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APPROCHE DES CAPACITÉS COGNITIVES ET DE LEUR RÔLE DANS LES APPRENTISSAGES

I.1. Brève histoire de la psychologie cognitive

Les courants de pensée des disciplines sont influencés à la fois par les événements externes, les avancées technologiques et conceptuelles et par des raisons internes qui résultent des changements de positions opérés par certains chercheurs vis-à-vis du courant dominant de leur époque. En s’inscrivant contre ou en apportant des éléments ou points de vue complémentaires, ils participent à la naissance d’un nouveau courant de pensée. La psychologie cognitive n’échappe pas à la règle.

Le premier courant de la psychologie scientifique dont l’objet porte sur la compréhension de la cognition se nomme la psychologie structuraliste. Elle est issue des travaux de Wundt, à la fin du XIXème, qui considère que la connaissance de l’esprit doit s’établir par la connaissance des éléments qui le constituent, sa « structure ». La méthode utilisée par les structuralistes pour définir les différents systèmes de cognition est l’introspection. C’est à travers la description de l’activité effectuée, son contenu mais aussi la manière dont elle est réalisée que les structuralistes ont essayé d’établir les éléments constitutifs de l’esprit. Cette méthode a de fortes limites, en particulier celle d’influencer la réalisation de la tâche ce qui introduit des biais. Par ailleurs, les individus rapportant les différents contenus et processus lors de leurs introspections peuvent ne pas exprimer la vérité (Lemaire, 1999).

Dans les évolutions que connaît la psychologie, un autre courant s’intéresse aux facultés des individus qui seraient présentes dès leur naissance, il s’agit du modèle nativiste. Il repose pour sa part sur l’idée que le développement et ses étapes sont prédéterminés au départ dans les gènes. Cette théorie repose sur l'idée que le développement s’exprime avec la maturation, tel un programme établi à l’avance.

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Selon cette conception, les mêmes grandes acquisitions se font aux mêmes âges parce qu’elles sont génétiquement programmées, elles se réaliseront de manière innée. Certains aspects de cette approche ne peuvent être niés, par exemple la capacité de saisir des objets intervient vers l’âge de 4 mois et demi. Les théories de Chomsky (1959, 1968) ont ravivé cette approche à partir notamment de la théorie du langage. Les habiletés grammaticales des enfants seraient innées, en particulier en termes de structure grammaticale (sujet/verbe/complément). Ce constat est basé sur la pauvreté du stimulus, les adultes produiraient fréquemment des phrases dont la formulation grammaticale serait incorrecte ou incomplète. Chomsky (1975) montre à cet effet, que l’enfant construit des phrases qu’il n’a jamais entendues et qu’il ne peut donc pas être dans l’imitation. De nombreuses théories nativistes ont montré que différentes formes de connaissances étaient innées. Les jeunes enfants ont une compréhension du monde physique, comme la connaissance du fait que deux objets ne peuvent pas se traverser. Braine (1971) ou Wynn (1992) pensent que l’arithmétique est innée, Spelke (Spelke, 1985, Spelke, Breinlinger, Macomber et Jacobson, 1992) pense que certains concepts physiques sont innés tels que la gravité. Il existe également une capacité de langage innée, un bébé a toutes les capacités phoniques pour prononcer tous les sons des différentes langues, mais il les perd quand il se spécialise dans sa langue. Ces théories nativistes reposent sur l’observation de régularité et supposent que des règles les sous-tendent. Cependant les partisans de ces théories sont assez peu explicites et éprouvent des difficultés à rendre compte des périodes de développement et de changement généraux.

Parallèlement au développement du courant structuraliste en Europe, Ebbinghaus à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, aux Etats-Unis, réalise des travaux sur le stockage et la récupération des informations en mémoire. Ses expérimentations lui permettent de découvrir que l’association d’une information à une autre facilite la mémorisation. Le fonctionnement mental est alors entrevu comme reposant sur des associations, d’où l’appellation du courant d’une psychologie associationniste. L’élément central qui en ressort est l’existence de relations entre les informations stockées en mémoire. A l’inverse des nativistes, les associationnistes supposent que l’expérience est suffisamment riche pour en extraire une connaissance valable. Ils sont également appelés empiristes. Le bébé, dans cette conception, apprend par association entre toute sorte de choses, les impressions, les représentations. Il observe les régularités et associe les éléments qui se déroulent en même temps. L’association est un mécanisme très complexe mais très bénéfique pour l’apprentissage. La méthode qui a permis de mettre en évidence les associations est basée sur l’apprentissage de syllabes par cœur, qui n’ont aucune signification et d’observer le nombre d’essais nécessaires à l’apprentissage, le nombre d’items rappelés après l’écoulement d’un certain temps… Cette méthode a très longtemps perduré dans la psychologie cognitive.

Dans la lignée, le courant béhavioriste (Pavlov, 1927 ; Skinner, 1938) s’est intéressé à l’association, célèbre désormais, du stimulus/réponse, au mécanisme de conditionnement. Les béhavioristes s’inscrivent en faux par rapport à la méthode de l’introspection des structuralistes. Les processus

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mentaux pour les béhavioristes, sont inconscients et ne peuvent faire l’objet d’une description par le sujet lui-même. De plus, cette méthode ne répond pas aux critères scientifiques de validité et fiabilité. Les béhavioristes en rejetant cette méthode ont contribué à asseoir la psychologie en tant que science, par l’élaboration de méthodes nouvelles (Lemaire, 1999). Ils ont délimité leur champ d’études à des comportements observables. Le principe général de leur raisonnement repose sur la stimulation de l’environnement qui entre dans une « boite noire » et l’observation de la réponse, la réaction à cette stimulation (comportements observables). La boite noire n’est pas l’objet d’étude, c’est le conditionnement qui est la principale activité. Les deux théoriciens biens connus appartenant à ce courant, Pavlov (1927) et Skinner (1938) ont pratiqué des expériences mettant à jour les mécanismes du conditionnement et ses répercussions sur l’apprentissage. Ce paradigme a influencé le milieu éducatif qui à l’époque de la Seconde Guerre mondiale s’est vu confié la mission de formation de nombreuses recrues. La performance de l’étudiant était, dans cette conception béhavioriste, la caractéristique de l’apprentissage, et cet apprentissage était fonction d’évènements extérieurs d’enseignement (Boulet et al. 1996). La place accordée à l’enseignant dans l’apprentissage est alors primordiale.

Des modèles intermédiaires sont par la suite conçus, issus des courants précédents. C’est le cas des modèles constructivistes qui s’appuient sur le courant nativiste et associationniste et la réalité d’une partie de leurs hypothèses. Les constructivistes dépassent cependant les postulats de ces deux courants car ils considèrent que le développement n’est pas le déroulement d’un programme où tout est préinscrit mais qu’il n’est pas non plus le résultat de plusieurs situations d’apprentissage. Le développement ne résulte pas seulement du sujet, ni seulement de l’objet mais d’une interaction entre les deux. Ce positionnement, plus complexe sur le plan théorique, est partagé, notamment par Piaget (1923, 1926), Wallon (1945), Vygotsky (1997) ou encore Case (1985). L’organisation de la pensée pour ces chercheurs se construit par l’interaction entre le sujet et l’objet. En l’absence d’interaction, il n’existerait pas de développement.

Le cognitivisme repose sur des conceptions similaires au constructivisme, mais c’est plutôt dans les limites du domaine qu’il se différencie, à savoir que le constructivisme se rapporte à la psychologie du développement. Le cognitivisme est apparu, dans le début des années 1960, en partie par opposition au béhaviorisme qui trouve ses limites dans la restriction de la prise en compte des évènements extérieurs. Les cognitivistes cherchent pour leur part à savoir ce qui se passe dans la « boite noire ». Ils rejettent l’idée que les états mentaux, les processus n’existent pas, ils pensent au contraire qu’ils doivent faire partie de l’objet d’étude. C’est justement l’exploration et la définition des processus cognitifs jouant dans la réalisation d’une tâche qui sont les objectifs de la psychologie cognitive. C’est avec le courant cognitiviste que la mémoire revient au centre de la psychologie. Le courant cognitiviste est aussi né du béhaviorisme dont il a conservé les méthodes scientifiques, le principe que la cognition doit être étudiée de façon objective et rigoureuse.

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La psychologie cognitive peut se définir au final par la recherche du « comment » un système acquiert des informations, comment elles sont représentées et transformées en connaissances et comment ces connaissances sont utilisées. L’approche cognitiviste s’est aussi répercutée sur l’appréhension de l’apprentissage et de la relation entre l’enseignement et l’apprentissage. Cette évolution se traduit par la prise en compte et la reconnaissance de processus internes d’apprentissage et par conséquent par la considération de l’étudiant comme constructeur de son apprentissage et actif dans le traitement de l’information (Weinstein et Mayer, 1986). Ces auteurs ont une approche mixte de l’apprentissage qu’ils considèrent comme dépendant à la fois de l’enseignant (ses interventions externes ont une influence et l’effet de cette activité a été beaucoup soutenu dans le courant béhavioriste), mais aussi de l’étudiant par les activités qu’il va développer dans son apprentissage, ces dernières étant plus favorisées dans l’approche cognitiviste.

La définition de la cognition à l’heure actuelle nous renvoie à la notion d’intelligence, de pensée. Elle est « cette faculté mobilisée dans de nombreuses activités telles la perception (des objets, des formes, des couleurs…), les sensations (gustatives, olfactives…), les actions, la mémorisation et le rappel d’informations, la résolution de problèmes, le raisonnement (inductif et déductif), la prise de décision et le jugement, la compréhension et la production du langage, etc. » (Lemaire, 1999). La réalisation des tâches cognitives auxquelles l’homme est confronté, est régie par des mécanismes sous-jacents. Ce principe de mécanismes est une notion clé en psychologie cognitive. Son apparition et son application ont permis l’élaboration de modèles visant à décrire et expliquer les mécanismes mettant en œuvre les processus essentiels de la cognition humaine. Nous allons à présent aborder les apports majeurs de la psychologie cognitive dans la compréhension de la cognition humaine, en particulier par rapport à la mémoire, le traitement de l’information et le raisonnement.