas pas de façon imminente, dans la prise en charge des difficultés académiques, mais plutôt dans leur adaptation au mode de fonctionnement universitaire ou encore dans leur manque de motivation.

La diversité des solutions proposées pour les étudiants en échec, à savoir ceux qui n’ont pas validé leurs Unités d’Enseignement (UE), dépend beaucoup des universités et des filières. L’IGAENR (2005) relève des pratiques telles que du soutien entre les sessions d'examens, des amphis obligatoires de correction d’épreuves, des explications individuelles aux étudiants, des remises à niveau. Simon (2006) rapporte également des actions de prévention ou plutôt de transition d’un fonctionnement du secondaire vers l’enseignement supérieur par la suppression de cours en amphi au premier semestre.

Simon (2006) souligne que les acteurs mettent en avant la nécessité de prendre en charge les difficultés des étudiants de façon de plus en plus tangible et récurrente. Une des premières étapes consiste à repérer les décrocheurs, qui sont un public particulièrement difficile à appréhender puisque ce sont des étudiants qui vont devenir invisibles. Les soutiens mis en place, créés ou renforcés par la réforme LMD, la réforme Bayrou ayant déjà permis la mise en place de formes de soutien, sont là aussi variés. Parmi les plus performants selon le rapport Simon (IGAENR, 2006), on peut citer le suivi de chaque nouvel étudiant par deux tuteurs avec trois entretiens obligatoires pendant l’année, lui permettant de réfléchir sur le choix de ses UE, sur ses résultats obtenus et sur l’éventuelle orientation en « cycle d’orientation et de consolidation (COC) ». Cette aide spécifique a été développée à l’université de Toulouse 3 (en sciences et technologie) et à l’université de Bretagne-Sud (pour toutes les composantes).

La lutte contre l’échec s’établit par ailleurs à travers l’optimisation de l’orientation. C’est le cas par la création de premiers semestres plus généraux, mais également par la réalisation d’actions d’informations intégrées au LMD, lancées en direction des lycéens. L’accent est mis sur l’approche des différents acteurs, tels les proviseurs, les conseillers d’orientation psychologue, les lycéens et la communication est développée sous divers formats, site Internet, courrier, journée de rencontres, portes ouvertes. Tout comme la question du lien entre le CM2 et l’entrée au collège, puis plus tard, le

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lien entre le collège et le lycée, aujourd’hui des efforts sont concentrés sur le lien entre le secondaire et le supérieur.

La mise en place d’aide et de soutien en direction des étudiants étaient des principes reconnus de l’instauration du LMD. Ces principes ont bien fait place à une application concrète par des actions mais toutes n’ont pas un effet probant, quand elles ont fait l’objet d’évaluation, et certaines difficultés rencontrées dans leur mise en place sont des freins à leur efficacité ou à leur poursuite. Il s’agit notamment de difficultés financières, à la fois en terme de coût pour le fonctionnement de l’accompagnement (ajout de modules, réduction de la taille des groupes) mais aussi le financement des enseignants-chercheurs impliqués dans la supervision de la mise en œuvre du LMD et chargé du suivi des étudiants. La reconnaissance financière ou horaire est très variable entre les universités. Les enseignants-chercheurs ayant des charges supplémentaires (par la création des formations et des aides) parlent d’épuisement et de « marathon » (IGAENR, 2005). Ces acteurs ne sont par ailleurs pas formés pour l’accompagnement et l’orientation des étudiants notamment dans le suivi des projets professionnels. La gestion des parcours personnalisés favorisé par le LMD se heurte également à des difficultés matérielles assez classiques d’emploi du temps voire de localisation.

Au-delà des difficultés liées à la mise en place et au fonctionnement des aides, les acteurs sont parfois réticents sur la mise en place de ces aides. Les modifications imposées sur les changements d’organisation pédagogique sont alors parfois contournées voire tout simplement refusées par les équipes pédagogiques. L’harmonisation du calendrier universitaire, l’augmentation des cours en TD, la création d’UE libres, ces mesures renvoyant à des directives floues ont été adaptées en fonction des disciplines selon les choix des enseignants-chercheurs (Mignot-Gérard et Musselin, 2005). Mêmes les directives ministérielles ne sont pas toujours suivies, notamment concernant la mise en place d’une double session d’examens et des délibérations de jurys à chaque semestre. Mignot-Gérard et Musselin (2005) relèvent les arguments des enseignants à savoir « l’ambiguïté du système », « les difficultés matérielles », nous avons déjà soulevé les problèmes d’emploi du temps, « les arguments pédagogiques », les enseignants redoutent une adaptation du fonctionnement universitaire calquée sur le fonctionnement du secondaire avec la semestrialisation et craignent la perte de spécialisation par exemple dans certaines universités à travers la création des UE libres8.

Autre objectif, celui de l’harmonisation, elle a permis en partie une meilleure lecture de l’offre de formation pour les universités qui ont réussi à classifier leur master en fonction de domaines. Mais il semble que l’offre finale après la mise en place des masters soit plus importante et plus floue que ne

8 Les UE libres relèvent d’initiatives locales, elles « sont des enseignements ouverts à tous les étudiants de l’université », l’étudiant ayant le choix de suivre cette UE sur tout son cursus ou de changer à chaque semestre (Mignot-Gérard et Musselin, 2005).

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l’était l’offre des DESS et des DEA. L’IGAENR (2005) constate que « la lisibilité des formations ne s’est pas nettement améliorée » et que « le nombre de diplômes aurait été doublé ». La mise en place du LMD s’est accompagnée d’une professionnalisation des diplômes qui a engendré une confusion supplémentaire par la multiplication des spécialités notamment au niveau des masters. La diversité des dénominations ajoute à la complexité, et les étudiants risquent d’en pâtir (Duru-Bellat et Verley, 2009).

Le LMD trouve aussi une limite par rapport à la certification par les diplômes qui intervient plus tardivement à la fois pour le niveau licence qui retarde d’un an la certification en supprimant le diplôme de niveau bac+2. Il en va de même pour le niveau bac+4 qui n’est plus reconnu et qui retarde l’obtention d’un diplôme de second cycle qui est délivré à bac+5. Les études se rallongent par ce processus et entrainent les étudiants à s’investir sur un plus long terme. Le risque d’abandon s’en trouve accru.

La réforme du LMD a été plutôt bien acceptée dans le monde académique, en partie car la souplesse du gouvernement pour son application, la continuité du fonctionnement précédent qui s’est superposé aux nouveaux cycles ont permis une transformation profonde mais en douceur. Cette adhésion a été rapidement visible dans la création souvent en avance des formations sur le système LMD (IGAENR, 2005). Les universités disposaient d’une autonomie assez grande dans la construction des formations. Dans cette même optique d’autonomie des universités et dans une volonté de donner aux universités la même liberté qu’ont la majorité des universités dans le monde, la politique française a poursuivi la réforme de son enseignement universitaire.

II.3. La loi pour l’autonomie des universités (LRU) et le Plan Réussir en